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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 24 février 2005, n° 04-00274

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nissan France (SA)

Défendeur :

Policar Automobiles (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

Mme Valantin, M. Chapelle

Avoués :

SCP Jullien Lecharny Rol, SCP Jupin & Algrin

Avocats :

Mes Bricogne (SCP Vogel & Vogel), Bertin.

CA Versailles n° 04-00274

24 février 2005

La société Policar Automobiles était le concessionnaire exclusif de la marque automobile Nissan à Dax (Landes) depuis 1982, en vertu de contrats de concession successifs, dont le dernier en date du 26 avril 1996.

Le 25 mars 2002, la société Nissan France a notifié à la société Policar la résiliation du contrat avec un préavis de deux ans, en lui reprochant la faiblesse de ses performances commerciales.

Puis, alors que les relations s'étaient détériorées pendant l'exécution du préavis, la société Nissan a notifié le 24 juillet 2003 à la société Policar une seconde résiliation, à effet cette fois du 30 septembre 2003.

La société Policar a contesté cette nouvelle résiliation le 29 juillet 2003 et a, en même temps, présenté sa candidature pour être agréée en tant que distributeur et réparateur Nissan.

La société Nissan lui a notifié son refus le 1er septembre 2003 de l'agréer du moins en tant que distributeur, et c'est dans ces conditions qu'elle a saisi le Tribunal de commerce de Versailles.

Par jugement en date du 12 décembre 2003, ce tribunal a dit que la résiliation dite ordinaire du 25 mars 2002 était conforme aux dispositions du contrat et non abusive, mais qu'en revanche la résiliation notifiée le 24 juillet 2003, dite extraordinaire, avait un caractère abusif, au motif qu'elle remettait en cause le terme du préavis fixé par la résiliation ordinaire, alors que la société Policar n'avait pas commis de faute grave ni d'infraction au cours de l'exécution de son contrat et pendant le délai de préavis.

Le tribunal a en conséquence condamné la société Nissan à payer à la société Policar une somme de 79 221,36 euro à titre de dommages et intérêts, correspondant à six mois de marge brute sur la vente de véhicules neufs.

Par ailleurs, il a considéré que la société Nissan s'était rendue coupable d'un comportement discriminatoire à l'encontre de la société Policar, en l'évinçant de façon discrétionnaire sans avoir examiné au préalable son dossier de candidature de concessionnaire, en lui opposant la clause 1-1-2 contenue dans la liste des critères d'agrément.

Il a alloué à ce titre à la société Policar une même somme de 79 221,36 euro.

Il a enfin condamné la société Nissan au paiement d'une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux dépens.

La société Nissan a régulièrement interjeté appel de cette décision le 13 janvier 2004.

Elle a critiqué la décision des premiers juges de juger abusive la résiliation extraordinaire, leur reprochant un manque de cohérence en ce qu'ils avaient à la fois retenu que la motivation de la première résiliation était superfétatoire et qu'elle ne pouvait plus être invoquée à l'appui de la seconde résiliation, et surtout de ne pas avoir examiné les motifs de celle-ci.

Elle a justifié sa décision de résilier prématurément le contrat par le fait que, pendant la période de préavis, la société Policar avait purement et simplement cessé d'exécuter ses obligations, notamment commerciales, ce qui s'était traduit par des résultats commerciaux inacceptables.

Elle en a voulu notamment pour preuve le refus de la société Policar de signer ses objectifs pour l'année 2002, son refus de participer à diverses opérations marketing ou bien la dégradation de la qualité du service et de la relation avec la clientèle.

Elle a insisté ensuite sur la médiocrité des résultats commerciaux de la société Policar, en en rejetant la responsabilité exclusive sur celle-ci.

Elle s'est, à titre subsidiaire, attachée à réfuter 1'argumentation de l'intimée tendant à établir le caractère abusif de la résiliation à raison de l'échec des négociations relatives à la vente du fonds de commerce de la société Policar, d'une prétendue préméditation dont elle aurait été l'auteur, du délai qu'elle lui avait accordé ou de l'entrée en vigueur le 1er octobre 2003 du nouveau règlement d'exemption automobile.

S'agissant de son refus d'agréer la société Policar en qualité de distributeur, elle s'est référée au critère 1-1-2 qui prévoyait en substance que ne pouvaient être agréés en qualité de distributeur les anciens partenaires dont le contrat antérieur aurait été mal exécuté;

Elle a fait valoir qu'elle n'avait aucune obligation de diffuser ses critères de sélection avant de former son réseau, qu'il n'y avait eu aucune discrimination entre la société Policar et les autres concessionnaires et qu'en tout état de cause, la communication tardive de ses critères n'engageait pas sa responsabilité.

Elle a encore contesté qu'une quelconque formalité fût imposée pour l'examen des candidatures.

Elle s'est ensuite attachée à défendre la licéité de son critère de sélection 1-1-2, lequel n'était pas discriminatoire, était couvert par l'exemption communautaire et était licite, avant de justifier sa décision et de rappeler qu'elle n'aurait pas été opposée à agréer la société Policar en qualité de réparateur si celle-ci avait posé sa candidature officiellement et respecté les critères qualificatifs après audit.

Elle a conclu en conséquence au débouté de la société Policar de toutes ses demandes.

Faisant par ailleurs valoir que la société Policar continuait à se présenter comme concessionnaire Nissan, elle a demandé à titre reconventionnel qu'il lui fût ordonné de cesser de faire usage du logo Nissan et interdit tout acte ayant pour effet ou pour objet de s'attribuer la qualité de membre du réseau Nissan, que ce fût notamment en tant que concessionnaire, distributeur ou réparateur agréé, et elle a sollicité une somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Policar a renoncé à critiquer la résiliation notifiée le 25 mars 2002, mais a considéré que la lettre adressée à cette date avait conservé toute son utilité pour caractériser l'abus commis par la société Nissan à l'occasion de la seconde résiliation.

Elle a fait valoir que les motifs invoqués par la société Nissan était fallacieux et en tout cas impropres à justifier a posteriori une résiliation décidée sept mois auparavant, et elle a expliqué qu'en réalité la société Nissan avait pris sa décision dès le 20 janvier 2003 et n'avait pour but que d'éviter de devoir se soumettre au nouveau règlement communautaire qui entrait en vigueur le ler octobre 2003.

Elle a ajouté que la société Nissan avait implicitement reconnu l'absence de gravité des griefs qu'elle invoquait, en ne procédant pas le 24 juillet 2003 à une cessation immédiate des relations contractuelles.

Par ailleurs, elle a estimé abusif le refus d'agrément que lui avait opposé la société Nissan le 1er septembre 2003, en lui reprochant de s'être affranchie de la lettre et de l'esprit du nouveau règlement, en ne lui communiquant pas en temps utile des propositions de contrat et des critères qualificatifs, en lui opposant un critère de sélection subjectif, imprécis et visant à pénaliser les anciens concessionnaires, et en se prévalant enfin à tort dudit critère alors que, reposant lui-même sur une résiliation extraordinaire abusive, il ne pouvait valablement lui être opposé.

Elle a vu dans son éviction du réseau Nissan avant l'entrée en vigueur du nouveau règlement, lequel lui aurait procuré de nombreux avantages, une circonstance aggravante de la responsabilité de la société Nissan qui justifiait son appel incident relativement à l'évaluation de son préjudice.

Elle a sollicité une somme de 131 571,07 euro représentant 80,25 % de la marge brute dégagée sur six mois, ce au titre de la résiliation abusive, et une somme de 263 142,15 euro représentant le même pourcentage mais sur un an de marge brute, ce en réparation du préjudice consécutif au refus d'agrément.

Elle a sollicité, en outre, une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC;

Elle a par ailleurs conclu à l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la société Nissan en ce qu'elle était nouvelle en cause d'appel, et subsidiairement à son débouté en ce que la preuve des agissements illicites incriminés n'était pas rapportée.

Sur ce :

Sur la résiliation dite ordinaire:

Considérant qu'encore qu'elle ne soit plus contestée par la société Policar, il est néanmoins nécessaire d'y revenir, pour apprécier le bien-fondé des prétentions des parties relativement à la résiliation dite extraordinaire et au refus d'agrément;

Considérant quoiqu'elle n'y fût pas obligée, la société Nissan a cru devoir motiver sa décision par les résultats commerciaux "inacceptables" de la société Policar, qui se situaient depuis 1999 très en dessous des objectifs contractuels et des moyennes nationales, pour atteindre en 2001 le " niveau intolérable " de 26 véhicules neufs vendus, soit 20,5 % de l'objectif et 0,4 % de la part de marché du secteur pour une moyenne nationale de 1,26 %;

Qu'il est de fait que les résultats de la société Policar étaient très mauvais, mais que celle-ci se trouvait concurrencée sur son propre secteur d'exclusivité par le concessionnaire voisin, la société Lamerain, sans que la société Nissan, qui avait été avisée de cette situation anormale le 22 mars 2001, ainsi qu'elle le reconnaît d'ailleurs puisque sa lettre de résiliation " expurge " les ventes réalisées par les concessionnaires voisins sur le secteur de la société Policar, n'ait rien fait, ni pour faire cesser cette situation, ni pour indemniser la société Policar;

Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de considérer que le motif de résiliation constituait une faute de la société Policar.

Sur la résiliation dite extraordinaire:

Considérant que dès lors qu'aux termes de sa lettre de résiliation du 25 mars 2002, elle avait accordé à la société Policar un préavis de deux ans, la société Nissan ne pouvait réduire la durée de ce préavis qu'en cas de faute grave du concessionnaire commise depuis qu'elle lui avait notifié la résiliation du contrat, ou portée à sa connaissance depuis cette notification;

Or,considérant que la résiliation dite extraordinaire du 24 juillet 2003 a été essentiellement motivée par le désintérêt de la société Policar pour la marque Nissan dont témoigneraient les résultats des années 2002 et 2003;

Que force est de constater que si ceux-ci sont effectivement médiocres, ils ne sont pas pour autant plus mauvais que ceux de 2001 qui avaient motivé la résiliation dite ordinaire;

Qu'ainsi, le nombre de véhicules vendus était de 26 en 2001, de 30 en 2002 et de 16 pour les cinq premiers mois de l'année 2003;

Qu'alors que le taux de pénétration du marché était de 0,40 % en 2001 pour une moyenne nationale de 1,26 %, les mêmes taux étaient respectivement de 0,48 % et 1,14 % en 2002 et de 0,40 % et 1,45 % pour les cinq premiers mois de l'année 2003;

Que pour le reste, il est vainement reproché à la société Policar d'avoir refusé de participer à des opérations commerciales, alors que la participation des concessionnaires à celles-ci revêtait un caractère facultatif ;

Que la société Nissan croit encore pouvoir rajouter à ces griefs qu'elle invoquait seuls dans sa lettre de résiliation, d'autres griefs inopérants, tel que le refus de signer les objectifs 2002, ou bien encore démentis par ses propres pièces, telle que la mauvaise qualité du service, alors que, dans le même temps, elle classait la société Policar aux premières places de son "Podium Indice Prime Qualité Ventes";

Considérant que c'est en conséquence à bon droit que les premiers juges ont retenu le caractère abusif de la résiliation dite extraordinaire.

Sur le refus d'agrément :

Considérant que la société Policar a présenté le 29 juillet 2003 sa candidature au réseau Nissan de distribution sélective que mettait en place la société Nissan à partir du 1er octobre 2003 conformément au nouveau règlement communautaire, et que la société Nissan lui a opposé le 1er septembre 2003 son refus de l'agréer en qualité de distributeur en invoquant son critère de sélection 1-1-2, acceptant tout au plus d'examiner sa candidature en tant que réparateur agréé dans la mesure où la société Policar la lui aurait confirmée;

Considérant que le critère de sélection 1-1-2 prévoit en substance que le candidat "ne doit pas avoir été membre du réseau Nissan et avoir vu, au cours des cinq dernières années son contrat résilié pour faute, ou son contrat résilié et le préavis exécuté dans des conditions ou pour des raisons exclusives d'une exécution loyale et de bonne foi des obligations résultant de l'appartenance au réseau Nissan et du contrat, ou dans des conditions et pour des raisons liées ou s'étant accompagnées d'atteintes graves ou répétées à l'image de la marque, à l'existence du réseau, ainsi qu'à la réputation du concédant et à ses droits";

Considérant que dès lors que la société Policar n'a commis aucune faute ayant justifié la résiliation de son contrat, la fin de non-recevoir que lui a opposée la société Nissan au seul visa du critère de sélection 1-1-2 est abusive;

Que le jugement entrepris sera donc encore confirmé de ce chef, mais par substitution de motifs;

Sur le préjudice:

Considérant que les premiers juges ont exactement apprécié le préjudice consécutif à la réduction abusive du préavis, en l'évaluant à six mois de perte de marge brute sur la vente de véhicules neufs;

Qu'il n'existe aucun motif de retenir la marge nette comme demandé par l'appelante, dès lors que les charges fixes (frais de fonctionnement, charges sociales, salaires etc ...) que doit supporter la société Policar n'ont pas disparu en contrepartie de la perte de la vente des véhicules neufs;

Considérant que les premiers juges ont encore exactement apprécié le préjudice consécutif au refus d'agrément;

Que ce préjudice doit s'analyser en une perte de chance, dès lors que la société Policar n'avait aucun droit acquis à la signature d'un nouveau contrat et aucune certitude de pouvoir mieux revendre son fonds de commerce;

Qu'en effet, le nouveau règlement ne peut pas avoir ou pour effet de remettre en cause une résiliation régulièrement intervenue avant son entrée en vigueur et la société Nissan ne pouvait pas se voir imposer, sous quelque forme que ce fût des relations contractuelles au-delà du 25 mars 2004;

Qu'en revanche, la société Policar aurait pu considérer après le 1er octobre 2003 que les obligations non exemptées par la nouveau règlement ne lui étaient plus opposables, ce qu'au demeurant la société Nissan avait admis et écrit le 8 septembre 2003 à un concessionnaire dont le contrat avait été également résilié avant l'entrée en vigueur du nouveau règlement pour prendre fin après, et considérer en particulier qu'elle pouvait vendre son fonds à qui bon lui semblait.

Sur la demande reconventionnelle:

Considérant que celle-ci est recevable en application des dispositions des articles 567 et 70 du NCPC, dès lors qu'elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant;

Considérant qu'il résulte d'un procès-verbal de constat de Maître Junqua-Lamarque, huissier de justice à Dax, en date du 30 janvier2004. que la société Policar utilisait toujours la marque Nissan, notamment sur des panneaux publicitaires;

Que, de même, elle utilisait encore le 4 octobre 2004 du papier commercial à en-tête "concessionnaire Nissan";

Considérant que la société Nissan est fondée à s'opposer à l'utilisation de sa marque sans son consentement et à faire interdiction à la société Policar de l'utiliser;

Que toutefois, le préjudice subi est minime et sera suffisamment réparé par une somme de 300 euro;

Sur l'article 700 du NCPC et les dépens:

Considérant que la société Nissan qui succombe en son appel, paiera une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi que les dépens;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Fait interdiction à la société Policar Automobiles de faire usage du logo Nissan et de s'attribuer la qualité de membre du réseau Nissan à quelque titre que ce soit. La condamne à payer à la société Nissan France la somme de 300 euro à titre de dommages et intérêts. Condamne la société Nissan France à payer à la société Policar Automobiles la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés directement par la SCP Jupin-Algrin, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.