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Décisions

CJCE, 29 novembre 1978, n° 83-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pigs Marketing Board

Défendeur :

Redmond

CJCE n° 83-78

29 novembre 1978

LA COUR,

1. Attendu que, par jugement du 19 septembre 1977, transmis sous le couvert d'une lettre du 10 mars 1978, parvenu à la Cour le 16 du même mois, le Resident Magistrate d'Armagh a posé, en vertu de l'article 177 du traité, diverses questions concernant l'interprétation du règlement du Conseil n° 2759-75, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc (JO n° L 282, p. 1), d'un ensemble de dispositions du traité ayant trait à l'élimination des restrictions quantitatives (article 30 et suivant), à la politique agricole commune (notamment l'article 40), aux dispositions relatives aux monopoles nationaux et aux entreprises investies de droits spéciaux ou exclusifs (article 37 et 90), et aux règles de concurrence (article 85 et 86), ainsi que du règlement n° 26 du Conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 1962, p. 993) ;

2. Attendu que ces questions ont été soulevées dans le cadre de poursuites pénales intentées contre un éleveur de porcs pour infraction aux dispositions en vigueur en Irlande du Nord, sur base de la législation locale, dans le secteur de la commercialisation de la viande de porc, connue sous le nom de " Pigs Marketing Scheme " et gérée par un organisme appelé " Pigs Marketing Board " (ci-après : le Board), institué en vertu de la même législation et composé en partie de producteurs et en partie de représentants du ministère de l'Agriculture et surveillé par ce dernier ;

3. Qu'il résulte des indications fournies par le jugement de renvoi que ce régime s'applique aux porcs gras, dits " bacon pigs ", définis par la législation pertinente comme étant les porcs d'un poids de 77 kg ou plus ;

4. Que la commercialisation de ces porcs ne peut être faite par les producteurs que par l'intermédiaire du Board ;

5. Que le Board est investi du droit exclusif de commercialiser les bacons pigs et du pouvoir de fixer, à l'égard des producteurs, les prix et toutes autres conditions de vente ;

6. Qu'à cet effet, la législation pertinente prohibe la vente de tels porcs - sauf exception - par des personnes autres que les producteurs enregistrés auprès du Board et interdit toutes ventes, par ces producteurs, qui ne se font pas au Board lui-même ou par son intermédiaire ;

7. Que ces dispositions ont été complétées par les " Movement of Pigs Regulations " 1972 qui interdisent tout transport de bacon pigs qui ne soit dirigé sur l'un des centres d'achat du Board et couvert par une autorisation de transport émanée de celui-ci ;

8. Que l'observation des dispositions ci-dessus décrites est assurée par l'application de pénalités sous forme d'amendes et d'emprisonnement, en plus de la saisie de la marchandise en cas de contravention ;

9. Attendu qu'il résulte du jugement de renvoi que le défendeur au principal, ayant exécuté le 12 janvier 1977 un transport de 75 bacon pigs sans être couvert par un document du Board, est poursuivi sur plainte de celui-ci devant le Resident Magistrate d'Armagh, pour violation du règlement 4 (1) des Movement of Pigs Regulations (Northern Ireland) 1972 et de la section 17 (4 a) de l'Agricultural Marketing Act (Northern Ireland) 1964, tel qu'il a été amende dans la suite ;

10. Qu'en même temps, le Board a demandé la confiscation de la marchandise, mais que cette demande a été abandonnée ultérieurement, le défendeur ayant, pour sa part, consenti à plaider " coupable ";

11. Que, devant le Resident Magistrate, le prévenu a fait valoir pour sa défense que les dispositions invoquées contre lui du Pigs Marketing Scheme et des Movement of Pigs Regulations seraient incompatibles avec les dispositions du droit communautaire, plus particulièrement, avec les dispositions réglementaires relatives à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande porcine et les dispositions du traité relatives à la concurrence ;

12. Que le Board a défendu la compatibilité du Pigs Marketing Scheme en invoquant l'article 37 du traité CEE, relatif aux monopoles nationaux de caractère commercial, et l'article 44 de l'acte d'adhésion qui prévoit, pour l'adaptation de ces monopoles aux exigences du Marché commun, un délai allant jusqu'au 31 décembre 1977 ;

