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Décisions

CA Paris, 21e ch. C, 14 février 2002, n° 01-34360

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Watine

Défendeur :

Textiles Coton et Rayonne Manufactures (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robert

Conseillers :

Mmes Lebe, Jacques

Avocats :

Mes Zanotto, Callet.

Cons. prud'h. Paris, sect. encadr., du 2…

24 janvier 2001

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par Monsieur Thomas Watine du jugement du 24 janvier 2001, auquel il est renvoyé pour l'exposé des éléments du litige à cette date, par lequel le Conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, a condamné la SA TCRM à lui payer les sommes de 19 000 F à titre d'indemnité de clientèle, de 38 477 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, et de 1 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

L'appelant demande à la cour de confirmer le jugement déféré en son principe mais de le reformer en son quantum, et ainsi de condamner la SA TCRM à lui payer les sommes de 411 000 F à titre d'indemnité de clientèle et de 154 350 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, ces sommes avec intérêts de droit à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes, et celle 12 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

L'intimée relève appel incident, et prie la cour de débouter Monsieur Thomas Watine de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive ; à titre subsidiaire, de réduire le montant des dommages-intérêts pour rupture abusive sollicités; par ailleurs, de débouter Monsieur Thomas Watine de sa demande d'indemnité de clientèle; et à titre subsidiaire, de dire que l'indemnité de clientèle ne peut dépasser la somme de 19 000 F ; et en tout état de cause, de constater que Monsieur Thomas Watine n'a droit à aucune indemnité de clientèle après abattement pour frais professionnels et déduction de la rémunération fixe perçue;

Ceci étant exposé:

Considérant que Monsieur Thomas Watine a été engagé, le 1er septembre 1997, par la SA TCRM, en qualité de VRP exclusif, suite à une lettre d'engagement en date du 22 mai 1997; qu'un avenant a été signé le 26 août 1998 ; qu'il a été licencié par lettre en date du 21 avril 1999, ladite lettre mentionnant que les parties sont convenues de mettre un terme à leur engagement du 26 août 1998;

Sur quoi, LA COUR,

Sur le licenciement:

Considérant qu'à l'appui du caractère fondé du licenciement, la SA TCRM expose que l'activité de Monsieur Thomas Watine était insuffisante, son chiffre d'affaires personnel [n']ayant généré que la somme de 6 614, 21 F du 1er septembre 1997 au 30 septembre 1998, et d'octobre 1998 à juillet 1999, période durant laquelle en plus de sa clientèle personnelle, il travaillait également sur celle de son père, la somme de 171 482,53 F, alors que son fixe était de 150 000 F ; que le licenciement repose sur un juste motif, car Monsieur Thomas Watine ne montrait pas toute la pugnacité attendue d'un VRP exclusif; que subsidiairement, l'indemnisation demandée est manifestement excessive, eu égard au préjudice réellement subi;

Mais considérant qu'il résulte des débats et des pièces de la procédure, que la lettre de licenciement du 21 avril 1999 ne répond pas aux exigences légales en matière de motivation, aucun motif n'y étant énoncé ; que l'absence de motif prive le licenciement de cause réelle et sérieuse:

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'envoi de ladite lettre de licenciement n'a été précédé d'aucune convocation à un entretien préalable, et que Monsieur Thomas Watine n'a pas pu se faire assister par un conseiller de son choix, alors qu'il n'est pas non plus contesté que l'entreprise ne comporte pas d'institutions représentatives du personnel ; que Monsieur Thomas Watine a droit par application combinée des articles L. 122-14-5 et L. 122-14-4 du Code du travail, au versement, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité minimum légale, équivalente aux salaires bruts des six derniers mois, commissions incluses, soit la somme de 118 778,56 F, ou 18 107,67 euro;

Sur l'indemnité de clientèle:

Considérant que Monsieur Thomas Watine expose avoir droit contractuellement à une indemnité de clientèle dont l'assiette doit être calculée sur l'ensemble de la clientèle prospectée, savoir à la fois la clientèle qu'il a personnellement créée et développée, et celle de son père, Michel Watine, dont il a pris la succession avec l'accord de la société, puisque engagé expressément à cette fin eu égard à la perspective du départ à la retraite de celui-ci en septembre 1998; qu'en fait, dès le 28 août 1997, il a assuré l'intégralité de la clientèle de son père, alors victime d'un accident de santé; que Michel Watine avait racheté à son prédécesseur une clientèle de quelque 30 clients, qu'il a développée puisqu'un an plus tard, elle s'élevait à 90 clients, et peu important la disposition conventionnelle selon laquelle il ne pouvait prétendre à aucune indemnité de clientèle lors de son départ, une telle clause étant nulle ; que cette clientèle préexistante doit être considérée comme apportée par lui;

Qu'il indique qu'outre le fait d'avoir fait fructifier la clientèle héritée de son père, il a lui-même créé 39 nouveaux clients;

Qu'il estime son préjudice comme important, car il n'a pas retrouvé de carte de substitution et a de ce fait perdu le bénéfice de sa clientèle;

