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Décisions

CA Besançon, 1re ch. civ., 7 décembre 1993, n° 401-92

BESANÇON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GSM Est (Sté)

Défendeur :

Commune de Mandeure, Climent et Fils (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pontonnier

Conseillers :

MM. Waultier, Deglise

Avoués :

SCP Dumont-Pauthier, SCP Leroux-Meunier, Me Levy

Avocats :

Mes Kroell, Dufay, Maire

TGI Montbéliard, du 7 nov. 1991

7 novembre 1991

La société GSM Est a interjeté appel du jugement rendu le 7 novembre 1991 par le Tribunal de grande instance de Montbéliard qui a :

- Vu le rapport d'expertise déposé le 16 octobre 1986 par Messieurs Ruinet et Patris,

- déclaré la société Richardmesnil, devenue GSM Est, entièrement responsable des désordres affectant les bordures de trottoirs posées par l'entreprise Climent et Tondre pour le compte de la commune de Mandeure, et l'a condamnée :

* à payer à la commune de Mandeure, la somme de 241 944 F TTC, laquelle devra être actualisée en fonction des variations de l'indice BT 0l intervenues entre le mois d'avril 1986 et de novembre 1991 et ainsi revalorisée, portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

* à relever et garantir intégralement la société Climent de toutes les condamnations en principal, intérêts, frais et dépens prononcés contre cette dernière au profit de la commune de Mandeure par l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Nancy du 13 novembre 1990,

- ordonnél'exécution provisoire du chef des dispositions ci-dessus,

- condamné la société GSM Est à payer, par application de l'article 700 du NCPC, à la commune de Mandeure la somme de 5 000 F et à la société Climent la somme de 2 500 F,

- condamné la société GSM Est aux entiers dépens en ce compris ceux de l'instance en référé, du jugement avant dire droit et de l'expertise confiée à Messieurs Patris et Ruinet.

La société GSM EST demande d'infirmer la décision déférée, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de la juridiction administrative ; subsidiairement de débouter la commune de Mandeure et la société Climent de leurs demandes et de lui allouer la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La commune de Mandeure, représentée par son Maire en exercice, sollicite la confirmation de la décision déférée et de condamner la société GSM Est à lui payer à la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La SA Climent et Fils, sollicite la confirmation de la décision déférée et de condamner la société GSM Est à lui payer la somme de 6 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 septembre 1993.

Sur quoi,

I. Faits et prétentions des parties :

La commune de Mandeure a en 1982 confié aux sociétés Tondre et Climent la pose de bordures de trottoirs, ces dernières ont utilisé des matériaux fabriqués par la société Richardmesnil devenue la société GSM EST et commercialisés par la société Comafranc.

Les travaux réalisés sur des parties distinctes ont fait l'objet le 22 décembre 1982 par la société Tondre et le 2 décembre 1993 pour la société Climent, d'une réception provisoire.

Devant la survenance de désordres par la désagrégation des bordures entraînant à terme la ruine de l'ouvrage, la commune de Mandeure a saisi le Tribunal administratif de Besançon d'une action dirigée à l'encontre des deux entreprises ; M. Patris, expert commis a procédé à la clôture de son rapport le 18 avril 1986.

Par arrêt du 13 novembre 1990, la Cour administrative d'appel de Nancy a annulé les jugements rendus par le Tribunal administratif de Besançon et a condamné les sociétés Tondre et Climent à payer à la commune de Mandeure respectivement les sommes de 241 944 F et 137 338 F avec intérêts de droit.

La société GSM Est a formé tierce opposition à cette dernière décision.

Parallèlement à ces procédures administratives, la commune de Mandeure a saisi en référé le Président du Tribunal de grande instance de Montbéliard d'une demande d'expertise à l'encontre des sociétés Comafranc et Richardmesnil ; par ordonnance du 12 février 1986, MM. Patris et Ruinet ont été désignés en qualité d'experts, puis ont déposé leur rapport le 16 octobre 1986.

Par acte du 7 juin 1989, la commune de Mandeure a fait assigner la société Richardmesnil sur le fondement des articles 1792-4 et 1603 du Code civil en cantonnant sa demande au paiement de la somme de 241 944 F correspondant au coût de réfection des travaux effectués par la société Tondre.

