Livv
Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 15 mai 1997, n° 9404011

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tois (Epoux)

Défendeur :

Bonnefoy (Epoux), Agence du Donjon (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragne (faisant fonction)

Conseiller :

M. Perignon

Avoués :

SCP Marin-Greff-Curat, SCP Hamel-Fagoo, Me Couppey

Avocats :

Mes Lecuyer, Seve, Pons

T. com. Louviers, du 19 mai 1994

19 mai 1994

Les faits et la procédure

Suivant acte sous seing privé du 19 juin 1993, les époux Tois ont cédé aux époux Bonnefoy le fonds de commerce de garage connu sous l'enseigne " Garage du Manoir " qu'ils exploitaient à Le Manoir sur Seine, 3 rue Alsace Lorraine.

Cette vente a été consentie moyennant le prix de 530 000 F outre l'achat du stock évalué à 100 000 F.

Cet acte a été réitéré par acte sous seing privé du 1er octobre 1993.

Monsieur et Madame Tois bénéficiaient d'un contrat agent service Renault.

Le 22 octobre 1993, Monsieur Tois a été mis en demeure par le concessionnaire de déposer l'ensemble de la signalétique Renault à la suite de la vente du fonds de commerce.

Les 22 et 21 décembre 1993, les époux Bonnefoy ont fait assigner respectivement les époux Tois et la SARL Agence du Donjon devant le Tribunal de commerce de Louviers qui, par jugement rendu le 19 mai 1994, a dit que la vente du garage des époux Tois aux époux Bonnefoy était affectée d'un vice apparent, condamné solidairement les époux Tois et la SARL Agence du Donjon à supporter la réduction du prix de vente qui sera évaluée à dire d'expert, désigné Monsieur Hodan Patrick en qualité d'expert, avec mission d'évaluer la valeur du fonds de commerce de garage sis à 27460 Le Manoir, 3 rue Alsace Lorraine et mis à la charge des époux Bonnefoy le versement d'une provision de 3 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert.

Le 26 août 1994, les époux Tois ont régulièrement interjeté appel de cette décision.

Les prétentions des parties

Les époux Tois exposent que la qualité d'agent Renault n'était nullement un élément essentiel de la vente ; que celle-ci, qui résulte d'une convention "intuitu personae" passée avec la société Renault, non cessible et non transmissible, ne pouvait entrer dans le champ de la vente et n'a d'ailleurs jamais figuré dans l'acte de vente ; que seule l'enseigne "Garage du Manoir" était visée par cet acte, à l'exclusion de toute référence à l'enseigne Renault ; que le prix de vente a été fixé en tenant compte de cette circonstance ; que l'obtention de l'agrément d'agent Renault ne faisait en aucun cas partie des conditions suspensives prévues au contrat de vente ; qu'en tout état de cause, les époux Bonnefoy ne peuvent être dégagés de leur obligation de payer le stock qu'ils ont effectivement utilisé dans le cadre de l'exploitation du garage ; que subsidiairement, la responsabilité d'une éventuelle ambiguïté incombe au rédacteur de l'acte de vente qui est la SARL Agence du Donjon ; que l'agence doit donc les garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre.

Ils demandent en conséquence à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter les époux Bonnefoy de l'ensemble de leurs demandes, de les condamner solidairement à leur payer la somme de 71 180,40 F avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 1994, date de l'audience outre une somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et une somme de 8 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

Subsidiairement, ils concluent à la condamnation de la SARL Agence du Donjon à les garantir de toute condamnation en principal, intérêts et frais qui serait prononcée à leur encontre et au profit des époux Bonnefoy.

Les époux Bonnefoy soutiennent qu'ils se sont engagés dans l'acquisition du garage uniquement parce qu'il présentait la caractéristique d'être une station-service ayant la qualité d'agent service Renault ; qu'il s'agit donc d'un élément substantiel de la convention ; que d'ailleurs, la grande majorité de la clientèle était composée de propriétaires de véhicules Renault ; que l'acte de vente spécifiait bien que le fonds comprenait l'enseigne ainsi que le nom commercial, la clientèle et l'achalandage ; qu'il était également convenu qu'ils prendraient le fonds dans l'état où il se trouvait et par conséquent, avec les enseignes et marques Renault ; qu'en aucun cas, il n'a été convenu que le prix serait minoré en fonction du retrait de l'agrément Renault ; que la vente est donc entachée d'un vice caché qui justifie l'annulation ou en tout état de cause, la résolution de la vente principale et de la vente accessoire portant sur le stock ; que la SARL Agence du Donjon a manqué à son obligation de conseil en ne leur fournissant pas toutes les informations sur la situation exacte du fonds ; qu'à titre subsidiaire, le prix d'achat du fonds doit être réduit pour tenir compte de l'importante baisse du chiffre d'affaires et des résultats que le retrait de l'agrément Renault leur a causé.

