CA Lyon, 3e ch., 9 novembre 2001, n° 1999-03643
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
GAN Assurances (Sté)
Défendeur :
Vins Descombess (Sté), Flexopack (SARL), AMB SRL (Sté), Zurich Assurances (Sté), Zurich International Italia Spa (Sté), Polimeri SRL (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moussa
Conseillers :
M. Santelli, Mme Miret
Avoués :
SCP Aguiraud-Nouvellet, SCP Junillon-Wicky, Me De Fourcroy, Barriquand, SCP Brondel-Tudela
Avocats :
Mes Mortimore, Horn, Vincent, Kahn, SCP Hilbert Thomasson
Faits, procédure et prétentions des parties
La société Vins Descombes, négociante en vins, commercialise dans la France entière des vins qu'elle livre à ses clients, dans ce qu'on appelle des "cubitainers"en plastique.
Depuis plus de 20 ans, elle s'approvisionne en cubitainers exclusivement auprès de la société Flexopack, avec laquelle elle n'avait jamais rencontré de problèmes avant 1996.
Quatre livraisons successives réceptionnées par la société Vins Descombes à Saint-Etienne des Oullières, lieu de son siège social, les 1er avril, 13 et 23 mai et 10 juin 1996, ont fait apparaître à la consommation du vin, au mois d'octobre 1996, un fort goût de plastique.
Ces livraisons représentaient une quantité totale de 54 900 poches en plastique achetées par la société Vins Descombes pour un montant de 585 291,10 F toutes taxes comprises.
La société Vins Descombes, alertée par ses clients de la mauvaise qualité du vin, s'est adressée à la société Flexopack qui déclara le sinistre à sa compagnie d'assurances le 15 octobre 1996. A cette date, la société Flexopack a indiqué que 36 040 poches étaient viciées.
Elle a alors, de son côté, pris contact avec son fournisseur de matière première, la société italienne AMB.
Les parties et leurs assureurs ont décidé d'organiser le 14 novembre 1996, au siège de la société Vins Descombes, une dégustation à l'aveugle contradictoire des vins susceptibles d'être atteints. Elle a permis de constater, à l'unanimité, la pollution du vin contenu dans les poches en plastique.
A l'automne 1996, le cabinet d'expertises Galtier établissait un rapport évaluant le préjudice subi par la société Vins Descombes. Une solution amiable semblait pouvoir être trouvée, mais le 11 septembre 1997, soit un an plus tard, l'assureur de la société Flexopack, la compagnie d'assurances Le Gan, demandait de nouvelles analyses.
Sur assignation de la société Vins Descombes, le Tribunal de commerce de Villefranche Tarare, par jugement du 22 avril 1999, a déclaré recevable l'action en garantie des vices cachés, et a désigné, avant dire droit, un expert oenologue pour recueillir diverses informations et donner son avis sur les points litigieux soulevés par les parties. L'affaire était réinscrite au rôle le 23 septembre 1999.
Par déclaration remise au greffe de la cour le 3 juin 1999, la compagnie d'assurances Le Gan interjetait appel de ce jugement.
Par conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 18 juin 2001, elle demande que la société Vins Descombes soit déboutée de toutes ses prétentions et que la responsabilité de son assurée, la société Flexopack, soit écartée; subsidiairement, elle demande qu'il soit jugé que sa limite de garantie s'élève à 6 MF par année d'assurance avec une franchise de 5 000 en tout état de cause, elle réclame 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de sa demande, elle fait valoir que le bref délai prévu pour l'action en garantie des vices cachés n'a pas été respecté et qu'il y a donc irrecevabilité; que son assurée, la société Flexopack, n'a jamais reconnu sa responsabilité; que la police d'assurance qui la lie à la société Flexopack prévoit un plafond de garantie pour les dommages matériels et immatériels consécutifs.
Par conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 19 juin 2001, la société Vins Descombes demande la confirmation du jugement entrepris, le rejet de l'intégralité des prétentions adverses et la condamnation solidaire de la société Flexopack et de son assureur Le Gan à 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de sa demande, elle fait valoir à une part,que le délai pour exercer l'action en garantie des vices cachés ne court qu'à compter de la révélation du vice, et d' autre part, que le délai pour agir doit être prolongé si l'intéressé a de justes raisons d'espérer une solution amiable au litige; que l'action engagée est donc recevable; qu'il ne s'agit pas d'un vice apparent, le goût de plastique n'étant pas décelable avant dégustation; que la société Flexopack a spontanément constaté par écrit dès le 15 octobre 1996, que 36 040 poches étaient polluées.
