CA Paris, 25e ch. A, 5 février 1999, n° 1997-18325
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Financière de Parahotellerie (SA), Home Plazza (SA)
Défendeur :
Cigna (Sté), Louis de Poortere France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briottet
Conseillers :
Mme Deurbergue, Bernard
Avoués :
Me Bolling, SCP Autier, SCP Barrier - Monin
Avocats :
Mes Durant de Saint Andre, Chauchard, Sebbah
Par jugement du 16 mai 1997, le Tribunal de commerce de Paris a, aux résultats d'une expertise ordonnée en référé :
- déclaré irrecevables les SA Financière de Parahotellerie et Home Plazza pour exercice hors délai de l'action en garantie de vices cachés;
- condamné les sociétés précitées à payer à la SA Louis de Poortere la somme de 273 322,81 F, solde de la facture concernant les fournitures défectueuses (moquette imprimée) majorée des intérêts légaux depuis le 16 septembre 1996, outre 10 000 F de frais irrépétibles;
- condamné les dites sociétés précitées à payer à la compagnie d'assurances Cigna 15 000 F de frais irrépétibles.
Les SA Financière de Parahotellerie et Home Plazza ont interjeté appel;
- Elle soutiennent qu'elles n'ont pas fondé leur action sur la garantie des vices cachés mais que celle-ci reposait sur un défaut de conformité puisque la moquette incriminée se décolorait au contact de l'eau par suite d'une insuffisante fixation notamment de la couleur rouge de l'impression; qu'il y avait bien là une inadaptation aux fonctions pour lesquelles cette moquette avait été requise puisqu'elle ne pouvait être correctement entretenue par schampoing ''au mouillé selon les règles de maintenance pratiquées pour les revêtements de sol textiles dans des locaux de ce type, s'agissant d'un hôtel de tourisme.
- Elles en déduisent que l'exercice de leur action n'était pas soumis à l'exigence du bref délai, et que régie par le droit commun l'action était susceptible d'être exercée pendant 10 ans, qu au jour de l'assignation en février 1996, elle se trouvait à l'intérieur de ce délai, la livraison de la moquette ayant eu lieu en juin 1993 et les désordres rapidement apparus moins d'un mois plus tard entraînant de leur part la saisine du Juge des référés aux fins d'expertise;
- Subsidiairement, l'action dût-elle être fondée sur la garantie des vices cachés, il résulterait des éléments de l'espèce - que le fournisseur assisté de son assureur avait reconnu sa responsabilité, spécialement en remplaçant la moquette, tandis que le cours de 1' expertise prorogeait de fait le bref délai, étant observé que le rapport d'expertise avait été déposé le 13 janvier 1996 et que deux instances en référé avaient été successivement introduites, de nature interruptive;
- Elles évaluent le préjudice subi à la somme de 4 659 225 F sur la base de l' inoccupation des chambres et d'une perte financière, ladite somme majorée des intérêts légaux depuis le 2 juillet 1993, sauf compensation avec la créance réciproque correspondant au solde du prix soit 120 926 F;
- Elles requièrent aussi 50 000 F de frais irrépétibles;
La compagnie d'assurances Cigna réitère qu'il y a vice caché puisque la structure de la moquette est en cause et que ce défaut s'est révélé à l'usage, que la qualification de défaut de conformité telle que prétendue par les appelantes se heurte encore à la position dominante de la Cour de cassation qui donne à cette qualification une application restrictive;
- Elle dénie formellement une quelconque reconnaissance de responsabilité et souligne qu'au contraire des réserves avaient été formulées.
- Elle note encore que les appelantes ont laissé la première ordonnance de référé devenir caduque (juillet 1993) des pourparlers étant engagés avec une expertise amiable confiée à Monsieur Malfanti et que la seconde date de novembre 1994; Elle reproche aux appelantes une légèreté caractérisée, celles-ci ne pouvant s'en prendre qu'à elles-mêmes de la situation dommageable où elles se trouvent.
- Elle ajoute que le préjudice allégué qui atteint la somme particulièrement conséquente de plus de 4 millions de F n'a jamais été sérieusement justifié., non plus qu'examinée, l'expert judiciaire Mallet de Chauny n'étant pas spécialisé en matière financière et s'étant refusé à l'adjonction d'un sapiteur.
- Elle souligne notamment l'erreur commise par lui dans la confusion du taux d'occupation global de l'hôtel avec celui des 18 chambres sinistrées, ses approximations quant à la catégorie des chambres, admettant de manière partiale que 1' inoccupation touchait celles relevant de la catégorie "haut de gamme" (exécutive) plutôt que de celle "standard ".
- Elle s' insurge de l'absence de production de pièces comptables suffisantes, (bilan, compte d'exploitation) et constate au vu des éléments communiqués que le chiffre d'affaires n'a nullement chuté, et que les provisions pour sinistre ont été anormalement passées dans des écritures "de produits" par la SA Home Plazza avec un résultat d'exploitation négatif;
- Elle indique que le plafond de sa garantie est de 3 355 000 F pour les dommages immatériels et qu'existe une franchise de 10 %; - Ainsi, elle requiert la confirmation, subsidiairement la désignation d'une expert aux fins de déterminer la perte d'exploitation subie et sa causalité avec le sinistre, ce outre 30 000 F de frais irrépétibles;
Les appelantes objectent que la jurisprudence qui leur est opposée émane des chambres civiles de la Cour de Cassation alors que la chambre commerciale persiste à adopter une conception fonctionnelle de l'art. 1604 du C. Civ. et que la doctrine va en ce sens;
- Elles précisent qu'elles n'ont nullement dénaturé la teneur des correspondances échangées notamment un courrier de la SA Poortere du 30 avril 1993, et une lettre de l'expert amiable Malfanti (expert désigné au demeurant par cette dernière), lesquelles démontraient que la SA Poortere et son assureur était parfaitement conscients que leur responsabilité et garantie étaient encourues;
- Pour ce qui est du point de départ du bref délai, elles soulignent que sa fixation au jour du dépôt du rapport d'expertise est classique et qu'elles ont assigné au fond quatre semaines après le dépôt du rapport de l'expert judiciaire Mallet de Chauny;
- Elles protestent d'une communication de pièces abondante effectuée lors de la première instance relativement au préjudice financier subi, soutenant que serait dilatoire le recours à l'expertise demandés - Elles concluent donc au payement de la somme de 4 590 405 F majorée des intérêts légaux depuis le 2 juillet 1993 avec capitalisation;
- Enfin, en ce qui concerne la créance de la SA de Poortere, elles la ramène au solde exact après déduction d'un avoir et prétendent que les intérêts ne sauraient courir au jour de la facture mais de la mise en demeure soit le 13 septembre 1993;
La compagnie d'assurances Cigna conteste en droit comme en fait: une prise en compte du défaut au titre de la non conformité, une quelconque reconnaissance de responsabilité, une conscience, au titre du vice, au seul jour du dépôt du rapport;
Sur quoi,
Quant à la recevabilité :
Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert judiciaire Mallet de Chauny déposé le 15 janvier 1996, que le classement de la moquette en catégorie T3 la désignait à l'usage de bureau individuel ou de chambre d'hôtel imposant que les coloris de velours correspondent à un degré de solidité aux frottements secs et humides, excluant le désordre incriminé, à savoir une déteinte du coloris rouge semblable à une tache de mercurochrome allant de 0,5 m2 à 8m2 affectant 18 chambres à l'Hôtel Plazza Bastille et à l'Hôtel Plazza Nation, l'expert réitérant que la déteinte à l'eau n'était pas normale compte tenu de son classement en T3; que le désordre provenait d'une mauvaise fixation de la teinture; - que le préjudice chiffré par l'homme de l'art s'évaluait à 2 763 018 F "en tenant compte des remarques des défendeurs" (la SA De Poortere et la Cie Cigna) qui avaient adressé de multiples dires, pas moins de 6, et déduction faite des sommes elles-mêmes déduites par la SA Financière et Home Plazza;
Considérant qu'il est généralement estimé que le critère de distinction entre défaut de conformité et vice caché est difficile à déterminer et que les notions peuvent se chevaucher; - qu il apparaît en l'espèce, s'agissant d'un contrat de vente portant sur une catégorie de moquette destinée à l'usage de chambre d'hôtel, que celle-ci, par les défauts constatés, ne pouvait être celle figurant au contrat; - qu'il pouvait donc ainsi y avoir défaut de conformité;