13. Qu'en présence de cette contestation, le Resident Magistrate a estimé que, la plainte ayant été introduite sur base de la législation pénale, dont l'application est susceptible d'entraîner, pour le prévenu, une condamnation à une amende ou à un emprisonnement ou à ces deux peines, il importe de savoir si une telle condamnation serait ou non compatible avec le droit communautaire ;

14. Que c'est en vue de tirer au clair cette question que le Resident Magistrate, par jugement du 19 septembre 1977, a décidé de renvoyer l'affaire à la Cour de justice, en vertu de l'article 177 du traité CEE, afin d'être éclairé sur la question de savoir si la condamnation de l'inculpé, conformément à la législation applicable en Irlande du Nord, serait compatible avec le droit communautaire ;

15. Que, dans le corps de son jugement, le Resident Magistrate a formulé les questions suivantes :

" Le Pigs Marketing Board (Northern Ireland) est-il une " entreprise "? Est-il une " organisation nationale de marché " ? Est-il un " monopole national présentant un caractère commercial " ? Est-il les trois à la fois ou la combinaison de deux d'entre eux ? :

1) S'il s'agit d'une " entreprise ", est-ce une entreprise qui correspond au sens et aux objectifs des articles 85 et 86 ? Dans l'affirmative, les activités du Board, eu égard aux dispositions de son régime, sont clairement contraires à ces articles, en particulier à l'article 85, paragraphe 1, alinéas a), b) et c).

2) S'il s'agit d'une " organisation nationale de marché ", est-il couvert par l'article 2 du règlement n° 26, de telle sorte qu'il serait en mesure de bénéficier des exemptions qui y sont prévues ? A notre avis, ce règlement particulier ne s'applique qu'aux organisations nationales de marché établies par voie de convention et qui n'ont aucun caractère obligatoire le Board administre son régime en imposant des obligations et des restrictions ; ainsi, " un producteur qui n'est ni enregistré ni exempt d'enregistrement ne peut vendre aucun porc ", mais même si l'article 2 du règlement n° 26, par son sens et les objectifs qu'il poursuit, vise le Board, aucune preuve d'une quelconque décision de la Commission des Communautés, aux termes de laquelle le Board serait exempté de l'application de l'article 85 du traité de Rome, n'a été rapportée, et nos recherches n'ont pas permis d'en découvrir une.

3) S'il s'agit d'un " monopole national pressentant un caractère commercial ", tombe-t-il dans le champ d'application de l'article 37, paragraphe 1, du traité de Rome, de manière à bénéficier de la protection de l'article 44 du traité d'adhésion, qui prévoit une période transitoire allant jusqu'au 31 décembre 1977 ?

4) S'il s'agit d'un " monopole national présentant un caractère commercial ", au sens de l'article 37 du traité de Rome, et si la période de répit pour procéder à des aménagements n'expire pas avant le 31 décembre 1977, cela le protège-t-il, jusqu'à cette date, de l'effet immédiat des articles 85 et 86 ? Ou bien peut-on prétendre que le terme " entreprises ", au sens des articles 85 et 86, peut être compris comme incluant les monopoles commerciaux ? Le représentant du Board a soutenu que le terme " entreprises " n'est pas défini, mais est utilisé distinctement de celui de " monopoles nationaux ".

5) Les activités du Board relèvent-elles de l'article 85, paragraphe 3, de telle sorte qu'elles seraient exemptées de l'application des dispositions du paragraphe 1 dudit article ? Cette question n'a pas été soulevée si le Board est exempté de l'application de l'article 85 en vertu du paragraphe 3, il n'est pas nécessaire d'en revenir à l'argument relatif à la " période transitoire ".

6) Et qu'en est-il de l'article 8 du traité de Rome, qui dispose que :

" 1. Le Marché commun est progressivement établi au cours d'une période de transition de douze années...

2. A chaque étape est assigné un ensemble d'actions qui doivent être engagées et poursuivies concurremment. "

Cette disposition concerne-t-elle la présente affaire ?'

