CA Paris, 5e ch. B, 21 avril 2005, n° 04-03596
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ferry Automobiles (SA)
Défendeur :
Peugeot (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
MM. Faucher, Remenieras, Roche
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot
Avocats :
Mes Bertin, Grall
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Ferry Automobiles contre un jugement rendu le 30 janvier 2004 par le Tribunal de commerce de Paris;
- qui l'a déboutée de toutes ses demandes dirigées contre la société Automobiles Peugeot,
- qui a débouté cette société de sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- enfin, qui a condamné la société Ferry Automobiles aux dépens.
La société Automobiles Peugeot (" Peugeot "), qui avait consenti le 22 février 2000 à la société Ferry Automobiles, établie à Baccarat (Meurthe-et-Moselle), un contrat de concession, l'a informée, dans un courrier recommandé du 27 septembre 2002, notamment:
- que, compte tenu de l'entrée en vigueur du règlement n° 1400-2002 du 31 juillet 2002, elle était conduite à réorganiser la distribution des produits et services de sa marque et à établir de nouveaux contrats de distribution sélective,
- que, dans un tel cadre, elle était amenée à lui proposer l'activité de réparateur agréé,
- qu'elle avait, par ailleurs, pris la décision de résilier le contrat de concession avec effet au 30 septembre 2003, "du fait de la réorganisation importante du réseau qu'implique l'application du nouveau règlement".
C'est dans ces conditions que Ferry Automobiles qui, aux termes de plusieurs courriers échangés avec le constructeur, a contesté le principe et les modalités de cette résiliation, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme de 1 051 284,66 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et abusive du contrat de concession ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 18 février 2005 puis signifiées à nouveau le 21 février 2005, dans lesquelles la société Ferry Automobiles, appelante, demande à la cour, infirmant le jugement entrepris:
- de constater que la société Automobiles Peugeot n'a procédé à aucune réorganisation affectant une partie substantielle de son réseau, à l'occasion de la résiliation du contrat de concession,
- de constater que cette résiliation n'aura en fait affecté que 4 distributeurs sur plus de 200 ce qui, au regard de ce nombre et du poids économique des distributeurs concernés par rapport à l'ensemble des ventes du réseau, ne saurait constituer une partie substantielle celui-ci,
En conséquence,
- de dire et juger que la société Automobiles Peugeot a engagé sa responsabilité contractuelle à son préjudice en se prévalant abusivement de la procédure extraordinaire de résiliation prévue à l'article 5 § 3 du règlement CE 1475-95 et à l'article XIX du contrat alors que la condition autorisant le recours exceptionnel à cette procédure n'était manifestement par remplie,
- de dire et juger que, faute de respecter les conditions de mise en œuvre de cette procédure extraordinaire, il incombait à cette société de respecter un préavis contractuel de 24 mois conformément à l'article 5 § 2 du règlement 1475-95 et à l'article XVIII du contrat de concession,
- de dire et juger, en outre, que la société Automobiles Peugeot a parallèlement engagé sa responsabilité délictuelle en refusant abusivement de l'agréer en qualité de distributeur de véhicules neufs et de pièces de rechange et en l'empêchant de faire valoir dans des conditions équitables sa candidature dans le cadre d'une procédure d'agrément impartiale à l'occasion de l'instauration de son réseau de distribution sélective inhérente à l'application du nouveau règlement CE 1400-2002,
- de constater que pour faire échec à son agrément cette société lui a opposé un critère quantitatif totalement subjectif et mis en œuvre de façon discriminatoire,
- de dire et juger illicite le critère quantitatif ainsi opposé,
- de dire et juger enfin que la société Automobiles Peugeot a fait preuve d'un comportement contraire à son obligation de bonne foi et de loyauté contractuelle par différents comportements tels que des pressions et des pratiques de traitements discriminatoires afin de perturber l'exploitation de son entreprise,
