Livv
Décisions

CA Pau, 1re ch., 11 septembre 1986, n° 2362-86

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Boulon (Epoux)

Défendeur :

Dupont, Bidegaray, Lamarque

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Borthiry (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Petiteau, Benhamou

Avoués :

Mes Galinon, Vergez, SCP Rodon

Avocats :

Mes Dessein, Etchegaray, Personnaz

TGI Bayonne, du 14 mai 1985

14 mai 1985

Monsieur et Madame Boulon ont relevé appel d'un jugement du Tribunal de grande instance de Bayonne en date du 14 mai 1985 qui les a déboutés de leurs demandes dirigées contre Mademoiselle Dupont, Michel Bidegaray, Monsieur Lamarque, a débouté les défendeurs de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

Faits

Le 10 septembre 1981 les époux Boulon ont acheté, par acte sous seing privé, à Mademoiselle Dupont et par l'intermédiaire de l'agence Lamarque, une propriété bâtie sise à Bidart qu'ils désiraient restaurer et moderniser. Ils ont chargé Monsieur Bidegaray, maître d'œuvre, d'établir un projet des travaux qui ont été entrepris par Mendiburu, maçon. En cours de travaux il s'est révélé que du fait de la présence de termites la bâtisse présentait un état dangereux et d'inhabitabilité.

Moyens des parties

Au soutien de leur appel et comme devant le premier juge, les époux Boulon exposent :

- en ce qui concerne Mademoiselle Dupont que celle-ci leur doit la garantie des vices cachés, que l'acte authentique ne prévoit pas d'exclusion de garantie pour cause de présence de parasites et ce à leur demande, alors que le sous seing privé avait mentionné expressément cette exclusion, qu'en toute hypothèse, les constatations de l'expert prouvent qu'elle était au courant de ce vice ;

- en ce qui concerne Monsieur Bidegaray, que celui-ci avait été chargé par eux avant l'achat d'une mission d'information et d'étude de l'immeuble, puis après l'achat, de la coordination des travaux, ce qui engage sa responsabilité pour n'avoir pas décelé la présence des termites ;

- en ce qui concerne Monsieur Lamarque, que cet agent immobilier n'a pu ignorer l'état de l'immeuble, qu'il devait en conséquence les mettre au courant, qu'il leur avait d'ailleurs conseillé avant l'achat, de faire un constat de l'immeuble et des travaux nécessaires.

Ils concluent :

- dire que Mademoiselle Dupont sera tenue de garantir aux époux Boulon les vices cachés présentés par l'immeuble par elle vendu le 31 décembre 1981 et sis à Bidart à usage d'habitation et par application des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil et subsidiairement 1382 du même Code civil,

- dire qu'elle sera tenue de reverser aux époux Boulon la différence du prix qui sera fixée par l'expert désigné à cet effet, différence entre le prix de vente et la valeur vénale estimée par celui-ci au jour de la vente,

- dire qu'elle sera en outre déclarée responsable in solidum avec Messieurs Bidegaray et Lamarque du préjudice subi en outre par les époux Boulon,

- déclarer Monsieur Bidegaray, maître d'œuvre, responsable du préjudice subi par les époux Boulon, et ce par application des articles 1146 et suivants et subsidiairement 1382 Code civil,

- déclarer Monsieur Lamarque, agent immobilier, responsable du préjudice subi par les époux Boulon et ce par application des articles 1135 et 1182 du Code civil,

- désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec mission de :

* se rendre sur les lieux après avoir régulièrement convoqué les parties et leurs conseils,

* se faire remettre tous documents utiles et entendre tous sachants utiles à sa mission,

* estimer d'abord la valeur vénale au 31 décembre 1981 de la maison Ihartia à Bidart PA, compte tenu des vices cachés existant alors,

* déterminer les travaux de consolidation résultant des vices cachés et des désordres en découlant, en chiffrer le coût,

* déterminer les préjudices des époux Boulon, en particulier la majoration des coûts de construction d'aménagement qu'ils devront supporter sur les travaux qu'ils ont entrepris eux-mêmes pour la mise en état de modernisation de la maison à la suite du retard apporté à leur réalisation

* l'importance de leur privation de jouissance loyers impayés, frais de garde meuble etc...,

* le préjudice supporté par les époux Boulon résultant de la résiliation de leur contrat de prêt par le crédit agricole,

* dresser de ses travaux un rapport qu'il devra déposer dans le délai de 3 mois au greffe de la cour,

D'ores et déjà condamner Mademoiselle Dupont, Messieurs Bidegaray et Lamarque à payer conjointement et in solidum la somme de 250 000 F à titre de provision sur le préjudice subi par eux ;

- condamner d'ores et déjà les défendeurs in solidum aux dépens de l'instance et d'appel. Par leurs dernières conclusions en date du 6 mai 1986, estimant que s'ils avaient eu connaissance de l'état de péril de l'immeuble ils ne l'auraient pas acheté, ils réclament, subsidiairement, pour le cas où leur demande contre Mademoiselle Dupont serait déclarée non fondée au regard de la garantie des vices cachés, que la cour prononce la nullité de la vente par application des articles 1110 et 1116 du Code civil, la condamnation de Mademoiselle Dupont solidairement avec Bidegaray et Lamarque à réparer leur préjudice, que soit ordonnée une expertise pour déterminer leur préjudice avec paiement d'une provision de 250 000 F à valoir sur les dommages-intérêts.