16. Attendu que le Board s'est pourvu en appel contre ce jugement devant la Cour de Belfast, à laquelle il a demandé de juger si la Magistrate's Court pouvait légalement renvoyer l'affaire à la Cour de justice des Communautés européennes et d'examiner à cet effet si une question concernant l'interprétation du traité se pose dans la procédure engagée devant la Magistrate's Court ; en cas de réponse affirmative, si une décision sur ce point est nécessaire pour permettre au Magistrate de rendre son jugement : enfin, si la Magistrate's Court a exercé de manière correcte son pouvoir d'appréciation en décidant de renvoyer l'affaire à la Cour de justice ;

17. Que la Cour de Belfast après avoir rappelé les motifs qui ont amené le Resident Magistrate à faire usage de la procédure préjudicielle de l'article 177, considérant qu'il appartient au pouvoir d'appréciation de ce juge de tirer au clair les questions juridiques qui conditionnent l'exercice de sa propre juridiction, a rejeté le recours introduit par le Board, par arrêt du 8 mars 1978 ;

18. Que, le 10 mars suivant, le Resident Magistrate a transmis son jugement du 19 septembre 1977 à la Cour de justice sous le couvert d'une lettre dans laquelle il est déclaré que " la question s'est posée de savoir si le tribunal de céans peut statuer en appliquant certaines dispositions législatives en vigueur en Irlande du Nord " et que les faits de la cause et les questions soulevées dans le jugement du 19 septembre 1977 " soulèvent aussi, incidemment, les questions suivantes ":

" 1) Les articles 30, 31, 32, 34, 37, 40, 41, 42, 43, 85, 86 et 90 du traité instituant la communauté économique européenne sont-ils directement applicables, de telle sorte qu'ils confèrent aux individus des droits que les juridictions du Royaume-Uni sont tenues de sauvegarder ?

2) Les règlements n° 121-67 et 2759-75 et l'ensemble des autres règlements portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, arrêtés conformément au traité CEE, sont-ils directement applicables, de telle sorte qu'ils confèrent aux individus des droits que les juridictions du Royaume-Uni sont tenues de sauvegarder ?

3) Sur la base de l'exacte interprétation des seuls articles et règlements ou d'une quelconque autre disposition de droit communautaire applicable en l'espèce, le " Pigs Marketing Scheme " (régime de commercialisation des porcs), en vigueur en Irlande du Nord, est-il contraire aux règles du droit communautaire ?

4) En application des articles et règlements ci-dessus ou d'une quelconque disposition de droit communautaire, applicable en l'espèce, un Etat membre peut-il :

a) maintenir une organisation nationale de marché, alors que l'organisation commune du marché est en vigueur,

b) contraindre les producteurs relevant de sa souveraineté à se faire enregistrer auprès du " Pigs Marketing Board (Northern Ireland) " (office de commercialisation des porcs pour l'Irlande du Nord) avant qu'ils puissent vendre des porcs,

c) contraindre les producteurs relevant de sa souveraineté à conclure des contrats avec le " Board " en question et à vendre des porcs à ce seul office à des prix et pour des quantités qu'il a fixés,

d) permettre au " Board " d'acheter chaque porc visé par le régime de commercialisation en intervenant d'une manière expresse ou tacite ?

5) Le fait d'imposer les obligations mentionnées ci-dessus, dans le cadre de la réglementation totale du nombre des porcs produits, des ventes et des prix, constitue-t-il une violation du droit communautaire en ce que ces obligations peuvent constituer des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation, étant entendu qu'un des buts et des effets principaux de la législation d'Irlande du Nord dont s'agit en l'espèce est d'empêcher l'exportation de porcs en République d'Irlande ?

6) A la date de son adhésion à la Communauté, le Royaume-Uni était-il soumis à une organisation commune de marché dans le domaine agricole et, en particulier, pour ce qui est de la viande de porc et des porcs sur pied ; dans l'affirmative, cette organisation commune était-elle applicable à partir du 1 février 1973 ?

7) Le Royaume-Uni était-il en droit d'introduire, en mai 1972, les " Movement of Pigs Regulations (Northern Ireland) 1972 " (règlement de 1972 sur le transport des porcs, applicable en Irlande du Nord) ?

