CA Versailles, 15e ch. soc., 28 juin 2002, n° 00-02944
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mondia Sac (SARL)
Défendeur :
Allal
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leseigneur (faisant fonctions)
Conseillers :
Mmes Fayout, Perrin
Avocats :
Mes Aboukrat, Zanotto.
Faits et procédure :
M. Michel Allal a été embauché le 2 novembre 1999, par un contrat écrit à durée indéterminée, en qualité de représentant exclusif, statut VRP par la SARL Mondia Sac employant plus de dix salariés.
Le demandeur a été promu Chef des ventes le 1er juin 1995, l'avenant du 1er juillet 1996 a modifié certains éléments du contrat. Il a continué à exercer en tant que VRP, conservant son secteur commercial propre.
L'article 8 du contrat prévoit le remboursement des frais professionnels sur justificatifs hors Paris, forfaitaire sur Paris.
L'article 13 du contrat est une clause de non-concurrence, précisée conforme à l'article 17 des Accords Nationaux Interprofessionnels des VRP, applicable à ce contrat de travail.
La rémunération comporte un fixe mensuel brut de 4 000 F et une partie variable constituée par des commissions versées en qualité de représentant et en qualité de Chef de Ventes selon les modalités décrites à l'article 7 du contrat.
Les parties divergent sur le montant de la moyenne de la rémunération des trois derniers mois de salaire.
A partir de 5 mars 1999, M. Allal a été en arrêt maladie jusqu'à la fin de son contrat.
Il a été convoqué à un entretien préalable, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 mai 1999, devant se tenir le 3 juin 1999, le demandeur n'a pu s'y rendre.
Par sa lettre du 17 juin 1999 la société a exposé au salarié les griefs pour lesquels elle devait envisager son licenciement, objets de la convocation à l'entretien.
M. Allal par courrier du 14 juin 1999 à la société Mondia Sac, mis en copie à l'Inspection du Travail et à plusieurs personnalités politiques s'est plaint du comportement de l'employeur à son encontre. Le 2 août 1999 il a saisi le Conseil de céans afin de solliciter la résolution judiciaire de son contrat de travail. La société a réfuté ses accusations par son courrier du 5 août 1999.
La Mondia Sac a notifié à M. Allal, par son courrier recommandé avec accusé de réception du 5 octobre 1999, son licenciement pour faute grave en s'appuyant intégralement sur le premier grief exposé dans leur lettre au salarié, datée du 17 juin 1999, que l'on peut résumer ainsi:
Le gérant de la société, M. Benarroche reproche au demandeur de ne pas avoir fourni d'explication en réponse à sa lettre du 17 juin 1999, l'obligeant à continuer la procédure de licenciement initiée par la convocation à l'entretien préalable du 3 juin 1999.
M. Allal ne s'est pas conformé à la politique commerciale menée habituellement au sein de la société.
Le prix proposé au groupe R'Net, trop élevé, alors que le demandeur devait consentir une remise plus importante, n'a pas permis d'obtenir ce marché en janvier 1999.
La société n'a eu connaissance de ce fait que le 24 mai 1999, justifiant la convocation à l'entretien préalable. Le licenciement est immédiat, sans préavis, ni indemnité de rupture."
Contestant la mesure dont il était l'objet, Monsieur Allal a saisi le conseil de diverses demandes d'indemnités et de chômages intérêts.
Par jugement du 12 juillet 2000, le conseil a:
Dit que le licenciement de Monsieur Allal ne procède pas d'une cause réelle et sérieuse, l'employeur ayant enfreint les dispositions de l'article L. 122-41 du Code du travail en ne notifiant sa décision de licencier que quatre mois après l'entretien préalable;
Dit que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois est de 25 977,78 F;
Dit que la clause de non-concurrence, non levée par l'employeur dans le délai imparti à l'article 17 des "Accords nationaux interprofessionnels" des VRP, est valable;
Condamne la SARL Mondia Sac, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Monsieur Michel Allal :
- 160 600 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 76 899,12 F au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;
- 7 689,91 F au titre de l'indemnité de congé payés sur préavis;
- 410 128,64 F à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence ;
- 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Dit que les sommes allouées seront assorties de l'intérêt au taux légal à compter du prononcé du présent jugement;
Déboute M. Allal du surplus de ses demandes;
Déboute la SARL Mondia Sac de sa demande reconventionnelle;
Mets les dépens à la charge de la parties défenderesse.
