CA Lyon, 3e ch., 11 septembre 1998, n° 96-04194
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Helvetia Assurances (Sté), Exbrayat Transports Frigorifiques (SARL)
Défendeur :
Trouillet Carrosserie Constructeur (SA), Belat (ès qual.), Picard (ès qual.), Gan Incendie Accidents (Sté), Debever et Cie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Karsenty
Conseillers :
Mme Robert, M. Ruellan
Avocats :
Mes Pacaut, Didier, Bellaiche
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
Le 02-04-1992, à l'occasion d'un transport de viandes pendues, une des semi-remorques frigorifiques de la société de transports frigorifiques Exbrayat immatriculée 8223 FN 90 s'est brutalement disloquée alors que le véhicule quittait un parc de stationnement d'autoroute entre Beaune et Dole;
C'est dans ces conditions que la société Exbrayat et son assureur la compagnie Helvetia ont fait assigner la société Trouillet, fabricant de la semi-remorque, et la compagnie Le Gan, son assureur, devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse qui par ordonnance en date du 09-06-1992 a désigné M. Gauthier en qualité d'expert, et par ordonnance du 15-01-1993 a étendu cette mesure d'instruction à la société Debever, fournisseur des éléments de bois mis en œuvre pour la réalisation du plancher;
Le 09-07-1993, l'expert procédait au dépôt de son rapport aux termes duquel il imputait les désordres en cause à un défaut de conception de la remorque, aggravé par un défaut d'entretien et chiffrait les différents chefs de préjudice de la société requérante en ce compris les travaux de remise en état des autres semi-remorques de son parc non accidentées mais présentant les mêmes défauts de structure;
Se fondant sur ce rapport, la société Exbrayat et la compagnie Helvetia ont, par exploits délivrés les 2 et 08-06-1994, saisi le tribunal d'une demande au fond tendant à voir:
- déclarer la société Trouillet entièrement responsable des vices affectant les 6 remorques examinées par l'expert et la voir condamner en conséquence à leur verser:
* pour la remorque 8223 FN 90 la somme de 617 575,30 F HT,
* pour la remorque 8600 FR 90 la somme de 185 631,13 F HT,
* pour la remorque 5558 FM 90 la somme de 422 402,23 F HT,
* pour la remorque 6675 FL 90 la somme de 465 327,06 F HT,
* pour la remorque 5490 FK 90 la somme de 495 463,94 F HT,
* pour la remorque 350 FJ 90 la somme de 503 749,66 F HT,
* au titre des frais de déplacement la somme de 16 015,30 F,
* au titre du préjudice commercial la somme de 300 000,00 F,
- déclarer la décision à intervenir opposable à la société Debever et au besoin condamner cette dernière à relever et garantir la société Trouillet des condamnations prononcées contre elle;
Par jugement en date du 10-05-1996, le tribunal, considérant que la société Exbrayat était un acheteur professionnel avisé en matière de plancher de semi-remorque destiné au transport de la viande et retenant à son encontre un défaut d'entretien manifeste, a débouté les requérantes de leur action et mis à leur charge les dépens de l'instance;
La société de transports Exbrayat et la compagnie Helvetia ont relevé appel de ce jugement qui procède selon elles d'une dénaturation manifeste des conclusions de l'expert et conclu à la réformation du jugement en faisant valoir:
- que selon l'expert la dislocation de la semi-remorque, due à une rupture des traverses support du plancher, résulte d'une part d'erreurs de conception au niveau du plancher et de l'emplacement de la porte latérale, d'autre part de malfaçons d'exécution consistant en une absence de traitement anti-moisissure et un mauvais collage des éléments du plancher;
- que ces erreurs engagent la responsabilité conjointe de la société Trouillet et de la société Debever;
- qu'en revanche aucune part de responsabilité ne saurait être mise à la charge de la société Exbrayat dès lors que la société Trouillet ne l'a jamais informée de la nécessité de procéder à un contrôle spécifique de la structure et qu'elle justifie avoir procédé de façon régulière à l'entretien de son parc de véhicules;
- que les réclamations concernant les autres semi-remorques sont justifiées par la nécessité de remédier aux mêmes vices de fabrication dont elles sont affectées;
Consécutivement à la mise en redressement judiciaire de la société Trouillet au passif duquel elles justifient avoir déclaré leur créance elles demandent à la cour de fixer celle de la société Exbrayat aux sommes suivantes:
- 615 575,50 F au titre de la remorque 8223 FN 90,
- 185 631,13 F au titre de la remorque 8600 FR 90,
- 422 402,23 F au titre de la remorque 6675 FL 90,
