CA Rennes, audience solennelle, 18 octobre 2002, n° 00-03799
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gan Assurances (SA), Office Public d'HLM de la Mayenne
Défendeur :
PPG Industries France (SA), Cigna France (Sté), Guibout, Lloyd's de France (Sté), Axa Corporate Solutions Assurance (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Laurent, Boivin
Conseillers :
Mme Lafay, MM. Bohuon, Segard
Avoués :
SCP d'Aboville, de Moncuit & Le Callonnec, Mes Gautier, Bourges, SCP Leroyer-Barbarat Gauvain & Demidoff
Avocats :
Mes Delalande, Lescure, Lesage, Casaux
Exposé des faits et de la procédure :
Au cours des années 1983, 1984 et 1986, la société Lucas Entreprise, assurée auprès du Lloyd's de Londres, a effectué des travaux de revêtement d'isolation thermique par l'extérieur sur trois groupes de logements propriété de l'OPHLM de la Mayenne, à savoir:
- un immeuble collectif à Château-Gontier (1983),
- un immeuble collectif et divers pavillons à Evron (1984),
- un immeuble collectif à Port-Brillet (1986).
L'entreprise a utilisé pour ce faire un procédé dit Corotherm, commercialisé à partir de produits de la société allemande Alsecco par la société Corona, devenue depuis PPG Industries France, assurée en première ligne auprès de la compagnie Mutuelles Unies, devenue Uni Europe, puis Axa Corporate Solutions, et en seconde ligne auprès de la compagnie Cigna France, devenue Ace Europe.
La société Lucas a été placée en redressement judiciaire, Me Guibout étant nommé commissaire à l'exécution de son plan de cession.
Des désordres étant apparus sur les immeubles concernés à compter de 1987, l'OPHLM a saisi en 1990 le Président du tribunal administratif en référé expertise et les entreprises le Tribunal de commerce de Laval pour leurs recours entre elles. Toutes les expertises judiciaires ont été confiées à M. de Monteclerc qui a déposé ses rapports les 29 octobre 1992, 6 novembre 1992 et 12 janvier 1993 devant le tribunal administratif et les 30 novembre 1992 et 26 février 1993 devant le tribunal de commerce.
L'expert notait :
- d'une part des désordres sur le revêtement par fissures et cloquage, avec des reprises évaluées à 290 521,37 F pour Château-Gontier, 609 485,40 F pour Evron et 203 839 F pour Port-Brillet, soit au total 1 103 845,77 F TTC,
- d'autre part d'importants verdissements sur les façades et pignons, pour lesquels il préconisait des travaux à hauteur de 51 640,81 F pour Château-Gontier, 259 242,99 F pour Evron 11 492,34 F pour Port-Brillet, soit au total 322 376,14 F TTC.
Le Gan, assureur dommages-ouvrage de l'OPHLM, a réglé à celui ci les sommes afférentes aux fissures et cloquages, soit au total 1 103 845,57 F, aux termes de 3 quittances subrogatives du 25 mars 1993.
En compagnie de l'OPHLM, il a ensuite assigné le 15 septembre 1993 la société Lucas, son assureur le Lloyd's de Londres et la société Corona devant le Tribunal de grande instance de Laval. Les compagnies Uni Europe et Cigna ont été appelées en garantie.