La SARL Mondia Sac a régulièrement relevé appel de cette décision.
Moyens et prétentions des parties devant la cour :
L'appelante demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Allal de ses réclamations fondées sur le harcèlement moral dont il se prétend victime et sur son indemnité de clientèle; elle explique sur ces points que :
- les attestations produites irrégulières en la forme, ne rapportent aucun fait objectif de nature à constituer un harcèlement moral;
- le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Allal licencié pour faute grave, a diminué pour les années 1997, 1998 et 1999.
Elle reproche au conseil d'avoir dit le licenciement injustifié au motif de l'envoi tardif de la lettre de licenciement alors qu'il devait se prononcer sur le bien-fondé de la mesure.
Elle ajoute que la notification de la renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence a eu lieu à une date la rendant opposable à M. Allal, précisant que la notification ne peut être décomptée qu'à partir du jour de la réception de l'acte qui la constitue.
Elle demande à la cour de:
- Recevoir la société Mondia Sac en son appel et l'y déclarant bien fondé,
- réformer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Montmorency le 12 juillet 2000 en ce qu'il a condamné la société Mondia Sac à payer à Monsieur Allal les sommes de:
1) 160 600 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2) 76 899,12 F au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
3) 7 689,91 F au titre d'indemnité de congé payé,
4) 410 128,64 F à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence,
5) 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- Statuant à nouveau, dire et juger que le licenciement de monsieur Allal a été décidé en raison d'une faute grave et pour le moins, pour une cause réelle et sérieuse.
- Dire et juger que la renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence a valablement été notifiée à Monsieur Allal dans les délais de prévus par L'ANI des VRP.
- Confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions.
- Débouter Monsieur Allal de toutes ses demandes fins et conclusions.
Monsieur Allal demande à la cour de:
Déclarer la société Mondia Sac recevable mais mal fondée en son appel.
En conséquence,
Confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société Mondia Sac à payer à monsieur Allal les sommes de:
- 24 483,31 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 11 721,67 euro à titre d'indemnité de préavis,
- 117,21 euro à titre de congés payés afférents,
- 62 523,71 euro à titre de contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence,
- 762,25 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La réformer pour le surplus.
Statuant à nouveau, il est demandé à la cour de condamner la société Mondia Sac à payer à M. Allal:
- 83 846,96 euro à titre d'indemnité de clientèle,
- 30 489,80 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- 2 286,74 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dire et juger que l'ensemble des condamnations seront assorties de l'intérêt de droit à compter de l'introduction de l'instance.
Condamner la société aux entiers dépens.
Il expose que:
- tout licenciement notifié postérieurement au délai légal d'un mois est sans cause,
- les griefs ne sont pas établis et sont fantaisistes,
- il a augmenté tant en nombre qu'en valeur la clientèle ainsi que le chiffre d'affaires de son secteur d'activité,
- l'employeur l'a libéré de son obligation de non-concurrence postérieurement au délai légal de 15 jours,
- il a été victime de harcèlement.
Sur quoi, LA COUR,
I - Sur la légitimité du licenciement de M. Allal :
Considérant qu'en application de l'article L. 122-41 du Code du travail, il appartient à l'employeur qui envisage un licenciement pour faute de motiver et de notifier sa décision au salarié au plus tard à l'issu d'un délai d'un mois commençant à courir à compter du jour fixé pour l'entretien préalable;
Qu'à défaut, tout licenciement notifié postérieurement à l'issue de ce délai légal est sans cause;
Considérant qu'en l'espèce, l'employeur a initié la procédure de licenciement le 25 mai 1999;
Que l'entretien était fixé au 3 juin 1999;
Que l'employeur disposait donc d'un délai expirant le 3 juillet 1999 pour, le cas échéant, confirmer le licenciement;
Considérant que ce n'est que par courrier en date du 5 octobre 1999, que la société Mondia Sac, se référant expressément à la procédure par elle engagée au mois de mai 1999, a procédé au licenciement pour faute grave de Monsieur Allal;
Qu'il convient alors de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont constaté que le caractère tardif du licenciement de Monsieur Allal au regard des exigences de l'article L. 122- 41 du Code du travail, privait la rupture intervenue de toute cause réelle et sérieuse.
