CA Paris, 5e ch. A, 26 janvier 2005, n° 03-10528
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Gourmandière (SA)
Défendeur :
SCA Produits du traiteur (SNC), Intermarchandises France (SNC), Les délices d'Auzan (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Picque, Roche
Avoués :
SCP Ribaud Alain, Vincent, Me Nut
Avocats :
Mes Feldman, Masker.
La société La Gourmandière qui produit des spécialité et recettes culinaires landaises a entretenu pendant de nombreuses années des relations commerciales régulières avec le groupe Intermarché représenté en l'espèce par les sociétés SCA Produits du traiteur et DCAF.
Après avoir atteint, en 1996, 46,95 % de son chiffre d'affaires, la part d'activité réalisée par la société La Gourmandière avec le groupe "Intermarché" n'a cessé de décroître passant de 6,5 millions de francs en 1996 à seulement 1,8 millions de francs en 2000 alors que, dans le même temps, le taux de ristourne exigé par ce dernier augmentait de 17,79 % à 34,27 %.
Cette évolution de l'activité et des conditions tarifaires s'est accompagnée par ailleurs d'une modification des schémas de distribution retenus passant d'une distribution régionale des produits à une distribution nationale de seulement deux de ceux-ci.
Les relations entre les parties se sont par la suite dégradées, la société La Gourmandière estimant que ses résultats commerciaux étaient amputés tant par la baisse de son activité que par la hausse des conditions tarifaires que lui imposait le groupe Intermarché pour continuer à voir ses produits distribués par ses soins.
C'est ainsi qu'aucun accord de coopération n'a été signé pour l'année 2001 et que par lettre du 5 novembre 2001 la société SCA les Produits du traiteur a notifié à la société La Gourmandière qu'elle cessait toute relation avec elle à compter du 30 mars 2002.
Cette dernière a, alors, considéré que les sociétés SCA les Produits du traiteur et DCAF avaient abusivement exploité l'état de dépendance économique qui était le sien et avaient mis en place une concurrence interne à son encontre en utilisant à cette fin la société Les délices d'Auzan et a, par actes des 28 janvier et 1er février 2002, assigné les intéressées devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de divers dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales, paiement injustifié de ristournes et concurrence déloyale.
Par jugement du 16 mai 2003 le tribunal saisi a débouté la demanderesse de l'ensemble de ses prétentions en estimant qu'aucun des reproches faits aux défenderesses n'était justifié.
Régulièrement appelante la société La Gourmandière a, par conclusions enregistrées le 13 février 2004 prié la cour de:
- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
- condamner la société SCA Produits du traiteur à lui payer la somme de 500 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture abusive du contrat ainsi que celle de 643 091 euro à titre de dommages et intérêts relatifs aux ristournes indûment effectuées,
Subsidiairement,
- condamner la société DCAF à lui restituer l'intégralité des sommes perçues sans cause, soit la somme de 643 091 euro correspondant aux ristournes indûment facturées,
- condamner in solidum les intimées à lui payer la somme de 1 000 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux quotidiens nationaux et un quotidien régional aux frais des intimées, in solidum, et ce sans que le coût des publications dépasse 20 000 euro en tout cas,
- condamner in solidum lesdites intimées aux dépens ainsi qu'au versement de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Par conclusions enregistrées le 16 janvier 2004 les sociétés SCA Produits du traiteur, DCAF et SNC Les délices d'Auzan ont demandé à la cour de:
- confirmer le jugement,
- condamner la société La Gourmandière aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur l'abus de dépendance économique allégué
Considérant que si la société La Gourmandière prétend sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 que les intimées auraient abusé de son état de dépendance économique en lui imposant des "remises arrière" considérées comme dépourvues de toute contrepartie, il convient, tout d'abord, de relever que les dispositions dont il est ainsi expressément excipé et aux termes desquelles engage la responsabilité de son auteur le fait "d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu...." ainsi que "d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées" ne sont pas expressément rétroactives et ne peuvent, dès lors, être appliquées à des faits antérieurs à leur entrée en vigueur; qu'en l'espèce, et ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, aucun contrat de collaboration n'a été conclu entre les parties en 2001 et celles-ci ont ultérieurement cessé toutes relations commerciales; que, par