Par jugement du 12 août 1996, le tribunal a:
- déclaré l'entreprise Lucas et la société PPG Industries France responsables in solidum des cloques et fissures affectant les façades des immeubles,
- déclaré la société PPG Industries France responsable du verdissement des façades,
- en conséquence, condamné in solidum le Lloyd's de Londres et la société PPG Industries France à payer à la compagnie Gan la somme de 1 103 845,77 F TTC,
- condamné la société PPG Industries France à payer à l'OPHLM de la Mayenne la somme de 322 376,14 F TTC,
- condamné la société PPG Industries France à garantir le Lloyd's de Londres à hauteur de la somme de 934 635,35 F,
- dit que la société Uni Europe était tenue de garantir la société PPG Industries France des condamnations prononcées à son encontre dans les limites de son contrat d'assurance,
- débouté la société Uni Europe de son recours envers la compagnie Cigna,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné in solidum le Lloyd's de Londres et la société PPG Industries France à payer l'OPHLM de la Mayenne et au Gan une somme de 15 000 F à chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné la société Uni Europe à payer à la société Cigna une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné in solidum le Lloyd's de Londres et la société PPG Industries France aux dépens de l'instance principale à l'exception des dépens de la mise en cause de la société Uni Europe qui seront supportés par cette dernière, qui supportera également les dépens de la mise en cause de la société Cigna,
- dit que, dans les rapports entre eux, la société PPG Industries France devra garantir le Lloyd's de Londres à concurrence des quatre cinquièmes des condamnations mises à sa charge au titre des dépens et sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La compagnie Uni Europe a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 12 janvier 1998, la Cour d'appel d'Angers a, notamment :
- reformé le jugement déféré en ce qu'il avait retenu sa compétence pour statuer sur les demandes présentées par l'OPHLM et le Gan contre Me Guibout ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Lucas et le Lloyd's de Londres,
- statuant à nouveau sur ce point, dit que les demandes dirigées par l'OPHLM et le Gan contre Me Guibout ès qualité et le Lloyd's de Londres relevaient de la compétence du juge administratif, et renvoyé les demandeurs à ce pourvoir devant la juridiction administrative,
- rejeté la demande d'annulation des rapports d'expertise établis par M. de Montecler,
- au fond, confirmé le jugement déféré, sauf en ce qu'il comportait condamnation contre le Lloyd's de Londres et déclaration de responsabilité de Me Guibout ès qualité, points sur lesquels la cour s'est déclarée incompétente.
Saisie sur pourvoi principal de la compagnie Uni Europe, la 3e Chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt du 26 janvier 2000,
- a mis hors de cause la compagnie Cigna France,
- a cassé et annulé cette décision, sauf en ce qu'elle rejetait la demande d'annulation des rapports d'expertise de M. de Montecler,
- et remis en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour de Rennes.
Pour un plus ample exposé des faits, et celui des prétentions et des moyens développés par les parties, la cour se réfère aux énonciations des jugements et arrêts susvisés, et aux dernières conclusions déposées le 1er septembre 2000 par la compagnie Cigna-France, devenue Ace Europe, le 24 novembre 2000 par la compagnie Axa Corporate Solutions, le 27 juillet 2001 par le Lloyd's et Me Guibout, ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Lucas, le 2 octobre 2001 par le Gan et l'OPHLM de la Mayenne, et le 5 novembre 2001 par la société PPG Industries France. L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 novembre 2001.
Motifs :
1. Sur l'étendue de la saisine de la Cour sur le renvoi après cassation :
Il résulte du dispositif de l'arrêt de cassation que la présente cour se trouve saisie de l'ensemble des questions soulevées devant les premiers juges, hormis celle de la validité des rapports d'expertise de M de Montecler, la demande en annulation de ces rapports ayant été définitivement rejetée.
2. Sur la compétence :
Le contrat entre l'entreprise Lucas et l'OPHLM est un contrat de travaux publics, ressortant de la compétence des tribunaux administratifs.
Les articles 72 et 75 du nouveau Code de procédure civile imposent à toute partie qui entend soulever l'incompétence d'une juridiction de faire valoir cette exception in limine litis, avant tout débat au fond.
Ni l'entreprise Lucas, ni son assureur le Lloyd's n'ont soulevé l'incompétence du Tribunal de grande instance de Laval. Ils sont ainsi désormais irrecevables à le faire en cause d'appel.
La compagnie Axa (alors Uni Europe), assureur de PPG, avait seule soulevé la question de compétence devant le premier juge. Toutefois, elle se trouve actionnée par les demandeurs sur le fondement des rapports de droit privé qui l'unissent au travers de la police à son assurée PPG, et cette dernière ne l'est elle même qu'au travers des rapports de droit privé qui l'unissent au poseur Lucas, l'ensemble ressortant de la juridiction judiciaire.
La compagnie fait valoir que les demandeurs invoquent, entre autres, les dispositions de l'article 1792-4 du Code civil, qui engagent la responsabilité solidaire du fabricant ou de l'importateur de certains éléments d'équipement avec le constructeur, et qu'une telle solidarité lui ouvrirait le droit à revendiquer le renvoi devant la juridiction administrative, ou du moins un sursis à statuer dans l'attente d'une décision de celle ci sur les responsabilités encourues tant par l'entreprise Lucas que par l'importateur PPG.
