Livv
Décisions

CJCE, 21 octobre 2003, n° C-317/01

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Abatay e.a., Sahin

Défendeur :

Bundesanstalt für Arbeit

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Jann, Timmermans, Gulmann, Cunha Rodrigues, Rosas

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Edward, La Pergola, Puissochet, Schintgen (rapporteur), von Bahr, Mmes Macken, Colneric

Avocats :

Mes Helbing, Gutmann

CJCE n° C-317/01

21 octobre 2003

LA COUR,

1. Par ordonnances des 20 juin et 2 août 2001, parvenues à la Cour respectivement les 13 août et 25 septembre suivants, le Bundessozialgericht a posé, en application de l'article 234 CE, plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2760-72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1, ci-après le "protocole additionnel"), et de l'article 13 de la décision n° 1-80 du conseil d'association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l'association (ci-après la "décision n° 1-80"). Le conseil d'association a été institué par l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d'une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d'autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64-732-CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l'"accord d'association").

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement MM. Abatay e.a., ainsi que M. Nadi Sahin, à la Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral de l'emploi, ci-après la "Bundesanstalt") en raison du fait que cette dernière exige que les chauffeurs routiers turcs soient titulaires en Allemagne d'un permis de travail pour effectuer des transports internationaux de marchandises par route.

Le cadre juridique

L'association CEE-Turquie

3. Conformément à son article 2, paragraphe 1, l'accord d'association a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, y compris dans le domaine de la main-d'œuvre, par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs (article 12) ainsi que par l'élimination des restrictions à la liberté d'établissement (article 13) et à la libre prestation des services (article 14), en vue d'améliorer le niveau de vie du peuple turc et de faciliter ultérieurement l'adhésion de la République de Turquie à la Communauté (quatrième considérant du préambule et article 28).

4. À cet effet, l'accord d'association comporte une phase préparatoire, permettant à la République de Turquie de renforcer son économie avec l'aide de la Communauté (article 3), une phase transitoire, au cours de laquelle sont assurés la mise en place progressive d'une union douanière et le rapprochement des politiques économiques (article 4), et une phase définitive qui est fondée sur l'union douanière et implique le renforcement de la coordination des politiques économiques des parties contractantes (article 5).

5. L'article 6 de l'accord d'association est libellé comme suit:

"Pour assurer l'application et le développement progressif du régime d'association, les Parties contractantes se réunissent au sein d'un conseil d'association qui agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par l'accord."

6. Aux termes de l'article 8 de l'accord d'association, inséré dans le titre II de celui-ci, intitulé "Mise en œuvre de la phase transitoire":

"Pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 4, le conseil d'association fixe, avant le début de la phase transitoire, et selon la procédure prévue à l'article premier du protocole provisoire, les conditions, modalités et rythmes de mise en œuvre des dispositions propres aux domaines visés par le traité instituant la Communauté qui devront être pris en considération, notamment ceux visés au présent titre, ainsi que toute clause de sauvegarde qui s'avérerait utile."

7. Les articles 12, 13, 14, 15 et 16 de l'accord d'association figurent également sous le titre II de celui-ci, chapitre 3, intitulé "Autres dispositions de caractère économique".

8. L'article 12 prévoit:

"Les Parties contractantes conviennent de s'inspirer des articles 48, 49 et 50 du traité instituant la Communauté pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles."

9. L'article 13 dispose:

"Les Parties contractantes conviennent de s'inspirer des articles 52 à 56 inclus et 58 du traité instituant la Communauté pour éliminer entre elles les restrictions à la liberté d'établissement."

10. L'article 14 énonce:

"Les Parties contractantes conviennent de s'inspirer des articles 55, 56 et 58 à 65 inclus du traité instituant la Communauté pour éliminer entre elles les restrictions à la libre prestation des services."

11. L'article 15 est ainsi libellé:

"Les conditions et modalités d'extension à la Turquie des dispositions du traité instituant la Communauté et des actes pris en application de ces dispositions en ce qui concerne les transports seront établies en tenant compte de la situation géographique de la Turquie."

12. L'article 16 est rédigé comme suit:

"Les Parties contractantes reconnaissent que les principes énoncés dans les dispositions relatives à la concurrence, à la fiscalité et au rapprochement des législations, contenues dans le titre I de la troisième partie du traité instituant la Communauté, doivent être rendus applicables dans leurs rapports d'association."

13. Aux termes de l'article 22, paragraphe 1, de l'accord d'association:

"Pour la réalisation des objets fixés par l'accord et dans les cas prévus par celui-ci, le Conseil d'association dispose d'un pouvoir de décision. Chacune des deux parties est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution des décisions prises. [...]"

14. Le protocole additionnel qui, conformément à son article 62, fait partie intégrante de l'accord d'association, arrête, aux termes de son article 1er, les conditions, modalités et rythmes de réalisation de la phase transitoire visée à l'article 4 dudit accord.

15. Le protocole additionnel comporte un titre II, intitulé "Circulation des personnes et des services", dont le chapitre I vise "Les travailleurs" et le chapitre II est consacré aux "Droit d'établissement, services et transports".

16. L'article 36 du protocole additionnel, qui fait partie dudit chapitre I, prévoit que la libre circulation des travailleurs entre les États membres de la Communauté et la Turquie sera réalisée graduellement, conformément aux principes énoncés à l'article 12 de l'accord d'association, entre la fin de la douzième et de la vingt-deuxième année après l'entrée en vigueur dudit accord et que le conseil d'association décidera des modalités nécessaires à cet effet.

17. L'article 41 du protocole additionnel, qui figure au chapitre II dudit titre II, est ainsi libellé:

"1. Les parties contractantes s'abstiennent d'introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services.

2. Le conseil d'association fixe, conformément aux principes énoncés aux articles 13 et 14 de l'accord d'association, le rythme et les modalités selon lesquels les parties contractantes suppriment entre elles progressivement les restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services.

Le conseil d'association fixe ce rythme et ces modalités pour les différentes catégories d'activités, en tenant compte des dispositions analogues déjà prises par la Communauté dans ces domaines, ainsi que de la situation particulière de la Turquie sur le plan économique et social. Une priorité sera accordée aux activités contribuant particulièrement au développement de la production et des échanges."

18. L'article 42, paragraphe 1, du protocole additionnel, qui fait partie du même chapitre II dudit titre II, dispose:

"Le Conseil d'association étend à la Turquie, selon les modalités qu'il arrête en tenant compte notamment de la situation géographique de la Turquie, les dispositions du traité instituant la Communauté applicables aux transports. Il peut, dans les mêmes conditions, étendre à la Turquie les actes pris par la Communauté en application de ces dispositions pour les transports par chemin de fer, par route et par voie navigable."

19. Le 19 septembre 1980, le conseil d'association, institué par l'accord d'association et composé, d'une part, de membres des Gouvernements des États membres, du Conseil ainsi que de la Commission des Communautés européennes et, d'autre part, de membres du Gouvernement turc (ci-après le "conseil d'association"), a adopté la décision n° 1-80.

20. L'article 6 de cette décision figure au chapitre II de celle-ci, intitulé "Dispositions sociales", section 1, concernant les "Questions relatives à l'emploi et à la libre circulation des travailleurs". Les paragraphes 1 et 2 de cet article sont ainsi libellés:

"1. Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre:

- a droit, dans cet État membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi;

- a le droit, dans cet État membre, après trois ans d'emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d'un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l'emploi de cet État membre;

- bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d'emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.

