CA Metz, ch. civ., 10 novembre 1993, n° 640-92
METZ
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arsilia (SCI)
Défendeur :
Foucault, Krier (Sté), Lorbat (ès qual.), Nodée, CAMB (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hoffbeck
Conseillers :
MM. Staechele, Bockenmeyer
Avocats :
Mes Thiebaut, Bongart, Rozenek, Monchamps, Burgun, Bettenfeld, Fontana, Wolff
Selon un acte notarié du 29 avril 1985, la SCI Arsilia, qui a réhabilité un immeuble ancien situé à Ars-sur-Moselle, a vendu un appartement en copropriété à Mme Foucault, moyennant un prix de 240 000 F.
Par acte du 19 novembre 1986, Mme Foucault, se plaignant de ce que l'humidite se manifeste dans les pièces de son appartement, a assigné la SCI Arsilia en réparation des désordres.
Le 17 décembre 1986, le Tribunal de grande instance de Metz a ordonné une expertise.
M. Filior, expert judiciaire, a déposé son rapport le 13 novembre 1987. Il a imputé les désordres d'une part à des remontées capillaires, d'autre part à une insuffisance de ventilation.
Le 5 juin 1987, une provision de 20 000 F était allouée à Mme Foucault.
Le 25 décembre 1987, la SCI Arsilia a appelé en garantie l'entreprise Krier, qui avait été chargée de l'exécution du lot chauffage-installation sanitaire-ventilation.
Par un jugement du 30 novembre 1988, le tribunal a ordonné la mise en cause du Syndicat des Copropriétaires, qui a conclu à ce que la SCI Arsilia soit condamnée au paiement de la somme du 144 268,97 F TTC, en réparation des désordres résultant des remontées capillaires qui affectent l'ensemble de l'immeuble (drainage, barrière étanche).
Selon un jugement du 26 juin 1991 (dont appel a été interjeté sous la réf. III.2043/91), le Tribunal de grande instance de Metz a accueilli la demande du syndicat.
Entretemps, par une ordonnance du 16 février 1990, le juge de la mise en état a retourné le dossier à l'expert Filior avec mission de faire procéder à une étude complète de la ventilation de l'intégralité de l'immeuble par un bureau d'études spécialisés, et a demandé au syndicat le dépôt d'une consignation de 20 000 F à cette fin.
Le 20 avril 1990, le Syndicat de la Copropriété a indiqué qu'il n'entendait pas poursuivre la procédure sur ce poste de désordres.
En conséquence, M. Filior a informé le tribunal qu'il lui était impossible de faire procéder aux études nécessaires à la détermination des moyens à mettre en œuvre pour remédier aux désordres de ventilation.
Par conclusion du 17 mai 1991 ,Mme Foucault constatant l'impossibilté de procéder à la remise en état des lieux dont le délabrement s'accentuait et rendait par conséquent l'habitation insalubre par suite d'un excès d'humidité, a demandé que soit prononcée la résolution de la vente. Elle a précisé qu'un déménagement s'imposait, ses enfants étant atteints de bronchite chronique, ce qu'elle a réalisé le 1er septembre 1991.
Par un jugement du 29 janvier 1992, le Tribunal de grande instance de Metz :
- a soulevé d'office l'exception de litispendance en ce qui concerne la demande du Syndicat des Copropriétaires et s'est dessaisi de l'affaire sur ce point au profit de la Cour d'appel de Metz (procédure III.2043/91) ;
- a prononcé aux torts de la SCI Arsilia la résolution de la vente notariée du 29 avril 1985 passée entre la SCI et Mme Foucault, et ce pour vice caché, aux motifs que si une solution d'ensemble satisfaisante a été trouvée pour remédier au problème de remontée d'eau par capillarité, une telle solution d'ensemble n'a pu être trouvée pour remédier au problème de l'insuffisance de ventilation de l'immeuble, et notamment de l'appartement de Mme Foucault, et que les seuls désordres d'insuffisance de ventilation suffisent pour rendre, de manière irrémédiable, l'appartement de la demanderesse impropre à sa destination ;
- a condamné en conséquence la SCI Arsilia à rembourser à Mme Foucault la somme de 240 000 F au titre de la restitution du prix de vente ;
- puis estimant que la venderesse, ès qualités de professionnelle, connaissait les vices de la chose, l'a condamnée en outre à payer à Mme Foucault, en sus de la provision de 20 000 F déjà allouée, une nouvelle provision de 50 000 F ;
- a réservé pour le surplus les droits de Mme Foucault ;
- a déclaré irrecevable l'appel en garantie dirigé par la SCI Arsilia contre M. Krier aux motifs que l'exercice d'un appel en garantie suppose l'existence au profit du défendeur d'une créance contre le garant d'une nature identique à celle que le demandeur se prévaut contre le défendeur ; qu'en l'espèce, la SCI Arsilia est tenue à la restitution du prix de vente et à des dommages-intérêts à suite de la résolution d'une vente immobilière, alors qu'elle ne peut prétendre qu"au paiement de dommages-intérêts par M. Krier, pour une mauvaise exécution de travaux ;
- a condamné la SCI Arsilia aux dépens de l'instance principale et de l'instance d'appel en garantie autres que ceux afférents à la demande présentée par le syndicat, lesquels sont réservés.
