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Décisions

CA Nîmes, 1re ch. B, 8 novembre 2001, n° 2095-99

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maison Artisanale (Sté)

Défendeur :

Bouchet (époux), Le Crédit Immobilier du Gard (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brouzy

Conseillers :

MM. Favre, Rolland

Avoués :

Me d'Everlange, SCP Guizard-Servais, SCP Fontaine-Macaluso-Jullien

Avocats :

SCP Vezon-Massal-Raoult, SCP Fontaine & Fontaine, Me Chabannes

TGI Ales du 3 mars 1999

3 mars 1999

Faits, procédure et prétentions des parties :

Par acte notarié du 28 octobre 1994, Monsieur et Madame Marc Bouchet ont acquis de la Société de Crédit Immobilier du Gard une parcelle de terrain à bâtir située à Saint Privas des Vieux (Gard), formant le lot 22 du lotissement aménagé par ladite société dénommé La Colline après avoir signé le 28 juillet 1994 une promesse de vente sous seing privé portant sur ce lot 22.

Par acte sous seing privé du 28 juillet 1994, Monsieur et Madame Bouchet ont également signé avec la société la Maison Artisanale un contrat de construction d'une maison individuelle à édifier sur ce lot 22.

Un glissement de terrain s'est produit le 4 octobre 1995 et a renversé le mur réalisé par Monsieur Bouchet sur la partie amont de la maison.

Statuant après expertise, le Tribunal de Grande Instance d'Ales, par jugement réputé contradictoire rendu le 3 mars 1999, a condamné le Crédit Immobilier du Gard pour n'avoir pas délivré une chose conforme à sa destination, à payer la somme de 225 613,96 F aux époux Marc Bouchet et la SARL Maison Artisanale celle de 20 000 F pour avoir manqué à son obligation de conseil, en ordonnant l'exécution provisoire de sa décision.

La SARL Maison Artisanale a relevé appel de ce jugement.

Elle a conclu à la réformation du jugement entrepris au motif essentiel qu'elle ne pouvait être tenue pour responsable, même partiellement, de l'effondrement du mur et de ses conséquences parce que sa responsabilité de constructeur ne saurait concerner autre chose que l'ouvrage qu'il a construit et que son obligation de conseil ne saurait s'étendre à des éléments étrangers à cette construction elle- même et porter sur des caractéristiques de terrain connue du promoteur du lotissement et du maître de l'ouvrage.

La SARL Maison Artisanale demande en conséquence d'être déchargée de toute condamnation et de condamner les époux Bouchet à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 15 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le Crédit Immobilier du Gard a formé un appel incident et a également conclu à l'infirmation du jugement entrepris.

Il soutient pour l'essentiel que le glissement de terrain intervenu un an après la vente n'a aucun lien avec la conformité de la livraison et que c'est sur le fondement d'un vice caché que le procès aurait dû être engagé par les époux Bouchet à charge pour eux de démontrer qu'il s'agissait d'un vice qui leur avait échappé lors de leur achat, leur action étant éteinte pour n'avoir pas agi à bref délai.

Le Crédit Immobilier du Gard ajoute que le terrain vendu nu est bien conforme à la chose vendue et qu'il devait être aménagé par l'acquéreur assisté par son constructeur à qui il incombait de prévoir un mur de soutènement s'il était techniquement indispensable et en informer le maître de l'ouvrage ; que de plus, celui-ci a effectué sous sa responsabilité le mur qui s'est effondré.

Il fait encore grief au tribunal d'avoir aussi retenu sa responsabilité en relevant que l'architecte Chabrol était "l'architecte du Crédit Immobilier" et n'avait pas fait d'observation sur le permis de construire, alors que cet architecte qui avait concouru à la réalisation du lotissement, était indépendant et ne pouvait l'engager.

Le Crédit Immobilier du Gard demande en conséquence de réformer le jugement entrepris et de débouter les époux Bouchet de leur demande à son encontre.