Cependant, l'application éventuelle de la solidarité invoquée ne fait pas disparaître le fait qu'elle se trouve actionnée en raison des rapports de droit privé existant entre elle et PPG et entre PPG et Lucas, qui ressortent de la seule compétence judiciaire.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande.
Enfin, si l'article 92 du nouveau Code de procédure civile permet à la cour de relever d'office son incompétence en raison de la nature du contrat de travaux passé entre l'OPHLM et l'entreprise Lucas, il ne lui en fait nulle obligation. En l'espèce tant la grande ancienneté du sinistre que l'importance des recours entre constructeur, importateur et assureurs font qu'il ne serait pas de bonne justice de faire usage de cet article, qui aboutirait à retarder de plusieurs années encore la solution d'un procès qu'il convient de traiter dans sa globalité.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu sa compétence pour connaître de l'ensemble du litige.
3. Sur les demandes du Gan et de l'OPHLM :
Le revêtement Corotherm consiste à appliquer par collage (procédé Corotherm simple) ou par fixation sur rails vissés (Corotherm 2000) des plaques de polystyrène sur les murs des immeubles, puis à recouvrir celles-ci par une trame de laine de verre protectrice, une première couche d'enduit et un enduit de finition.
L'expert note que ce revêtement n'a pas pour fonction de participer à la solidité de l'immeuble, ni à son étanchéité, mais seulement d'apporter une isolation thermique.
Il a relevé :
- des fissures aux joints des panneaux, généralement traversantes sur l'épaisseur de l'enduit. La trame n'est pas coupée et n'a pas perdu de sa résistance, mais la partie extérieure de l'enduit se roule, laissant apparaître la trame,
- des micro-fissures, avec parfois effet de "peau de crocodile",
- l'apparition de cloques, ouvertes ou non, sur les façades exposées au soleil et à la pluie, affectant la dernière couche de sous-enduit et l'enduit de finition. Dans un premier temps, le gonflement est superficiel, sur un diamètre de 5 à 6 cm, puis il augmente, la surface de la cloque se craquelle, l'enduit s'écarte, tombe et laisse apparaître la trame.
- des verdissements importants par développements anormaux de mousses et micro-organismes.
Après des analyses poussées confiées à un laboratoire de spectroscopie de Metz, il note que l'enduit retient l'eau, ce qui explique par ailleurs la présence anormale de mousses, que cette eau, sous l'action du soleil, ressort en vapeur, provoquant une poussée vers l'extérieur, donc un cloquage de la dernière couche du sous-enduit et de l'enduit de finition, selon une ligne de séparation verticale.
L'eau pénètre dans le polystyrène qui a une variation dimensionnelle différente sur une certaine partie de son épaisseur, avec pour conséquence une dilatation positive ou négative au niveau des joints de plaques. Ce mouvement provoque des micro-fissures par lesquelles l'eau pénètre plus facilement, le phénomène s'autoalimentant de sorte que l'enduit se détériore plus vite au droit des joints, entraînant un clivage avec un décollement au droit des lèvres.
M. de Montecler estime que la cause des infiltrations d'eau sous les enduits se trouve dans la dégradation du polymère sous l'effet d'un phénomène photochimique (ensoleillement), et thermique (alternance jour nuit et cycle saisonnier). Il explique avec précision la présence de certains composés chimiques dans les échantillons prélevés et analysés comme la résultante de cette dégradation du produit sous les effets naturels de l'ensoleillement et de l'exposition.
Il précise cependant que le phénomène se trouve aggravé en certains cas par l'application par l'entreprise Lucas d'une trop faible épaisseur du sous-enduit et de l'enduit de finition. En effet, le revêtement se détériorant à partir de la face extérieure vers l'intérieur, plus l'épaisseur est mince, plus la détérioration est rapide. Il a relevé également, sur certaines façades, au même titre de cause secondaire, mais aggravante, des défauts dans la géométrie de la pose qui ont fragilisé le revêtement.
Il conclut qu'il y a défaut dans le procédé Corotherm ou Corotherm 2000, exposé à une dégradation photochimique, et se transformant de manière à retenir anormalement l'eau de pluie, ce qui est la source première à la fois des cloques et fissurations et des verdissements importants observés.
