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Décisions

CA Limoges, 1re ch. civ., 9 octobre 1989, n° 1761-88

LIMOGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lachaise (SA)

Défendeur :

Faure (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bilien

Conseillers :

MM. Thierry, Leflaive

Avoués :

Mes Garnerie, Jupile-Boisverd

Avocats :

Mes Maisonneuve, Belair

T. com. Brive, du 2 déc. 1988

2 décembre 1988

LA COUR :

Faits et procédure :

Le 29 février et le 30 mars 1988, la SA Faure a livré à la SA Lachaise d'importantes quantités de poitrine fumée hachée et de chair à saucisse, marchandise utilisée par la seconde, dès le lendemain de chacune des livraisons, pour la confection de "friands" destinés à la congélation.

Entre les deux livraisons, la SA Lachaise, se prévalant des résultats positifs - non versés au dossier - de deux analyses bactériologiques, la première réalisée par ses soins et, selon ses affirmations, le jour même de la livraison, le résultat ne pouvant en être connu que cinq jours plus tard, la seconde ayant été confiée à un laboratoire extérieur, a assigné en référé son fournisseur, par exploit du 21 mars 1988, devant Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Brive qui, par ordonnance du 28 mars 1988, a ordonné une expertise aux fins de procéder au contrôle bactériologique de la marchandise litigieuse, de commenter l'analyse afin d'éclairer le tribunal sur l'origine et les causes des anomalies relevées et de déterminer la quantité de marchandises impropres à son utilisation habituelle et à ses réutilisations possibles.

L'expert, le Docteur Nicolas, a établi, le 9 juillet 1988, un rapport d'où il résulte :

- que la marchandise ayant fait l'objet des deux livraisons successives se trouve contaminée par des bactéries du type "salmonella london" pour celle du 29 février, et du type "salmonella typhimurium" pour celle du 30 mars ;

- que tous les friands, qui sont au nombre de 235 296, fabriqués avec ces deux lots de viande doivent être retirés de la consommation ;

- qu'en l'état actuel des moyens dont dispose la science, la présence de ces sortes de germes ne peut être décelée qu'au terme d'une analyse bactériologique d'une durée de cinq jours et que les viandes livrées par la société Faure proviennent d'abattoirs régulièrement contrôlés sur le plan sanitaire mais selon des procédés (contrôles macroscopiques) insuffisants pour révéler la présence de salmonelles.

Par jugement du 2 décembre 1988, le Tribunal de commerce de Brive a décidé que la SA Lachaise n'avait pas à s'acquitter de la facture en date du 29 février 1988 d'un montant de 44 194,10 F HT , l'a déboutée de ses autres chefs de demandes et a dit que chacune des parties conserverait à sa charge les frais irrépétibles engagés par elle et supporterait la charge des dépens par moitié.

Le 28 décembre 1988, la SA Lachaise a déclaré appel de ce jugement.

Prétentions et moyens des parties :

Concluant à la réformation partielle du jugement, la société anonyme Lachaise demande à la cour de dire que la SA Faure, en sa qualité de vendeur professionnel, devait garantir au titre des vices cachés et de la condamner à lui payer les sommes de :

- 296 472,96 F, correspondant au coût des friands,

- 53 392,52 F hors taxes au 10 avril 1989 et à réajuster à la date de l'arrêt à intervenir, au titre des frais d'entreposage,

- 10 000,00 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient qu'en sa qualité de vendeur professionnel qui entraîne à sa charge une présomption de mauvaise foi, la SA Faure ne pouvait ignorer les vices cachés de la marchandise vendue et doit donc réparation de tous dommages, outre la restitution du prix.

Elle précise qu'en ce qui la concerne, aucune négligence ne peut lui être imputée car elle n'a pas la possibilité matérielle d'attendre le résultat de l'analyse pour commencer la fabrication des friands, l'état bactériologique de la chair à saucisse au bout de cinq jours rendant son utilisation dangereuse, ce que n'ignorait pas son fournisseur.

Elle ajoute que la société Faure était tenue comme elle d'une obligation légale d'autocontrôle de la qualité de ces produits dès la première mise sur le marché.