Par conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 28 mai 2001, la société Flexopack demande que l'action engagée par la société Vins Descombes soit jugée irrecevable; que la lettre adressée par elle le 15 octobre 1996 ne soit pas considérée comme une reconnaissance de responsabilité; que la société Vins Descombes soit déboutée en conséquence de toutes ses demandes; qu'elle soit condamnée à verser 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; subsidiairement, que les appelés en garantie, son assureur et son fournisseur, soient condamnés à la relever et garantir de toute condamnation.
Au soutien de sa demande, elle fait valoir que le bref délai pour agir en garantie des vices cachés n'a pas été respecté; qu'en réalité, le vice n'était pas caché mais apparent puisqu'il consistait en une forte odeur de plastique décelable avant même le remplissage des cubitainers; que la lettre interprétée comme une reconnaissance de responsabilité a seulement voulu délimiter l'ampleur du sinistre et ce au moment même de l'apparition du problème; qu'elle réalise les cubitainers par une simple opération de thermoformage de feuilles plastiques qui lui sont livrées; qu'elle n'ajoute aucun produit à la feuille plastique; qu'il convient donc d'appeler le fabricant des feuilles en garantie; que la compagnie Le Gan l'assure en responsabilité civile.
Par conclusions reçues au greffe de la cour le 5 décembre 2000, la société Polimeri demande que l'appel en garantie la concernant émanant de la société AMB soit jugé tardif; subsidiairement, que l'action en garantie des vices cachés engagée par la société Vins Descombes soit déclarée irrecevable; que le vice allégué soit reconnu comme apparent et non comme caché; qu'il soit constaté que les désordres allégués ne sont pas imputables aux parties en cause,faute de preuve; que la société Vins Descombes soit en conséquence déboutée de l'ensemble de ses demandes; qu'elle soit condamnée à lui verser 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de sa demande, elle fait valoir qu'elle n'a été appelée en garantie que le 2 juillet 1998, alors que la dégustation triangulaire a eu lieu le 14 novembre 1996; que dès le 3 décembre 1996, il a été constaté par un cabinet d'expertise que les poches nettement odorantes seraient à l'origine de la dégradation gustative des vins; qu'en tout état de cause, un délai de plus de 14 mois s'est écoulé entre la découverte du vice allégué et l'engagement de l'action en justice; qu'il n'est pas établi que la pollution du vin ait pour origine les poches en plastique; que la dégustation triangulaire, pas plus que le rapport du cabinet d'expertises Galtier ne lui sont opposables.
Par conclusions reçues le 21 mars 2000 au greffe de la cour, la société AMB, la compagnie Zurich International Italia Spa et la compagnie Zurich Assurances, demandent que l'appel reconventionnel de la société AMB et de la compagnie Zurich International Italia Spa soit déclaré recevable; que la demande présentée par la société Vins Descombes sur le fondement de l'article 1147 du Code civil soit jugée irrecevable; qu'il soit jugé que cette dernière ne rapporte pas la preuve du lien de causalité avec le dommage qu'elle invoque; la condamner à verser 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes, elles font valoir que le vice allégué est un vice apparent et non un vice caché; que s'il s'agit d'un vice caché, l'action a été engagée hors délai; que ce n'est pas parce que le vin a un goût étrange qu'il provient du cubitainer; que l'évaluation du préjudice de la société Vins Descombes résulte d'un rapport d'expertise non contradictoire rédigé par un cabinet choisi par elle; que la société Polimeri lui doit garantie en tant que fournisseur de la matière ayant servi à la fabrication des films plastiques.
Motifs de la décision
Sur l'existence d'un vice apparent
En cours de procédure d'appel, la société Flexopack a soutenu que le vice n'était pas caché mais apparent, ce qui l'aurait libérée de son obligation de garantie en application de l'article 1642 du Code civil. Elle n'invoque plus le fort goût de plastique constaté par les consommateurs, mais une mauvaise odeur émanant des cubitainers. Elle s'appuie sur le mode d'intervention des employés de la société Vins Descombes : déballage manuel, remplissage manuel après gonflage des cubitainers à l'aide d'un aspirateur ménager monté à l'envers. Il serait donc évident que les employés chargés de telles manipulations auraient perçu la mauvaise odeur qui, au surplus, ne serait pas nécessairement venue des cubitainers.