PPG et son assureur Axa contestent ces conclusions en faisant valoir que:
- le Laboratoire de Metz n'a constaté la dégradation du sous-enduit que sur les parties atteintes de fissurations ou cloquages, les autres parties étant indemnes,
- le fait que de telles différences puissent être relevées sur le revêtement de parties voisines de la même façade exclut une causalité photochimique, par hypothèse égale sur l'ensemble de la façade exposée au soleil, et implique une causalité mécanique dérivant des défauts de pose,
- le Laboratoire de Metz constate des insuffisances ou des excès d'épaisseur des enduits, générant des contraintes mécaniques, des fissurations et des pénétrations d'eau sous les enduits,
- la transformation photochimique des enduits est un phénomène nécessaire, courant et non dommageable, qui ne peut le devenir que si des lésions mécaniques s'y ajoutent.
- la preuve de la causalité mécanique est apportée par le fait que l'expert a constate qu'une façade sud d'un des immeubles était exempte de désordres micro-structuraux,
A l'appui de leur thèse, elles avancent les avis émis par l'APAVE, le CSTB et surtout le professeur Rosset qui, dans un rapport officieux du 1er juillet 1997, estime que l'expert a interverti les causes et les effets, la dégradation photochimique étant consécutive aux lésions mécaniques entraînées par les défauts de pose et non l'inverse.
L'OPHLM et le Gan soutiennent au contraire les conclusions du rapport d'expertise, qu'ils considèrent comme suffisamment argumentées pour être avalisées, et la cour retiendra cette position.
M. de Montecler se fonde en effet sur l'emplacement des fissures et des cloques, majoritairement situées sur les parties exposées au soleil, alors qu'elles sont en principe moins exposées aux effets mécaniques des intempéries. Si les défauts de pose étaient cause première, on aurait dû relever des cloquages et des fissures plus importantes sur les façades exposées au vent et à la pluie, de même qu'il y aurait plus de fissures que de cloquages.
La présence, sur un même mur, de zones dégradées et de zones saines n'est pas de nature à remettre en cause ses conclusions, un tel argument valant pour toute cause de désordre, mécanique ou chimique, et permettant seulement de conclure que, quelle qu'elle soit, la cause a eu des effets plus intenses en certaines places qu'à d'autres.
L'observation des dégradations photochimiques dans les cloques, en dehors des fissures, démontre par lui même que le phénomène n'est pas engendré prioritairement pas des défauts de pose.
Les conclusions de l'expert ne sont pas utilement contredites par les études du CSTB et du Polytechnicum de Zurich, purement théoriques. Il en est de même des écrits de l'Agence pour la qualité dans la construction qui, s'ils font état d'une prétendue surenchère des maîtres d'ouvrage face à des défauts mineurs affectant d'une manière générale les revêtements thermiques par l'extérieur, n'a rien à voir avec le présent litige en particulier. Elles ne le sont pas non plus par l'APAVE, conseiller de PPG au cours de l'expertise, dans la mesure où elles sont assises sur les observations poussées des techniciens de Metz, auxquelles elles apportent une suite parfaitement logique, et que M de Montecler a répondu point par point aux arguments développés par son contradicteur.
Le professeur Rosset estime certes, pour sa part, que les désordres ont une origine purement mécanique, en liaison unique avec les défauts de pose et la présence de peinture, qui selon lui explique les résultats des analyses chimiques faites par le Laboratoire de Metz. Il rejette en bloc les conclusions de M. de Montecler qu'il présente comme erronées, inversant les effets et les causes. Il estime pour sa part que l'eau pénètre en fait dans les micro fissures résultant des défauts de pose pour se glisser ensuite à l'intérieur du revêtement et former, suite au chauffage par les rayons du soleil, des cloques et de nouvelles fissures, sans qu'il y ait lieu d'avoir recours à un phénomène de dégradation chimique du produit.
Toutefois, une telle analyse ne peut être suivie. En effet, M. de Montecler a constaté les mêmes désordres tant sur les sites où des défauts de pose étaient relevés que sur ceux où il n'en existait pas. Il indique d'ailleurs que des sinistres du même ordre ont été observés en d'autres endroits, où le procédé Corotherm avait été mis en œuvre par d'autres entreprises. Contrairement à ce que prétend M. Rosset, l'expert s'est expliqué longuement, notamment dans son rapport sur le site d'Evron, sur les effets de la présence de peinture à base de polychlorure de vinyle et son impact sur la présence de chlore dans les échantillons analysés. Il a noté que les cloques n'étaient nullement confinées au niveau des fissures ou du manque d'épaisseur des couches d'enduit ou de sous enduit et apparaissaient de manière générale sur les façades exposées.