19. Attendu que le gouvernement du Royaume-Uni a mis en avant, tant dans ses observations écrites que dans ses déclarations orales, un certain nombre de considérations au sujet des questions posées par le Resident Magistrate ;

20. Que, d'une part, les questions incluses dans le jugement du 19 septembre 1977 seraient, pour la plupart, non des questions d'interprétation mais des questions relatives à l'application du droit communautaire et qu'elles ne sauraient, en tant que telles, être tranchées par la Cour de justice ;

21. Que, d'autre part, les questions formulées dans la lettre de couverture du 10 mars 1978, qualifiées par le juge lui-même comme n'ayant surgi que " de manière incidente ", ne sauraient être considérées comme ayant été valablement déférées à la Cour ;

22. Qu'en présence du grand nombre de questions posées et compte tenu de la complexité et de l'importance de l'affaire, il serait difficile au gouvernement d'identifier les problèmes juridiques soulevés dans le cadre de la procédure pendante devant le Resident Magistrate ;

23. Que, pour cette raison, le gouvernement a invité la Cour, pour lui permettre de préparer sa prise de position orale, de lui indiquer au préalable les questions qu'elle considère comme pertinentes ;

24. Qu'au demeurant, seul l'examen des articles 34 et 37 du traité - relatifs, respectivement, aux restrictions quantitatives à l'exportation et au régime des monopoles publics - lui paraîtrait nécessaire en vue de la solution des problèmes soulevés devant la juridiction nationale ;

25. Attendu que, dans le cadre de la répartition des fonctions juridictionnelles, entre les juridictions nationales et la Cour, par l'article 177 du traité, le juge national, qui est seul à avoir une connaissance directe des faits de l'affaire comme aussi des arguments mis en avant par les parties, et qui devra assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, est mieux placé pour apprécier, en pleine connaissance de cause, la pertinence des questions de droit soulevées par le litige dont il se trouve saisi et la nécessité d'une décision préjudicielle, pour être en mesure de rendre son jugement ;

26. Que, cependant, il reste réservé à la Cour de justice, en présence de questions éventuellement formulées de manière impropre ou dépassant le cadre des fonctions qui lui sont dévolues par l'article 177, d'extraire de l'ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de l'acte portant renvoi, les éléments de droit communautaire qui appellent une interprétation - ou, le cas échéant, une appréciation de validité - compte tenu de l'objet du litige ;

27. Qu'il convient de faire remarquer à cet égard que le Resident Magistrate a fait clairement ressortir, dans son jugement du 19 septembre 1977, les hésitations auxquelles donne lieu la qualification du régime litigieux, au regard des dépositions du droit communautaire, et qu'il a fait reconnaître que le choix entre différentes dispositions invoquées par les parties devrait dépendre de la solution de cette question préalable ;

28. Que les questions posées dans la lettre du 10 mars 1978 sont manifestement inspirées par la contestation soulevée entre-temps par le Board devant la Cour d'appel de Belfast sur la question de savoir si le Resident Magistrate avait appliqué dûment son pouvoir d'appréciation au regard des questions juridiques soulevées et de la nécessité de déférer celles-ci à la Cour de justice ;

29. Qu'une comparaison avec le jugement du 19 septembre 1977 montre, de toute manière, que ces questions supplémentaires ne servent qu'à expliciter et préciser les questions précédemment posées ;

30. Que c'est donc grâce à un rapprochement entre les deux séries de questions qu'il convient de dégager les problèmes d'interprétation soulevés dans le cadre de la procédure pénale engagée devant le Resident Magistrate ;

31. Qu'en ce qui concerne la difficulté, mise en avant par le gouvernement du Royaume-Uni, d'identifier, à l'intérieur du large éventail des questions posées par le Resident Magistrate, celles qui seraient à considérer comme décisives, il n'a pas paru possible à la Cour de donner au préalable des indications à l'adresse de l'une des parties participant à l'instance, sans risquer de fixer sa position dès avant sa décision finale et de compromettre, au surplus, les possibilités de défense des autres parties ;

Sur la qualification du Pigs Marketing Scheme au regard des dispositions du traité et du droit dérivé