Ils demandent donc à la cour d'infirmer le jugement déféré, de prononcer la nullité et en tout cas la résolution de la vente du fonds de commerce et de la vente accessoire relative au stock, de condamner solidairement les époux Tois et l'Agence du Donjon à leur payer les sommes suivantes :

- 530 000 F à titre de remboursement du prix de vente du fonds de commerce litigieux,

- les sommes payées au titre du prix de vente du stock,

- 141 660 F à titre de remboursement des frais et honoraires de la vente,

- 200 000 F à titre de dommages-intérêts.

A titre subsidiaire, à défaut d'annulation ou de résolution de la vente, de confirmer le jugement entrepris,

En toute hypothèse, de condamner solidairement les époux Tois et la SARL Agence du Donjon à leur payer la somme de 15 000 F par application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La SARL Agence du Donjon fait valoir qu'il n'y a jamais eu d'ambiguïté sur le fait que l'agrément d'agent Renault ne faisait pas partie de la vente et n'était donc pas compris dans le prix, cette qualité étant exclusivement attachée à la personne des vendeurs ; que contrairement à ce qu'ils affirment, les époux Bonnefoy ont été parfaitement informés de cette circonstance tant par l'agence que par le notaire ; qu'il appartenait aux époux Bonnefoy d'effectuer en temps voulu les démarches nécessaires auprès de la société Renault pour obtenir son agrément, ce qu'ils n'ont pas fait ; qu'en tout état de cause, ils peuvent utiliser le stock et ne peuvent donc en réclamer le remboursement.

Elle demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement, de débouter les époux Bonnefoy ainsi que les époux Tois de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner solidairement à lui payer la somme de 8 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

Attendu qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus ;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte des documents versés aux débats et, en particulier, des photographies des lieux montrant l'abondante et importante signalétique " Renault", que le garage que les époux Bonnefoy entendaient acquérir, présentait, antérieurement à la vente, toutes les marques et enseignes d'une agence Renault ;

Attendu que le stock de pièces détachées, évalué à 100 000 F, était constitué principalement de pièces Renault ; que les équipements tant commerciaux que techniques attachés au fonds portaient également la marque Renault ainsi que le véhicule de service faisant partie de la transaction, qui était peint aux couleurs de la marque et portait les mentions " Service Renault " sur ses différents côtés ;

Attendu que ni le compromis de vente du 19 juin 1993, ni l'acte de vente du 30 septembre 1993 ne font état de la qualité d'agent Renault ; que cependant, ces deux actes font expressément référence à la cession de l'enseigne et du nom commercial du garage, à sa clientèle et à son achalandage ;

Attendu que l'acte de vente précise que les acquéreurs auront droit à partir de l'entrée en jouissance, à " tous droits et prérogatives attachés au fonds" ;

Attendu que les époux Tois et la SARL Agence du Donjon qui prétendent sans toutefois en apporter la preuve qu'ils ont soumis à l'examen des époux Bonnefoy le " Contrat Agent Service " des vendeurs qui précisait qu'en cas de cession du fonds, le contrat pourra être résilié par le concessionnaire, n'établissent pas davantage qu'ils ont informé les acquéreurs de ce que l'enseigne Renault ne faisait pas partie de la transaction et qu'ils devaient eux-mêmes solliciter l'agrément Renault ;

Attendu que les époux Tois produisent une lettre de Maître L. Prieur, notaire à Pont de l'Arche, en date du 15 mars 1994, suivant laquelle, au cours d'une réunion dont la date n'est pas indiquée, ils auraient précisé en sa présence aux époux Bonnefoy que le panneau Renault ne faisait pas partie de la cession ; que cependant la cour constate que ce courrier se réfère à la cession du droit au bail et non à la cession du fonds de commerce ;