- 95 463,94 F au titre de la remorque 5490 FK 90, et celle de la compagnie Helvetia à la somme de 273 042,38 F, d'accueillir leur action directe diligentée contre la compagnie Le Gan et la société Debever en les condamnant in solidum au paiement de leur créance respective majorée des intérêts légaux à compter de leur demande;
Mes Belat et M Picard en leur qualité respective de représentant des créanciers et d'administrateur judiciaire de la société Trouillet et la compagnie Le Gan Incendie Accidents ont déposé des conclusions tendant à titre principal à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les requérantes de leurs prétentions et subsidiairement à un partage de responsabilité laissant la plus grande part à la charge de la société Exbrayat;
Ils soulèvent à titre principal plusieurs moyens d'irrecevabilité tirés le premier de la mise en redressement judiciaire de la société Trouillet, le second de l'absence de justification par la compagnie Helvetia de sa qualité de créancier subrogé, et le troisième du caractère tardif de l'action qui, fondée sur la garantie des vices cachés, a été introduite plus de deux années après la survenance du sinistre et près d'un an après le dépôt de son rapport par l'expert;
A titre subsidiaire, ils en contestent le bien fondé pour les motifs retenus par le tribunal et estiment qu'en toutes hypothèses le défaut d'entretien des semi-remorques par la société Exbrayat engage sa responsabilité et doit conduire à lui laisser supporter la plus grande part des dommages;
Enfin, ils contestent le montant du préjudice allégué notamment quant au coût de réparation de l'ensemble des semi-remorques fabriquées sur le même modèle dès lors que ce type de matériel est comptablement amorti en 5 ans et qu'il n'est pas justifié de la survenance de désordres à ce jour;
En toutes hypothèses, ils entendent voir condamner la société Debever à les relever et garantir de toute condamnation au titre des éléments qu'elle a fournis;
La société Debever, qui rappelle qu'elle n'est impliquée que dans la fabrication de la semi-remorque accidentée, conteste formellement toute responsabilité dans la survenance des désordres, en soutenant qu'elle n'a fait qu'honorer une commande sans en connaître la destination finale et en se conformant aux normes prescrites en la matière, et qu'en toute hypothèse il n'est nullement démontré un quelconque lien de causalité entre cette fourniture et le désordre en cause, qu'à juste titre le tribunal a imputé à un défaut d'entretien;
Elle conclut donc à titre principal à la confirmation du jugement qui l'a mise hors de cause, subsidiairement à la fixation du dommage au montant chiffré par l'expert à l'exclusion de toutes autres demandes tendant à la réparation d'un préjudice éventuel et non justifié et en tous cas à la condamnation des appelants à lui verser une indemnité de procédure de 20 000 F;
Sur quoi LA COUR,
Attendu que fondée sur la garantie des vices cachés l'action engagée par la société Exbrayat et son assureur est soumise au bref délai de l'article 1648 du Code civil;
Que le moyen de défense tiré du non-respect de ce bref délai constitue une fin de non-recevoir susceptible à ce titre s'être soulevée en tout état de cause;
Attendu en l'espèce que les requérantes, qui exposent aux termes de leur exploit d'assignation, qu'il s'est rapidement avéré dès le premier examen du véhicule en cause, que le sinistre était dû à un vice de fabrication, ont attendu plus de deux ans après la survenance de celui-ci pour engager leur action au fond;
Qu'en reportant même le point de départ du délai prescrit au jour du dépôt par l'expert de son rapport en considérant qu'avant cette date la cause exacte des désordres demeure indéterminée, les intimés sont néanmoins bien fondés à opposer aux requérantes le caractère tardif de leur assignation au fond qu'elles n'ont fait délivrer que les 2 et 8 juin 1994 alors qu'elles étaient en possession du rapport de l'expert depuis le 9 juillet 1993;
Qu'il convient donc de déclarer leur action irrecevable comme tardive et, par substitution de ces motifs à ceux adoptés par le tribunal qui n'était pas saisi de ce moyen de défense, de rejeter leurs prétentions;
Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, substitués à ceux du tribunal, Déclare les requérantes irrecevables en leurs demandes pour n'avoir pas été introduites à bref délai; Confirme en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutées de leurs prétentions; Les condamne au dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Me Ligier de Mauroy et de la SCP Brondel et Tudela avoués.