32. Attendu qu'a titre préliminaire, le Resident Magistrate désire obtenir tous éléments d'interprétation du droit communautaire de nature à lui permettre de qualifier le Pigs Marketing Scheme, au regard des dispositions du traité et du droit dérivé, en vue d'identifier les dispositions qui lui permettent de porter un jugement sur la compatibilité de ce régime avec le droit communautaire ;

33. Que trois hypothèses possibles sont envisagées à ce sujet, selon que le Pigs Marketing Scheme et son organe de gestion, le Board, seraient à considérer comme un " monopole national présentant un caractère commercial " au sens de l'article 37 du traité - de manière que ses opérations se trouveraient exemptées, à tout le moins jusqu'au 31 décembre 1977, en vertu de l'article 44 de l'acte d'adhésion, de l'application des dispositions du traité en matière de restrictions quantitatives - ou comme une " entreprise ", avec pour conséquence l'application des dispositions du traité relatives à la concurrence, mais sous réserve des privilèges particuliers pouvant résulter éventuellement de l'article 90, ou, enfin, comme une " organisation nationale de marché ", ce qui soulèverait le problème de la compatibilité d'une telle organisation avec l'organisation commune de marché existant pour le secteur considéré ;

34. Attendu qu'une réponse à cette question de qualification doit être déduite du système général du traité CEE et de la fonction, dans ce système, des dispositions relatives à l'agriculture ;

35. Qu'il convient de retenir, à ce sujet, tout d'abord, que le Pigs Marketing Scheme concerne un secteur d'activité économique, à savoir la production et la commercialisation d'une catégorie déterminée de porcs, qui relève d'une organisation commune de marché, régie au moment de l'adhésion de la Grande-Bretagne par le règlement n° 121-67 du 13 juin 1967 (JO 1967, p. 2283), et, à l'époque des faits, par le règlement n° 2759-75, du 29 octobre 1975, toujours en vigueur au moment présent ;

36. Qu'il n'est pas contesté que cette organisation commune de marché a été applicable sur l'ensemble du territoire du Royaume-Uni, en vertu des dispositions générales de l'acte d'adhésion et de la règle spécifique de l'article 60, paragraphe 1, de cet acte, dès le 1 février 1973 ;

37. Qu'il résulte de l'article 38, paragraphe 2, du traité CEE que les dispositions du traité relatives à la politique agricole commune priment, en cas de divergence, les autres règles relatives à l'établissement du Marché commun ;

38. Que les dispositions spécifiques, constitutives d'une organisation commune de marché, ont dès lors priorité, dans le secteur considéré, par rapport au régime prévu par l'article 37 en faveur des monopoles nationaux de caractère commercial ;

39. Que, par voie de conséquence, le délai special prévu par l'article 44 de l'acte d'adhésion ne saurait être invoqué en vue de couvrir une réglementation nationale et l'action d'un organisme national tel que le Board, portant sur un secteur pour lequel existe une organisation commune de marché ;

40. Qu'il est donc sans intérêt de savoir si le Pigs Marketing Scheme et le Board ont le caractère d'un " monopole national "au sens de l'article 37, l'application de cette disposition ayant été écartée, de toute manière, à partir du 1 février 1973, par l'effet de l'extension, au Royaume-Uni, de l'organisation commune de marché dans le secteur de la viande porcine ;

41. Attendu que, dans ses observations présentées devant la Cour, le Board a fait valoir qu'il se considère, compte tenu à la fois de la nature de ses opérations et des pouvoirs qui lui sont conférés par la législation de l'Irlande du Nord, comme étant une entreprise investie de " droits spéciaux ou exclusifs " au sens de l'article 90 du traité ;

42. Que cette disposition, prise ensemble avec l'article 37, relatif aux monopoles nationaux, aurait pour effet d'exempter ses opérations de l'application des règles générales relatives à l'organisation des marchés de la viande porcine ;

43. Attendu qu'il convient de faire remarquer à cet égard, en plus de ce qui précède au sujet de l'article 37, que l'article 90, paragraphe 1, dispose expressément que les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises en cause, " n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité";