Attendu que M. Poret, brigadier chef de police, a en revanche attesté qu'il avait entendu le 24 octobre 1993 une conversation téléphonique entre M. Tois et M. Gonano de l'agence du Donjon, suivant laquelle le garage était bien vendu avec le " sigle" Renault et qu'il n'y avait donc pas lieu de démonter la signalétique Renault ;

Attendu qu'au vu de ces divers éléments, il apparaît que l'étendue exacte de la transaction n'était pas définie de manière précise et que les époux Bonnefoy ont effectivement pu penser légitimement qu'ils se portaient acquéreurs d'un garage agréé par la marque Renault ;

Que compte tenu de l'importance que pouvait jouer cet agrément dans la décision des époux Bonnefoy et du fait qu'il s'agissait manifestement d'un élément essentiel de la vente, il appartenait aux vendeurs d'attirer leur attention sur le fait que la transmission de l'agrément n'était pas automatique et devait être sollicitée auprès du concessionnaire par leurs soins ;

Attendu qu'il convient donc de dire que les époux Tois, qui se sont abstenus de le faire et se sont bornés à passer cette circonstance sous silence, seront tenus à garantir les époux Bonnefoy par application des dispositions de l'article 1641 du Code civil ;

Attendu toutefois que les époux Bonnefoy ne rapportent pas la preuve de ce que, s'étant aperçus de cette difficulté, ils ont cherché par une démarche immédiate auprès de la concession Renault, à obtenir l'agrément litigieux ; qu'aucun élément ne permet d'établir qu'il leur aurait été refusé ; que par ailleurs, l'absence dudit agrément n'a pas entraîné une baisse très importante de l'activité du garage mais seulement, au vu des documents versés aux débats, une diminution du chiffre d'affaires ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux Bonnefoy de leur demande de résolution de la vente et considéré qu'il y avait lieu à réduction du prix de vente du fonds de commerce par application des dispositions de l'article 1644 du Code civil ;

Attendu qu'en l'absence de tout élément démonstratif d'un préjudice particulier et distinct, il convient également de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux Bonnefoy de leur demande de dommages-intérêts ;

Attendu que les premiers juges ont justement relevé que la clientèle du garage étant devenue hétéroclite et non spécifiquement liée à la marque Renault (service après-vente, garantie, entretien des véhicules automobiles de la marque, etc...), une grande partie du stock de pièces Renault acquise par les époux Bonnefoy est devenue sans utilité pour eux ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le paiement de la somme de 30 000 F à ce titre par les acquéreurs est satisfactoire et débouté les époux Tois de leur demande en paiement de la somme de 71 180,40 F ;

Attendu que, en sa qualité de conseil, la SARL Agence du Donjon a un devoir de conseil et d'information auprès des acquéreurs ;

Attendu qu'en raison du caractère essentiel et déterminant de l'agrément Renault dans la vente, le silence de l'agence sur cette question lors des pourparlers, puis l'absence de toute mention le concernant dans le compromis et l'acte de vente, constitue un manquement à cette obligation ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée tenue solidairement avec les époux Tois au paiement de la réduction du prix de vente de fonds de commerce et a débouté ceux-ci, faute de démontrer la responsabilité exclusive de l'agence, de leur demande en garantie ;

Attendu qu'en l'absence d'éléments d'appréciation suffisants, il convient également de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le montant exact du prix de vente du fonds de commerce compte tenu du défaut d'agrément Renault ;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge des époux Bonnefoy les frais exposés en marge des dépens en cause d'appel ; qu'il y a donc lieu de leur allouer une somme que la cour arbitre à 5 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Attendu qu'il y a lieu de laisser les dépens d'appel à la charge des époux Tois et de la SARL Agence du Donjon ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare l'appel recevable en la forme ; Au fond : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Précise qu'il y a lieu à réduction du prix de vente du fonds de commerce par application des dispositions des articles 1641 et 1644 du Code civil ; Dit que les époux Tois et la SARL Agence du Donjon seront tenus solidairement de payer aux époux Bonnefoy la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du NCPC. Laisse les dépens d'appel à la charge des époux Tois et de la SARL Agence du Donjon, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.