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Décisions

CA Paris, 2e ch. B, 4 juin 1998, n° 96-85126

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vial

Défendeur :

Halleux (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Trochain

Conseillers :

Mme Schoendoerffer, M. Laurent-Atthalin

Avoués :

SCP Barrier-Monin, SCP Verdun-Gastou

Avocats :

Mes Van Eeckout, Cessart

TGI Paris, 2e ch., 2e sect., du 27 juin …

27 juin 1996

LA COUR statue sur les appels principal de Luc Vial et incident des époux Dominique Halleux et Soloarivelo Ravokatra, voies de recours qui tendent à la réformation du jugement rendu le 27 juin 1996 par le Tribunal de grande instance de Paris, 2e Chambre, 2e section.

Faits et procédure

Par acte authentique du 20 mars 1990 Luc Vial a vendu aux époux Dominique Halleux et Soloarivelo Ravokatra, les lots 19, 20, 21 et 22, réunis en un appartement comprenant une salle de séjour, deux chambres, une cuisine et une salle d'eau, dépendant de l'immeuble en copropriété sis 24 faubourg du Temple à Paris, XIe arrondissement, ce moyennant le prix de 800 000 F.

Par arrêté du 15 septembre 1992 le Préfet de la région Ile-de-France a mis en demeure les époux Halleux "d'observer l'interdiction d'habiter, de jour et de nuit, prononcée par arrêtés préfectoraux en date des 18 avril 1962, 7 avril 1972 et 27 février 1985 pour la chambre située au 5e étage, 1er escalier à droite, 1re porte à droite, en raison du manque de hauteur sous plafond et du manque de surface d'éclairement".

Reprochant à leur vendeur de ne pas les avoir informés de cette interdiction et d'avoir tout au contraire déclaré dans l'acte de vente qu'il n'existait "aucun obstacle, ni aucune restriction d'ordre légal ou contractuel à la libre disposition du bien vendu" les époux Halleux ont fait assigner Luc Vial par acte d'huissier du 6 décembre 1994 en nullité de la vente consentie le 20 mars 1990, restitution du prix et paiement de dommages et intérêts.

Par jugement rendu le 27 juin 1996 le Tribunal de grande instance de Paris a :

- prononcé la nullité de la vente des lots 19, 29, 21 et 22 dépendant de l'immeuble en copropriété sis 24 rue du Faubourg du Temple à Paris, XIe arrondissement, entre Luc Vial et les époux Halleux suivant acte reçu par Maître Chardelegue, notaire, le 20 mars 1990 et publié au 4e bureau des hypothèques de Paris le 30 avril 1990, volume 1990, numéro 5550,

- condamné Luc Vial à payer aux époux Halleux les sommes de:

* 800 000 F en restitution du prix, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement,

* 100 000 F à titre de dommages et intérêts

- dit que les époux Halleux devront rendre l'appartement et restituer les clefs dans le mois de la signification du jugement,

- débouté Luc Vial de sa demande d'indemnité d'occupation,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné Luc Vial à payer aux époux Halleux la somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné Luc Vial aux dépens de première instance.

Luc Vial a interjeté appel de cette décision le 13 septembre 1996.

Moyens et prétentions des parties

Luc Vial conteste la recevabilité de l'action des époux Halleux qui n'a pas été introduite à bref délai par les intéressés qui ont attendu plus de deux ans après avoir eu connaissance du vice pour lui délivrer assignation, alors que leur action ne peut être fondée que sur le vice caché.

Il fait valoir ensuite, qu'après son acquisition en mai 1984 il a effectué des travaux très importants dans l'appartement touchant notamment aux points motivant l'arrêté et que lorsqu'il a reçu notification de l'arrêté il a cru que les travaux effectués avaient mis l'appartement en conformité et qu'ayant continué pendant cinq ans à vivre dans les lieux sans être autrement inquiété, il n'avait pas eu le sentiment de vivre dans l'illégalité, que c'est donc en toute bonne foi et sans faire preuve d'aucune réticence dolosive qu'il a vendu l'appartement aux époux Halleux.