44. Que la qualification du Board en tant qu'entreprise investie de droits spéciaux ou exclusifs au sens de l'article 90 n'aurait donc pas pour effet d'exempter ses opérations des dispositions du droit communautaire et, plus particulièrement, de celles qui concernent la libre circulation des marchandises et l'organisation commune des marchés agricoles ;

45. Attendu qu'enfin, la question a été posée de savoir si un régime particulier pourrait être reconnu aux opérations du Board en tant que le Pigs Marketing Scheme constituerait une " organisation nationale de marché ";

46. Que, dans la procédure devant le Resident Magistrate, cette notion semble avoir été dégagée plus particulièrement de l'article 2 du règlement n° 26 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles ;

47. Attendu - ainsi que la Cour a eu l'occasion de le souligner dans son arrêt du 10 décembre 1974 dans l'affaire 48-74, Charmasson (Recueil p. 1383) - que, dans le système du traité, les organisations nationales de marché n'étaient admises qu'à titre transitoire et qu'elles sont destinées à être remplacées, conformément à ce qui est dit à l'article 43, paragraphe 3, par l'institution d'organisations communes de marché ;

48. Que, sauf pour les secteurs réservés en vertu de l'article 60, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, cet effet de substitution s'est produit, pour le Royaume-Uni, en vertu du même acte, à la date du 1 février 1973, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus ;

49. Qu'en ce qui concerne la mention des organisations nationales de marché dans le règlement n° 26, il y a lieu de relever le fait que les dispositions de ce règlement, qui porte la date du 4 avril 1962, tiennent compte des conditions prévalant au cours de la période de transition et que toutes réserves sont faites dans le 5e considérant du préambule de ce règlement en ce qui concerne la réalisation ultérieure d'une politique agricole commune ;

50. Que, dès lors, il est également sans intérêt de savoir si le Pigs Marketing Scheme d'Irlande du Nord pourrait éventuellement être qualifié d' " organisation nationale de marché ";

Sur l'appréciation du Pigs Marketing Scheme au regard de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc

51. Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les questions décisives pour la solution du litige pendant devant le Resident Magistrate concernent la compatibilité, avec les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises et à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, d'un régime de marché mis en place par la législation d'un Etat membre et géré par un organisme ayant pouvoir, grâce aux moyens de contrainte publique qui sont à sa disposition, de contrôler le secteur du marché en question par des mesures telles que la subordination de l'écoulement de la marchandise à l'exigence de l'enregistrement du producteur auprès de l'organisme en question, la prohibition de toute vente qui ne soit pas faite à cet organisme ou par son intermédiaire, aux conditions déterminées par celui-ci, ainsi que la prohibition de tout transport non autorisé de la marchandise concernée ;

52. Attendu qu'en vue de répondre à ces questions, il convient de tirer au clair, préalablement, le rapport existant entre, d'une part, les dispositions réglementaires mentionnées par le Resident Magistrate, à savoir les règlements n° 121-67 et 2759-75 et, d'autre part, les dispositions du traité relatives à la suppression des restrictions quantitatives et, plus particulièrement, les articles 30 et 34 du traité ;

53. Que le règlement n° 121-67, applicable au moment de l'adhésion du Royaume-Uni, comporte dans son article 19 des dispositions expresses relatives à la suppression des droits de douane et des restrictions quantitatives ;

54. Que, si ces dispositions n'ont pas été reprises dans le règlement n° 2759-75, ayant pour objet de codifier l'ensemble de la matière, cette omission est due, ainsi qu'il a été expliqué par la Commission, à une considération d'ordre méthodologique, consistant à supprimer, dans le texte codifié des réglementations agricoles, toutes prescriptions faisant double emploi avec les dispositions mêmes du traité ;

55. Qu'il en résulte que, dans le système du règlement n° 2759-75, actuellement applicable, il y a lieu de considérer les dispositions du traité portant suppression des obstacles tarifaires et commerciaux aux échanges intracommunautaires et, en particulier, les articles 30 et 34 relatifs à la suppression des restrictions quantitatives et de toutes mesures d'effet équivalent, à l'importation et à l'exportation, comme faisant partie intégrante de l'organisation commune des marchés ;