Le 21 février 1992, la SCI Arsilia a régulièrement interjeté appel de ce jugement. Elle a conclu au rejet des prétentions de Mme Foucault comme irrecevables, subsidiairement mal fondées, et a réclamé paiement d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en faisant valoir :
- qu'aux termes de l'article 1648 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un bref délai ; qu'il ressort des dispositions combinées des articles 1648 al. 2 et 1642-1 du Code civil que, dans le cas d'une vente d'immeuble à construire, le délai est réduit à un an à peine de forclusion dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur est déchargé des vices apparents, soit un an à compter du jour de la réception ;
- qu'en l'espèce, s'agissant d'un immeuble rénové, la vente de l'appartement litigieux s'analyse comme vente d'un immeuble à construire ;
- que la réception est intervenue par prise de possession le 1er mai 1985 ; que la résolution de la vente sollicitée 6 ans plus tard, par acte du 15 mai 1991, l'a donc été tardivement ; que l'action est irrecevable ;
- que la concluante s'est toujours offerte de réparer les désordres affectant l'appartement de Mme Foucault ; que celle-ci a cependant renoncé aux réparations ;
- que les travaux de réfection des désordres sont parfaitement réalisables, de sorte que l'immeuble n'est aucunement impropre à sa destination.
La SCI Arsilia a également repris ses conclusions d'appel en garantie à l'encontre de l'entreprise Krier, responsable des désordres affectant l'appartement de Mme Foucault.
L'entreprise Krier ayant été entretemps mise en redressement judiciaire, la SCI Arsilia a sollicité l'admission de sa créance dans la procédure collective à concurrence de 240 000 F en principal, et a appelé en intervention forcée la CAMB, assureur de M. Krier, afin de se voir garantir de toutes condamnations par cet organisme.
Mme Foucault a conclu à la confirmation du jugement entrepris et a réclamé paiement par la SCI Arsilia d'une somme de 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, faisant observer en réplique :
- que l'appartement acquis était affecté de défauts cachés, dont la concluante n'a pu se rendre compte que bien après la prise de possession, désordres qui se sont d'ailleurs aggravés par la suite, rendant l'appartement impropre à sa destination ;
- que si l'action a été engagée le 19 novembre 1986, aucune réparation n'a été effectuée à ce jour pour remédier à une situation plus que dramatique, ainsi que le rappelle l'expert Filior dans une lettre du 24 avril 1990 ;
- que si aux termes de l'article 1644 du Code civil, l'acheteur a le choix entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire, il peut, après avoir intenté l'une, exercer l'autre, tant qu'il n'a pas été statué sur sa demande par décision passée en force de chose jugée ;
- que même si la SCI Arsilia ne s'est pas expressément opposée à l'exécution des travaux, elle n'a, depuis le dépôt du rapport d'expertise en 1987, entrepris aucune remise en état de sorte que la concluante est fondée à solliciter la résolution de la vente, fondée sur la non-conformité de la chose vendue, cette action n'étant soumise à aucune condition de délai ;
- qu'en vertu de l'article 1641 du Code civil, il y a lieu de prononcer aux torts de la SCI Arsilia la résolution de la vente puisque les désordres sont de nature à rendre les locaux impropres à leur destination.
La CAMB, assureur de M. Krier, a conclu à l'irrecevabilité et subsidiairement au mal fondé de la demande dirigée à son encontre par la SCI Arsilia, et a réclamé paiement d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en relevant :
- que la créance de Mme Foucault contre la SCI est d'une nature totalement différente de celle de la créance que la SCI Arsilia peut faire valoir contre l'entrepreneur ;
- que l'expertise Filior n'est pas contradictoire à l'égard de la CAMB ;
- que la concluante ne doit pas sa garantie, les mises en conformité contractuelles n'étant pas couvertes par la police.
La SCI Arsilia a répliqué :
- que le rapport d'expertise est opposable à l'assureur de M. Krier ;
- que la garantie décennale de l'entreprise est engagée.