Il souligne que s'il avait pu subsister quelque doute dans son esprit l'absence de toute mention et restriction dans le certificat d'urbanisme ne pouvait que lever tout reste d'incertitude.

Il fait valoir encore que l'interdiction administrative d'habiter un lot sur les quatre vendus n'affecte en rien la substance même de la chose qui reste bien un appartement à usage d'habitation avec les éléments nécessaires à l'habitation, séjour, toilettes, salles de bain et qui n'est atteint que dans les modalités de jouissance d'une seule chambre.

Il conclut donc à l'irrecevabilité et subsidiairement au débouté de toutes les demandes des époux Halleux.

A titre infiniment subsidiaire, il fait valoir que dès lors qu'aucun dol ne peut lui être reproché il ne peut être condamné au paiement de dommages et intérêts.

Il souligne que les intérêts ne peuvent en tout état de cause courir qu'à compter de la décision de la cour dès lors que le jugement n'était pas assorti de l'exécution provisoire et demande que les époux Halleux qui ont occupé l'appartement pendant deux ans avant la notification de l'arrêté d'interdiction d'habiter soient condamnés à lui payer une indemnité d'occupation de 6 000 F par mois jusqu'à la restitution effective du bien dont il conteste qu'elle ait eu lieu par la remise clandestine des clefs chez un huissier de justice.

Il demande la désignation d'un expert à l'effet de déterminer l'état actuel des lieux par comparaison avec leur état lors de la prise de possession par les époux Halleux et de chiffrer le coût des éventuels travaux de remise dans l'état antérieur.

Il demande enfin que les époux Halleux soient condamnés à lui payer une somme de 20 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dominique Halleux et Soloarivelo Ravokatra épouse Halleux font valoir que leur action n'est pas fondée sur la garantie des vices cachées mais sur le comportement dolosif de Luc Vial qui a tu l'arrêté d'interdiction dont l'appartement faisait l'objet et que cette action n'est donc pas soumise au bref délai de l'article 1648, qu'en toute hypothèse leur domiciliation à l'étranger les a empêchés d'agir plus vite.

Ils font valoir que le manque de hauteur sous plafond qui constitue une des raisons de l'interdiction d'habiter n'a pas variée depuis 1962, que Luc Vial ne pouvait ignorer la restriction affectant le bien et qu'il a cependant indiqué qu'il n'en existait aucune.

Ils concluent à la confirmation du jugement entrepris en son principe et notamment en ce qui concerne le point de départ des intérêts mais demandent le paiement d'une somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts en raison des divers frais qu'ils ont eu à supporter.

Ils demandent en outre de dire que les intérêts du prix de vente seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait fait droit à la demande d'indemnité d'occupation de Luc Vial ils demandent le paiement d'une somme supplémentaire de 340 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par eux du fait de l'immobilisation du prix de vente de 880 000 F depuis le 20 mars 1990.

Ils demandent enfin le paiement d'une somme de 25 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Ceci exposé, LA COUR,

Qui, pour un plus ample exposé des faits de la cause, se réfère au jugement entrepris,

Considérant que l'action en nullité fondée sur le vice du consentement provoqué par le dol d'un co-contractant n'est pas soumise au bref délai de l'article 1648, mais à la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil;

Que même à supposer que les époux Halleux aient su qu'un arrêté d'interdiction d'habiter délivré le 27 février 1985 leur avait été caché par leur vendeur dès la première visite des services compétents au mois d'août 1990, l'action en nullité de la vente pour dol n'était pas prescrite le 6 décembre 1994 lorsqu'ils ont fait assigner Luc Vial ;

Considérant que les moyens soutenus par l'appelant ne font que réitérer, sous une forme nouvelle mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts, que la cour adopte sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ;

Considérant qu'à ces justes motifs, il convient d'ajouter que si Luc Vial a cru pouvoir traiter par le mépris et pouvoir ignorer pour lui-même l'arrêté d'interdiction d'habiter, de jour comme de nuit, sans délai, qui lui a été notifié par la préfecture de Paris, étant observé qu'il ressort des mentions du certificat de notification de cet arrêté que faute par Luc Vial d'avoir donné suite à un avis de passage laissé par les services préfectoraux, l'arrêté a dû lui être notifié par lettre recommandée avec accusé de réception le 4 avril 1985, il ne pouvait pour autant se croire de bonne foi autorisé à taire cette interdiction à ses acquéreurs et à déclarer qu'il n'existait de son chef aucune restriction d'ordre légal à la libre disposition du bien vendu ;