56. Attendu, ainsi que la Cour l'a rappelé dans son arrêt du 18 mai 1977, dans l'affaire 111-76, Van Den Hazel (recueil, p. 901), du moment que la Communauté a adopté, en vertu de l'article 40 du traité, une réglementation portant établissement d'une organisation commune des marchés dans un secteur déterminé, les Etats membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte ;

57. Qu'en vue de porter cette appréciation, dans le cas du Pigs Marketing Scheme, il convient de considérer que l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, à l'instar des autres organisations communes de marché, est fondée sur le principe d'un marché ouvert, auquel tout producteur a librement accès et dont le fonctionnement est uniquement réglé par les instruments prévus par cette organisation ;

58. Que sont dès lors incompatibles avec les principes de cette organisation de marché toutes dispositions ou pratiques nationales susceptibles de modifier les courants d'importation ou d'exportation, ou d'influencer la formation des prix sur le marché, par le fait de refuser aux producteurs d'opérer librement les achats et les ventes, à l'intérieur de l'Etat où ils sont établis ou dans tout autre Etat membre, dans les conditions déterminées par la réglementation communautaire, et de profiter directement des mesures d'intervention et de toutes autres mesures de régulation du marché prévues par l'organisation commune ;

59. Qu'une action de ce genre, exercée sur le marché par un organisme mis en place par un Etat membre en dehors des prévisions de la réglementation communautaire, ne saurait être justifiée par la poursuite d'objectifs particuliers de politique économique, nationale ou régionale, alors que l'organisation commune de marché a précisément pour fonction, ainsi qu'il ressort du 3 considérant du règlement n° 2759-75, de réaliser de tels objectifs à l'échelle de la Communauté, dans des conditions acceptables pour l'ensemble de celle-ci, et compte tenu des besoins de toutes ses régions ;

60. Que toute intervention d'un Etat membre, ou de ses autorités régionales ou déléguées, dans les mécanismes du marché, en dehors de celles qui sont spécifiquement prévues par le règlement communautaire, risque d'entraver le fonctionnement de l'organisation commune de marché et de créer des avantages injustifiés pour certains groupes de producteurs ou de consommateurs, au détriment de l'économie d'autres Etats membres ou d'autres groupes économiques dans la Communauté ;

61. Qu'on ne saurait retenir, à cet égard, l'argument tiré par le Board du fait que sa politique de prix serait tributaire de l'évolution du marché et n'apporterait dès lors aucun trouble dans la formation des prix selon le règlement ;

62. Qu'en effet, cette circonstance n'exclut nullement le fait que la réglementation nationale litigieuse a pour effet de placer les producteurs dans la dépendance complète du Board et de leur interdire l'accès au marché dans les conditions prévues par le traité et l'organisation commune établie en vertu de celui-ci ;

63. Qu'à cet égard, il y a lieu de relever l'article 2 du règlement n° 2759-75 qui prévoit un ensemble de mesures destinées à encourager les initiatives professionnelles et interprofessionnelles permettant de faciliter l'adaptation de l'offre aux exigences du marché, grâce notamment à une meilleure organisation de la production, de la transformation ou de la commercialisation des produits en cause ;

64. Que cette disposition ne permet cependant l'institution de telles mesures que dans le cadre d'une procédure communautaire destinée à garantir que l'intérêt général de la Communauté soit sauvegardé, dans le respect des objectifs fixés par l'article 39 du traité ;

65. Qu'il y a donc lieu de répondre aux questions du Resident Magistrate qu'est à considérer comme incompatible avec les exigences découlant tant des articles 30 et 34 du traité CEE que du règlement n° 2759-75, relatif à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, un régime de marché, à l'échelle nationale ou régionale, mis en place par la législation d'un Etat membre et géré par un organisme ayant pouvoir, grâce aux moyens de contrainte publique qui sont à sa disposition, de contrôler le secteur de marché en question ou une partie de celui-ci par des mesures telles que la subordination de l'écoulement de la marchandise à l'exigence de l'enregistrement du producteur auprès de l'organisme en question, la prohibition de toute vente qui ne soit pas faite à cet organisme ou par son intermédiaire, aux conditions déterminées par celui-ci, ainsi que la prohibition de tout transport non autorisé par ledit organisme de la marchandise concernée ;