2. Les congés annuels et les absences pour cause de maternité, d'accident de travail ou de maladie de courte durée sont assimilés aux périodes d'emploi régulier. Les périodes de chômage involontaire, dûment constatées par les autorités compétentes, et les absences pour cause de maladie de longue durée, sans être assimilées à des périodes d'emploi régulier, ne portent pas atteinte aux droits acquis en vertu de la période d'emploi antérieure."

21. L'article 13 de la décision n° 1-80, qui fait également partie de ladite section 1, est ainsi libellé:

"Les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d'accès à l'emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l'emploi."

22. Conformément à son article 30, la décision n° 1-80 est entrée en vigueur le 1er juillet 1980. Toutefois, aux termes de l'article 16 de cette décision, les dispositions de la section 1 du chapitre II de celle-ci sont applicables à partir du 1er décembre 1980.

La réglementation nationale

23. Le protocole additionnel a été ratifié par le Bundestag par la loi du 19 mai 1972 (BGBl. 1972 II, p. 385) et il est entré en vigueur en Allemagne le 1er janvier 1973.

24. Aux termes de l'article 9 de la Verordnung über die Arbeitserlaubnis für nichtdeutsche Arbeitnehmer (règlement relatif au permis de travail pour les travailleurs non allemands), du 2 mars 1971 (BGBl. 1971 I, p. 152, ci-après l' "AEVO"), dans sa version en vigueur le 1er janvier 1973:

"Sont dispensés de permis de travail [...]

2. le personnel roulant travaillant dans le transport international de voyageurs et de marchandises [...] pour des entreprises établies sur le territoire d'application de ce règlement."

25. Le dixième règlement portant modification de l'AEVO, adopté et entré en vigueur le 1er septembre 1993 (BGBl. 1993 I, p. 1527), a amendé ledit l'article 9, point 2, en limitant l'octroi de la dispense de permis de travail au personnel roulant travaillant dans le transport international de voyageurs et de marchandises "pour des employeurs établis à l'étranger".

26. Le 30 septembre 1996, une nouvelle modification a été apportée à l'article 9, point 2, de l'AEVO (BGBl. 1996 I, p. 1491), dont la version applicable à partir du 10 ctobre 1996 était ainsi libellée:

"Sont dispensés de permis de travail [.]

2. le personnel roulant travaillant dans le transport international de voyageurs et de marchandises pour des employeurs établis à l'étranger, dans la mesure où:

a) le véhicule est immatriculé dans l'État d'établissement de l'employeur;

b) le véhicule est immatriculé sur le territoire d'application du règlement pour des services de transports réguliers par autobus;

[.]"

27. À partir du 25 septembre 1998, les dérogations à l'obligation d'obtenir un permis de travail en Allemagne ont été régies par l'article 9 de la Verordnung über die Arbeitsgenehmigung für ausländische Arbeitnehmer (règlement relatif à l'autorisation de travailler pour les travailleurs étrangers), du 17 septembre 1998 (BGBl. 1998 I, p. 2899, ci-après l' "ArGV"), qui a remplacé l'AEVO. Toutefois, le contenu de l'article 9, point 2, de l'AEVO, dans sa version en vigueur à compter du 10 octobre 1996, a été repris sans aucune modification à l'article 9, point 3, de l'ArGV.

Les affaires au principal et les questions préjudicielles

L'affaire C-317-01

28. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que MM. Abatay e.a. sont des ressortissants turcs qui résident en Turquie et travaillent comme chauffeurs routiers en effectuant principalement des transports internationaux de marchandises. Ils sont salariés de la société Baqir Dis Tic. Ve Paz. Ltd St (ci-après "Baqir Dis"), établie à Mersin (Turquie), qui est une filiale de la société Baqir GmbH, sise à Stuttgart (Allemagne). Baqir Dis et Baqir GmbH acheminent en Allemagne des fruits et légumes provenant pour la majeure partie de leurs propres cultures en Turquie. Les marchandises sont transportées de ce pays en Allemagne au moyen de camions qui y sont immatriculés au nom de Baqir GmbH et sont conduits notamment par MM. Abatay e.a.

29. La Bundesanstalt avait délivré à chacun de ces chauffeurs routiers un permis de travail valable jusqu'au 30 septembre 1996 inclus. Cependant, à l'expiration de cette période, elle a refusé de leur délivrer de nouveaux permis de travail.

30. Saisi par MM. Abatay e.a., le Sozialgericht Nürnberg (Allemagne) a décidé, par jugements du 27 octobre 1998, que les requérants n'avaient pas besoin de permis de travail.

31. Par arrêt du 25 juillet 2000, le Bayerisches Landessozialgericht (Allemagne) a rejeté les appels formés par la Bundesanstalt contre ces jugements.

32. Selon cette juridiction, la clause de "standstill" prévue à l'article 13 de la décision n° 1-80 maintient en l'état le droit en vigueur au moment où a débuté l'activité des chauffeurs routiers turcs en Allemagne et elle s'étend également au travail accompli dans cet État membre par des chauffeurs turcs relevant du marché de l'emploi mentionné à ladite disposition. En effet, à l'origine, l'emploi de MM. Abatay e.a. aurait été régulier, au sens dudit article 13, sur la partie du trajet de transport international de marchandises effectuée en Allemagne, puisque, conformément à l'article 9, point 2, de l'AEVO, dans sa version initiale ainsi que dans celle en vigueur à partir du 1er septembre 1993, les intéressés n'avaient pas besoin de permis de travail en tant que personnel roulant employé dans le transport international de personnes et de marchandises. Quant à la nouvelle version de cette disposition de l'AEVO, applicable à partir du 10 octobre 1996, et à la disposition identique figurant à l'article 9, point 3, sous a), de l'ArGV, applicable à compter du 25 septembre 1998, elles auraient introduit une restriction importante à l'accès des chauffeurs routiers turcs en cause au marché de l'emploi allemand, en violation de l'article 13 de la décision n° 1-80.

33. À l'appui du recours en "Revision" qu'elle a introduit contre l'arrêt du Bayerisches Landessozialgericht, la Bundesanstalt soutient qu'aucune clause de "standstill" semblable à celle inscrite à l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel n'est prévue au profit des travailleurs. D'après son libellé, l'article 13 de la décision n° 1-80 ne concernerait que les travailleurs turcs qui séjournent déjà régulièrement sur le territoire d'un État membre et il ne serait donc pas applicable en l'espèce. En outre, les modifications de la législation nationale intervenues en 1993 et en 1996 ne sauraient être considérées comme incompatibles avec l'interdiction d'apporter de nouvelles restrictions entre les parties ayant conclu le protocole additionnel, énoncée à l'article 41 de celui-ci, car il serait contraire à l'économie générale de l'accord d'association de faire produire à cette clause de "standstill", qui concerne la libre prestation des services, des effets indirects sur le droit d'accès à l'emploi.

34. En revanche, MM. Abatay e.a. considèrent que les décisions du Sozialgericht Nürnberg et du Bayerisches Landessozialgericht sont fondées. Selon eux, le droit de faire constater la dispense de permis de travail découle directement de l'article 13 de la décision n° 1-80. À titre subsidiaire, ils renvoient à l'article 6 de la même décision, selon lequel un travailleur turc a droit, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur. Les requérants auraient déjà acquis, au cours d'une période commençant à une date antérieure à 1993 et allant jusqu'à 1996, un statut au regard de la législation nationale du travail, dont la Bundesanstalt ne pourrait plus les priver de manière unilatérale.

