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Décisions

CA Nîmes, 2e ch., 8 juillet 1981, n° 80-1883

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cellier (SA), Fontana, Thomasset

Défendeur :

Sapim Inox (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezombes

Substitut général :

M. Barselo

Conseillers :

MM. Rambaud, Pere

Avoués :

Me Fontaine, SCP Guizard

Avocats :

SCP Lamy Saint-Pierre Veron Faysse Ribeyre, SCP Balazard-Ancely Jauffret

T. com. Avignon, du 20 juin 1980

20 juin 1980

Statuant sur l'arrêt régulièrement interjeté par la société anonyme Cellier d'une part, Fontana et Thomasset d'autre part, d'un jugement rendu le 20 juin 1980 par le Tribunal de commerce d'Avignon dans le litige les opposant à la société anonyme produits industriels et métallurgiques Sapim Inox .

Faits et procédures

Dans le cadre de son activité de fabricant de tubes en acier inoxydable et en cuivre, la société Cellier a fait éditer, en vue de la commercialisation de ses produits, plusieurs catalogues comportant la description ainsi que les caractéristiques des diverses pièces offertes à la clientèle et illustré de photographies prises par Fontana et Thomasset ;

Ayant constaté que sa concurrence, la société Sapim Inox distribuait de son côté une plaquette reproduisant des photographies et des compositions extraites de ses propres plaquettes, la société Cellier a obtenu le 8 mai 1978 du Président du Tribunal de grande instance d'Avignon une ordonnance l'autorisant à faire pratiquer une saisie contrefaçon, réalisée par procès-verbal du 18 mai 1978, tant à l'imprimerie Chantron à Avignon qu'au siège de la société Sapim Inox à Montfavet ;

Par exploit du 1er juin 1978, la société Cellier a fait assigner sa concurrence devant le Tribunal de commerce d'Avignon en relevant des faits de contrefaçon, constitutifs selon elle, d'infractions à la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et également des manœuvres de concurrence déloyale ;

Intervenant au procès Fontana et Thomasset ont sollicité la condamnation de la société Sapim Inox au paiement d'une somme de 4 517,34 F en réparation de leur préjudice matériel et celle de 10 000 F pour compenser leur dommage moral ;

Par la décision déférée, les juges du premier degré ont rejeté les prétentions des demandeurs et ont condamné la société Cellier à payer à la société Sapim Inox la somme de 2 500 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Prétentions des parties

En des écritures communes, les appelants font valoir que le catalogue édité par leurs soins ou avec leur concours constitue une combinaison originale protégée par la loi de 1957 et que son imitation servile par la société Sapim Inox est génératrice de confusion auprès de la clientèle ; invoquant aussi cette circonstance pour asseoir son action en concurrence déloyale, la société Cellier reprend les prétentions soumises à l'examen du tribunal, y ajoutant toutefois le prononcé de la confiscation, délaissant la demande d'astreinte fixant à 10 000 F le coût de chaque insertion publicitaire.

Les parties intervenantes se réfèrent aussi à leur demande originaire, sauf à porter à la somme de 5 000 F l'indemnité propre à compenser leur préjudice matériel ;

Les appelants sollicitent en outre par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la condamnation de l'intimée au paiement de 2 500 F à la société Cellier et de la même somme à Fontana et Thomasset ;

La société Sapim Inox conclut, quant à elle à la confirmation du jugement déféré ;

Sur l'application de la loi du 11 mars 1957

Attendu tout d'abord qu'il est constant, en fait, que le catalogue de la société Sapim Inox compte des photographies, planches, coupes, légendes, tableaux, dessins, qui sont extraits des plaquettes éditées par la Société appelante ; que par ailleurs la mention " photo Fontana Thomasset " imprimée à la dernière page dur l'identité des photographies ayant effectué les prises de vue, illustrant la plaquette ;

