CA Chambéry, ch. civ., 9 décembre 2002, n° 01-00073
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Kabrane
Défendeur :
Cabinet Dodinet (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Conseillers :
MM. Jicquel, Billy
Avoués :
Me Dantagnan, SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon
Avocats :
Mes Francizos, Moreau, SCP Bizet.
La société Cabinet Dodinet (ci-après la société), exerçant l'activité de conseil en gestion du patrimoine, courtage d'assurances, transactions sur immeubles et fonds de commerce, a signé le 1er août 1993 avec M. Kabrane un "contrat d'agent commercial", faisant suite à une convention de même nature, lui confiant la prospection, dans le département de la Haute-Savoie, de tous clients pouvant être intéressés par divers produits et services définis dans le contrat, auquel il a été mis fin le 29 décembre 1994 pour faute lourde commise par M. Kabrane.
Reprochant à celui-ci différents agissements postérieurs à la cessation de ses fonctions, constitutifs d'une violation de la clause contractuelle de non-concurrence et d'opérations de dénigrement à son encontre, la société l'a assigné devant le Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains en réparation de son préjudice.
Par jugement du 7 décembre 2000, le tribunal a:
- dit n'y avoir lieu à annulation de la clause de non-concurrence,
- constaté que M. Kabrane a méconnu cette clause et commis des acte de concurrence déloyale,
- condamné celui-ci à payer à la société les sommes de
* 248 563,99 F (37 893,34 euro) à titre d'indemnité pour non-respect de la clause de non-concurrence,
* 20 000 F (3 048,98 euro) à titre de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale,
* 10 000 F (1 524,49 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- rejeté les autres prétentions de la société,
- rejeté les demandes reconventionnelles de M. Kabrane,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,
- condamné M. Kabrane aux dépens.
Celui-ci a interjeté appel par déclaration reçue au greffe le 9 janvier 2001.
Vu les dernières écritures déposées et signifiées le 5 août 2002 par lesquelles, poursuivant la réformation du jugement, il demande à la cour:
- sur la clause de non-concurrence, de déclarer celle-ci nulle et de rejeter les prétentions de la société,
- à titre subsidiaire, de dire qu'il n'a commis aucune faute tendant à violer délibérément la clause de non-concurrence, celle-ci ne pouvant s'appliquer à sa clientèle personnelle, par application de l'article 14 de la loi du 25 juin 1991 et ne pouvant le priver de toute activité, ce qui apporterait des restrictions incompatibles aux droits des personnes et aux libertés individuelles,
- à titre encore plus subsidiaire, de dire que l'indemnité ne pourrait être supérieure à la somme de 27 942,22 euro représentant les commissions dues à compter du 1er août 1993 en constatant que même sur cette somme, les commissions n'ont pas été payées,
- par application de l'article 1152 du Code civil, de réduire l'éventuelle indemnité au préjudice réellement subi, qui ne saurait être supérieur aux commissions devenues exigibles et impayées par la société des années 1994 à 1996,
- sur la demande de dommages et intérêts, de dire qu'il n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou fautif et de rejeter la demande de la société dont le préjudice de ce chef n'est pas établi,
- à titre reconventionnel, de condamner la société à lui payer la somme de 30 500 euro avec intérêts au taux légal à compter de la demande, en réparation du préjudice subi par lui à raison de ses agissements : non-paiement de commissions, campagne de dénigrement par diffusion d'une décision de justice dont la peine était amnistiée,
- de la condamner au paiement de la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les écritures déposées et signifiées le 19 septembre 2002 par la société qui demande à la cour, aux termes du dispositif de ses conclusions :
- de confirmer le jugement en ce qui concerne la fixation de l'indemnité pour violation de la clause de non-concurrence,
- recevant son appel incident, d'infirmer la décision de première instance en ce qui concerne ses autres demandes et de condamner M. Kabrane à lui payer
* la somme de 500 000 F soit 76 224,51 euro à titre de dommages et intérêts en raison des actes de dénigrement et de concurrence déloyale commis par celui-ci,
* celle de 100 000 F soit 15 244,90 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- de le condamner aux dépens.
Sur quoi, la Cour:
I - Sur la nullité de la clause de non-concurrence :
Attendu que le contrat litigieux comporte, en son article 13, une clause intitulée "Clause de non- concurrence" ainsi libellée:
"En cas de rupture du présent contrat par l'une ou l'autre des parties, pour quelque cause que ce soit, Monsieur Kabrane s'interdit expressément pendant une durée de 24 mois à compter du terme des relations contractuelles :
- d'une part, de s'intéresser directement ou indirectement, pour son compte personnel ou pour celui d'un tiers, à la clientèle existante du Cabinet Dodinet au moment de la cessation de son mandat, en vue de la promotion et de la commercialisation des produits ou services identiques, similaires ou susceptibles de concurrencer ceux commercialisés par le Cabinet Dodinet,
- d'autre part, de représenter ou de commercialiser tous produits ou services identiques ou analogues à ceux diffusés par le Cabinet Dodinet.
La présente interdiction sera applicable dans le secteur géographique défini à 1'article 2 du contrat (soit dans le seul département de la Haute-Savoie).