35. La onzième chambre du Bundessozialgericht constate que, selon le droit allemand, MM. Abatay e.a., en tant que salariés d'un employeur turc, ne sont pas en droit de travailler dans le transport international de marchandises, avec des véhicules immatriculés en Allemagne, sans disposer d'un permis de travail.

36. Toutefois, la dispense de permis de travail à laquelle prétendent MM. Abatay e.a. pourrait découler des articles 13 de la décision n° 1-80 ou 41, paragraphe 1, du protocole additionnel. En effet, les modifications de l'AEVO, entrées en vigueur le 1er septembre 1993 et le 10 octobre 1996, pourraient être considérées comme de nouvelles restrictions à l'accès à l'emploi au sens de cet article 13 ou de nouvelles restrictions à la libre prestation des services au sens dudit article 41, paragraphe 1.

37. À cet égard, la portée de ces deux dispositions soulèverait plusieurs problèmes.

38. Tout d'abord, se poserait la question de savoir si, à l'instar de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, il convient d'interpréter l'article 13 de la décision n° 1-80 en ce sens qu'il interdit d'une manière générale aux États membres d'édicter la moindre restriction nouvelle à l'accès à l'emploi après l'entrée en vigueur, le 1er décembre 1980, conformément à l'article 16, paragraphe 1, de cette décision, de la section de celle-ci consacrée aux questions relatives à l'emploi et à la libre circulation des travailleurs. Toutefois, le libellé de cet article 13, qui s'écarterait à certains égards de celui dudit article 41, paragraphe 1, plaiderait plutôt en faveur de l'interprétation selon laquelle l'interdiction d'introduire de nouvelles restrictions se réfère uniquement à la date à laquelle le premier séjour et le premier emploi du travailleur sur le territoire de l'État membre concerné étaient réguliers.

39. Ensuite, il serait possible de se demander si l'article 13 de la décision n° 1-80 est également applicable à des travailleurs qui, comme MM. Abatay e.a., sont employés en Turquie et ne font que traverser un État membre en tant que personnel roulant effectuant des transports internationaux de marchandises, sans appartenir au marché régulier de l'emploi dudit État. L'emplacement de cet article 13 - lequel se trouve, à l'instar des articles 6, 7, 10 et 11 qui ont pour objectif l'intégration progressive des travailleurs turcs et des membres de leur famille au marché de l'emploi de l'État membre d'accueil, dans le chapitre II, section 1, de la décision n° 1-80, qui traite, ainsi qu'il a été précisé au point 20 du présent arrêt, des questions relatives à l'emploi et à la libre circulation des travailleurs - plaiderait en faveur de l'interprétation selon laquelle cette disposition ne vise que les travailleurs appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre. Toutefois, des chauffeurs routiers tels que MM. Abatay e.a. n'entreraient jamais que pour une durée limitée sur le territoire d'un État membre pour le quitter rapidement et rentrer en Turquie.

40. Enfin, il ne serait pas possible de répondre de manière certaine à la question de savoir si l'on peut déduire de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel un résultat plus favorable à MM. Abatay e.a.. Si la réglementation actuellement applicable, à savoir l'article 9, point 3, sous a), de l'ArGV, comparée à l'état du droit national lors de l'entrée en vigueur du protocole additionnel, peut être constitutive d'une restriction prohibée par ledit article 41, paragraphe 1, cette dernière disposition ne s'appliquerait expressément qu'à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services et non à l'accès à l'emploi. Se poserait dès lors la question de savoir si les travailleurs turcs en cause, qui ne veulent pas s'établir en Allemagne et, par ailleurs, ne participent à la prestation des services que dans le cadre de leur relation de travail, peuvent invoquer cette disposition protégeant la libre prestation des services comme fondement des droits qu'ils revendiquent.

41. En cas de réponse affirmative à cette question, se poserait également celle de savoir si l'on est en présence d'une restriction à la libre prestation des services au sens de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, alors même que l'introduction de dispositions restreignant l'accès de travailleurs à l'emploi . en l'espèce la suppression de la dispense de permis de travail dont bénéficiaient auparavant les chauffeurs routiers turcs effectuant des transports internationaux de marchandises . rend indirectement plus difficile la participation des entreprises employant ces travailleurs à la libre circulation des services.

42. Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige dont elle est saisie dépend de l'interprétation du droit communautaire, la onzième chambre du Bundessozialgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 13 de la décision n° 1-80 [...] doit-il être interprété en ce sens qu'il interdit à un État membre de l'Union d'adopter des dispositions nationales qui, comparées aux règles en vigueur le 1er décembre 1980, apportent d'une manière générale de nouvelles restrictions à l'accès à l'emploi des travailleurs turcs ou l'interdiction d'introduire de nouvelles restrictions visée à l'article 13 de la décision n° 1-80 ne se réfère-t-elle qu'à la date du premier séjour et du premier emploi réguliers d'un travailleur ?

2) L'article 13 de la décision n° 1-80 [...] s'applique-t-il également à des travailleurs salariés en Turquie qui, en tant que routiers effectuant des transports internationaux de marchandises, traversent régulièrement un État membre de l'Union sans appartenir au marché régulier de l'emploi de cet État membre ?

3) L'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel [...] doit-il être interprété en ce sens:

a) qu'un travailleur turc est en droit d'invoquer une restriction apportée à la libre prestation des services en violation dudit protocole et, dans l'affirmative,

b) que l'on est en présence d'une nouvelle restriction à la libre prestation des services également dans le cas où un État membre de l'Union limite, après l'entrée en vigueur du protocole additionnel, l'accès de travailleurs turcs au marché de l'emploi, rendant ainsi plus difficile la participation des entreprises turques employant ces travailleurs à la libre circulation des services ?"

L'affaire C-369-01

43. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que M. Sahin, initialement ressortissant turc, mais qui a obtenu la nationalité allemande en 1991, exploite l'entreprise de transports internationaux Sahin Internationale Transporte, établie à Göppingen (Allemagne). Il exploite également une filiale de cette dernière, dénommée Anadolu Dis Ticaret AS (ci-après "Anadolu Dis"), dont le siège est à Istanbul (Turquie). Sahin Internationale Transporte est propriétaire de plusieurs camions qu'elle utilise dans le cadre de transports internationaux entre l'Allemagne et des pays tiers tels que la Turquie, l'Iran ou l'Iraq; tous les camions sont immatriculés en Allemagne. Il existe entre Sahin Internationale Transporte et Anadolu Dis un "contrat d'agence" selon lequel cette dernière utilise les camions de la société mère dans le cadre de transports internationaux de marchandises.

44. Dès avant le 1er septembre 1993, M. Sahin a utilisé comme conducteurs des camions immatriculés en Allemagne 17 travailleurs turcs, vivant en Turquie et ayant conclu leur contrat de travail avant cette date avec Anadolu Dis. Pour chaque transport vers l'Allemagne, un visa leur était délivré par le consulat général allemand compétent.