Les arguments présentés par le professeur Rosset ne sont donc pas de nature à remettre en cause la validité de ses conclusions et il convient de suivre celles-ci dans la solution du litige, à savoir, une trop grande instabilité des composants du procédé Corotherm à l'ensoleillement et aux cycles thermiques, pouvant être aggravée ponctuellement par des défauts de mise en œuvre tels qu'une trop faible épaisseur des enduits et sous-enduit, un mauvais calage des plaques de polystyrène formant le coeur du complexe isolant, ou la pose sur un support insuffisamment préparé.
Au plan des conséquences, M. de Montecler note que la détérioration de l'enduit, les fissures et micro-fissures entraînent un affaiblissement de la qualité de l'isolation avec, à terme, le risque d'un décollement avec toutes les conséquences que cela comporterait pour l'isolation thermique qui est déjà diminuée.
3.1 Sur les cloques et fissures :
Sur l'application des articles 1792 et 1792-4 du Code civil :
Le revêtement Corotherm ne participe ni à la solidité ni à l'étanchéité des immeubles, qui lui sont préexistants et possèdent leurs propres structures. Il ne s'agit en réalité que d'un élément d'équipement destiné à procurer une qualité, l'isolation thermique, absente à l'origine, mais qui n'est pas en elle même nécessaire à l'habitabilité.
Les désordres décrits par l'expert ne concernent, outre des dommages de nature esthétique, qu'un affaiblissement de la fonction d'isolation et ne mettent nullement en cause la solidité des immeubles ni leur fonction d'habitation. En effet, l'atteinte à la capacité d'isolation du complexe n'a pas été mesurée et il n'est pas soutenu que les immeubles se trouvent à présent en défaut par rapport à de quelconques normes d'habitabilité. De tels désordres ne présentent donc pas les caractères requis par les articles 1792 et suivants du Code civil de sorte que, peu important que l'élément d'équipement en cause soit indissociable, ils n'engagent pas la responsabilité décennale du poseur, ni du fabricant importateur, le jugement devant être réformé sur ce point.
Sur la responsabilité contractuelle de droit commun :
Le Gan agit selon quittances subrogatives et se trouve donc investi de tous les droits et actions appartenant à son assuré l'OPHLM.
L'application des articles 1792 et suivants du Code civil étant écartée, il est fondé, d'une part à se prévaloir à l'encontre de Lucas des fautes de pose qui ont été relevées et, d'autre part, du vice caché du matériau fourni par PPG et des fautes commises par cette société dans ses rapports d'assistance envers l'entreprise Lucas.
a/ Sur les demandes envers le Lloyd's, assureur de l'entreprise Lucas :
Comme l'a relevé le tribunal, les avis techniques du CSTB n° 7/82/154 et 7/84/312 indiquaient que la mise en œuvre des procédés Corotherm et Corotherm 2000 nécessitait des précautions sérieuses d'application et une surveillance par PPG des entreprises chargées de les appliquer.
L'expert relève que l'avis technique et la notice technique remise par PPG comportaient une relative imprécision sur les épaisseurs minima à mettre en œuvre et que PPG n'a pas été en mesure de justifier de l'apport de son assistance technique sur tous les chantiers. L'appréciation de la faute du poseur Lucas doit se faire dans ces limites.
- Château-Gontier :
L'expert relève que l'entreprise Lucas a posé un enduit et un sous-enduit en épaisseur insuffisante, et qu'elle a mis en œuvre le produit sur un mur peint alors que la peinture n'adhérait plus correctement sur son support, ceci entraînant un décollement du complexe.
PPG justifie d'une assistance technique sur ce chantier. Comme le tribunal le relève, deux courriers annexés au rapport d'expertise en date des 25 octobre et 22 novembre 1983 démontrent que PPG a attiré l'attention du poseur sur les travaux préparatoires à effectuer sur le support. Lucas n'est donc pas fondée à invoquer le défaut de conseil de PPG sur ce point, et doit répondre de ses fautes de mise en œuvre.
Parallèlement toutefois, l'expert a noté que les échantillons de produit Corotherm prélevés sur ce site étaient différents de ceux des autres sites, plus friables et plus poreux, ce qui marque un défaut spécifique du produit sur ce chantier.