Cette allégation n'est en aucun cas démontrée: aucune des parties présentes à la dégustation à l'aveugle et aux opérations d'expertise n'a soulevé une telle hypothèse. La compagnie d'assurances Le Gan, assureur de la société Flexopack, ne mentionne pas davantage le problème dans ses conclusions, mettant seulement en cause l'existence d'un vice. Les notes d'expertise remises par l'expert judiciaire le 30 mars 2001 indiquent clairement page 174 " Le désordre gustatif a bien été caractérisé, reconnu par les parties. Il ne peut être contesté." Il n'est fait nulle part allusion à une mauvaise odeur, et comme le souligne fort justement la société Vins Descombes, il n'est pas étonnant que des cubitainers en plastique sentent le plastique; ce n'est pas pour autant que cette odeur communique un goût au vin, ce qui est bien le problème en l'espèce.
L'existence d'un vice apparent n'est donc pas démontrée, mais celle de l'existence d'un vice caché l'est effectivement.
Sur le bref délai
Le vice n'étant pas apparent, il est nécessairement caché, sauf défaut de conformité, allégué subsidiairement.
L'action en garantie des vices cachés est dirigée contre le vendeur, tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on le destine. Il résulte des notes d'expertise rappelées ci-dessus que le vin est effectivement impropre à la consommation, mais il est reproché à la société Vins Descombes de n'avoir pas respecté le bref délai exigé par l'article 1648 du Code civil.
Il est constant que ce délai court du jour de la découverte du vice par l'acheteur. La société Vins Descombes a été alertée à partir de la mi-octobre 1996 par les lettres de consommateurs déclarant que le vin livré est imbuvable en raison d'un goût de plastique très prononcé. Certains clients parlent d'un goût de savon ou d'un mélange des deux, d'autres disent ne pas pouvoir le qualifier. Le 14 novembre 1996, une dégustation triangulaire à l'aveugle est organisée par les parties. Le procès-verbal de cette dégustation révèle la pollution du vin contenu dans les poches plastiques litigieuses. Si la société Vins Descombes n'avait pas espéré qu'une solution amiable puisse mettre fin au litige, elle aurait sans nul doute engagé une action rapidement.
Il est admis que le délai pour agir soit prolongé et puisse atteindre entre un et deux ans, notamment si l'acquéreur a de justes raisons d'espérer une solution amiable.
Or, des échanges de courriers entre les différents cabinets d'expertise s'étendent sur la majeure partie de l'année 1997 : le cabinet Saretec, expert de la compagnie d'assurances Le Gan, assureur de la société Flexopack, préconise des analyses dans une lettre du 19 février 1997; le cabinet Garreau, Bedier, Boussu, expert de la société AMB et de son assureur la compagnie Zurich Assurances, transmet la réponse favorable de ces dernières le 17 avril 1997; le cabinet d'expertises Galtier, expert de la société Vins Descombes, écrit le 24 juin et le 5 septembre 1997 au cabinet Saretec pour donner son accord, puis demander où en est la procédure d'analyses. La société Vins Descombes, compte tenu de la présence des principales parties intéressées et de la qualité des intervenants, pouvait légitimement penser qu'une solution allait être trouvée. Le 11 septembre 1997 seulement, le cabinet Saretec indiquait au cabinet d'expertises Galtier : "Les analyses vont donc pouvoir maintenant être réalisées."
A compter de cette date, la société Vins Descombes attend que les analyses aient lieu et que soient produits leurs résultats. En l'absence de toute information nouvelle, elle assignait le 23 décembre 1997, devant le Tribunal de commerce de Villefranche Tarare, la société Flexopack et la compagnie d'assurances Le Gan.
Il est admis que le moment de la découverte du vice se situe au moment où est déposé un rapport d'expertise. Dans le cas présent, la société Vins Descombes a fait confiance aux différents experts amiables désignés par les parties ou leurs assureurs. Elle n'a demandé la nomination d'un expert judiciaire que lorsqu'elle a considéré qu'elle ne pouvait plus attendre la solution amiable qu'on faisait miroiter à ses yeux.
Si le dépérissement de la preuve est à craindre en matière de produits alimentaires, il apparaît que depuis longtemps dans cette affaire ce n'est pas le vin qui est incriminé, mais le cubitainer. Peu importe alors, pour la suite des opérations d'expertise, que le vin soit altéré, puisque l'attention devrait se porter plutôt sur le contenant que sur le contenu. Il a été constaté à l'unanimité que le vin était pollué dès le 14 novembre 1996 et il est établi que le même vin, provenant des mêmes cuvées, a gardé toutes ses qualités lorsqu'il a été mis en bouteilles.