Par acte du 8 août 1988, la société Climent a fait assigner la société Richardmesnil afin d'être garantie de toute condamnation qui pourraient être prononcées à son encontre sur la demande présentée devant les juridictions administratives par la commune de Mandeure.

Le Tribunal de grande instance de Montbéliard a, dans la décision déférée, ordonné la jonction de ces deux procédures.

La société GSM Est, à l'appui de son appel et reprenant ses arguments de première instance, fait valoir :

- que n'étant pas partie dans les procédures administratives, les entreprises Tondre et Climent ne pouvaient invoquer un défaut des matériaux pour échapper à leur mise en cause sur le fondement d'une mauvaise exécution des travaux ; qu'il convient ainsi de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour administrative d'appel de Nancy ait statué sur la tierce opposition engagée par elle, alors que le Tribunal a considéré à tort que la décision administrative ne réglait que les relations entre la commune et les deux entreprises concernées et que la société Climent invoque cette procédure administrative pour obtenir sa condamnation,

- que la commune de Mandeure ne pouvant plus obtenir la réparation de son préjudice à l'encontre de la société Tondre du fait de sa liquidation, s'est retournée contre la société GSM Est alors qu'elle ne justifie pas avoir régulièrement déclaré sa créance à la liquidation judiciaire de la société Tondre,

- que si le tribunal a écarté à bon droit la demande de la commune de Mandeure fondée sur les dispositions de l'article 1792-4 du Code civil, cette juridiction ne pouvait prononcer sa condamnation sur le fondement d'une action contractuelle liée à la non conformité de la chose livrée,

- que le défaut de fabrication ne saurait s'analyser en une non conformité prévue à l'article 1603 du Code civil, les bordures étant conformes à la commande et aux normes en vigueur,

- que l'action fondée sur les vices cachés doit être engagée à bref délai, dès l'apparition du vice, aux termes des dispositions de l'article 1648 du Code civil, qu'ainsi l'action des requérants, qui avaient connaissance des désordres dès mars 1986, est irrecevable comme tardive,

- qu'enfin les bordures ne seraient atteintes que de défaut de surface, soit un problème d'ordre seulement esthétique.

La commune de Mandeure réplique :

- que le maître de l'ouvrage est libre de demander l'indemnisation de son préjudice soit au poseur, soit au fabricant des bordures litigieuses ; qu'elle a intérêt à agir contre la société GSM Est, du fait du réglement judiciaire de la société Tondre et que le juge administratif est incompétent pour connaître des rapports de droit privé entre elle et la société GSM Est, en l'absence de lien contractuel,

- que l'absence de déclaration de créance à la liquidation de la société Tondre, ne lui supprime pas le droit de diligenter son action à l'encontre du fabricant des bordures,

- que le maître de l'ouvrage dispose contre le fabricant de matériaux d'une action contractuelle directe,

- que les bordures fabriquées par la société GSM Est n'étaient pas conformes à l'usage auquel elles étaient destinées, comme relevé par MM. Patris et Ruinet, experts et étaient affectées d'un vice ne permettant pas une utilisation normale,

- qu'elle a agi à bref délai dès la connaissance du rapport établi dans la procédure en référé.

La société Climent relève :

- que les matériaux posés par elle n'étant pas conformes à leur destination, elle a exercé à bon droit l'action récursoire contre la société GSM Est,

- que si le vice caché était retenu, elle a assigné à bref délai par le fait que l'ordonnance de référé du 12 février 1986 a interrompu la prescription et démontre le respect des dispositions de l'article 1648 du Code civil,

- qu'il n'y aurait lieu à surseoir à statuer, la tierce opposition formée par la société GSM Est devant une juridiction administrative, ne pouvant suspendre les effets de l'action en garantie.

