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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 8 novembre 2002, n° 01-01472

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brasserie de Saint-Omer (SA)

Défendeur :

Rodier (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guirimand

Conseillers :

Mme Le Boursicot, M. Grandpierre

Avoués :

SCP Jullien Lecharny Rol, SCP Lissarrague-Dupuis & Associés

Avocats :

Mes Letartre, Bresdin.

TGI Versailles, 3e ch., du 19 déc. 2000

19 décembre 2000

Par acte du 30 mars 1996, Monsieur Régis Rodier et son épouse, Madame Nathalie Bezeault, ont acquis un fonds de commerce de café restaurant exploité à Mantes-la-Jolie (Yvelines), pour un prix de 96 042,88 euro (630 000 F).

Dans le cadre de cette acquisition, le Crédit Lyonnais leur a consenti un prêt d'un montant de 91 627,35 euro (601 036 F), assorti d'un taux d'intérêt de 8,73 %, remboursable sur sept ans.

La société Brasserie Saint-Omer s'est portée caution simple de l'emprunteur envers la banque, à hauteur de 20 % de toutes les sommes qui pourraient être dues par l'emprunteur à la banque.

En contrepartie, les époux Rodier-Bezeault se sont engagés à se fournir de manière exclusive et continue auprès de la société Brasserie Saint-Omer, ou de tout autre fournisseur désigné par elle, en l'occurrence la société Duval aux Alluets Le Roy (Yvelines), pendant toute la durée initiale du prêt, soit sept années, et, en tout état de cause, pour un minimum de 560 hectolitres de bière en fûts et en bouteilles aux marques et qualités désignés dans l'acte.

L'acte de vente prévoyait également qu'en cas de rupture ou de manquement au présent acte, la société Brasserie Saint-Omer pourrait réclamer des dommages et intérêts, et que ceux-ci "s'élèveraient à 25 % du prix de la bière la plus consommée dans l'établissement restant à fournir, pendant la période restant à courir du jour de l'infraction jusqu'à la date d'expiration de la convention d'exclusivité".

Dans le même acte, Monsieur Bernard Rodier et Madame Mireille Rodier se sont portés cautions conjointes et solidaires des époux Rodier-Bezeault à l'égard de la société Brasserie Saint-Omer pour toutes les sommes que celle-ci serait appelée à payer aux lieu et place des emprunteurs, ainsi que pour l'indemnité contractuelle de rupture qui serait due en cas de non-respect de l'obligation de fourniture.

Par acte en date du 18 septembre 1998, les époux Rodier-Bezeault ont cédé leur fonds de commerce sans que le contrat de fourniture ne soit repris par les nouveaux acquéreurs.

Par acte du 21 mai 1999, la société Brasserie Saint-Omer a fait assigner Monsieur Bernard Rodier, ainsi que son épouse, Madame Mireille Rodier par devant le Tribunal de grande instance de Versailles pour obtenir leur condamnation au paiement d'une indemnité contractuelle de rupture de 14 365,88 euro (94 234,02 F), assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 1998, date de la mise en demeure, outre une somme de 1 524,49 euro (10 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement en date du 19 décembre 2000, le tribunal a:

- débouté la société Brasserie de Saint-Omer de l'intégralité de ses demandes,

- prononcé la nullité de l'engagement de fourniture souscrit par les époux Rodier-Bezeault dans l'acte de prêt du 30 mars 1996,

- débouté Monsieur et Madame Rodier de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la SA Brasserie de Saint-Omer à payer à Monsieur et Madame Rodier une somme de 1 524,49 euro (10 000 F) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Le 25 janvier 2001, la société Brasserie de Saint-Omer a interjeté appel.