45. Selon la Bundesanstalt, lesdits conducteurs n'avaient pas besoin, dans un premier temps, de permis de travail. Toutefois, à partir du milieu de l'année 1995, elle a estimé que l'utilisation, pour conduire des véhicules immatriculés en Allemagne, de chauffeurs routiers étrangers n'était plus dispensée de permis de travail, même lorsque ces derniers étaient employés par des entreprises étrangères.

46. Par requête du 29 mai 1996, M. Sahin a demandé au Sozialgericht Ulm (Allemagne) de constater que les travailleurs en question sont dispensés de permis de travail pour leur activité en Allemagne. En outre, il a obtenu de cette juridiction une ordonnance de référé, rendue le 9 décembre 1996, selon laquelle la Bundesanstalt était tenue d'octroyer des permis de travail auxdits chauffeurs routiers dans l'attente d'une décision définitive dans l'affaire au fond.

47. Par jugement du 10 février 1998, le Sozialgericht Ulm a constaté que les 17 chauffeurs routiers en cause étaient dispensés de permis de travail.

48. L'appel interjeté par la Bundesanstalt a été rejeté par arrêt du 27 juillet 2000 du Landessozialgericht Baden-Württemberg (Allemagne), qui s'est fondé en substance sur l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel pour juger que la situation juridique applicable au 1er janvier 1973 demeure pertinente. Cette disposition ferait obstacle à l'adoption de nouvelles restrictions à la libre prestation des services entre les États membres de la Communauté et la République de Turquie. Or, au 1er janvier 1973, aucun permis de travail n'aurait été exigé de travailleurs tels que les chauffeurs routiers concernés.

49. La Bundesanstalt a formé un recours en "Revision" à l'encontre de cet arrêt, en alléguant notamment une violation de l'article 9, point 2, de l'AEVO.

50. M. Sahin a, en revanche, conclu au rejet de ce recours. Selon lui, tant l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel que l'article 13 de la décision n° 1-80 contiennent une clause de "standstill" dont il résulte que de nouvelles restrictions ne sauraient être apportées à la dispense de permis de travail accordée aux travailleurs turcs.

51. Dans son ordonnance de renvoi, la septième chambre du Bundessozialgericht relève que la dispense de permis de travail des chauffeurs routiers, constatée par le Landessozialgericht Baden-Württemberg, peut faire l'objet d'une appréciation différente en fonction de la personne de leur employeur, en l'occurrence Sahin Internationale Transporte ou Anadolu Dis. Le Bundessozialgericht n'étant cependant pas habilité à effectuer les constatations de fait nécessaires à cet effet, seul un renvoi de l'affaire devant le Landessozialgericht pourrait alors être envisagé, ce qui au demeurant permettrait également de provoquer a posteriori une participation d'Anadolu Dis ou desdits chauffeurs routiers à la procédure. Le cas échéant, un tel renvoi pourrait toutefois s'avérer inutile si des obligations d'ordre communautaire confèrent à ces derniers le droit de ne pas subir de restriction, quant à la dispense de permis de travail, par rapport à la situation juridique existant en 1970 ou en 1973. Les dispositions pertinentes à cet égard seraient soit l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, pour autant qu'il protège également les travailleurs se trouvant dans la situation des chauffeurs routiers concernés au regard de la réglementation interne pertinente en matière de permis de travail, soit l'article 13 de la décision n° 1-80, soit ces deux dispositions à la fois. Toutefois, tant pour l'une que pour l'autre de ces dispositions, se poserait encore la question de savoir si elles régissent également le cas de figure concrètement en cause dans l'affaire dont est saisi le Bundessozialgericht.

52. Cette juridiction se demande d'abord si des chauffeurs routiers turcs peuvent également bénéficier de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel. À cet égard, il importerait de savoir si cette disposition peut être invoquée par les travailleurs et, dans l'affirmative, si, d'une manière générale, les mesures du type de celle en cause en l'espèce doivent être considérées comme des "restrictions" au sens dudit article 41, paragraphe 1. La juridiction de renvoi ajoute que, dans la présente affaire, il pourrait être également pertinent de savoir si le fait pour des travailleurs d'invoquer cette disposition suppose qu'il s'agisse de travailleurs occupés uniquement par un employeur turc ou si un autre employeur (allemand) peut être associé . sous une forme ou sous une autre . à la relation de travail. Selon elle, une mesure ne pourrait pas d'emblée être considérée comme une nouvelle restriction si elle n'affecte négativement, en qualité d'entrepreneur, qu'un ressortissant allemand établi en Allemagne; or, le présent litige porterait sur le point de savoir si M. Sahin, qui est un ressortissant allemand depuis 1991, a le droit de recourir à l'avenir à des chauffeurs routiers turcs dépourvus de permis de travail.

53. Ensuite, ladite juridiction s'interroge sur le rapport entre l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et l'article 13 de la décision n° 1-80. En effet, dans des cas de figure du type de celui en cause devant elle, des mesures restrictives dans le cadre de la réglementation des permis de travail pourraient être considérées comme une (nouvelle) restriction apportée tant à la situation de libre prestation des services garantie aux entrepreneurs turcs qu'à celle relative aux conditions d'accès à l'emploi garantie aux travailleurs turcs, en sorte qu'il conviendrait de déterminer laquelle de ces deux dispositions trouve à s'appliquer.

54. Enfin, elle souhaite obtenir des éclaircissements sur le point de savoir si, d'une manière générale, les mesures telles que celles en cause devant elle doivent être considérées comme des "restrictions" au sens de l'article 13 de la décision n° 1-80, puisqu'il pourrait y avoir un doute sur la question de savoir si l'on se trouve en présence d'une restriction aux "conditions d'accès à l'emploi" lorsque l'obligation de détenir un permis de travail ou une autorisation de travailler est étendue ou introduite pour des activités qui n'affectent que temporairement le marché de l'emploi allemand.

55. Considérant que la solution du litige pendant devant elle nécessite ainsi une interprétation du droit communautaire, la septième chambre du Bundessozialgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel [...] doit-il être interprété en ce sens:

a) qu'un travailleur turc est en droit d'invoquer une restriction apportée à la libre prestation des services en violation dudit protocole et, dans l'affirmative,

b) que l'on est en présence d'une restriction à la libre prestation des services également dans le cas où un État membre de la Communauté supprime une dispense de permis de travail dont bénéficiaient précédemment, dans le cadre des transports internationaux de marchandises, les conducteurs turcs occupés par un employeur (turc) ayant son siège en Turquie ?

2) Une telle restriction relève-t-elle exclusivement de la libre prestation des services ou relève-t-elle également, voire uniquement, des conditions d'accès à l'emploi visées à l'article 13 de la décision n° 1-80 [...] ?

3) L'article 13 de la décision n° 1-80 [...] s'applique-t-il également à des travailleurs salariés turcs occupés par un employeur ayant son siège en Turquie et qui, en tant que routiers effectuant des transports internationaux de marchandises, traversent régulièrement un État membre de la Communauté sans appartenir au marché (régulier) de l'emploi de cet État membre ?"

56. Étant donné la connexité entre les affaires C-317-01 et C-369-01, le président de la Cour a décidé, par ordonnance du 5 novembre 2001, de les joindre aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l'article 43 du règlement de procédure de la Cour.

Sur les questions préjudicielles

57. En vue de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient d'examiner, en premier lieu, si l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et/ou l'article 13 de la décision n° 1-80 sont de nature à faire naître directement dans le chef d'un particulier des droits dont celui-ci peut se prévaloir devant une juridiction d'un État membre et, dans l'affirmative, de déterminer, en second lieu, la portée des clauses de "standstill" énoncées auxdites dispositions.

