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Décisions

CA Reims, ch. soc., 28 novembre 2001, n° 98-01975

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

5/7 Etiquette (SA)

Défendeur :

Aubert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Marzi

Conseillers :

Mmes Bourguet, Bolteau-Serre

Avocats :

Me Dubourd, SCP George Chassagnon Chevalot-Sylvestre.

Cons. prudh. Troyes, sect. encadr., du 3…

30 septembre 1998

Alain Aubert a été engagé par la société 5/7 Etiquette le 6 décembre 1980 en tant que représentant multicartes.

Il a été licencié par lettre du 7 février 1997 pour faute grave.

Contestant la légitimité de son licenciement, Alain Aubert a saisi le Conseil de prud'hommes de Troyes de diverses demandes liées à la rupture de son contrat de travail.

Par jugement en date du 30 septembre 1998, le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, a condamné la société 5/7 Etiquette à payer à Alain Aubert les sommes suivantes:

- 41 277 F à titre de préavis de trois mois,

- 4 127 F à titre de congés payés sur préavis,

- 75 380 F de rappel de congés payés sur cinq ans moins 30% (abattement professionnel),

- 361 583 F à titre d'indemnité de clientèle, a ordonné à la société 5/7 Etiquette de délivrer à Alain Aubert les décomptes de commissions statistiques des mois d'octobre, novembre, décembre 1996 et janvier 1997 sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la notification du jugement, a débouté Alain Aubert du surplus de ses réclamations, a ordonné l'exécution provisoire du jugement et fixé à la somme de 13 005,25 F la moyenne des trois derniers mois de salaire en application de l'article R. 516-37 du Code du travail, a débouté de la société 5/7 Etiquette de sa demande reconventionnelle, a mis les éventuels dépens à la charge de la société 5/7 Etiquette.

Par déclaration en date du 6 octobre 1998, la société 5/7 Etiquette a interjeté appel de cette décision.

Vu les conclusions de la société 5/7 Etiquette en date du 29 mai 2001, reprises oralement à l'audience du 15 octobre 2001 par l'appelante laquelle demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, de dire et juger que le licenciement de Alain Aubert repose sur une faute grave, de débouter Alain Aubert de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, de le condamner à lui rembourser la somme de 365 319,75 F outre intérêts de droit à compter de son versement soit le 30 septembre 1998, de le condamner au paiement de la somme de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions de Alain Aubert en date du 5 octobre 2001, reprises oralement à l'audience du 15 octobre 2001 par lesquelles l'intimé demande à la cour de débouter l'appelant de ses demandes injustifiées, de dire et juger que le licenciement a été prononcé sans cause réelle et sérieuse, de condamner la société 5/7 Etiquette à lui payer les sommes suivantes:

- 330 212 F soit 50 340,49 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 41 277 F soit 6 285,02 euro au titre des trois mois de préavis,

- 4 127 F soit 629,16 euro au titre des congés payés sur préavis,

- 107 686,31 F soit 16 416,67 euro, au titre du rappel de congés payés sur 5 ans,

- 361 583,60 F soit 55 123,06 euro au titre de l'indemnité de clientèle, et ce avec les intérêts de droit à compter du jour de la demande, de condamner la société 5/7 Etiquette au paiement d'une somme de 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.

Motifs de la décision :

1. Sur la faute grave :

Attendu que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis;

Que l'employeur doit prouver la faute grave qu'il invoque à l'encontre du salarié;

Qu'en l'espèce, la lettre de licenciement en date du 7 février 1997 reproche au représentant " l'absence de réponse à nos demandes précises des 1er et 15 (sic) octobre 1996 concernant vos dernières visites chez nos clients et prospects ainsi que les prochaines visites prévues " et " la visite que vous avez effectuée chez notre très important client Senoble sans nous en informer contrairement à nos instructions claires des 1er et 15 octobre et ce sans disposer d'éléments chiffrés (en particulier récapitulatif du CA de l'année 96) et sans concertation avec la direction de l'entreprise.. "

Attendu que le fait pour un salarié de ne pas s'être conformé en dépit de plusieurs injonctions à de nombreuses prescriptions de l'employeur caractérise une cause réelle de licenciement ;

Que le caractère réitéré du refus de se soumettre aux instructions de l'employeur justifie un licenciement immédiat;

Qu'en l'espèce, il convient de constater que suite au courrier de l'employeur en date du 1er octobre 1996 aux termes duquel il était fait obligation au salarié d'adresser à l'employeur " sur les clients qui vous sont affectés la date des dernières visites effectuées et celle de la prochaine visite prévue ainsi qu'un commentaire succinct (5 lignes env.) sur notre position chez eux: Concurrence, niveau de satisfaction, accueil des derniers devis effectués " ... " la liste des prospects en cours, dates de visites, espoirs et prévisions, remarques. ", Alain Aubert a répondu le 16 octobre 1996 faisant part de son accord pour rédiger des rapports d'activité tout en affirmant qu'il adressait d'ores et déjà ces comptes-rendus;