Elle fait grief aux premiers juges d'avoir déclaré nul le contrat d'approvisionnement exclusif des époux Rodier-Bezeault pour absence de cause, alors que cet engagement contenu dans l'acte authentique du 30 mars 1996 avait pour contrepartie la caution de la Brasserie de Saint-Omer, - qui a donc pris un risque financier à hauteur de 24 556,14 euro (161 077,72 F) - sans laquelle Monsieur et Madame Rodier-Bezeault n'auraient pas obtenu du Crédit Lyonnais un prêt à hauteur de 91 627,35 euro (601 036 F).

Elle conclut par ailleurs à l'absence de condition potestative, puisqu'il est prévu à l'acte du 30 mars 1996 que si elle résilie son engagement de caution, elle devra régler à la banque l'intégralité des sommes restant dues au titre du prêt par le débiteur principal.

Elle demande à la cour de:

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- en conséquence,

- débouter Monsieur et Madame Rodier-Potel de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner Monsieur et Madame Rodier-Potel au paiement de la somme de 14 366,16 euro (94 235,85 F) à titre d'indemnité contractuelle de rupture, augmentée des intérêts au taux légal courus et à courir à compter de la mise en demeure, soit le 25 septembre 1998, jusqu'à parfait paiement,

- les condamner au paiement de la somme de 3 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

Monsieur et Madame Rodier concluent à la nullité de l'engagement de fourniture pour absence de cause, en raison d'une absence de contrepartie sérieuse ou suffisante et pour condition potestative mise à l'obligation de caution de l'appelante. Ils demandent à être indemnisés du préjudice subi par eux du fait des poursuites engagées à leur encontre, en invoquant la mauvaise foi de la brasserie, laquelle, au surplus, a manqué à son obligation de conseil en sa qualité de maître d'œuvre de l'opération litigieuse.

A titre subsidiaire, ils concluent à la réduction à un euro du montant de la clause pénale manifestement excessif.

Ils demandent à la cour de :

- déclarer recevable, en tout cas mal fondé, l'appel interjeté par la société Brasserie de Saint-Omer; l'en débouter,

- confirmer, en conséquence, la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Brasserie Saint-Omer de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à leur payer la somme de 1 524,49 euro (10 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- la réformer sur leur débouté de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

- condamner la société Brasserie de Saint-Omer à leur porter et payer la somme de 15 000 euro en réparation du préjudice subi,

- subsidiairement, dire et juger qu'en raison des manquements à son obligation de conseil par elle commis au préjudice des concluants cautions, les fautes de la brasserie entraînent un préjudice pour eux au moins égal au montant de la créance réclamée ce qui anéantit, par voie de conséquence, la demande formée par l'appelante et doit entraîner son débouté pur et simple,

- à titre plus subsidiaire, leur adjuger de plus fort les dommages et intérêts par eux réclamés reconventionnellement à hauteur de 150 euro, ordonner la compensation judiciaire des sommes dues par les parties réciproquement,

- à titre infiniment subsidiaire, vu l'article 1152 du Code civil, réduire à un euro la clause pénale dont exécution est demandée par la Brasserie de Saint-Omer à hauteur de 14 366,16 euro, c'est-à-dire pour la totalité des sommes demandées par l'appelante exclusivement sur le fondement de la clause pénale litigieuse,

- condamner la société Brasserie de Saint-Omer à leur porter et payer la somme de 2 300 euro (15 087,01 F) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, pour les frais, non inclus dans les dépens, engagés en cause d'appel,

- la condamner en tous les dépens.

Par conclusions signifiées le 25 juin 2002, la société Brasserie de Saint-Omer demande le rejet des débats des dernières conclusions signifiées le 19 juin 2002 par Monsieur et Madame Rodier, en application des articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 27 juin 2002, Monsieur et Madame Rodier demandent que la société Brasserie de Saint-Omer soit déboutée de cette demande de rejet des débats et subsidiairement, que la cause et les parties soient renvoyées devant le conseiller de la mise en état afin de permettre à l'appelante de répliquer à leurs écritures.

L'ordonnance de clôture a été signée le 27 juin 2002 et l'affaire plaidée à l'audience du 28 juin 2002.