Compte tenu de ces circonstances, la responsabilité de l'entreprise Lucas a été justement arrêtée par le tribunal à la hauteur de un tiers du dommage, soit 290 521,37 F TTC / 3 96 840,46 F.
- Evron :
La pose effectuée à joints de pierre est normale. Les épaisseurs d'enduit aussi, sauf sur certains pavillons. Une peinture sombre a cependant été apposée sur certains pignons et a amplifié les phénomènes thermiques.
PPG ne justifie pas d'une assistance technique sur ce chantier, qui aurait évité l'application de cette peinture mal adaptée. Lucas sera donc jugée responsable à hauteur d'un cinquième des dommages, soit 609 485,40 F TTC / 5 = 121 897,08 F.
- Port-Brillet :
Comme le tribunal l'a relevé, les désordres sont essentiellement imputables à la qualité interne du matériau, les épaisseurs d'enduit étant normale. La mise en œuvre est cependant souvent approximative sur l'alignement des joints, non faits à joints de pierre.
PPG ne justifie d'aucune fourniture d'assistance technique sur ce site.
Lucas sera donc déclaré responsable d'un cinquième des dommages, soit 203 839 F TTC / 5 = 40 767,80 F.
Le Lloyd's, assureur de Lucas, sera donc condamné, in solidum avec PPG ainsi qu'il résulte de ce qui suit, à payer au Gan la somme totale de 259 505,34 F, avec intérêts au jour du jugement déféré.
b/ Sur l'action envers PPG :
Le vice du produit n'a été mis en évidence que par les rapports de l'expert de Montecler, déposés en 1992 devant le tribunal administratif et en 1993 devant le tribunal de commerce. L'OPHLM a interrompu la prescription découlant du bref délai pour agir ouvert par l'article 1648 du Code civil par son assignation en référé délivrée en 1990 et cette assignation a fait partir un nouveau délai pour agir conforme à la prescription ordinaire attachée à la vente. De toute manière, il a bien respecté un bref délai en assignant PPG le 15 septembre 1993, soit moins de un an après le dépôt des premiers rapports.
Les défauts atteignant le procédé Corotherm sont tels que l'OPHLM n'aurait pas acquis s'il en avait eu connaissance. Ils sont la cause première du sinistre, les fautes de pose de Lucas n'ayant fait qu'aggraver ponctuellement les désordres.
PPG sera condamnée à payer au Gan la totalité des sommes représentatives des dommages subis par l'OPHLM, soit 1 103 845,57 F avec intérêts légaux au jour du jugement.
c/ Recours de PPG envers le Lloyd's :
PPG sera admise à recourir envers le Lloyd's à concurrence des sommes mises à charge de ce dernier, et conservera donc à sa propre charge les sommes suivantes :
- pour Château-Gontier : 290 521,37 / 3 x 2 = 193 680,91 F,
- pour Evron: 609 485,40 / 5 x 4 = 487 588,32 F,
- pour Port Brillet 203 839 / 5 x 4 = 163 071,20 F,
soit un total de 844 340,43 F outre les intérêts à compter du jour du jugement.
3.2 Sur les verdissements :
Les désordres consistant en des verdissements des façades n'entrent pas non plus dans la garantie des constructeurs au titre des articles 1792 et suivants du Code civil.
L'OPHLM est cependant fondé ici encore à faire valoir son action en garantie des vices cachés contre le PPG fournisseur du produit.
Le rapport d'expertise démontre que le revêtement d'isolation est en principe conçu pour ne pas favoriser le développement des micro-organismes en situation humide. Le fait est rendu certain par les dires-mêmes de PPG qui a indiqué mêler aux ingrédients de composition un antifongique destiné précisément à éviter ces proliférations. Son complexe d'isolation est acquis par les maîtres d'ouvrages, entre autres, en considération de cette qualité, le choix de l'acquéreur s'arrêtant sur un revêtement qui lui garantit, entre autres qualités, la certitude d'un aspect net de développement des mousses, ce qu'offrait celui vendu par PPG.
Le fait que des parties de bâtiment non revêtues soient elles mêmes atteintes de mousses, n'apporte aucune contradiction sur ce point. En effet, les bétons et autres parties nues des immeubles n'étaient pas destinées à demeurer indemne d'aspect comme le maître d'ouvrage pouvait légitimement attendre cette qualité du revêtement posé.