Il existe donc bien en l'espèce des éléments de fait de nature à justifier le retard dans l'assignation du vendeur. Le bref délai doit être considéré comme respecté.
Sur les responsabilités
Dès le 15 octobre 1996, au moment des premières réclamations des clients de la société Vins Descombes, la société Flexopack reconnaissait par écrit qu'il existait 36 040 mauvaises poches dans les livraisons d'avril à juin 1996. Elle indique à présent que cette indication portait seulement sur le nombre de cubitainers litigieux pour les besoins de la déclaration de sinistre parmi tous ceux qui avaient été livrés. Si la date à laquelle se situe cette télécopie tend à faire croire a priori qu'il s'agit d'un simple recensement, elle peut également laisser soupçonner des problèmes de même nature avec d'autres clients.
En tout état de cause, en raison de l'état d'avancement des opérations d'expertise judiciaire, il convient de souligner que, dans son chapitre sur les responsabilités, l'expert met en cause la fabrication des poches "avec des films dont la qualité n'a pas été assurée ni vérifiée," et la livraison de poches "ne correspondant pas au cahier des charges qualité fourni".
Le présent appel étant dirigé contre un arrêt avant dire droit, il n'appartient pas à la cour de statuer sur les responsabilités. Mais les notes d'expertise de Monsieur Billy, expert judiciaire, ayant été portées à la connaissance de la cour, il doit être tenu compte de ses premières conclusions : les analyses microscopiques après coupes microtomiques ont révélé, pour les feuilles plastiques, des couches en quantité différente d'un lot à l'autre; les poches présentant un désordre qualitatif ont, dans leur majorité, des tâches blanchâtres sur les parois, confirmées par l'analyse infrarouge; l'examen chromatique du simulant vin révèle la présence de nombreux composants de type hydrocarbures aliphatiques provenant du copolymère EVA, également présents dans les échantillons de vins issus de poches ayant contenu ce vin.
Dans ces conditions, il est souhaitable d'étendre la mission de l'expert, en lui confiant la recherche des causes des désordres et en lui demandant de donner son avis sur leur qualité de vice caché. En tant qu'expert oenologue, il devra s'adjoindre les techniciens nécessaires à ce nouveau chef de mission, notamment en matière chimique, pour permettre l'analyse des composants des feuilles plastiques incriminées.
Sur les appels en garantie
La société AMB, société de droit italien, est le fournisseur des feuilles plastiques que la société Flexopack utilise pour réaliser ses cubitainers. Elle a été informée de l'existence d'un problème dès le 14 octobre 1996 et a participé à la dégustation triangulaire du 14 novembre 1996. Elle a été assignée en garantie le 23 mars 1998 par la société Flexopack. Les arguments de fait et de droit ci-dessus développés lui sont donc opposables. Elle doit être déboutée de son appel incident.
La société AMB a, à son tour, appelé en garantie la société de droit italien Polimeri le 2 juillet 1998, soit près de deux ans après la dégustation triangulaire, près de sept mois après l'introduction de l'instance par la société Vins Descombes et près de quatre mois après son appel en la cause. Or, en tant que fournisseur de la matière première servant à la fabrication du film plastique dont sont constitués les cubitainers, la société Polimeri aurait dû être mise en mesure de faire valoir ses droits et observations dès les opérations amiables. N'étant pas dans la cause, elle ne connaissait pas l'état d'avancement des opérations et les éléments qui sont retenus en faveur de la société Vins Descombes au titre du bref délai, ne peuvent lui bénéficier. Il est manifeste qu'en l'espèce, la société AMB n'a pas respecté les dispositions de l'article 1648 du Code civil relatives au délai pour agir.
L'appel en garantie de la société Polimeri formé par la société AMB doit être considéré comme tardif et dès lors irrecevable. La société Polimeri doit être mise de ce fait hors de cause.
Sur les frais et les dépens
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Polimeri.
Dans l'attente du dépôt du rapport, les dépens et toutes les autres demandes seront réservés.
Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a implicitement jugé recevable l'appel en garantie formé par la société contre la société Polimeri; Statuant à nouveau de ce chef, dit irrecevable l'appel en garantie en question, Met en conséquence la société Polimeri hors de cause; Confirme le jugement entrepris pour le surplus, Y ajoutant, Dit que Monsieur Billy, expert judiciaire, devra aussi rechercher les causes des désordres et donner son avis sur leur qualité de vices cachés ou apparents au sens de l'article 1641 du Code civil, en s'adjoignant toute personne compétente, notamment en matière chimique, Déboute la société la société Polimeri de sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Réserve toutes les autres demandes et les dépens.