66. Qu'en réponse aux questions posées par le Resident Magistrate, il y a lieu de préciser encore que toutes les dispositions citées sont directement applicables et qu'en tant que telles elles confèrent aux individus des droits que les juridictions des Etats membres sont tenues de sauvegarder ;

67. Que cet effet résulte, d'une part, de la nature même des articles 30 et 34 du traité et, d'autre part, de l'article 189 aux termes duquel les règlements sont " directement applicables dans tout Etat membre ";

68. Que, conformément à ce qui précède, les effets ci-dessus précisés se sont produits, aux termes de l'acte d'adhésion, et spécialement de ses articles 2, 42 et 60, paragraphe 1, sur l'ensemble du territoire du Royaume-Uni, à partir du 1 février 1973 ;

69. Qu'à cet égard, le fait que l'un des éléments du Pigs Marketing Scheme - a savoir les Movement of Pigs Regulations - ait été introduit en 1972, postérieurement à la date de la signature du traité d'adhésion, ne modifie pas cette situation, alors que la primauté du droit communautaire par rapport aux dispositions du droit national s'affirme sans égard aux dates respectives des dispositions en cause ;

70. Attendu que le Resident Magistrate pose encore une question particulière, relative aux restrictions résultant, pour le transport de porcs, de l'application des Movement of Pigs Regulations, en vue de savoir si ces restrictions pourraient être éventuellement justifiées en raison des facilités de contrôle qu'elles offrent à l'égard d'une contrebande intense qui règne apparemment sur la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande en raison de la disparité des cours de la " livre verte " et du versement des montants compensatoires monétaires qui en est la conséquence ;

71. Qu'à son tour, le Board a souligné le lien existant entre cet aspect du Pigs Marketing Scheme et la répression de la contrebande ;

72. Attendu qu'on ne saurait admettre la justification d'une interdiction de transport incompatible tant avec la liberté des échanges entre Etats membres qu'avec l'organisation commune des marchés, dans le secteur de la viande de porc, en raison de la circonstance qu'une telle restriction peut incidemment faciliter le contrôle frontalier et la lutte contre certaines fraudes ;

73. Que la suppression de tels abus, à défaut de l'élimination de leur cause monétaire, ne saurait être poursuivie que par des moyens compatibles avec le fonctionnement normal du Marché commun ;

74. Que des considérations tirées de la répression de la fraude ne sauraient dès lors être invoquées pour justifier le régime critiqué devant le Resident Magistrate ;

75. Attendu qu'en vue de qui précède, il n'apparaît pas nécessaire de répondre aux questions posées par le Resident Magistrate au sujet de l'interprétation des articles 85 et 86 du traité et du rapport de ces dispositions avec l'article 37 ;

Quant aux dépens

76. Attendu que les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

77. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la Magistrate's Court du comté d'Armagh, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la Magistrate's Court du comté d'Armagh par jugement du 19 septembre 1977 et par acte du 10 mars 1978, dit pour droit :

1) Est à considérer comme incompatible avec les exigences découlant tant des articles 30 et 34 du traité CEE que du règlement du Conseil n° 2759-75, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc un régime de marché, à l'échelle nationale ou régionale, mis en place par la législation d'un Etat membre et géré par un organisme ayant pouvoir, grâce aux moyens de contrainte publique qui sont à sa disposition, de contrôler le secteur de marché en question ou une partie de celui-ci par des mesures telles que la subordination de l'écoulement de la marchandise à l'exigence de l'enregistrement du producteur auprès de l'organisme en question, la prohibition de toute vente qui ne soit pas faite à cet organisme ou par son intermédiaire, aux conditions déterminées par celui-ci, ainsi que la prohibition de tout transport, non autorisé par ledit organisme, de la marchandise concernée.

2) Les dispositions des articles 30 et 34 du traité CEE et du règlement n° 2759-75 sont directement applicables et confèrent aux individus des droits que les juridictions des Etats membres sont tenues de sauvegarder.

3) Les effets ci-dessus précises se sont produits, aux termes de l'acte d'adhésion et spécialement de ses articles 2, 42 et 60, paragraphe 1, sur l'ensemble du territoire du Royaume-Uni à partir du 1 février 1973.