II. Discussion :

a) Sur la demande de sursis à statuer :

Attendu qu'il est produit aux débats deux arrêts de la Cour administrative d'appel de Nancy en date du 6 août 1993 rejetant les requêtes en tierce opposition présentées par la société GSM Est à l'encontre de l'arrêt de cette même cour en date du 13 novembre 1990 qui a condamné les sociétés Tondre et Climent à verser respectivement les sommes de 241 944 F et 137 338 F à la commune de Mandeure ;

Attendu que la demande de sursis à statuer étant ainsi sans objet, il convient de débouter la société GSM Est de sa demande ;

b)Sur les demandes de la commune de Mandeure et de la société Climent

Attendu que, la société GSM Est n'est pas tenue à la garantie décennale prévue à l'article 1792-4 du Code civil ;

Attendu que le maître de l'ouvrage et le sous-acquéreur disposent contre le fabricant de matériaux ayant servi à la construction, d'une action contractuelle directe fondée sur la non conformité de la chose livrée ;

Attendu que la commune de Mandeure et la société Climent disposent d'une action à l'encontre de la société GSM Est sur le fondement de la non-conformité des bordures de trottoirs prévu à l'article 1603 du Code civil, qui n'est pas soumis au bref délai imparti par l'article 1648 du Code civil ;

Attendu que la commune de Mandeure engage une action contractuelle directe contre la société GSM Est, fondée sur la non conformité des matériaux ; que cette action est indépendante de la procédure collective relative à la société Tondre et n'est pas concernée par la déclaration ou la non déclaration de sa créance par la commune dans cette procédure collective ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise de MM. Patris et Ruinet :

- que les bordures mises en place ont présenté dès l'hiver 1984/1985 une désagrégation de la couche superficielle par stratification et faiençage, désordres dûs à des cycles de gel et dégel, avec interaction de sels de dégel,

- que ces bordures ne présentaient pas une porosité adaptée et tout en restant dans la norme, une résistance mécanique suffisante ; et par leur qualité intrinsèque, ne présentaient pas les qualités requises pour résister correctement aux cycles gel/degel et aux sels de déverglaçage,

- que ces bordures présentaient un vice caché inhérent à leur fabrication ou une insuffisance de performances non décelable au moment de la livraison sur le chantier,

- qu'il n'y a pas eu de défaut de pose à l'origine du sinistre,

- que le maître d'œuvre, les entreprises ou le fournisseur des bordures ne disposaient pas des moyens techniques pour déceler les défauts ou les absences de performances ; mais que la société fabricante d'éléments de béton préfabriqués de grande diffusion, disposait d'un entourage technologique lui permettant d'aborder de façon systématique et préalable les investigations qui s'avéraient nécessaires.

Attendu qu'en l'absence de faute de pose à l'origine du sinistre, qu'en se désagrégeant et en ne présentant pas une résistance mécanique suffisante, indépendante de leur norme, les bordures fabriquées par la société Richardmesnil ne remplissent pas le rôle qui leur était affecté, de par leur non conformité à leur destination spécifique ;

Attendu que la société GSM Est a ainsi manqué à son obligation de délivrance d'un produit conforme à l'usage auquel il était destiné, et doit bien être tenue pour responsable des désordres affectants les bordures de trottoirs ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise de M.Patris du 18 avril 1986 que le montant des travaux de réfection des bordures de trottoirs posées par la société Tondre, s'élève à la somme de 241 944 F ; que cette expertise constituant un travail technique complet, aucune critique sérieuse ne saurait remettre en cause cette évaluation ;

Attendu que la société Climent qui sera amenée à exécuter l'arrêt de la cour administrative d'appel du 13 novembre 1990, dispose d'une action récursoire à l'encontre de la société GSM Est ; que sa demande en garantie est dès lors fondée ;

Attendu qu'il convient dès lors de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Attendu qu'étant inéquitable de laisser à la commune de Mandeure et à la société Climent les frais irrépétibles engagés en appel, il leur sera alloué à chacune la somme de 5 000 F ;

Attendu que la société GSM Est, succombant, sera tenue aux dépens d'appel.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré, Declare l'appel formé par la société GSM Est recevable, mais mal fondé, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société GSM Est à payer à la commune de Mandeure et à la société Climent, à chacune, la somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article 700 du NCPC, Condamne la société GSM Est aux dépens d'appel, avec droit pour la SCP Leroux-Meunier, avoués de la commune de Mandeure et Me Levy, avoué de la société Climent, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du NCPC.