Que cependant, le salarié ne verse aux débats ni les rapports visés dans ce courrier du 16 octobre 1996, ni ceux qu'il prétend avoir rédigé postérieurement aux courriers de relance de la société 5/7 Etiquette;

Qu'il ne justifie pas ainsi avoir exécuté les instructions de l'employeur ; que le premier grief est donc réel;

Qu'eu égard aux termes du courrier de la société 5/7 Etiquette en date du 1er octobre 1996, Alain Aubert a visité le client Senoble en décembre 1996 sans en avertir préalablement l'employeur; que cependant dès le 9 octobre 1996, Alain Aubert avait adressé à ce client un courrier aux termes duquel il lui proposait de le rencontrer au stand de la société 5/7 Etiquette lors du salon de l'emballage de novembre 1996; que ce courrier était adressé en copie à la société 5/7 Etiquette;

Que l'interdiction faite ultérieurement au salarié de se rendre au salon pour y représenter la société 5/7 Etiquette n'a pas permis au représentant d'honorer ce rendez-vous;

Que s'il n'est pas démontré que Alain Aubert a averti son employeur du nouveau rendez-vous pris avec la société Senoble, le grief ainsi fait au représentant, s'il est réel, n'est cependant pas sérieux dans le contexte particulier où l'employeur a licencié Alain Aubert;

Qu'il convient en effet d'apprécier le comportement du salarié au regard de son activité antérieure aux faits litigieux et de l'attitude de l'employeur;

Qu'il n'est pas sérieusement contesté que Alain Aubert, depuis seize années dans l'entreprise, n'avait jamais fait l'objet du moindre reproche;

Qu'il résulte d'une attestation de Jean-Claude Haleux, directeur administratif de la société 5/7 Etiquette que Alain Aubert donnait toute satisfaction et notamment qu'il rédigeait des rapports précis, détaillés et lisibles sur la clientèle ;

Que son activité était jugée satisfaisante puisque selon un courrier de la société 5/7 Etiquette en date du 16 avril 1996 adressé au nouvel attaché commercial engagé pour la région Nord de la France, l'employeur considérait que le représentant sur la région Champagne - Alain Aubert - était particulièrement actif;

Qu'en outre, l'attitude de l'employeur à l'égard d'un salarié au passé professionnel irréprochable, n'est pas exempte de critiques;

Qu'ainsi, la société 5/7 Etiquette après avoir exigé soudainement du salarié, après seize ans de collaboration l'accomplissement de certaines obligations que l'employeur était cependant en droit d'exiger, a dans un temps très proche de la notification de ces nouvelles exigences, interdit au représentant de recevoir ses clients au stand de la société 5/7 Etiquette d'un salon professionnel, notamment celui qui générait le chiffre d'affaires le plus important, puis a refusé de répondre aux demandes réitérées de renseignements et de documents du représentant (lettres du 16 octobre 1996, puis des 6 et 23 janvier 1997);

Que ce comportement, par son intransigeance, révèle la volonté de l'employeur de créer ainsi une situation irréversible;

Qu'en conséquence, si les griefs relevés à l'encontre du salarié sont réels, ils ne peuvent être considérés comme sérieux au regard du contexte dans lesquels les faits se sont déroulés et du passé professionnel du représentant;

Que le licenciement est donc dépourvu de cause sérieuse;

Que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point;

Que les demandes de la société 5/7 Etiquette seront donc rejetées;

2. Sur les demandes :

a) Sur l'indemnité pour licenciement sans cause sérieuse :

Attendu qu'il convient de constater qu'à l'exception de documents établis par lui-même intitulés " détail des rémunérations perçues " pour les années 1997 à 2000, le salarié ne produit aucun élément officiel et donc incontestable (activité postérieure au licenciement, allocations chômage, déclarations de revenus à compter de 1997) à l'appui de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Qu'il convient en conséquence, eu égard à son ancienneté, à son âge et aux circonstances ayant entouré le licenciement, de fixer à 170 000 F la somme allouée à ce titre au salarié;

Que ce dernier sera débouté du surplus de sa demande;

b) Sur l'indemnité de préavis et l'indemnité de congés payés sur préavis :

Attendu que le jugement entrepris, qui a accordé au salarié respectivement les sommes de 41 277 F et 4 127 F pour ces deux chefs de demandes, sera confirmé;

c) Sur l'indemnité de congés payés :