Considérant que la SA TCRM soutient que le 1er octobre 1998, Michel Watine est parti à la retraite à sa demande; qu'à partir de cette date, ses clients ont été attribués à son fils, Monsieur Thomas Watine ; que ce dernier a alors perçu les commissions correspondantes en plus de celles qui lui étaient personnelles ; que Monsieur Thomas Watine n'a ni apporté, ni développé la clientèle visitée par son père, alors même que le contrat de celui-ci mentionnait qu'il n'était propriétaire d'aucune clientèle et que par conséquent, il n'en apportait aucune à la société, enfin qu'il n'avait droit à aucune indemnité de clientèle lors de son départ; qu'enfin, il n'est pas démontré par Monsieur Thomas Watine que son père aurait racheté une clientèle à son prédécesseur, en 1988 ; que Michel Watine a en outre opté pour l'indemnité conventionnelle de départ en retraite ; que lors du départ à la retraite de celui-ci, la société a donc retrouvé l'usage de sa clientèle dont elle était restée propriétaire; que dans son contrat, Monsieur Thomas Watine reconnaît n'avoir apporté aucune clientèle et que son père ne peut lui avoir cédé plus de droit qu'il n'en possédait lui-même ; que Monsieur Thomas Watine est dès lors irrecevable à inclure dans le calcul de son indemnité de clientèle, les commissions qui lui ont été payées pour les clients qu'il a visités à la suite de son père;

Qu'il n'a d'ailleurs pas développé la clientèle visitée par son père, l'activité ayant régressé en 1998; qu'enfin, Monsieur Thomas Watine a créé une très faible clientèle personnelle et que le montant de ses commissions personnelles pendant toute la durée de son contrat n'a représenté que la somme totale de 27 414,09 F, alors qu'il a perçu pour la même période un fixe de 330 000 F; que dans ces conditions, et après abattement de 30 %, Monsieur Thomas Watine ne pourrait prétendre qu'à la somme de 19 000 F ;

Qu'à titre subsidiaire, elle estime que Monsieur Thomas Watine n'a visité la clientèle de son père que pendant 10 mois et que durant cette période, ses commissions ont représenté une somme de 171 482, soit après abattement pour frais professionnels, celle de 12 000 F, laquelle est inférieure à son salaire fixe, ce qui le prive de toute indemnité de clientèle; qu'enfin, même si était retenue la somme demandée de 411 600 F, l'abattement de 30 % aboutirait à une somme de 288 120 F; qu'ayant pour la même période, perçu la somme de 330 000 F au titre du fixe, il n'a pas plus droit à une indemnité de clientèle;

Mais considérant qu'il ressort des termes de la lettre d'engagement du 22 mai 1997, à la rubrique "clientèle affectée" que la clientèle de Monsieur Thomas Watine est constituée "au terme de la période d'essai", soit à compter du 1er septembre 1998, des "clients avec lesquels votre père aura effectivement réalisé des affaires, de même que ceux avec lesquels vous même aurez réalisé ou amorcé, de manière significative, des affaires pendant votre année, période d'essai" ; que cette disposition contractuelle est confirmée par les termes de l'avenant en date du 26 août 1998, auquel il est fait référence dans la lettre de licenciement, lequel précise que la clientèle de Monsieur Thomas Watine est constituée de "celle de votre père plus celle créée par vous" ; qu'il s'en suit que l'assiette de calcul de l'indemnité de clientèle revenant à Monsieur Thomas Watine doit inclure les commissions versées à son père, Michel Watine, durant la période comprise entre septembre 1998 et la fin de son propre contrat;

Considérant qu'il résulte des éléments chiffrés versés par la SA TCRM elle-même que Monsieur Thomas Watine a fait fructifier ladite clientèle, peu important que le montant mensuel des commissions versées soit certain mais inférieur au salaire minimum garanti ;qu'il n'existe au demeurant aucune disposition du contrat prévoyant que l'indemnité de clientèle ne serait pas due dès lors que le salarié percevrait un salaire fixe supérieur au montant total de ses commissions personnelles, alors que ledit contrat ne prévoit qu'un minimum garanti ; que de même, aucune disposition contractuelle ne prévoit que pour le calcul de l'indemnité de clientèle, le montant dudit salaire minimum garanti doive être déduit des commissions;

Considérant qu'il n'est par ailleurs pas sérieusement contesté que Monsieur Thomas Watine a créé lui-même une clientèle, composée de quelque 39 clients etqu'il l'a développée durant sa période d'activité;

Considérant qu'enfin, il résulte des débats et des pièces de la procédure que Monsieur Thomas Watine a subi un préjudice certain du fait de la perte des divers éléments de sa clientèle;

Qu'il y a lieu en conséquence d'allouer à Monsieur Thomas Watine une indemnité de clientèle, équivalente à deux années de commissions, et dont l'assiette est calculée sur le montant total de commissions perçues pour la période d'octobre 1998 à la fin du contrat, savoir les sommes de 171 482,53 (document "Commissions Thomas 98/99"), 10 995,20 F (commissions reconnues par la SA TCRM comme versées à Monsieur Thomas Watine pour la période d'octobre 1998 à juillet 1999), 16 788,49 F (commissions versées pour la période du 1er août au 31 octobre 1999), et 13 640,25 F (commissions versées pour les mois de novembre et de décembre 1999), soit un total de 212 906,47 F, dont il convient de déduire les frais professionnels à concurrence de 30 % ; qu'il revient ainsi à Monsieur Thomas Watine la somme de 298 069,10 F, soit 45 440,34 euro;

Considérant qu'eu égard à son caractère indemnitaire, ladite indemnité de clientèle produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision;

Considérant qu'il y a lieu, en équité, de condamner la SA TCRM à payer à Monsieur Thomas Watine la somme de 1 250 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, Reçoit Monsieur Thomas Watine en son appel et la SA TCRM en son appel incident, Confirme le jugement entrepris sur le principe du caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement et sur l'allocation d'une indemnité de clientèle, Statuant à nouveau, Condamne la SA TCRM, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à Monsieur Thomas Watine les sommes de: - 18 017,67 euro (dix huit mille dix-sept euro et soixante-sept cents) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - 45 440,34 euro (quarante-cinq mille quatre cent quarante euros et trente-quatre cents) à titre d'indemnité de clientèle, Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, - 1 250 euro (mille deux cent cinquante euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la SA TCRM aux entiers dépens.