Le défaut allégué, lié à la fois à une inefficacité du traitement antifongique et à une rétention anormale d'eau suite à la dégradation photochimique du polymère, dépasse l'événement découlant de la simple évolution naturelle du matériau, et ne relève pas en conséquence du simple entretien dû par le propriétaire, qui, encore une fois, pouvait légitimement attendre d'un revêtement qu'il demeure propre et n'exige pas un nettoyage pendant le délai d'effet des produits fongiques. L'expert a d'ailleurs pris soin de noter que les immeubles étaient normalement entretenus par l'OPHLM.
L'apparition précoce et massive de mousses et de micro-organismes constitue donc bien un vice caché qui, si l'OPHLM l'avait connu, l'aurait dissuadé d'acquérir.
L'OPHLM a respecté les délais pour agir en vice caché contre PPG, ainsi qu'il a été dit au paragraphe 3. 1 ci-dessus.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné PPG à payer à l'OPHLM la somme de 322 376,14 F, qui porteront intérêts de droit au jour du jugement.
4. Sur la garantie de PPG par son assureur Axa (ex-Uni Europe) :
La compagnie Axa soutient en premier lieu que la prescription biennale définie par l'article L. 114-1 du Code des assurances lui est acquise, dans la mesure où PPG ne l'a assignée que le 15 juin 1996, alors qu'elle avait lui fait connaître par deux courriers des 6 et 17 mai 1991 qu'elle entendait ne pas couvrir les sinistres liés au procédé Corotherm, estimant que la police, souscrite en 1984, avait été signée à un moment où PPG (alors Corona) avait connaissance de la survenance de sinistres sur ce procédé et n'avait pas signalé ce risque particulier.
Toutefois, en cas d'action récursoire d'un tiers, la prescription biennale ne court que du moment où ce tiers a actionné l'assuré. En l'espèce, PPG a été assignée par L'OPHLM et le Gan le 15 septembre 1993 et a appelé Axa (alors Uni Europe) en garantie le 15 juin 1994. C'est donc à juste titre que le jugement a déclaré que la prescription n'était pas acquise.
Axa soutient ensuite la nullité de la police d'assurance pour absence d'aléa, des sinistres comparables s'étant déjà déclarés au 6 avril 1984, date de souscription de la police.
Il sera d'abord observé qu'elle se contredit elle-même, en soutenant tout à la fois dans ses écritures que le produit Corotherm n'est atteint d'aucun vice, et qu'il s'agit d'un procédé objet de désordres sériels depuis le début des années 1980.
Il doit être admis que PPG a commercialisé son procédé dès le second semestre 1982, puisque l'avis technique du CSTB date de cette année là. Toutefois, les délais de mise en œuvre du procédé et les délais de manifestation des dommages, au minimum un an, font que PPG ne pouvait avoir connaissance du risque le 6 avril 1984, et encore moins des causes des désordres, qui n'ont été mises en évidence que par les opérations de M. de Montecler au terme d'analyses qui n'avaient jamais été pratiquées jusqu'alors sur aucun autre site. Les quelques échanges de courrier de 1984 et 1985 entre PPG et Alsecco ne font état que d'une difficulté ponctuelle liée à un accident de fabrication du produit, mais ne révèlent nullement les vices intrinsèques de celui-ci qui n'ont été mis à jour que par l'expertise. Comme le tribunal l'a justement estimé, il s'agissait là de simples déboires dans la mise au point du procédé qui ne reflétaient pas le risque constaté bien plus tard.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que Axa devait sa garantie à PPG.
S'agissant d'une garantie se situant hors du champ de l'assurance de responsabilité décennale obligatoire, Axa ne sera tenue que dans les limites des plafonds et franchises prévues à sa police, soit, ainsi qu'il est indiqué sans contestation, plafonds de 2 500 000 F par sinistre et 5 000 000 F par année d'assurance avec des franchises par sinistre de 10 à 50 000 F.
5. Sur les demandes envers Ace Europe (anciennement Cigna) :
La Cour de cassation a mis Cigna France hors de cause, de sorte que les recours engagés à son encontre ont été définitivement rejetés. La compagnie Axa ne présente d'ailleurs plus de demande particulière envers Ace Europe, se contentant de demander que le jugement lui soit déclaré commun, ce qui va de soi puisque Ace Europe est à la procédure.