- de dire et juger que l'ensemble des agissements de la société Automobiles Peugeot ont parallèlement pour conséquence de faire perdre à la société Ferry Automobiles l'essentiel de la valeur de son fonds de commerce puisque celle-ci a été irrégulièrement privée de ses principales activités pour ne plus exercer aujourd'hui que les seules activités d'un simple garage de réparation agréée,
En conséquence,
- de la condamner à lui payer des dommages et intérêts correspondant:
* à une année de marge brute au titre de la résiliation brutale et abusive notifiée le 27 septembre 2002 ayant eu pour en effet de priver la société Ferry Automobiles d'une année d'activité supplémentaire dans les conditions prévues au contrat résilié, à savoir une somme de 1 051 284,66 euro,
* à six mois de marge brute au titre des pratiques discriminatoires mises en place pour l'empêcher de faire valoir ses droits en qualité de candidat à la distribution des véhicules et des pièces de rechange de la marque dans le cadre de l'instauration du nouveau règlement CE 1400-2002 et au titre des différentes autres fautes commises avant et au cours de l'exécution du préavis, à savoir une somme de 525 642 euro,
- de condamner la société Automobiles Peugeot à lui payer une somme de 10 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- enfin, de la condamner aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel;
Vu les uniques écritures, signifiées le 23 février 2005, par lesquelles la société Automobiles Peugeot, intimée, prie la cour:
- de confirmer le jugement attaqué,
- de débouter la société Ferry Automobiles de toutes ses demandes,
- de la condamner à lui verser une indemnité de 20 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et, enfin, de la condamner aux dépens;
Sur la résiliation du contrat de concession,
Considérant qu'aux termes de l'article XIX du contrat de concession à durée indéterminée du 22 février 2000, conforme aux dispositions alors en vigueur du règlement d'exemption n° 1475-95 de la Commission du 28 juin 1995, qui a été consenti par Peugeot à Ferry Automobiles, le constructeur aura la faculté de résilier par anticipation et sans indemnité (ce) contrat, dans l'hypothèse où il procéderait à la réorganisation de l'ensemble ou d'une partie substantielle de son réseau de distribution, sous réserve de prévenir le concessionnaire de sa décision par lettre recommandée avec avis de réception expédiée au moins un an à l'avance";
Considérant que le nouveau règlement d'exemption de la Commission du 31 juillet 2002, qui est opposé au concessionnaire, instaure une séparation des activités de vente et d'après-vente des véhicules neufs ainsi que des activités de réparation et consacre, selon le cas, un système de distribution exclusive ou sélective de ces véhicules;
Considérant que l'article 3 de ce texte, qui permet d'en apprécier les conditions d'application à Peugeot, dispose que l'exemption s'applique à condition que "la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les véhicules automobiles neufs, les pièces de rechange pour véhicules automobiles ou les services de réparation et d'entretien", mais précise, toutefois, que "le seuil de part de marché pour l'application de l'exemption est de 40 % pour les accords établissant des systèmes de distribution sélective quantitative pour la vente de véhicules automobiles neufs";
Considérant que Peugeot qui, au 30 septembre 2003, détenait une part de marché cumulée de 33 % sur le marché de détail français des véhicules neufs et dont l'organisation du réseau reposait, jusqu'alors, sur un système de distribution exclusive, était bien ainsi tenu, sous peine de s'exposer à des sanctions, de procéder à la résiliation des contrats de concession en vigueur, dont celui bénéficiant à Ferry Automobiles;
Considérant qu'une exigence de réorganisation totale du réseau étant ainsi avérée, il n'y a pas lieu, à ce stade, d'apprécier les conditions dans lesquelles le constructeur, dans un cadre juridique et technique distinct et en fonction de nouveaux critères discutés par ailleurs par l'appelante, a fait le choix de poursuivre ensuite des liens commerciaux avec la plupart de ses concessionnaires;