Après avoir rappelé les conclusions de l'expert judiciaire, Monsieur et Madame Bouchet ont soutenu :

- qu'à l'égard du Crédit Immobilier du Gard leur assignation était fondée sur les dispositions des articles 1604 et suivants du Code civil et qu'ils pouvaient aussi se prévaloir de celles de l'article 1641 comme de celles de l'article 1792 du même Code à l'égard du lotisseur,

- qu'à l'égard de la SARL Maison Artisanale, sa responsabilité était engagée pour avoir manqué à son obligation de conseil,

- qu'on ne peut lui imputer à faute d'avoir construit un mur n'ayant pas les caractéristiques d'un mur de soutènement alors que les professionnels n'ont eu même rien fait,

- que la solidité du lotisseur vendeur et du constructeur est encourue parce que leurs fautes cumulatives ont engendré pour eux un dommage unique.

Monsieur et Madame Bouchet demandent en conséquence, au principal, de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité du Crédit Immobilier du Gard et de la SARL Maison Artisanale, mais de le réformer sur les modalités de la condamnation en les condamnant in solidum à leur payer la somme de 245 613,96 F indexée au jour de l'arrêt outre intérêts légaux jusqu'au paiement, et subsidiairement, de dire que la responsabilité du Crédit Immobilier du Gard doit être retenue également in solidum avec le constructeur sur le fondement de l'article 1792 du Code civil, enfin de les condamner à lui verser la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs :

Il résulte des énonciations des conditions particulières du contrat de construction de maison individuelle signé le 28 février 1994 entre la SARL Maison Artisanale et les époux Bouchet qu'ils avaient signé le même jour avec leur vendeur une promesse de vente portant sur le même lot dont le rédacteur était le Notaire qui a réitéré la vente par acte authentique le 28 octobre 1994. Le Crédit Immobilier ne peut donc soutenir que le contrat de construction serait antérieur à la vente puisque la promesse de vente a été signée le même jour que celui-ci ;

L'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui en diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avaient connus ;

L'expert judiciaire a mis en évidence que le lot n° 22 vendu par le Crédit Immobilier qui avait réalisé ce lotissement, présentait à la limite de la zone constructible dès 12m de profondeur, un talus d'environ 4m de hauteur avec une très forte pente, supérieure à la pente de talus naturel, et qu'il a vendu un terrain non stabilisé (coupe figurée en page 6 du rapport et observations page 10);

Ce lotissement a en effet été réalisé à flanc de colline sur un terrain présentant de très fortes dénivellations. L'implantation prévue au permis de construire par la SARL Maison Artisanale nécessitait un terrassement de 2,50m dans le talus qui fut effectivement réalisé. Ce terrassement a accentué la pente du talus et son instabilité ;

La seule objection que le terrain vendu était constructible au regard de l'autorisation administrative de lotir ne peut exonérer le vendeur de son obligation de garantir les vices cachés, dont les époux Bouchet, acquéreurs profanes, ne pouvaient se convaincre par la seule visite des lieux, qui résultent de ce que le talus amont qui présentait une forte dénivellation était instable et présentait un risque sérieux de glissement de terrain alors surtout que l'implantation normale d'une construction dans la zone constructible du lot 22 selon le règlement du lotissement impliquait nécessairement un nouvel empiétement du talus;

L'expert judiciaire a relevé à juste titre que les acquéreurs n'avaient pas eu connaissance par leur vendeur de l'instabilité du terrain et de la nécessité d'intégrer dans le coût de leur projet l'obligation de réaliser un mur de soutènement ;

Le Crédit Immobilier du Gard, vendeur lotisseur professionnel de l'immobilier, doit donc sa garantie pour les vices qui affectent le terrain vendu et en diminuent tellement l'usage que le vendeur ne l'aurait pas acquis s'il les avaient connus ;

Il est en effet démontré par l'expert que, nonobstant le fait que Monsieur Bouchet a réalisé lui- même des terrassements sur ce talus avant de réaliser un mur qui était insuffisant pour le stabiliser, le terrain vendu était lui-même déjà instable du seul fait de la pente du talus après l'aménagement du lotissement, les travaux ultérieurement réalisés par le constructeur ou le maître de l'ouvrage n'ayant eu qu'un effet déclencheur et révélateur d'un vice du terrain en cas de pluies abondantes comme en l'espèce;

L'extrait du rapport d'un autre expert judiciairement commis à la requête de l'association syndicale de ce lotissement au contradictoire du Crédit Immobilier du Gard le 19 janvier 1995 (annexe 9 du rapport Azzopardi déposé dans cette instance) confirme encore l'instabilité latente des sols de ce lotissement aménagé à flanc de colline puisque d'autres glissements de terrain ont été constatés à même époque;