Attendu toutefois que les dispositions de la loi de 1957 dont les appelants revendiquent la protection ne sont pas applicables à toutes les œuvres de l'esprit ; qu'en effet la qualité d'auteur au sens de la loi précitée, n'est attachée qu'à la création originale procédant d'un talent personnel et portant comme tel la marque de celui qui l'a conçu et réalisé ;

Or attendu qu'en l'espèce les clichés extraits par l'intimée du catalogue de l'appelante de ne rentrent pas dans la définition " des œuvres photographiques de caractère artistique ou documentaires et celles de même caractère obtenue par un procédé analogue à la photographie " ;

Attendu en effet que les documents incriminés représentent des pièces métalliques de formes variables prises sous divers angles, mais le plus souvent empilées sous une présentation industrielle de stockage, sans aucun appel à des notions d'esthétique ; que les prises de vue statiques réalisées, hors le moindre décor, n'exigent aucune compétence particulière et relèvent de la seule intervention de l'appareil de photographie entre les mains d'un amateur moyen ;

Attendu qu'en vain les appelants font valoir qu'il est rigoureusement impossible dans le cadre de travaux industriels de refaire exactement des photographies de nature morte en raison de la disposition des objets, des lumières, du cadrage, de l'angle de prise de vue, dès lors qu'en l'espèce aucun choix original de composition n'est suffisamment établi, et que reste incertain le caractère d'individualité nécessaire du travail du photographe ;

Attendu qu'il n'importe par ailleurs que les prises de vue reproduites par la société Sapim Inox dans son catalogue aient été inversées ou tronquées, puisqu'aussi bien l'élément artistique ne peut résider dans le cadrage, l'éclairage, l'angle de vue, s'agissant de facteurs d'ordre purement technique sans référence à une quelconque esthétique ;

Attendu qu'enfin il n'est pas allégué que de tels clichés aient eu un caractère documentaire et que la seule reproduction sans l'autorisation des photographes et sans mention de leur nom ne saurait en l'espèce être imputée à faute à la société intimée puisqu' aussi bien les noms de Fontana et Thomasset ne figurent pas sur chaque prise de vue mais seulement à la fin du catalogue Cellier tubes, source de certains emprunts litigieux ;

Attendu il est vrai que la société Cellier fait aussi valoir que le montage de la plaquette éditée par ses soins est l'aboutissement d'un effort de composition et de présentation, constituant un ensemble harmonieux lui conférant une valeur spécifique grâce à l'agencement ou au rapprochement judicieux des planches photographiques, des coupes de pièces et de leurs caractéristiques ;

Mais attendu qu'ici encore ou chercherait en vain le trait d'originalité ou de nouveauté revêtu par une telle publicité ; qu'en effet, l'examen comparatif de plaquettes d'autres firmes mettant en vente des produits similaires, documents versés aux débats par l'intimée, fait apparaître que la présentation des pièces métalliques fabriquées en séries sont toujours accompagnées de renseignements d'ordre technique sur leurs caractéristiques ;

Attendu qu'ainsi sans méconnaître la vocation pour un catalogue à devenir un objet protégé, force est de constater qu'en l'espèce la société Cellier ne justifie ni de la nouveauté, qui au demeurant n'ont fait en soi l'objet d'aucun brevet, le caractère d'une œuvre dont elle serait l'auteur au sens de la loi de 1957 ;

Attendu qu'il s'en suit sans qu'il y ait lieu de rechercher dans le cadre de l'application de la dite loi si une confusion a pu être créée dans l'esprit des clients, que la société Cellier, non plus d'ailleurs que Fontana et Thomasset, ne peuvent se prévaloir d'une atteinte aux prérogatives conférées aux auteurs d'œuvres de l'esprit protégées ;

Sur la concurrence déloyale

Attendu que l'absence de protection de l'auteur d'une œuvre à laquelle ne s'attache aucun caractère littéraire ou artistique, ne le prive pas du recours à la notion de concurrence déloyale qui, à défaut de création originale, assure le respect du travail d'autrui et de la probité commerciale ;