Qu'il convient en outre d'observer que selon ses propres écritures les travaux auxquels il a procédé étaient déjà au moins en cours a l'époque (près d'un an après sa propre acquisition) à laquelle il a reçu notification de l'arrêté, qu'il ne peut donc prétendre qu'il pensait que les travaux auxquels il a procédé lui avait permis de se conformer à la réglementation et avaient pu supprimer, sans autre procédure, l'interdiction dont les lieux faisaient l'objet depuis de très nombreuses années ;

Considérant qu'il ne peut d'avantage s'abriter derrière l'absence de mention de l'inhabitabilité dans le certificat d'urbanisme pour justifier sa fausse déclaration, ce certificat concernant au premier chef l'immeuble dans son ensemble et non chacun des lots privatifs et les courriers produits aux débats n'établissant pas qu'à la date de la vente ce document mentionnait déjà les éventuelles interdictions affectant un lot privatif; qu'en outre l'omission qui pouvait l'affecter ne l'autorisait pas à déclarer qu'il n'existait de son chef aucune restriction d'ordre légal à la libre disposition du bien ;

Considérant qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente et ordonné la restitution du prix ;

Considérant qu'il convient en outre d'ordonner la réparation par Luc Vial du préjudice causé par sa faute aux époux Halleux du fait de l'annulation de leur acquisition ;

Considérant qu'eu égard à l'avantage qu'ils ont pu retirer de l'appartement avant d'avoir reçu notification de l'arrêté d'interdiction d'habiter l'affectant les époux Halleux ne justifient pas de l'existence d'un préjudice supérieur à la somme arbitrée par les premiers juges ; qu'il y a donc lieu de les débouter de leur appel incident, étant en outre précisé que la condamnation à restituer le prix est confirmée en toutes ses dispositions, y compris celle relative au point de départ des intérêts et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts supplémentaires ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Luc Vial en paiement d'une indemnité d'occupation, étant observé que la seule habitation des lieux au delà du délai imparti par l'autorité préfectorale constitue une infraction pénale, et qu'en outre il a été tenu compte dans l'évaluation du préjudice subi par les époux Halleux de l'avantage qu'ils avaient pu retirer du bien avant que l'arrêté d'inhabitabilité leur soit notifié ;

Considérant qu'il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Considérant qu'il appartient par ailleurs aux époux Halleux de restituer les lieux dans l'état où ils les ont reçu, étant toutefois observé que d'éventuels désordres résultant de l'inhabitation de l'appartement depuis 1992 ne pourraient leur être imputables dès lors qu'ils avaient l'interdiction d'habiter les lieux depuis le 15 septembre 1992, que cependant il n'est pas utile, en l'état, d'ordonner une mesure d'expertise, aucun élément ne permettant de suspecter une quelconque dégradation des lieux, qu'une simple mesure de constat sera suffisante ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des époux Halleux les frais irrépétibles de l'instance en appel ; qu'il leur sera alloué à ce titre une somme de 10 000 F ;

Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y compris celles relatives aux frais irrépétibles d'instance Y ajoutant, Condamne Luc Vial à payer aux époux Dominique Halleux et Soloarivelo Ravokatra, au titre de l'instance en appel. la somme de dix mille francs (10 000 F) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Ordonne un constat de l'état des lieux qui sera effectué par Marie Borrel Garbage, Huissier de Justice 146 bis rue de Rennes 75006 Paris Tel 01 45 44 66 21 ; Dit que les frais de ce constat seront avancés par Luc Vial Renvoie l'affaire à l'audience de procédure du jeudi 22 octobre 1998 à 13 heures 30 ; Condamne Luc Vial aux entiers dépens d'appel qui ont été exposés jusqu'à ce jour ; Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement ceux de ces dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.