6. Dommages-intérêts pour procédure abusive :
La société PPG n'a commis aucune faute, ni agi avec légèreté blâmable, et il n'est démontré aucune circonstance de nature à avoir fait dégénérer son droit à défendre aux actions engagées à son encontre en abus de droit, peu important la longueur de la procédure, qui trouve sa source dans la difficulté des expertises et dans le nombre des juridictions ayant eu à connaître du litige. La demande en dommages-intérêts pour résistance abusive sera donc rejetée.
7. Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Il sera alloué, à charge du Lloyd's, de PPG et d'Axa, à l'OPHLM et au Gan, ensemble la somme de 2 300 euro pour leurs frais en cause d'appel. Dans leurs rapports entre eux, les débiteurs se répartiront les dépens et cette condamnation à frais irrépétibles à raison de un cinquième pour le Lloyd's et des quatre cinquièmes pour PPG et Axa.
La compagnie Axa supportera les dépens de Ace Europe et lui versera la somme de 600 euro pour ses frais irrépétibles en cause d'appel.
L'équité ne justifie pas d'accueillir les autres demandes en frais irrépétibles.
Décision :
LA COUR, Vu le jugement rendu le 12 août 1996 par le Tribunal de grande instance de Laval, Vu l'arrêt rendu le 12 janvier 1998 par la Cour d'appel d'Angers, Vu l'arrêt rendu le 26 janvier 2000 par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation, prononçant cassation de l'arrêt de la Cour d'Angers, sauf en ce qui concerne la validité des rapports d'expertise de M. de Montecler, Statuant dans les limites de la cassation prononcée dans le cadre des articles 623 et suivants du nouveau Code de procédure civile, Reçoit l'appel, Confirme le jugement rendu le 12 août 1996 par le Tribunal de grande instance de Laval, - en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée au profit de la juridiction administrative, - en ce qu'il a condamné la société PPG à payer à l'OPHLM de la Mayenne la somme de 322 376,14 F TTC, au titre des dommages résultant des verdissements,- en ce qu'il déclaré acquise la garantie de la compagnie Axa Corporate Solutions à la société PPG Industries France, dans les limites de son contrat d'assurance, - dans ses condamnations relatives à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en première instance, Réformant pour le surplus, Condamne la société PPG Industries France à payer à la compagnie Gan le somme de 1 103 845,77 F, soit 168 280,20 euro, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, pour les cloques et fissurations, Condamne le Lloyd's de Londres, in solidum avec la société PPG Industries France, à payer à la compagnie Gan la somme de 259 505,34 E, soit 39 561,33 euro, avec intérêts de droit à compter du jugement, pour ces mêmes dommages résultant des cloques et fissurations, Dit que la société PPG Industries France sera garantie de la somme de 168 280,20 euro outre les intérêts, par le Lloyd's de Londres à hauteur de 39 561,33 euro outre les intérêts, pour les dommages résultant des cloques et fissurations, Dit que PPG Industries France sera garantie également de cette condamnation intégralement par la compagnie Axa Corporate Solutions, dans les limites toutefois des plafonds et garanties prévues à son contrat d'assurance, Condamne in solidum le Lloyd's de Londres, PPG Industries France et Axa Corporate Solutions, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à payer au Gan et à l'OPHLM de la Mayenne, ensemble, la somme de 2 300 euro, pour leurs frais en cause d'appel, Condamne, sur le même fondement, la compagnie Axa Corporate Solutions à payer à la compagnie Ace Europe la somme de 600 euro, pour ses frais en cause d'appel, Rejette la demande de dommages intérêts du GAN et de l'OPHLM de la Mayenne pour procédure et appel dilatoires et abusifs, Rejette toutes demandes plus amples ou contraires des parties, Condamne la compagnie Axa Corporate Solutions aux dépens de la compagnie Ace Europe, Condamne in solidum le Lloyd's de Londres, la société PPG Industries France et la compagnie Axa Corporate Solutions aux autres dépens, ceux d'appel étant recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Dit que, dans leurs rapports entre eux, le Lloyd's de Londres supportera le cinquième de ces dépens et des condamnations fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile envers le Gan et l'OPHLM, et la société PPG Industries France et la compagnie Axa Corporate Solutions les quatre cinquièmes.