II - Sur les demandes de M. Allal :
1. Sur l'indemnité de préavis:
Considérant qu'en écartant la faute grave, les premiers juges ont, à bon droit, se référant au dispositions de l'article 12 de L'ANI des VRP et de l'article L. 751-5 du Code du travail, dit et jugé que M. Allal devait bénéficier d'une indemnité compensatrice de préavis équivalente à trois mois de rémunération soit la somme de 76 899,12 F soit 11 723,20 euro (3 x 25 633,04).
2. Sur l'indemnité de clientèle :
Considérant que l'article L.751-9 du Code du travail dispose que si le contrat de travail est rompu par le fait de l'employeur, sans qu'il y ait faute grave du représentant, celui-ci a droit à une indemnité pour la part qui lui revient dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle qu'il a apportée, créée ou développée au bénéfice de cet employeur;
Considérant que si Monsieur Allal fait valoir que:
- il avait 79 clients à l'origine, 120 clients 3 ans plus tard en 1997,
- il a augmenté en valeur le potentiel client de son secteur,
- il a irrémédiablement perdu le bénéfice de la clientèle qu'il avait créée et développée pour le compte de la société Mondia Sac ;
- il est constant que, certes le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, maisque des déclarations et des éléments chiffrés soumis par le requérant au conseil il ne ressort pas que celui-ci ait, notamment en 1997, 1998, 1999 apporté, créé et développé la clientèle de l'entreprise;
Qu'en outre les CA en forte progression en 1995 et 1996, chutent de 1 160 214,00 F soit 22 % en 1997.
Les commissions sur les chiffres d'affaires diminuent chaque année, comme la moyenne mensuelle le met en évidence;
Que M. Allal doit être débouté sur ce point;
3. Sur la contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence:
Considérant que l'article 13 du contrat du 2 novembre 1994 stipule: "En cas de rupture, pour quelles que cause et époque que ce soient, M. Allal s'interdit à quel que titre que ce soit directement ou indirectement sur son secteur géographique et auprès des clients visités à toute entreprise ou activité ayant trait à la distribution d'articles semblables oui similaires à ceux distribués par la SA Mondia Sac.
Cette interdiction est limitée à deux ans à compter de la date de rupture effective du contrat de travail".
Qu'en contrepartie de la clause de non-concurrence interdisant au VRP d'entrer, après avoir quitté l'employeur, au service d'un concurrent ou de s'installer à son compte, l'article 17 de L'ANI des VRP prévoit le versement par l'employeur d'une somme égale à 2/3 ou 1/3 de mois calculée sur la base mensuelle des douze derniers mois selon que les clauses sont supérieures, inférieures ou égales à un an;
Que l'employeur a cependant la faculté de dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause de non-concurrence ou la réduire en partie sous condition de prévenir par lettre recommandée avec accusé de réception le représentant dans les quinze jours suivant la notification par l'une ou l'autre des parties de la rupture du contrat;
Que le point de départ du délai de renonciation de quinze jours doit être décompté du jour de la date de réception de la lettre de licenciement;
Considérant, en l'espèce, qu'il est constant que la rupture du contrat de travail a été notifiée à M. Allal par courrier en date du 5 octobre 1999 présenté le 6 octobre 1999;
Que l'employeur disposait donc d'un délai prenant effet le 6 octobre et expirant le 20 octobre pour, le cas échéant, libérer M. Allal de son obligation de non-concurrence;
Que force est de constater que ce n'est que par courrier daté du 20 octobre présenté le 22 octobre que la société a pris l'initiative de libérer M. Allal de l'interdiction contractuelle ;
Que cette libération tardive est inopposable à M. Allal dans la mesure où elle intervient postérieurement à l'expiration du délai de quinze jours précité;
Considérant que la société Mondia Sac ne peut être suivie en ses contestations, dès lors que la notification du licenciement est intervenue non pas le 7 octobre mais le 6 octobre, date de première présentation du courrier recommandé;
Que le délai de renonciation commence à courir non pas à compter du lendemain mais du jour de la notification du licenciement;
Que quand bien même ferait-on courir le délai de renonciation à compter du lendemain de la notification soit le 7 octobre, l'employeur n'aurait pas, pour autant, respecté le délai conventionnel de quinzaine lequel, dans ce cas, serait arrivé à expiration le 21 octobre;