Mademoiselle Dupont a conclu à la confirmation du jugement et demande 5 000 F pour ses frais irrépétibles. Par conclusions du 1er juillet 1986 elle qualifie de demande nouvelle la nullité de la vente soulevée par les époux Boulon.

Monsieur Bidegaray a conclu :

- dire et juger irrecevable et en tous cas mal fondé l'appel formé par les époux Boulon du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bayonne le 14 mai 1985 ;

En conséquence, confirmer purement et simplement le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

Ce faisant, dire et juger irrecevable comme fondée sur un rapport d'expertise qui lui est inopposable, la demande formulée par les consorts Boulon à l'encontre de Monsieur Bidegaray ;

Subsidiairement la déclarer mal fondée ;

En conséquence, débouter purement et simplement les époux Boulon de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre du concluant ;

Les condamner en 5 000 F de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Lamarque a conclu :

- dire irrecevable et en tous cas mal fondé l'appel interjeté par Monsieur et Madame Boulon à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bayonne le 14 mai 1985 ;

- confirmer ce jugement en toutes ses dispositions ;

- dire et juger qu'en vertu de l'article 1998 du Code civil, l'action de Monsieur et Madame Boulon dirigée contre l'agent immobilier doit être déclarée irrecevable ;

Subsidiairement,

- dire et juger que sur le plan de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle, l'action de Monsieur et Madame Boulon doit également être déclarée irrecevable, l'expertise judiciaire de Monsieur Vignacq lui étant inopposable ;

Sur quoi

Attendu que le 10 septembre 1981 les époux Boulon se sont rendus acquéreurs d'une ferme Basque du 18e siècle sise à Bidart, mesurant 20,50 m en façade sur 18 m en profondeur, constituée comme les bâtisses de l'époque avec un mur de fond de 0,55 m d'épaisseur, des murs latéraux avec ossature de bois soutenant la charpente, une façade dite légère à colombage de bois et garnissage en torchis, la partie basse en maçonnerie de pierres non appareillées ; qu'un mur de refend de 0,55 m d'épaisseur sur toute la profondeur du bâtiment permet de répartir les charges tout en diminuant les portées.

Attendu que l'expert Vignacq a détecté la présence des termites dans les huisseries, linteaux, montants de portes, poutres, et a conclu que l'immeuble n'assurait plus de sécurité, que l'état de certaines poutres supportant la charpente et la charge de la toiture était tel que toute une partie de la couverture pouvait à tout instant s'effondrer et a ordonné la pose immédiate d'étais ;

Attendu que l'acte sous seing privé du 10 septembre 1981 comporte la clause :

(l'acquéreur)prendra l'immeuble dans l'état où il se trouvera.., sans pouvoir exercer aucun recours contre le vendeur, ni demander aucune indemnité ou réduction du prix, notamment pour raison de mitoyenneté, dégradation, défauts d'entretien, vétusté, parasites du bois ou autres, mauvais état du sol ou du sous-sol etc..."

- que l'acte authentique passé le 31 décembre 1981 devant Maître Mendiharat, notaire à Saint-Jean de Luz contient, de son côté, la clause : (l'acquéreur) prendra les immeubles vendus.., sans pouvoir exercer aucun recours ni répétition contre le vendeur pour quelque cause que ce soit, notamment pour raison de mauvais état du sol, du sous-sol, mitoyennetés, vices même cachés, erreur dans la désignation ou la contenance etc..."

Attendu que le premier juge a fait une exacte appréciation des faits de la cause par des motifs pertinents que la cour adopte; qu'il convient d'ajouter, en ce qui concerne Mademoiselle Dupont, qu'aucune constatation de l'expert ne permet de juger qu'elle avait connaissance de l'état dangereux et d'inhabitabilité de la maison par la présence de termites ou l'état des murs de soutènement ; qu'en effet l'expert n'évalue pas l'ancienneté de la présence décelable des termites et qu'il est constant que Mademoiselle Dupont a reçu ce bien en héritage en 1973 et ne l'a pas habité depuis.

Que par ailleurs Mademoiselle Dupont a fait procéder en 1976 à une réfection de la toiture à l'occasion de laquelle le charpentier Olaizola déclare n'avoir constaté la présence ni de termites, ni de capricornes.

Que de plus l'expert n'a pu dire à propos des essais de consolidation de linteaux, relevés par lui et qu'il estime sans doute antérieurs aux travaux d'Olaizola sur la charpente, s'il s'agissait d'une manière volontaire de cacher un vice.