Du rapport de l'expert il résulte encore que lors du glissement de terrain du mois d'octobre 1995, les terres se sont accumulées jusqu'à la façade est de la construction elle-même et qu'en l'absence d'un mur de soutènement les terres instables du talus continueront de glisser;

Alors que le glissement de terrain est survenu le 4 octobre 1995, il résulte des pièces de la procédure que les époux Bouchet ont assigné le Crédit Immobilier devant le juge des référés par acte d'huissier du 23 octobre 1995 en relevant déjà dans cet acte que le terrain acquis "semble impropre à sa destination" pour demander la désignation d'un expert;

Le bref délai de l'article 1648 du Code civil ayant été interrompu par cette assignation en référé aux fins d'expertise, le Crédit Immobilier du Gard ne peut pas opposer aux époux Bouchet cette disposition légale qui n'a plus lieu désormais de trouver application, la prescription de droit commun ayant commencé à courir à compter de l'ordonnance de référé;

Les époux Bouchet sont donc fondés à demander que le Crédit Immobilier du Gard soit condamné à leur payer le coût du mur de soutènement dont la réalisation est indispensable pour que leur lot soit conforme à sa destination;

Le jugement doit donc être confirmé à l'encontre du Crédit Immobilier mais par d'autres motifs;

Les époux Bouchet ont confié à la SARL Maison Artisanale la construction d'une maison individuelle. Il résulte de la notice descriptive annexée à ce contrat et paraphée par les parties qu'au regard de la rubrique "terrassements" figure la mention manuscrite "sans objet" qui démontre que le constructeur n'a pas pris en compte et prévu, malgré l'empiétement du talus, la réalisation d'un ouvrage supplémentaire pour stabiliser le talus dont il a déjà été dit plus haut que l'expert judiciaire estimait sa réalisation indispensable au regard de son implantation et de la configuration du sol ;

Le tribunal a relevé à juste titre que le constructeur ne pouvait limiter son obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage au seul ouvrage de construction proprement dit et que, chargé d'implanter la construction sur ce lot, il ne pouvait ignorer la difficulté résultant de la configuration des lieux et de l'implantation au pied du talus, ce qui nécessitait de plus des travaux de terrassement sur 2,50m de profondeur, susceptibles d'aggraver son instabilité ;

Comme il l'a été dit plus haut, le constructeur n'a prévu, même au titre des travaux non compris dans le prix convenu, aucun ouvrage de stabilisation du talus et n'a pas attiré l'attention des époux Bouchet sur la nécessité de sa réalisation en faisant, s'il y avait lieu, des réserves s'ils n'entendaient pas faire exécuter ces travaux;

Il a manifestement manqué à son obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage profane qui n'avait pas connaissance des caractéristiques du sol lorsqu'il a décidé de l'implantation de la construction et de son adaptation à la configuration des lieux. Il ne peut s'exonérer de sa responsabilité au seul motif que l'architecte du projet de lotissement, consulté, n'a pas formulé d'objection sur les plans du permis de construire et que celui-ci a été accordé ;

Son manquement fautif à cette obligation de conseil est en relation avec le dommage du maître de l'ouvrage qui doit maintenant faire réaliser le mur de soutènement qu'il devait lui conseiller de réaliser ;

Le vendeur et le constructeur étant responsables du même dommage doivent être condamnés in solidum à le réparer en totalité ;

Le jugement entrepris sera donc réformé de ces chefs;

Il serait contraire à l'équité que les époux Bouchet qui ont dû défendre à l'appel conservent à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont dû exposer mais leur demande sera modérée;

Le Crédit Immobilier et la SARL Maison Artisanale qui succombent, supporteront les entiers dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, En la forme, déclare recevables l'appel principal et les appels incident ; Réforme partiellement le jugement entrepris; Statuant à nouveau; Condamne in solidum le Crédit Immobilier du Gard et la SARL Maison Artisanale à payer à Monsieur et Madame Bouchet la somme de 245 613,96 F indexée sur l'évolution de l'index BT 01 entre le 24 avril 1998 et le présent arrêt, outre intérêts légaux a compter de celui-ci jusqu'au parfait paiement; Les condamne in solidum à leur payer la somme de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Les condamne in solidum aux entiers dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise; En autorise le recouvrement direct pour ceux d'appel par la SCP Guizard-Servais, avoués à la Cour, dans les formes et conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile;