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Décisions

CA Paris, 7e ch. A, 2 septembre 1998, n° 97-4005

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Serthel (Sté)

Défendeur :

Abeille Assurances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dechezelles

Conseillers :

M. Gastebois, Mme Graeve

Avoués :

SCP Gibou Pignot Grapotte Benetreau, SCP Roblin

Avocats :

SCP Ascoet, Me Pagani

TGI Meaux, 1re ch., du 28 nov. 1996

28 novembre 1996

Le 14 octobre 1990, une explosion s'est produite dans les locaux de la SA Ateliers du Forez qui a été indemnisée par son assureur la SA Abeille Assurances.

Désigné en référé par ordonnance initiale du 19.12.1990 du président du Tribunal de grande instance de Saint-Etienne, M. Jean-marc Rey a conclu, dans son rapport daté du 23.8.1991 à la possibilité d'une explosion dans une armoire destinée à contrôler et réguler les cycles de température et l'atmosphère de deux fours de traitement thermique à chauffage électrique et fournie par la société Serthel à la société des Ateliers du Forez. L'expert a, en effet, constaté à l'intérieur de cette armoire dans sa partie centrale une insuffisance de serrage des raccords sur le circuit de méthanol de l'équipement entraînant une absence d'étanchéité et donc une fuite de méthanol.

Par acte du 20 février 1995 la compagnie Abeille Assurances, subrogée dans les droits de son assurée, la société Ateliers du Forez, a fait assigner la société Serthel sur le fondement de l'article 1146 du Code civil pour obtenir sa condamnation à lui payer 1 548 874 F en principal.

Par la décision critiquée du 28.11.1996 à laquelle il convient de se référer, le Tribunal de grande instance de Meaux a :

- condamné la société Serthel à payer à la compagnie Abeille la somme de 1 374 835 F avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société Serthel à payer à la compagnie Abeille la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné la société Serthel aux dépens en ce compris les frais d'expertise.

Appelante de cette décision dont elle poursuit l'infirmation totale la SA Serthel demande à la cour :

- de déclarer prescrite l'action qui, s'agissant d'un vice caché ne pourrait être fondée que sur l'article 1641 du Code civil et se trouvait donc soumise à la courte prescription de l'article 1648 du même Code, le bref délai visé par ce texte n'ayant pas été respecté puisque l'assignation au fond a été délivrée le 20.5.1995 soit plus de trois ans et six mois après le dépôt du rapport de l'expert daté du 23.8.1991 ;

- subsidiairement, de dire que sa responsabilité contractuelle ne peut être retenue puisque l'expert n'a pas déterminé avec précision la cause du sinistre mais seulement envisagé la possibilité d'une explosion dans l'armoire alors que d'autres hypothèses sont plausibles telles que la rupture d'un débilitre ou un dysfonctionnement électrique ;

- plus subsidiairement encore de réduire les postes d'indemnisation sollicités et notamment la préjudice d'exploitation ;

- de lui allouer 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Abeille Assurances conclut à la confirmation du jugement déféré et sollicite la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles par elle exposés.

Elle fait valoir :

- qu'au vu des conclusions claires de l'expert qui a imputé l'explosion à une insuffisance de serrage de certains éléments de l'armoire litigieuse son action est principalement fondée sur les articles 1146 et 1147 du Code civil compte tenu de l'obligation de résultat qui pesait sur la société Serthel de fournir un produit de qualité ;

- que subsidiairement, si la cour retenait l'existence d'un vice caché, l'assignation en référé puis les pourparlers amiables ont interrompu la courte prescription visée par l'article 1648 du Code civil à laquelle s'est substituée la prescription de droit commun, de sorte que l'action au fond n'est pas tardive.

Considérant que M. Rey expert judiciaire a constaté dans l'armoire litigieuse une absence d'étanchéité entre la partie électrique et les parties fluides, du fait d'un serrage insuffisant des raccords, qui a entraîné une fuite de méthanol, substance inflammable ; que son incertitude porte uniquement sur la cause de l'inflammation du mélange méthanol-air ;

Considérant que le défaut sus-analysé constitue un vice caché en ce sens qu'il rendait la chose impropre à sa destination normale ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'article 1641 du Code civil constituait l'unique fondement possible de l'action formée contre la SA Serthel qui a monté, vendu et installé l'armoire litigieuse ;

Considérant qu'en application de l'article 1648 dudit Code cette action doit être exercée à bref délai, ce délai courant à compter de la découverte du vice, mis en évidence par les conclusions de l'expertise datée du 23.8.1991 ; que l'assignation au fond ayant été délivrée plus de trois ans et six mois après, soit le 20.2.1995 l'action est prescrite ; que contrairement à ce que soutient l'intimée la jurisprudence limite en général la durée de l'effet interruptif de l'assignation en référé au jour où est rendue la décision ordonnant l'expertise admettant toutefois qu'en matière de vice caché, le bref délai ne commence à courir qu'à compter de l'expertise qui l'a mis en évidence ; que l'interruption visée par l'article 2244 du Code civil n'entraîne pas, s'agissant de ce bref délai imparti pour agir sur ce fondement de l'article 1641 du même Code et justifié par les impératifs de preuve, une interversion de la prescription entraînant le retour au droit commun ;

Considérant que la compagnie Abeille qui s'est bornée à envoyer le 7.1.1992 une lettre recommandée à la société Serthel ne démontre nullement que des pourparlers amiables aient eu lieu entre les parties, leur date (1992) ne pouvant par ailleurs expliquer ni justifier le retard apporté à la saisine du juge du fond;

Considérant que le jugement déféré ne peut donc qu'être infirmé dans sa totalité ;

Considérant que la SA Abeille Assurances qui succombe versera la somme de 15 000 F au titre des deux procédures de première instance et d'appel et en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'elle supportera les dépens afférents aux deux procédures.

Par ces motifs, Infirme le jugement du 28 novembre 1996 en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Déclare prescrite la seule action possible fondée sur l'article 1641 du Code civil ; Condamne la SA Abeille Assurances à payer à la SA Serthel 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des procédures en première instance et en appel ; La condamne aux dépens de ces deux procédures en ce compris les frais d'expertise et autorise la SCP Gibou Pignot Grapotte Benetreau, avoués associés, à les recouvrer en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.