En cas de non-respect de la présente clause de non-concurrence par Monsieur Kabrane, celui-ci devra acquitter, à titre de clause pénale, une indemnité à caractère de dommages et intérêts correspondant à 24 mois de commissions, calculées sur les commissions des deux dernières années précédant la rupture.
Monsieur Kabrane s'engage par ailleurs, en cas de rupture du présent contrat pour quelque cause que ce soit, à s'abstenir de tout acte de concurrence déloyale";
Que selon l'article 14 de la loi du 25 juin 1991 devenu l'article L. 134-14 du Code de commerce, le contrat d'agent commercial peut contenir une clause de non-concurrence, qui n'est valable que pour une période maximale de deux années après la cessation du contrat, et doit concerner le secteur géographique ainsi, le cas échéant, que le groupe de personnes confiées à l'agent commercial et le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat;
Que par des motifs pertinents que la cour adopte et auxquels M. Kabrane n'oppose aucune critique sérieuse, le tribunal, après avoir exactement analysé les faits de l'espèce, a retenu à juste titre que la clause litigieuse est conforme aux dispositions légales et en a déduit à bon droit la validité de cette clause, nécessaire à la protection du mandant et qui n'a pas eu pour effet d'interdire à l'intéressé l'exercice de toute activité professionnelle;
Que l'agent commercial étant un mandataire qui exerce une profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, M. Kabrane n'est pas fondé à se prévaloir de règles applicables aux seuls travailleurs salariés;
Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté l'exception de nullité de la clause de non-concurrence;
II- Sur les demandes formées par les parties :
A - Par la société :
* Indemnité pour violation de la clause de non-concurrence :
Attendu que M. Kabrane conteste avoir commis une faute justifiant le versement d'une indemnité au titre de la clause pénale sanctionnant l'obligation de non-concurrence, en soutenant qu'il n'a pas effectué de démarchage irrégulier après son départ, les personnes concernées, pour certaines comptant parmi ses clients personnels, ayant choisi spontanément, ainsi qu'il ressort des attestations produites, de rester en relations contractuelles avec lui ;
Mais attendu que par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal, faisant l'analyse exacte des pièces versées aux débats, également produites en cause d'appel, a justement relevé qu'en violation de la clause de non-concurrence, M. Kabrane qui ne pouvait prétendre, à l'occasion de son contrat d'agent commercial, au bénéfice d'une clientèle personnelle, est intervenu pendant la durée de l'obligation de non-concurrence auprès d'au moins trois clients (M. Megevand, Mme Provenaz et Mme Domenjoz) lesquels ont, sous sa plume, sollicité le rachat de contrats ou procédé à des retraits de fonds et a effectué dans le même temps le démarchage de plusieurs clients du cabinet Dodinet pour leur faire souscrire des produits en concurrence directe avec les produits de placement dont la société assure la promotion;
Que le tribunal en a déduit à bon droit que les agissements de M. Kabrane, constitutifs d'une violation de l'obligation contractuelle de non-concurrence, doivent être sanctionnés ainsi qu'il l'a retenu, par application de l'article 13 du contrat et en écartant le moyen invoqué par M. Kabrane tendant à la réduction de la sanction;
Qu'il convient en conséquence, et par motifs adoptés, de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité pour violation de la clause de non-concurrence à la somme de 248 563,99 F soit 37 893,34 euro;
* Dommages et intérêts pour dénigrement :
Attendu que le tribunal a retenu à juste titre, à l'examen des pièces versées aux débats,que M. Kabrane s'est livré à la propagation d'imputations malveillantes à l'encontre du Cabinet Dodinet concernant un prétendu état de "faillite" ou l'appartenance de la clientèle, et que ce comportement fautif a occasionné à la société un dommage dont il a exactement fixé la réparation au regard des réserves qu'il convient d'émettre au vu des éléments de la cause; que l'argumentation développée en cause d'appel tant par la société, pour justifier sa demande d'augmentation des dommages et intérêts, que par M. Kabrane, pour critiquer l'appréciation du tribunal sur ses agissements, ne sont pas de nature à contredire celle-ci, de sorte que le jugement sera également confirmé de ce chef ;
B - Par M. Kabrane :
Attendu que celui-ci ne démontre pas la réalité de ses accusations portant sur un prétendu dénigrement systématique de la société auprès de sa clientèle personnelle ou sur les circonstances irrégulières de la résiliation de son contrat d'agent commercial qu'il convient en conséquence de confirmer la décision de première instance qui a rejeté sa prétention;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés au cours de la procédure d'appel, de sorte que sa demande sera accueillie à concurrence de 3 000 euro;
Que la demande de M. Kabrane formée à ce titre n'est pas recevable dès lors qu'il est condamné aux dépens;
Par ces motifs: Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne M. Kabrane à payer à la société Cabinet Dodinet la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déclare irrecevable la demande de M. Kabrane sur ce même fondement; Condamne M. Kabrane aux dépens d'appel, avec distraction au profit de la SCP Bollonjeon-Airnaud-Bollonjeon, avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code précité.