Attendu que l'indemnité de congé payé se substitue au salaire perçu habituellement ;

Que cette indemnité ne peut se cumuler avec le salaire perçu par le salarié qui n'a pas fait usage de son droit à un congé effectif;

Qu'il peut cependant réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la privation du congé s'il est établi que c'est l'employeur qui s'est opposé à la prise du congé;

Qu'en l'espèce, Alain Aubert a reçu chaque mois pour les périodes 1992/1993, 1993/1994, 1994/1995, des commissions qui constituent sa rémunération;

Que le représentant ne peut cumuler l'indemnité de congé payé avec des commissions acquises en raison d'une activité maintenue pendant le congé;

Que l'examen des bulletins de salaire produits démontre que Alain Aubert n'a pas pris de congé pendant les périodes susvisées; qu'il ne peut prétendre à une indemnité compensatrice se cumulant avec sa rémunération;

Qu'il ne démontre pas par ailleurs que l'employeur s'est opposé à sa prise de congé;

Que le salarié sera donc débouté de sa demande d'indemnité de congés payés pour les années 1992/1993, 1993/1994 et 1994/1995 ;

Qu'en revanche, s'agissant de la période 1995/1996, Alain Aubert était en droit de prendre son congé jusqu'au 31 mai 1997;

Qu'en raison de son licenciement en février 1997, il n'a pu exercer ce droit ;

Qu'il convient de lui accorder au titre de l'indemnité de congé payé 1995/1996, la somme de 18 831 F (30% de 26 901,45 F);

Que de même s'agissant de la période du 1er juin 1996 à la date du licenciement, il sera alloué à Alain Aubert la somme de 8 411,66 F (300 % de 12 016,66 F);

Que le salarié sera débouté du surplus de ses demandes de ce chef;

d) Sur l'indemnité de clientèle :

Attendu que l'indemnité de clientèle est versée au représentant dont le contrat est résilié à la suite de circonstances indépendantes de sa volonté et représente la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui; qu'elle est destinée à réparer le préjudice subi du fait de la perte pour l'avenir du bénéfice de cette clientèle;

Qu'en l'espèce, les justificatifs produits démontrent que Alain Aubert a créé ou développée une clientèle, notamment Senoble, Jacquot, Pomona..;

Que l'employeur ne peut sérieusement contester le dynamisme du représentant alors même que par lettre précitée du 16 avril 1996, il louait l'activité du représentant de la région Champagne, Alain Aubert;

Que les déclarations de Jean-Claude Haleux, directeur administratif de la société 5/7 Etiquette et de Colette Richomme, secrétaire de ladite société attestent que Alain Aubert "a contribué à étoffer la clientèle de 5/7 Etiquette dans les départements qui lui étaient confiés " et qu'il s'était vu confier " un secteur totalement vierge ";

Que cependant, Alain Aubert ne démontre pas qu'il a perdu pour l'avenir le bénéfice de la clientèle qu'il a développée ou créée ;

Qu'en effet, les éléments produits par le représentant, s'agissant de son activité postérieure au licenciement, sont des documents établis par lui-même non accompagnés de justificatifs officiels (déclarations de revenus pour les années 1997 et suivantes, attestations des employeurs, allocations chômage);

Qu'ainsi, Alain Aubert, représentant multicartes qui n'était plus lié par une clause de non-concurrence à ladite société, ne justifie pas que la perte de la clientèle subie du fait de la rupture des relations contractuelles, n'a pas été immédiatement compensée par de nouveaux contrats de représentation ;

Qu'il sera en conséquence débouté de sa demande à ce titre;

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en appel;

Que la société 5/7 Etiquette succombant sur l'essentiel, sera condamnée aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevable et partiellement fondé l'appel interjeté par la société 5/7 Etiquette, Déclare recevables et partiellement fondées les demandes incidentes de Alain Aubert, Infirme le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Troyes le 30 septembre 1998 sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité de clientèle et les congés payés, Confirme pour le surplus, Statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société 5/7 Etiquette à payer à Alain Aubert les sommes suivantes; - 170 000 F soit 25 916,33 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause sérieuse, - 27 242,66 F soit 4 153,11 euro à titre d'indemnité de congés payés pour la période 1995/1996 et du 1er juin 1996 au jour du licenciement, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 1997, date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, Déboute Alain Aubert du surplus de ses demandes, Ordonne en tant que de besoin le remboursement à l'employeur des sommes trop perçues par Alain Aubert au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel et ce, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Déboute la société 5/7 Etiquette de ses demandes contraires au présent arrêt, Ordonne d'office le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des allocations chômage qui ont pu être servies à Alain Aubert dans la limite de six mois, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société 5/7 Etiquette aux dépens d'appel.