Vu le dossier de la procédure, les pièces produites par les parties et leurs écrits auxquels la cour se réfère pour plus ample exposé des faits et des moyens :
Sur la demande principale :
Attendu que devant la cour, Mme Foucault fonde son action en résolution de la vente non seulement sur la garantie légale des vices cachés, mais également sur la non-conformité de la chose vendue ;
Attendu qu'il ressort de l'acte notarié du 29 avril 1985 que la vente n'a pas été celle d'un immeuble à construire ;
Attendu qu'il est d'ailleurs constant que la réhabilitation prétendue de l'immeuble a été réalisée par la SCI antérieurement à la vente ;
Attendu qu'il en résulte que l'action rédhibitoire n'est pas soumise au régime particulier des dispositions combinées des articles 1648 al. 2 et 1642-1 du Code civil ; que Mme Foucault est recevable à invoquer la résolution pour non-conformité de la chose livrée conformément au droit commun, action qui n'est pas soumise à un bref délai ;
Attendu que l'obligation de délivrance à laquelle était tenue la SCI Arsilia, venderesse, implique la délivrance d'une chose conforme à sa destination ;
Attendu que M. Filior, désigné en qualité d'expert, a indiqué dans son rapport du 15 juin 1987 :
- que l'humidité le long des ébrasements est provoquée par une condensation favorisée par une ventilation insuffisante des locaux et du fait que les parois internes des murs ne comportent pas d'isolant thermique,
- que les murs périphériques sont dans leur ensemble affectés d'humidité à la partie basse, ce qui provoque la prolifération de moisissures, le décollement et la décomposition des papiers peints ;
- qu'il existe une humidité au sol du logement, ce qui est la conséquence d'une moquette posée sur un plancher en bois constituant le plafond de la cave sous-jacente qui accuse elle-même une forte humidité ;
- que l'efficacité de la ventilation des locaux est insuffisante et résulte de la non-conformité des installations de ventilation et à leur sous-dimensionnement, de sorte que l'ensemble est à refaire conformément aux règles de l'art et à la réglementation;
Attendu que la SCI Arsilia, sans nier les désordres qui, selon ses propres écrits, se caractérisent "par une humidité excessive due notamment à une ventilation défaillante", se contente d'affirmer que les travaux de réfection sont parfaitement réalisables et que l'immeuble n'est aucunement impropre à sa destination ;
Attendu cependant que la SCI ne peut qu'admettre que jusqu'à présent, en dépit de l'assignation initiale introduite le 19 novembre 1986 par Mme Foucault tendant à la remise en état des lieux, action transformée le 17 mai 1991, compte-tenu de l'inertie adverse, en résolution de la vente, rien n'a été effectué pour remédier à une situation particulièrement intolérable ;
Attendu en effet que Mme Foucault produit en annexe :
- un procès-verbal de constat d'huissier du 11 juin 1990, duquel il ressort que l'appartement est dégradé en toutes ses pièces par une humidité généralisée (auréoles, tâches et cloquages) ;
- un certificat médical du Docteur Garcia, médecin assermenté, en date du 28 mai 1990, indiquant que le fils de Mme Foucault, né le 30 décembre 1989, a présenté depuis sa naissance plusieurs épisodes de bronchite asthmatiforme et que cette pathologie est probablement liée à un état d'humidité et d'insalubrité de l'appartement dans lequel vivent ses parents ;
Attendu qu'il est ainsi établi que la SCI Arsilia a vendu à Mme Foucault un appartement insalubre, ne pouvant en tout cas être habité en l'état, et par conséquent non-conforme à sa destination ;
Attendu que l'inexécution par la venderesse de son obligation de délivrance justifie la résolution de la vente aux torts de la SCI;
Attendu que substituant partiellement ces motifs à ceux des 1ers juges, il convient de rejeter l'appel et de confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne la résolution de la vente avec restitution du prix ;
Attendu toutefois que le tribunal ayant réservé à statuer sur l'indemnisation due à Mme Foucault, il ne pouvait statuer sur les dépens de l'instance ; qu'il y a lieu d'infirmer très partiellement le jugement entrepris sur ce point et de renvoyer le dossier au 1er juge afin qu'il soit statué sur les points encore en litige ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à Mme Foucault la charge de ses frais non répétibles ; qu'une somme de 6 000 F lui sera allouée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur l'appel en garantie :
Attendu que le tribunal a déclaré à bon droit irrecevable l'action en garantie formée par la SCI Arsilia contre M. Krier, qui avait été chargé du lot ventilation, cette action indemnitaire pour mauvaise exécution des travaux étant d'une nature totalement différente de l'action en résolution de la vente engagée à titre principal par Mme Foucault ; qu'il convient de confirmer également sur ce point le jugement entrepris ;
Attendu que suite à cette confirmation, l'appel en intervention forcée de la CAMB, assureur de M. Krier, devient sans objet ;
Attendu toutefois qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la CAMB la charge de ses frais non répétibles ; qu'il y a lieu de rejeter sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR statuant contradictoirement, Reçoit l'appel, régulier en la forme ; Le déclare cependant non fondé et confirme le jugement entrepris ; Dit toutefois qu'une condamnation aux dépens de 1re instance ne peut intervenir tant que le tribunal reste saisi d'une partie du litige ; Déclare l'arrêt opposable à M. Krier, Me Lorbat et Me Nodée ; Constate que l'appel en intervention forcée de la CAMB est sans objet ; Condamne la SCI Arsilia aux dépens d'appel ; La condamne également à payer à Mme Foucault une somme de 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la CAMB ; Renvoie le dossier aux 1ers juges, afin qu'il soit statué sur les points encore en litige.