Or attendu qu'à cet égard l'analyse des diverses pièces produites par les parties révèle que la société Sapim Inox a repris directement dans ses catalogues des éléments puisés dans ceux édités par sa concurrente, notamment par la reproduction intégrale des tableaux afférents aux dimensions des pièces proposées à la clientèle outre des extraits de planche photographique et de coupes ;que ces emprunts importants à des fins publicitaires rentrent dans le cadre des faits de concurrence déloyale ;

Attendu en effet que la reproduction servile de certains extraits du catalogue de la société Cellier est un élément suffisant, quant bien même il existerait des différences entre les plaquettes en cause, dès lors que la reprise directe et injustifiée des prestations d'autrui est en soi constitutive d'une infraction au libre jeu de la concurrence ;

Attendu qu'en l'espèce la société Sapim Inox a sans gros débours d'une part bénéficié de la mise en forme de la plaquette de la société appelante qui a dû faire face à d'importantes dépenses d'édition, d'autre part malgré la présentation différente de la couverture de son catalogue, crée chez le client, par imitation de la publicité d'une rivale une confusion préjudiciable aux intérêts de celle-ci ;

Attendu qu'en toute hypothèse l'intimée a par ses agissements limité ses frais d'exploitation d'une manière substantielle puisque aussi bien le coût de son catalogue tiré à 5 000 exemplaires représente 12 000 F tandis que son adversaire pour la seule conception du catalogue " Cellier tubes " a dû débourser 76 155,60 F ; qu'ainsi, même si la présentation des catalogues de l'appelante est empreinte de plus de recherches dans le choix des coloris et du support matériel, les imitations frauduleuses de son adversaire sont génératrices d'un trouble commercial, mettant la société Cellier en position d'infériorité du fait de l'allègement des frais de publicité de sa concurrente, bénéficiant ainsi abusivement d'une plus grande compétitivité de l'entreprise sur le marché ;que la déloyauté constatée de celle-ci étant un lien direct de causalité avec le préjudice actuel et certain de la société Cellier, c'est donc à tort que les juges du premier degré ont refusé de l'indemniser, au seul motif que les plaquettes respectives présentaient un certain nombre de différences ;

Sur la réparation du dommage

Attendu que la demande de Fontana Thomasset ayant pour unique fondement l'application de la loi du 11 mars 1957, ne saurait prospérer dès lors que leur qualité " d'auteur " n'a pas été plus avant retenue ;

Attendu que pas davantage la société Cellier ne saurait pour les mêmes motifs obtenir la confiscation des catalogues saisis en vue de leur destruction, ni la publication de l'arrêt ;

Attendu pour ce qui est préjudice résultant des faits de concurrence déloyale, que compte tenu des éléments d'appréciation soumis à la cour, celle-ci est en mesure de faire l'indemnité de nature à compenser le trouble commercial à la somme de 35 000 F toutes causes de dommages confondues; qu'eu égard aux circonstances de l'espèce il n y a pas lieu à titre de réparation complémentaire, d'ordonner la publication de la présente décision, s'agissant de produits offerts à une clientèle restreinte, hors le champ d'une importante diffusion ;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu qu'il n'a pas été justifié en l'espèce de l'existence d'une atteinte au principe d'équité propre à motiver en faveur des unes ou des autres des parties en cause (sic) de frais non inclus dans les dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement : matière commerciale et en dernier ressort ; Reçoit les appels réguliers en la forme ; Au fond infirmant le jugement déféré, condamne la société anonyme Sapim Inox à payer à la société anonyme Cellier la somme de 35 000 F avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ; Rejette toutes autres prétentions des parties contraires ou plus amples ; Condamne la société Sapim Inox aux dépens de première instance et d'appel, à l'exception toutefois de ceux inhérents à l'intervention et à l'appel de Fontana et Thomasset, dépens qui resteront à l'entière charge de ces derniers ; Dit que Me Fontaine, avoué, pourra recouvrer directement contre la société Sapim Inox ceux des dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.