Que M. Allal n'a été destinataire du courrier de renonciation que le 22 octobre;
Qu'il convient alors de confirmer la décision du conseil de prud'hommes qui, après avoir constaté, au surplus, que M. Allal respectait cette interdiction a condamné la société Mondia Sac à lui payer la somme de 410 128,64 F, soit 62 573,71 euro, à titre de contrepartie financière à la clause de non-concurrence;
4. Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse:
Considérant que M. Allal bénéficiait d'une ancienneté supérieure à 2 années dans une entreprise comptant plus de 11 salariés;
Qu'il convient alors de confirmer la décision déférée qui a condamné la société Mondia Sac, sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, au règlement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 160 600 F soit 24 483,31 euro;
5. Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral:
Considérant que M. Allal soutient avoir été victime d'harcèlement psychologique, physique et moral de la part de la direction de la société depuis décembre 1997;
Considérant que M. Allal, dans sa lettre du 14 juin 1999 au Chef d'entreprise, énumère les nombreux faits qui, selon ces écrits, caractérisent les harcèlements que lui ont infligé les deux frères de l'employeur, souvent devant témoins, constitués par:
- des harcèlements psychologiques quotidiens sous forme de menaces, abus d'autorité, déstabilisation devant ses subordonnés, propos agressifs ou racistes reproches injustifiés,
- des harcèlements physiques, sous forme de jet de boulettes de papier, tentative pour l'empêcher de sortir, coup porté sur le poignet;
Considérant que si M. Allal produit des attestations à l'appui de ses allégations, il convient de constater que:
- concernant les 4 anciens salariés de la société: ils ont constaté de mauvais traitements envers le requérant sans citer de faits précis, de propos rapportés, de leur date;
- concernant les clients de la société: que Mme Brunel relate qu'elle a subi le 18 novembre 1999 des pressions de l'employeur de M. Allal pour obtenir d'elle une attestation défavorable au requérant;
Que Messieurs Seban et Loyer attestent qu'eux-mêmes et leurs sociétés respectives ont eu des rapports commerciaux difficiles avec les dirigeants de la société Mondia Sac;
Que Messieurs Mesa et Bricout font un témoignage de bonne moralité pour le requérant;
Qu'aucune de ces attestations concerne directement les faits évoqués par le demandeur;
- Les concernant et amis:
Que ces personnes attestent avoir vu, à l'époque des faits rapportés par le requérant, la santé de ce dernier décliner et de sa bonne moralité, donc sans relation directe avec les allégations de M. Allal;
- de 3 médecins:
Que ceux-ci constatent et traitent les troubles psychologiques de M. Allal sans se prononcer sur leur origine;
Considérant, vu les dispositions de l'article 9 du nouveau Code de procédure civile, que M. Allal ne rapporte pas la preuve qu'il aurait été victime d'harcèlements psychologique, physique et moral du fait des dirigeants de la société Mondia Sac, ayant agi sur sa santé ; que sa demande de dommages et intérêts à ce titre sera donc repoussée;
5. Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser entièrement à la charge de M. Allal, les frais qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits, la société Mondia Sac est condamnée à lui payer la somme de 5 000 F, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant qu'il serait de même inéquitable de lui laisser la charge de ses frais irrépétibles d'appel, et qu'une somme complémentaire de 1 219,53 euro doit lui être allouée;
6. Sur l'intérêt légal:
Considérant qu'il court à compter de:
- la date à laquelle l'employeur a reçu sa convocation devant le Bureau de Conciliation pour les créances salariales,
- du jugement confirmé pour les créances indemnitaires;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en matière sociale, En la forme, reçoit les appels principal et incident déclarés réguliers, Au fond les dit injustifiés, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la SARL Mondia Sac à payer à M. Allal une somme de 1 219,59 F au titre de ses frais irrépétibles d'appel, Déboute les parties de leurs moyens ou prétentions plus amples ou contraires, Condamne la SARL Mondia Sac aux entiers dépens.