Dans des conclusions contenant appel incident, la SA des établissements Faure demande à la cour de rejeter l'appel principal de la société Lachaise et de débouter celle-ci de toutes ses demandes.

Elle soutient que la présomption de connaissance des vices de la chose pesant sur tout vendeur professionnel doit céder en l'espèce devant l'impossibilité technique de déceler une telle infection par d'autres moyens qu'une analyse particulière nécessitant cinq jours de culture microbienne, et que cette présomption se trouve de toute façon neutralisée par la qualité d'acquéreur professionnel de la société Lachaise, entreprise spécialisée en alimentation et plus particulièrement en charcuterie dotée de moyens techniques supérieurs à ceux de la société Faure. Si donc la garantie des vices cachés devait être mise en œuvre, elle ne pourrait l'être que dans la limite des dispositions de l'article 1646 du Code civil.

Mais, à titre principal, elle soutient que les modalités particulières de fabrication et de commercialisation de la SA Lachaise devaient la conduire à assumer les risques d'une présence inévitable de salmonelle dans la viande qu'elle traite et commercialise sans aucune cuisson et à prendre seule les dispositions qu'implique cette destination spéciale. Ne l'ayant pas fait, et ayant entrepris la fabrication sans attendre le résultat de l'analyse, la société Lachaise serait mal fondée, d'après la société Faure, à prétendre que la marchandise n'était pas conforme à un usage normalement prévisible.

Discussion :

Sur l'appel incident :

Attendu qu'il n'est pas contesté que la contamination bactériologique affectant la marchandise livrée par la SA Faure à la SA Lachaise la rendait impropre à la consommation ;

Que l'expert a parfaitement mis en évidence le risque d'une insuffisance de cuisson ;

Qu'en conséquence, c'est bien la présence de ces germes dans la viande, qu'elle soit crue ou cuite, qui constitue le vice rendant la marchandise impropre à l'usage auquel on la destine et non pas, ainsi que le prétend la société Faure, une insuffisante neutralisation des bactéries dont la présence serait inévitable ;

Attendu en effet qu'en livrant de telles quantités de poitrine fumée hachée et de chair à saucisse à une entreprise d'industrie alimentaire avec laquelle elle se trouvait en relations commerciales habituelles, la société Faure ne pouvait pas ignorer que cette marchandise ne ferait pas l'objet d'une cuisson immédiate;

Attendu en conséquence qu'ayant vendu une marchandise impropre à l'usage auquel on la destine, elle est tenue à la garantie des vices cachés ;

Sur l'appel principal :

Attendu qu'il est établi que la mise en évidence d'une infection à salmonelles échappe aux procédés courants de contrôle sanitaire macroscopique et requiert la mise en œuvre de méthodes d'analyses relevant d'une technologie spécifique ;

Attendu que la SA Lachaise, dont l'activité consiste à transformer d'importantes quantités du produit qui lui est livré par la SA Faure, doit être considérée comme un acquéreur professionnel devant assumer, au titre du contrôle de la qualité et de la conformité de la marchandise, les mêmes contraintes que celles qui s'imposent à son vendeur ; que pour cela, elle disposait de moyens d'investigation à tout le moins égaux à ceux de la société Faure, et connaissait les exigences d'une analyse approfondie, notamment quant au délai de cinq jours ;

Que, compte tenu de cette équivalence des situations des deux contractants, il n'est pas possible d'appliquer à l'un plutôt qu'à l'autre une présomption de connaissance du vice affectant la marchandise ;

Attendu en effet qu'en l'absence de toute poursuite pénale, la méconnaissance des dispositions de l'article 11-4 de la loi du 1er août 1905 et des textes pris pour son application ne peut avoir d'autres effets que ceux, d'ordre civil, qui s'attachent aux dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil ;

Attendu en conséquence que le jugement, ayant fait à bon droit application de l'article 1646 dudit code, sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR : Statuant publiquement et contradictoirement, - Reçoit les appels jugés réguliers ; - Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 décembre 1988 par le Tribunal de commerce de Brive ; - Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; - Condamne la SA Lachaise aux dépens d'appel et admet Maître Jupile-Boisverd, Avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.