Que par ailleurs il ne peut être déduit de l'unique visite de Mademoiselle Dupont en compagnie de l'agent immobilier, fut-elle qualifiée de visite "de fond en comble", que ces personnes devaient nécessairement constater la présence des termites ou leurs détériorations, alors au contraire que l'expert rapporte que la maison a été habitée par une famille Narp jusqu'à la vente, qu'à l'intérieur les murs étaient enduits, peints et tapissés, les poutres en plafond elles-mêmes peintes, que les sols en bois dans les trois chambres (...) semblaient entretenus en surface apparente et en bon état, et que pour une personne étrangère au bâtiment rien ne devait apparaître pouvant être déterminé comme un vice.

Attendu dès lors que la clause de non-garantie des vices cachés doit recevoir application ; que les époux Boulon prétendent avoir fait supprimer dans l'acte authentique la référence à l'existence des parasites, mais qu'ils ne le prouvent aucunement et qu'à s'en tenir au texte clair et précis on constate que l'acte authentique décharge le vendeur de la garantie pour quelque cause que ce soit et notamment pour vices même cachés, formule plus générale que celle de l'acte sous seing privé, et qui n'exclut pas par conséquent le cas de présence des parasites ;

Attendu que dans leurs dernières conclusions les époux Boulon invoquent également le caractère dangereux de la construction en raison de la défaillance d'un mur qu'ils qualifient de soutènement ;

Que cet argument n'est pas pertinent; qu'en effet l'expert n'a pas constaté le fait lors de sa première expertise, alors que sa mission le lui permettait, que l'effondrement en question qui n'est mentionné que dans le rapport du 20 septembre 1983 rendant compte des travaux de consolidation effectués en cours de procès aux risques et périls des propriétaires, a concerné une extrémité de la façade, s'est produit lors desdits travaux et peut, en l'état des éléments du dossier, être imputable soit aux travaux eux-mêmes soit à la vétusté du bâtiment qui est visée dans l'exclusion de garantie de l'acte authentique ;

Attendu qu'à titre subsidiaire les époux Boulon plaident la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose, et pour dol article 1110 et 116 du Code civil ;

Attendu que la différence de qualité entre ce que les époux Boulon ont voulu acheter et ce qu'ils ont réellement acheté ne tient pas à la substance de l'immeuble mais à l'existence d'un vice caché, et qu'en conséquence la référence au défaut de consentement et à l'article 1110 est inadéquate ;

Qu'en ce qui concerne le dol, les développements qui précédent excluent l'existence de manœuvres dolosives au sens de l'article 1116 ;

Attendu en ce qui concerne Monsieur Bidegaray, que l'inopposabilité à ce dernier du rapport d'expertise de Monsieur Vignac ne constituerait pas un moyen de défense sérieux, s'il était établi qu'avant de se décider à acquérir les époux Boulon l'avaient chargé de faire un état des lieux et un projet de restauration ; qu'en effet compte tenu de la situation géographique de l'immeuble, de son âge que l'expert évalue à 2 ou 3 siècles et du mode archaïque de construction, un professionnel du bâtiment ne pouvait se dispenser d'une recherche systématique et approfondie de la présence des termites ou autres parasites du bois, non apparents ;

Mais attendu qu'il est simplement établi par les dires à l'expert, les écritures des parties, que, même si Bidegaray a peut-être été contacté plus tôt par les époux Boulon, c'est le 12 septembre 1981 seulement qu'il l'a été par écrit et que c'est le 14 septembre qu'il a donné son rapport à ces clients alors que ces derniers avaient déjà signé l'acte sous seing privé matérialisant leur achat, le 10 septembre.

Qu'en conséquence les époux Boulon ne se sont pas déterminés à acheter au vu du rapport de Bidegaray et ne peuvent, dans le cadre de la présente instance, lui faire grief d'un défaut d'information et du préjudice qu'ils subissent des suites de cet achat ; qu'ils disposent d'un recours contre lui dans le cadre des travaux opérés ou prévus postérieurement à l'achat,

Attendu, en ce qui concerne l'agent immobilier J. Lamarque, que celui-ci ne peut se voir reprocher aucune faute personnelle pouvant engager sa responsabilité ; que le premier juge a relevé à bon escient que le rapport d'expertise ne permet pas d'affirmer que Monsieur Lamarque savait que la maison était infestée de termites ; que de plus une visite en compagnie de la propriétaire ne devait pas obligatoirement y instruire à ce sujet, étant donné que les termites et leurs dégâts n'étaient pas apparents et qu'il n'était pas professionnellement tenu de se livrer à des investigations particulières de cet ordre ; qu'enfin en admettant qu'il ait conseillé, avant la vente, aux futurs acquéreurs de faire "un constat de l'immeuble", ce qui n'est pas prouvé, cette recommandation plaiderait au contraire en sa faveur,s'agissant d'une précaution pleinement justifiée par l'âge et le style de la bâtisse ;

Que le jugement sera confirmé, y compris sur les frais irrépétibles ;

Que les époux Boulon qui succombent supporteront les entiers dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Reçoit l'appel des époux Boulon régulier en la forme, Au fond, Les en déboute, Confirme le jugement dans toutes ses dispositions, Déboute les intimés de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Laisse les dépens à la charge des époux Boulon ; Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, la SCP Rodon Georges et Rodon Jean-Yves, avoués associés et Maître Vergez, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.