Qu'il peut également être admis que la déteinte de la moquette soit un vice structurel; - que pour ce qui est du point de départ du bref délai, il convient de donner à 1' interruption par la présence de deux procédures de référé sa portée exacte; - qu'en effet, l'interruption du délai vaut du jour de l'assignation jusqu'au jour de l'ordonnance, un nouveau délai recommençant à courir à compter de cette date; - que, dès lors, peut importe comme ont cru le retenir les premiers Juges qu'après le prononcé de l'ordonnance du 2 juillet 1993 les appelantes, demanderesses ont laissé devenir caduque la désignation de l'expert; - que c'est seulement l'instance qui fait interruption et qu'en référé elle se termine par le prononcé de l'ordonnance; - qu'il y a donc bien eu interruption du bref délai qui est un délai raisonnable, au sens de l'art. 2246 et suivants du C. Civ.; - que postérieurement une nouvelle interruption a eu lieu par le fait d'une nouvelle assignation en référé, le 9 novembre 1994 suivie d'une ordonnance du 15 novembre 1994;
Considérant, dans ces conditions, que l'action exercée au fond fût-elle requalifiée en garantie des vices cachés intentée les 19 et 28 février 1996, soit quelques jours après le dépôt du rapport de l'expert a été régulièrement exercée d'autant qu'il est admis que la connaissance certaine du vice (nature et portée) peut se situer au jour de la notification du rapport d'expertise;
Considérant, plus généralement, qu'on ne saurait sanctionner, hors tout abus et entre commerçants, la recherche d'une solution à l'amiable, étant rappelé que devant le Tribunal de commerce les débats avaient été réouverts le 27 septembre et le 7 décembre 1996 : pour la production de pièces fiscales et explications de la part de la SA Plazza ... soit donc encore après le dépôt du rapport et qu'il y avait été satisfait;
Quand au fond:
Considérant que l'évaluation du dommage consécutif à l'exécution au premier chef défectueuse du contrat telle qu'opérée par l'expert judiciaire après une instruction contradictoire et éclairée doit être entérinée, que l'affaire est relativement ancienne et concerne des commerçants pour lesquels une certaine célérité est requise; - qu'une contre-expertise n'apparaît pas opportune; - qu'il reviendra donc aux appelantes de recevoir une indemnisation toutefois forfaitisée à la somme de 2 700 000 F (valeur janvier 1996 sans actualisation); qu'en application de l'art. 1153 du C. Civ. les intérêts de cette somme courront à partir du présent arrêt; que la capitalisation des intérêts demandée par écritures du 4 novembre 1998 qui est d'ordre public, sera ordonnée en tant que de besoin dans les termes de l'art. 1154 du C. Civ.;
Considérant que la compagnie d'assurances Cigna sera redevable de cette somme in solidum avec la SA De Poortere dans la limite de sa garantie;
Quant au solde du marché:
Considérant que dans le dernier état des écritures le solde dû chiffré à 220 926 F en raison d'un avoir déduit de la somme initiale de 273 322,81 F n'est plus contesté.
Considérant d'autre part que le point de départ des intérêts restera fixé au jour des écritures qui font demande de payement le 13 septembre 1996 et ne remontera pas au jour de la facture, laquelle ne contient pas d' interpellation suffisante et ne vaut pas mise en demeure;
Considérant que la compensation des créances réciproques sera ordonnée;
Considérant enfin qu'il n'est pas inéquitable de laisser aux appelantes la charge des frais irrépétibles exposés;
Par ces motifs: Contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, Dit recevable l'action des SA Financière Parahotellerie et Home Plazza; Condamne in solidum la SA Louis de Poortere et la compagnie d'assurances Cigna, celle-ci dans la limite de sa garantie (plafond et franchise) à payer aux SA Financière Parahotellerie et Home Plazza la somme de 2 700 000 F à titre indemnitaire majorée des intérêts légaux à partir de la présente décision, avec capitalisation le cas échéant;
Condamne les SA Financière de Parahotellerie et Home Plazza à payer à la SA Louis de Poortere la somme de 220.926 F majorée des intérêts légaux depuis le 13 septembre 1996; Rejette tout surplus; Condamne in solidum la SA Louis de Poortere et la compagnie d'assurances Cigna aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire; admet Maître Bolling au bénéfice de l'art. 699 du NCPC.