Considérant, enfin, que Ferry Automobiles ne peut reprocher au concédant de s'être abstenu de résilier le contrat de concession dès le mois de septembre 2001 en prévision de l'entrée en vigueur du nouveau règlement, en lui interdisant ainsi de bénéficier d'un préavis de deux ans, alors qu'un projet n'a été diffusé pour la première fois par la Commission qu'au début du mois de mars 2002, et que le texte définitif n'a été publié au Journal officiel des Communautés européennes que le 1er août 2002 ; qu'au surplus, l'article 10 du règlement, qui instaure une période transitoire limitée à un an, du 1er octobre 2002 au 30 septembre 2003, avec une interdiction du maintien des accords en vigueur au delà de cette date, ne permettait pas à Peugeot de consentir un préavis de deux ans à compter du courrier de résiliation du 27 septembre 2002;
Considérant que ce constructeur étant ainsi fondé à se prévaloir de la procédure de résiliation dite "extraordinaire" du contrat de concession,c'est à juste titre que le tribunal a débouté la société Ferry Automobiles de sa demande de dommages et intérêts;
Sur les autres demandes de la société Ferry Automobiles,
1°) en ce qui concerne les pratiques discriminatoires,
Considérant que l'appelante maintient qu'elle a été victime d'un comportement discriminatoire de Peugeot:
- en ce que cette entreprise, sans avoir défini préalablement un critère qualitatif ou quantitatif et sans respecter une procédure d'agrément impartiale, a procédé à une présélection de ses distributeurs qui a abouti à la reconduction de 98 % de son réseau,
- en ce que l'intimée n'a porté à sa connaissance qu'a posteriori les critères "quantitatifs sélectifs" qu'il lui opposait, critères de surcroît dépourvus de pertinence;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6 I, 1° du Code de commerce, invoqué par Ferry Automobiles engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant ou industriel de pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, notamment, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence;
Considérant qu'en l'espèce, Peugeot, qui avait annoncé à son concessionnaire la mise en place d'un système de distribution sélective et proposé, dans ce cadre, la conclusion d'un contrat de réparateur agréé, lui a ensuite précisé que, dans le cadre de la réorganisation impliquée par son nouveau système de distribution, il n'était pas prévu que Baccarat soit un site de contrats de distribution de véhicules neufs et de pièces de rechange;
Considérant que Peugeot a expliqué et justifié, au moyen de diverses pièces et, notamment, d'une note interne du 25 juillet 2002, la méthode de sélection quantitative appliquée au cas d'espèce, qui repose, à titre principal sur un "maillage territorial" avec une définition de pôles d'attraction et, à titre subsidiaire, sur l'utilisation des précédents objectifs contractuels de vente supérieurs à 300 véhicules, excluant, de toute façon, Ferry Automobiles;
Considérant qu'eu égard à la mise en œuvre uniforme de tels critères, objectifs et précis, l'appelante ne démontre pas ainsi qu'elle a été victime de pratiques discriminatoires qui justifieraient l'allocation de dommages et intérêts;
2°) en ce qui concerne les autres griefs de l'appelante.
Considérant que Ferry Automobiles, qui reproche enfin au concédant d'avoir, avant la résiliation du contrat de concession, puis pendant la période d'exécution du préavis, adopté un comportement déloyal, se borne à produire ses propres courriers, qui n'articulent pas exactement les griefs formulés désormais dans ses écritures d'appel, ainsi qu'une simple attestation d'un cadre commercial de Peugeot, dont les termes ne permettent pas de caractériser l'attitude fautive qui lui est imputée ; que, dans ces conditions, le jugement déféré mérite également d'être confirmé en ce qu'il a débouté Ferry Automobiles de ses autres demandes de dommages et intérêts;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande d'allouer à l'intimée une indemnité au titre de ses frais irrépétibles d'appel ; que l'appelante, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel;
Par ces motifs, substitués en tant que de besoin à ceux des premiers juges ; Confirme le jugement entrepris, Déboute la société Ferry Automobiles de toutes ses demandes, Déboute la société Automobiles Peugeot de sa demande formée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Ferry Automobiles aux dépens d'appel et admet la SCP Bourdais-Virenque-Oudinot, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.