Sur ce, LA COUR

- Sur la demande de rejet des débats des conclusions de Monsieur et Madame Rodier du 19 juin 2002

Considérant que la clôture ayant été reportée à la date du 27 juin 2002, la signification de conclusions par les intimés à la date du 19 juin 2002 permettait à l'appelante de conclure en réplique avant la clôture ; que la Brasserie de Saint-Omer n'ayant pas conclu au fond, malgré le délai de 7 jours qui lui restait et n'ayant pas démontré l'existence de circonstances particulières l'empêchant de répondre utilement, il n'apparaît pas que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté ; que la cour retient les conclusions litigieuses dans le débat;

- Sur le fond

Considérant qu'en application de l'article 1131 du Code civil, lorsque dans un contrat synallagmatique, l'obligation d'une partie est dépourvue d'objet, l'engagement du cocontractant est nul faute de cause;

Considérant qu'en l'espèce, l'engagement souscrit par Monsieur et Madame Rodier-Bezeault, qui consistait à s'approvisionner exclusivement, pendant une durée de 7 ans et pour une quantité minimale de 560 hl de bières en fûts et en bouteilles aux marques et qualités désignées dans l'acte du 30 mars 1996, auprès de la Brasserie de Saint-Omer, avait pour contrepartie l'engagement de caution simple de cette dernière à hauteur de 20 % du montant du prêt consenti aux distributeurs par le Crédit Lyonnais, d'un montant de 91 627,35 euro (601,036 F);

Considérant que la Brasserie Saint-Omer était elle-même garantie par Monsieur Bernard Rodier et Madame Mireille Rodier, qui s'étaient portés cautions solidaires des époux Rodier-Bezeault à l'égard de la brasserie, pour toutes les sommes que celle-ci serait appelée à payer aux lieu et place des emprunteurs ;que par ailleurs, la Brasserie Saint-Omer avait la possibilité de mettre fin à son engagement à tout moment, ce qui certes, rendait immédiatement exigibles les sommes dues à la banque, au titre du cautionnement, soit seulement 20 % des sommes restant dues au titre du prêt, pour lesquelles la brasserie était garantie par la caution solidaire des intimés ; qu'en revanche, en cas de rupture anticipée du contrat de distribution par Monsieur et Madame Rodier Bezeault, la brasserie pouvait réclamer une indemnité s'élevant à 25 % du prix de la bière la plus consommée dans l'établissement, pendant la période restant à courir du jour de l'infraction jusqu'à la date d'expiration de la convention d'exclusivité;

Considérant que l'appelante ne prouve pas que sans sa caution simple, à hauteur de 20 % du montant du prêt, celui-ci n'aurait pas été accordé à Monsieur et Madame Rodier-Bezeault par le Crédit Lyonnais ;qu'elle ne démontre pas avoir pris un risque financier réel;

Considérant que dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'engagement pris par le brasseur était dérisoire et que le contrat liant le brasseur aux époux Rodier-Bezeault était nul pour absence de cause ;que dès lors, l'appelante n'est pas fondée à réclamer le paiement de l'indemnité contractuelle de rupture ; que la cour confirme le jugement déféré qui l'a déboutée de toutes ses demandes;

Considérant que Monsieur et Madame Rodier ne rapportent pas la preuve d'un préjudice spécifique que leur aurait causé l'attitude dolosive de l'appelante ; que la cour les déboute de leur demande en paiement de dommages et intérêts;

- Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à Monsieur et Madame Rodier la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en sus de celle octroyée par les premiers juges;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare recevables les conclusions signifiées par les intimés le 19 juin 2002, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Et y ajoutant: Déboute les époux Rodier de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts, Condamne la société Brasserie de Saint-Omer à payer à Monsieur et Madame Rodier la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, pour les frais, non inclus dans les dépens, engagés devant la cour, La condamne à tous les dépens d'appel qui seront recouvrés directement contre elle par la SCP Lissarague Dupuis, société titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.