Sur l'effet direct des articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision n° 1-80

58. À cet égard, il suffit de rappeler que l'effet direct tant de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel que de l'article 13 de la décision n° 1-80 résulte déjà de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce qui concerne ledit article 41, paragraphe 1, arrêt du 11 mai 2000, Savas, C-37-98, Rec. p. I-2927, points 54 et 71, ainsi que, en ce qui concerne ledit article 13, arrêt du 20 septembre 1990, Sevince, C-192-89, Rec. p. I-3461, point 26). Ces dispositions énoncent en effet, dans des termes clairs, précis et inconditionnels, des clauses non équivoques de "standstill", lesquelles comportent une obligation souscrite par les parties contractantes qui se résout juridiquement en une simple abstention (voir arrêt Savas, précité, points 46 et 47).

59. Il s'ensuit que ces deux dispositions peuvent être invoquées devant les juridictions nationales par les ressortissants turcs auxquels elles s'appliquent pour écarter l'application des règles de droit interne qui leur sont contraires.

60. Il importe en conséquence de déterminer la portée desdites dispositions.

Sur la portée des articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision n° 1-80

61. Afin de répondre de façon complète et utile aux questions posées, il y a lieu pour la Cour de statuer, au préalable, sur la signification desdites dispositions, avant de déterminer si celles-ci couvrent la situation de justiciables tels que les requérants au principal et dans quelle mesure elles impliquent que l'État membre concerné ne saurait exiger que les chauffeurs routiers turcs qui effectuent des opérations de transports internationaux de marchandises sur son territoire soient titulaires d'un permis de travail.

Sur la signification des clauses de "standstill" inscrites aux articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision n° 1-80

62. S'agissant, en premier lieu, de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, il résulte déjà des points 64 et 67 de l'arrêt Savas, précité, que la clause de "standstill" énoncée à cette disposition n'est pas, par elle-même, de nature à faire naître dans le chef d'un ressortissant turc un droit d'établissement ni un droit de séjour directement tirés de la réglementation communautaire.

63. À cet égard, la Cour s'est fondée sur sa jurisprudence constante selon laquelle, en l'état actuel du droit communautaire, les dispositions relatives à l'association entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie (ci-après l'"association CEE-Turquie") n'empiètent pas sur la compétence des États membres de réglementer tant l'entrée sur leur territoire des ressortissants turcs que les conditions de leur première activité professionnelle, mais règlent uniquement la situation des travailleurs turcs qui sont déjà régulièrement intégrés à l'État membre d'accueil en raison de l'exercice légal d'un emploi pendant une certaine durée, conformément aux conditions énoncées à l'article 6 de la décision n° 1-80 (voir, notamment, arrêt Savas, précité, point 58).

64. Au point 59 du même arrêt Savas, précité, la Cour a relevé en outre que les travailleurs turcs, contrairement aux ressortissants des États membres, n'ont pas le droit de circuler librement à l'intérieur de la Communauté, mais ne bénéficient que de certains droits dans l'État membre d'accueil sur le territoire duquel ils ont été autorisés à entrer et ont exercé un emploi régulier pendant une période déterminée.

65. Partant, la première admission d'un ressortissant turc sur le territoire d'un État membre est en principe exclusivement régie par le droit national dudit État et l'intéressé ne peut faire valoir, au titre du droit communautaire, certains droits en matière d'exercice d'un emploi salarié ou d'une activité indépendante et, corrélativement, en matière de séjour que pour autant qu'il se trouve déjà en situation régulière dans l'État membre concerné (voir, arrêt Savas, précité, point 65).

66. Toutefois, il résulte du point 69 dudit arrêt Savas, précité, que la clause de "standstill" figurant à l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel fait obstacle à l'adoption par un État membre de toute mesure nouvelle qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l'établissement et, corrélativement, le séjour d'un ressortissant turc sur son territoire à des conditions plus restrictives que celles qui étaient applicables lors de l'entrée en vigueur dudit protocole additionnel à l'égard de l'État membre concerné.

67. Étant donné que ledit article 41, paragraphe 1, s'applique tant au droit d'établissement qu'à la libre prestation des services, la même interprétation doit valoir également s'agissant de cette dernière liberté.

68. L'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel se présente ainsi comme le corollaire nécessaire des articles 13 et 14 de l'accord d'association, dont il constitue le moyen indispensable pour réaliser l'abolition progressive des obstacles nationaux aux libertés d'établissement et de prestation des services.

69. Pour ce qui est, en second lieu, de l'article 13 de la décision n° 1-80, il convient de constater que son libellé n'est certes pas en tous points identique à celui de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel.

70. Il n'en demeure pas moins qu'il y a lieu de reconnaître aux clauses de "standstill" énoncées à chacune de ces deux dispositions la même signification.

71. En effet, d'une part, ainsi que la Cour l'a déjà jugé au point 50 de l'arrêt Savas, précité, les deux dispositions en cause sont de même nature.

72. D'autre part, elles poursuivent un objectif identique, consistant à créer des conditions favorables à la mise en place progressive, respectivement, de la libre circulation des travailleurs, du droit d'établissement et de la libre prestation des services par l'interdiction faite aux autorités nationales d'introduire de nouveaux obstacles auxdites libertés aux fins de ne pas rendre plus difficile la réalisation graduelle de ces dernières entre les États membres et la République de Turquie.

73. Il n'a été invoqué aucun motif de nature à justifier qu'une portée moins large soit accordée à la clause de "standstill" relative à la libre circulation des travailleurs par rapport à la même clause énoncée en matière de droit d'établissement et de libre prestation des services.

74. En conséquence, l'interprétation que la Cour a consacrée au point 69 de l'arrêt Savas, précité, ainsi qu'aux points 66 à 68 du présent arrêt s'agissant de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel doit valoir également pour l'article 13 de la décision n° 1-80, qui empêche dès lors de manière générale les États membres d'appliquer aux ressortissants turcs, en ce qui concerne l'accès à l'emploi, un traitement moins favorable que celui dont ils bénéficiaient lors de l'entrée en vigueur de la clause de "standstill", soit le 1er décembre 1980.

75. À cet égard, ne saurait être retenu l'argument, invoqué notamment par le Gouvernement allemand, selon lequel ledit article 13 n'affecterait pas le droit des États membres d'adopter, même après le 1er décembre 1980, de nouvelles restrictions à l'accès à l'emploi des ressortissants turcs, mais impliquerait seulement que celles-ci ne sont pas applicables à ceux de ces ressortissants qui exercent déjà un emploi régulier et bénéficient à cet effet d'un droit de séjour dans l'État membre d'accueil lors de l'introduction desdites restrictions. Ledit gouvernement déduit cette interprétation en particulier des termes "des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l'emploi" figurant à l'article 13 de la décision n° 1-80.

76. Une telle interprétation méconnaît cependant le système mis en place par la décision n° 1-80 et priverait l'article 13 de celle-ci de son effet utile.

77. Ainsi, à la suite de la décision n° 2-76, relative à la mise en œuvre de l'article 12 de l'accord d'association, adoptée par le conseil d'association le 20 décembre 1976, les dispositions sociales de la décision n° 1-80 constituent une étape supplémentaire vers la réalisation de la libre circulation des travailleurs, s'inspirant des articles 48, 49 et 50 du traité CEE, devenus respectivement articles 48 et 49 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 40 CE) et 50 du traité CE (devenu article 41 CE) (voir, notamment, arrêts du 26 novembre 1998, Birden, C-1-97, Rec. p. I-7747, point 52, et du 19 novembre 2002, Kurz, C-188-00, Rec. p. I-10691, point 40).

78. En particulier, l'article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1-80 reconnaît aux travailleurs migrants turcs qui en remplissent les conditions des droits précis en matière d'exercice d'un emploi. Ces droits, qui sont graduellement plus étendus à proportion de la durée d'exercice d'une activité salariée régulière et ont pour but de consolider progressivement la situation de l'intéressé dans l'État membre d'accueil, sont directement conférés par le droit communautaire et les autorités nationales n'ont pas la faculté de soumettre à des conditions ou de restreindre l'application de tels droits, sous peine de compromettre l'effet utile de ladite décision (voir, notamment, arrêt du 30 septembre 1997, Günaydin, C-36-96, Rec. p. I-5143, points 37 à 40 et 50).

79. Il résulte de ce qui précède que l'article 13 de la décision n° 1-80 ne saurait avoir pour objet la protection des droits des ressortissants turcs en matière d'exercice d'un emploi, puisque ces droits sont déjà intégralement couverts par l'article 6 de la même décision.

80. En revanche, ainsi qu'il découle au demeurant de son libellé même, ledit article 13 interdit aux autorités nationales d'aggraver les conditions d'accès à l'emploi des ressortissants turcs par l'introduction de nouvelles mesures restreignant cet accès. Cette disposition trouve sa raison d'être dans la circonstance, rappelée aux points 63 et 65 du présent arrêt, que les États membres ont conservé le pouvoir d'autoriser les ressortissants turcs à accéder à leur territoire et à y occuper un premier emploi.

81. Aussi l'interprétation évoquée au point 75 du présent arrêt serait-elle paradoxale et de nature à vider de sa substance l'article 13 de la décision n°1-80, puisqu'un ressortissant turc qui exerce déjà régulièrement un emploi dans un État membre n'a plus besoin d'être protégé par une clause de "standstill" relative à l'accès à l'emploi, un tel accès ayant précisément déjà eu lieu et l'intéressé bénéficiant pour la suite de sa carrière dans l'État membre d'accueil des droits que l'article 6 de la même décision lui confère explicitement. En revanche, l'obligation de "standstill" en ce qui concerne les conditions d'accès à l'emploi vise à faire en sorte que les autorités nationales s'abstiennent de prendre des dispositions de nature à compromettre la réalisation de l'objectif de la décision n° 1-80 consistant à établir la libre circulation des travailleurs, même si, lors d'une première étape dans la perspective de la mise en œuvre progressive de ladite liberté, les restrictions nationales préexistantes en matière d'accès à l'emploi peuvent être maintenues (voir, par analogie, arrêt du 23 mars 1983, Peskeloglou, 77-82, Rec. p. 1085, point 13).

82. En outre, ainsi qu'il ressort également de son libellé, l'article 13 s'applique non seulement aux travailleurs turcs, mais également aux membres de leur famille. Or, s'agissant de ces derniers, la décision n° 1-80 ne fait pas dépendre de l'exercice d'une activité salariée leur accès au territoire d'un État membre au titre du regroupement familial avec un travailleur turc déjà légalement présent dans cet État.

83. Au vu de tout ce qui précède, il ne saurait donc être soutenu que l'article 13 de la décision n° 1-80 ne trouverait à s'appliquer qu'aux ressortissants turcs déjà intégrés au marché du travail d'un État membre.

84. Si la portée de l'article 13 de la décision n° 1-80 n'est ainsi pas limitée aux ressortissants turcs déjà intégrés au marché du travail d'un État membre, il n'en demeure pas moins que cette disposition se réfère aux travailleurs et aux membres de leur famille "qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l'emploi". Il résulte de l'utilisation de ces termes que ladite clause de "standstill" ne saurait profiter à un ressortissant turc que s'il a respecté les règles de l'État membre d'accueil en matière d'entrée, de séjour et, le cas échéant, d'emploi et si, partant, il se trouve légalement sur le territoire dudit État (voir, en ce qui concerne le concept voisin d'"emploi régulier" utilisé dans plusieurs articles du chapitre II, section 1, de la décision n° 1-80, arrêts Birden, précité, point 51; du 10 février 2000, Nazli, C-340-97, Rec. p. I-957, point 31, et Kurz, précité, point 39).

85. Les autorités nationales compétentes sont donc en droit, même depuis l'entrée en vigueur de la décision n° 1-80, de renforcer les mesures susceptibles d'être prises à l'encontre des ressortissants turcs qui seraient en situation irrégulière.

Sur l'applicabilité des articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision n° 1-80

86. À titre liminaire, il y a lieu de relever que, si ces deux dispositions revêtent une signification identique, un domaine bien déterminé n'en a pas moins été assigné à chacune d'entre elles, de sorte qu'elles ne sont pas susceptibles de trouver application conjointement.

87. S'agissant, en premier lieu, de l'article 13 de la décision n° 1-80, il ressort certes des dossiers transmis à la Cour par la juridiction de renvoi que les ressortissants turcs en cause au principal se trouvent dans une situation "régulière" au sens de la jurisprudence constante de la Cour, dans la mesure où ils se sont conformés aux prescriptions légales et réglementaires applicables dans l'État membre concerné pour ce qui est de l'entrée sur son territoire ainsi que de l'exercice d'une activité professionnelle (voir, en ce qui concerne l'article 6, paragraphe 1, de ladite décision, arrêts précités Birden, point 51; Nazli, point 31, et Kurz, point 39).

88. Il est en effet constant que toutes ces conditions sont remplies par les chauffeurs routiers turcs en cause au principal, étant donné que ces derniers, d'une part, étaient titulaires d'un visa en bonne et due forme pour chacun de leurs séjours en Allemagne et que, d'autre part, ils étaient soit dispensés de la possession d'un permis de travail, soit titulaires d'un tel permis jusqu'à l'intervention des décisions leur refusant l'octroi ou la prorogation d'un tel permis.

89. Il n'en demeure pas moins que, ainsi qu'il ressort de la description des faits figurant dans les ordonnances de renvoi, des chauffeurs routiers turcs qui effectuent des transports internationaux de marchandises tels que ceux en cause dans les affaires au principal ne sont présents sur le territoire allemand que pendant des périodes très limitées, à seule fin d'y acheminer et de décharger des marchandises originaires de Turquie ou d'y prendre en charge des marchandises pour les transporter à destination de pays tels que la Turquie, l'Iran ou l'Iraq. Après chaque prestation ils retournent en Turquie où ils résident avec leur famille et où est établie l'entreprise qui les emploie et les rémunère. De tels ressortissants turcs n'ont donc nullement l'intention de s'intégrer au marché de l'emploi de la République fédérale d'Allemagne en tant qu'État membre d'accueil.

90. Or, il ressort du système et de la finalité de la décision n° 1-80 que, en l'état actuel du développement de la libre circulation des travailleurs dans le cadre de l'association CEE-Turquie et sous réserve de la situation particulière des membres de la famille autorisés à rejoindre un travailleur turc déjà légalement présent sur le territoire d'un État membre, ladite décision a pour objet essentiel l'intégration progressive des travailleurs turcs à ce dernier au moyen de l'exercice d'un emploi régulier en principe ininterrompu pendant respectivement une, trois ou quatre années, à l'exception des causes d'interruption de la relation de travail énoncées à l'article 6, paragraphe 2, de la même décision.

91. Il résulte de ce qui précède que l'article 13 de la décision n° 1-80, qui doit être lu au regard du contexte dans lequel s'insère l'ensemble des dispositions de cette décision relatives à la libre circulation des travailleurs, ne trouve pas à s'appliquer à une situation telle que celle en cause dans les affaires au principal.

92. S'agissant, en second lieu, de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, le Gouvernement néerlandais soutient en substance que les dispositions en matière de libre prestation des services en général et ledit article 41, paragraphe 1, en particulier ne sont pas applicables au secteur des transports qui, compte tenu de sa spécificité, serait régi par le seul article 42 du même protocole additionnel. Aussi, dans le cadre du traité, les services en matière de transports seraient-ils exclus de la libre prestation des services et se verraient-ils appliquer un régime propre.

93. Cette thèse ne saurait cependant être accueillie.

94. À cet égard, il importe de rappeler que le traité comporte un titre spécifique consacré aux "Transports". Conformément à l'article 61, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 51, paragraphe 1, CE), la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions dudit titre.

95. En revanche, pour ce qui est de l'association CEE-Turquie, la situation en matière de transports se présente de manière différente.

96. Il convient de souligner à cet égard que, à la différence des principes du traité en matière de concurrence, de fiscalité et de rapprochement des législations qui, conformément à l'article 16 de l'accord d'association, doivent être rendus applicables tels quels dans le cadre de l'association CEE-Turquie, il ressort du libellé des articles 15 dudit accord et 42 du protocole additionnel que le conseil d'association bénéficie d'une marge d'appréciation considérablement plus étendue en matière de transports. Ces articles prévoient en effet que les "conditions et modalités d'extension" à la République de Turquie des dispositions du traité en ce qui concerne les transports sont établies "en tenant compte notamment de la situation géographique de la Turquie", de sorte que, s'agissant de ladite association, les règles à adopter en la matière ne sont pas nécessairement identiques à celles applicables au titre du traité.

97. En outre, en ce qui concerne les actes pris par la Communauté en application des dispositions du traité pour les différents types de transports, il résulte de l'utilisation du verbe "peut" à l'article 42 du protocole additionnel que l'extension à la République de Turquie des dispositions du traité en matière de transports n'est que facultative.

98. Or, jusqu'à présent le conseil d'association n'a pris aucune mesure visant à étendre à la République de Turquie les dispositions communautaires applicables dans le domaine des transports, en sorte que, en l'état actuel du développement de l'association CEE-Turquie, il n'existe aucune réglementation spécifique dans ce domaine.

99. Dans ces conditions, la situation juridique en matière de transports internationaux de marchandises par route telle qu'elle se présente actuellement dans le cadre de l'association CEE-Turquie ne saurait être comparée au droit en vigueur dans ce secteur à l'intérieur de la Communauté, de sorte que, s'agissant de ladite association, les services de transport ne sauraient être soustraits aux règles générales applicables aux prestations de services, à la différence des transports intracommunautaires.

100. Cette conclusion est au demeurant conforme à l'esprit et à la finalité de l'association CEE-Turquie, qui vise à établir progressivement certaines libertés économiques, parmi lesquelles figure la libre prestation des services.

101. Il en résulte en effet que, au même titre que les dispositions similaires de l'accord d'association applicables aux travailleurs (voir, en ce qui concerne l'article 12 dudit accord, arrêt du 6 juin 1995, Bozkurt, C-434-93, Rec. p. I-1475, points 19 et 20 et aux indépendants (voir article 13 du même accord), l'article 14 de celui-ci ne saurait être interprété comme impliquant la transposition des principes admis dans le cadre des dispositions comparables du droit communautaire pour aboutir à un résultat opposé à la finalité poursuivie par l'association CEE-Turquie.

102. Il découle des développements qui précèdent que la clause de "standstill" inscrite à l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel est applicable ratione materiae à des situations telles que celles des affaires au principal.

103. Il doit d'autant plus en être ainsi que lesdites affaires ne portent pas sur des règles techniques en matière de transport de marchandises, mais sur l'exigence d'un permis de travail pour permettre à des ressortissants turcs d'effectuer des prestations de services de transport entre la Turquie et un État membre.

104. À cet égard, il convient encore de déterminer le champ d'application personnel de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel.

105. À cet effet, ladite disposition peut indubitablement être invoquée par une entreprise établie en Turquie qui effectue légalement des prestations de services dans un État membre.

106. Néanmoins, pour les motifs plus amplement explicités par M. l'avocat général aux points 201 à 204 de ses conclusions, des chauffeurs routiers turcs tels que MM. Abatay e.a., qui sont employés par une entreprise comme celle évoquée au point précédent, peuvent également invoquer le bénéfice dudit article 41, paragraphe 1 (voir en ce sens, par analogie, arrêt du 7 mai 1998, Clean Car Autoservice, C-350-96, Rec. p. I-2521, points 19 à 21). En effet, les salariés du prestataire de services sont indispensables pour permettre à ce dernier de fournir ses prestations.

107. Toutefois, s'il est de jurisprudence constante que le droit à la libre prestation des services peut être invoqué par un prestataire à l'égard de l'État où il est établi, il faut pour cela que les services soient fournis à des destinataires établis dans un autre État membre (voir arrêts du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384-93, Rec. p. I-1141, point 30, et du 11 juillet 2002, Carpenter, C-60-00, Rec. p. I-6279, point 30).

108. Il s'ensuit qu'une société de transport allemande ne saurait invoquer le bénéfice de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel lorsque le destinataire du service de transport est établi en Allemagne.

Sur l'incidence de l'application de l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel au regard d'une réglementation nationale telle que celle en cause au principal

109. À titre liminaire, il convient de rappeler que la réglementation nationale en cause au principal prévoit, depuis le 10 octobre 1996, que les chauffeurs routiers turcs, qui sont employés par des entreprises établies en Turquie et effectuent en Allemagne des transports internationaux de marchandises au volant de camions immatriculés dans cet État membre, doivent être titulaires d'un permis de travail.

110. Afin de déterminer si l'obligation de "standstill" énoncée à l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, tel qu'interprété aux points 66 à 68 du présent arrêt, s'oppose à une réglementation nationale telle que l'AEVO et l'ArGV, il importe d'examiner si celle-ci comporte une restriction à la libre prestation des services et, dans l'affirmative, si cette restriction doit être considérée comme nouvelle.

111. S'agissant de la question de savoir si la réglementation nationale comporte une restriction à la libre prestation des services, il importe de rappeler, d'une part, que, conformément à une jurisprudence constante, une réglementation interne qui subordonne l'exercice de prestations de services sur le territoire national, par une entreprise établie dans un autre État membre, à la délivrance d'une autorisation administrative tel un permis de travail constitue une restriction au principe fondamental consacré par l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) (voir arrêts du 27 mars 1990, Rush Portuguesa, C-113-89, Rec. p. I-1417, point 12; du 25 juillet 1991, Säger, C-76-90, Rec. p. I-4221, point 14; du 9 août 1994, Vander Elst, C-43-93, Rec. p. I-3803, point 15, et du 9 mars 2000, Commission/Belgique, C-355-98, Rec. p. I-1221, point 35).

112. D'autre part, il résulte du libellé même de l'article 14 de l'accord d'association ainsi que de l'objectif de l'association CEE-Turquie que les principes admis dans le cadre des articles 55 du traité CE (devenu article 45 CE) et 56 du traité CE (devenu, après modification, article 46 CE), ainsi que dans le cadre des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services, doivent être transposés, dans la mesure du possible, aux ressortissants turcs pour éliminer entre les parties contractantes les restrictions à la libre prestation des services (voir, en ce qui concerne l'article 12 du même accord, relatif à la libre circulation des travailleurs, arrêts précités Nazli, point 55, et Kurz, point 30).

113. Il en résulte qu'une réglementation telle que celle en cause au principal constitue une restriction au droit des personnes physiques ou morales établies en Turquie de fournir librement des prestations de services dans un État membre.

114. Il en est à plus forte raison ainsi lorsque, comme dans les affaires au principal, l'octroi d'un tel permis de travail est systématiquement refusé après l'entrée en vigueur de la modification de l'AEVO. En effet, une réglementation nationale ainsi appliquée n'entraîne pas seulement des frais ainsi que des charges administratives et économiques supplémentaires pour le prestataire, mais elle affecte de manière plus générale la capacité de ce dernier de fournir des prestations de services dans l'État membre concerné dès lors qu'il ne peut y utiliser son personnel à cet effet.

115. Il convient d'ajouter qu'une autorisation de travail, qui vise à réglementer l'accès du travailleur étranger sur le marché national de l'emploi, n'apparaît pas comme une mesure appropriée s'agissant de salariés employés par une entreprise établie dans un pays tiers et qui sont envoyés temporairement dans un État membre en vue d'y effectuer une prestation de services, mais ne prétendent aucunement accéder au marché de l'emploi de ce dernier, puisqu'ils rentrent dans leur pays d'origine ou de résidence après l'accomplissement de leur mission (voir, en ce qui concerne l'article 59 du traité, arrêts précités Rush Portuguesa, point 15, et Vander Elst, point 21).

116. Quant à la question de savoir si la réglementation en cause au principal constitue une restriction nouvelle, il incombe aux juridictions nationales, seules compétentes pour interpréter le droit interne, de déterminer si cette réglementation présente un caractère de nouveauté, en ce sens qu'elle a pour conséquence d'aggraver la situation des chauffeurs routiers turcs par rapport à celle qui résultait des règles qui leur étaient applicables en Allemagne à la date d'entrée en vigueur du protocole additionnel à l'égard de cet État membre, soit le 1er janvier 1973.

117. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la juridiction de renvoi que les articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision n° 1-80 doivent être interprétés en ce sens que:

- ces deux dispositions sont d'effet direct dans les États membres, de sorte que les ressortissants turcs auxquels elles s'appliquent ont le droit de s'en prévaloir devant les juridictions nationales pour écarter l'application des règles de droit interne qui leur sont contraires;

- lesdits articles 41, paragraphe 1, et 13 prohibent de manière générale l'introduction de nouvelles restrictions nationales respectivement au droit d'établissement ainsi qu'à la libre prestation des services et à la libre circulation des travailleurs à compter de la date d'entrée en vigueur dans l'État membre d'accueil de l'acte juridique dont ces articles font partie;

- l'article 13 de la décision n° 1-80 ne trouve à s'appliquer à des ressortissants turcs que si ces derniers sont présents sur le territoire de l'État membre d'accueil non seulement de manière régulière, mais également pendant une période suffisante pour leur permettre de s'y intégrer progressivement;

- dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel trouve à s'appliquer à des opérations de transports internationaux par route de marchandises originaires de Turquie, lorsque des prestations sont effectuées sur le territoire d'un État membre;

- le bénéfice dudit article 41, paragraphe 1, peut être invoqué non seulement par une entreprise établie en Turquie qui effectue des prestations de services dans un État membre, mais également par les salariés d'une telle entreprise, pour s'opposer à une nouvelle restriction apportée à la libre prestation des services; en revanche, il ne peut pas être invoqué à cet effet par une entreprise établie dans un État membre, dès lors que les destinataires des services sont établis dans le même État membre;

- le même article 41, paragraphe 1, s'oppose à ce que soit introduite dans la réglementation nationale d'un État membre l'exigence d'un permis de travail aux fins de la fourniture de prestations de services sur le territoire de cet État par une entreprise établie en Turquie, dès lors qu'un tel permis n'était pas déjà exigé lors de l'entrée en vigueur dudit protocole additionnel;

- il appartient à la juridiction nationale de déterminer si la réglementation interne appliquée à des ressortissants turcs tels que les requérants au principal est moins favorable que celle qui leur était applicable lors de l'entrée en vigueur de ce protocole additionnel.

Sur les dépens

118. Les frais exposés par les Gouvernements allemand, français et néerlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundessozialgericht, par ordonnances des 20 juin et 2 août 2001, dit pour droit:

L'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2760-72 du Conseil, du 19 décembre 1972, et l'article 13 de la décision n° 1-80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l'association, adoptée par le conseil d'association institué par l'accord d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, doivent être interprétés en ce sens que:

- ces deux dispositions sont d'effet direct dans les États membres, de sorte que les ressortissants turcs auxquels elles s'appliquent ont le droit de s'en prévaloir devant les juridictions nationales pour écarter l'application des règles de droit interne qui leur sont contraires;

- lesdits articles 41, paragraphe 1, et 13 prohibent de manière générale l'introduction de nouvelles restrictions nationales respectivement au droit d'établissement ainsi qu'à la libre prestation des services et à la libre circulation des travailleurs à compter de la date d'entrée en vigueur dans l'État membre d'accueil de l'acte juridique dont ces articles font partie;

- l'article 13 de la décision n° 1-80 ne trouve à s'appliquer à des ressortissants turcs que si ces derniers sont présents sur le territoire de l'État membre d'accueil non seulement de manière régulière, mais également pendant une période suffisante pour leur permettre de s'y intégrer progressivement;

- dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, l'article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel trouve à s'appliquer à des opérations de transports internationaux par route de marchandises originaires de Turquie, lorsque des prestations sont effectuées sur le territoire d'un État membre;

- le bénéfice dudit article 41, paragraphe 1, peut être invoqué non seulement par une entreprise établie en Turquie qui effectue des prestations de services dans un État membre, mais également par les salariés d'une telle entreprise, pour s'opposer à une nouvelle restriction apportée à la libre prestation des services; en revanche, il ne peut pas être invoqué à cet effet par une entreprise établie dans un État membre, dès lors que les destinataires des services sont établis dans le même État membre;

- le même article 41, paragraphe 1, s'oppose à ce que soit introduite dans la réglementation nationale d'un État membre l'exigence d'un permis de travail aux fins de la fourniture de prestations de services sur le territoire de cet État par une entreprise établie en Turquie, dès lors qu'un tel permis n'était pas déjà exigé lors de l'entrée en vigueur dudit protocole additionnel;

- il appartient à la juridiction nationale de déterminer si la réglementation interne appliquée à des ressortissants turcs tels que les requérants au principal est moins favorable que celle qui leur était applicable lors de l'entrée en vigueur de ce protocole additionnel.