suite l'article précité ne saurait être utilement invoqué ; qu'à supposer même que celui-ci fût applicable il convient de rappeler que l'état de dépendance économique d'un fournisseur vis-à-vis d'un distributeur, lequel, est, en tout état de cause, distinct de l'appréciation de l'obtention par son partenaire commercial d'avantages illicites, doit s'apprécier au regard de l'importance de la part de chiffre d'affaires réalisé par ce fournisseur avec ce dernier, du rôle du distributeur dans la commercialisation des produits concernés, des facteurs ayant conduit à la concentration des ventes du fournisseur auprès dudit distributeur ainsi que de l'existence et de la diversité des solutions alternatives pour le fournisseur ; qu'en l'occurrence, si le chiffre d'affaires réalisé par la société La Gourmandière avec les intimées a effectivement atteint 46,95 % de son activité en 1996, cette part a, par la suite, constamment et rapidement décru; que, de toute façon, l'appelante n'a jamais contesté approvisionner également les sociétés du groupe AUCHAN ainsi que d'autres distributeurs telles les sociétés exploitées sous les enseignes "Atac" et "Monoprix" ; qu'au demeurant, la société La Gourmandière n'établit ni même n'allègue avoir manqué de solutions alternatives à celle de la grande distribution pour commercialiser des produits dont le caractère artisanal permettait la vente dans les circuits de proximité ; que, d'ailleurs, dans un courrier adressé le 20 mars 1998 à la société SCA les Produits du traiteur l'appelante indiquait, elle-même, vouloir limiter la part de son activité exercée avec cette dernière et avoir déjà développé à cet effet "d'autres marchés" ; qu'elle reconnaissait ainsi, implicitement mais nécessairement, l'existence d'une pluralité de débouchés pour sa production et l'absence d'obligation pour sa part de concentrer ses ventes auprès des distributeurs intimés ; que, dans ces conditions et sans qu'il y ait lieu de rechercher la réalité des abus allégués, il échet de constater l'absence de toute démonstration par la société La Gourmandière de l'effectivité de la dépendance économique alléguée;
Sur la rupture de contrat invoquée
Considérant que si la société appelante reproche à la société SCA Produits du traiteur d'avoir abusivement rompu "son contrat" avec elle, il sera, tout d'abord, observé qu'elle n'explicite nullement l'abus invoqué et ne caractérise même pas la convention précisément concernée par celui-ci ; que le moyen avancé n'est ainsi pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier l'exacte portée ; qu'en tout état de cause, la rupture entre les parties a été prononcée par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 novembre 2001 prévoyant un préavis expirant le 30 mars 2002; que, compte tenu tant de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties que de l'importance économique de celle-ci pour l'appelante, les modalités de la résiliation, et notamment la durée du préavis offert, ne présentent aucun aspect abusif ou brutal et doivent être regardées comme satisfaisant aux exigences de l'article L. 442-6-1-5° du Code de commerce;
Sur la demande subsidiaire en répétition de l'indu
Considérant que si la société La Gourmandière demande à titre subsidiaire que lui soient reversées les sommes qu'elle a réglées aux "sociétés DCAF, Intermarchandises France ou ITM Marchandises International" au motif que les contrats de coopération prévoyant le paiement desdites commissions n'auraient été signés qu'avec la société SCA Produits du traiteur il convient de relever que les destinataires des règlements litigieux ne sont que les dénominations successives de la société présentement intimée DCAF, dont la société SCA Produits du traiteur n'est que la filiale et qui disposait, par acte du 14 janvier 1992, d'un mandat d'encaissement l'autorisant à centraliser les paiements des prestations commerciales fournies par les autres sociétés intimées ; que, par suite, la société La Gourmandière ne saurait prétendre que les paiements effectués en application des contrats de coopération conclus seraient indus et solliciter de ce fait leur répétition;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que La Gourmandière sollicite enfin la condamnation des intimées à lui verser la somme de 1 000 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et soutient à cet effet que la société Les délices d'Auzan l'aurait "évincée" du créneau commercial dont elle disposait au sein du groupe "Intermarché" ; que cependant, l'action en concurrence déloyale, reposant non sur la présomption de responsabilité de l'article 1384 du Code civil mais sur une faute engageant la responsabilité civile délictuelle de son auteur au sens des articles 1382 et 1383 du même code, suppose l'accomplissement d'actes positifs et caractérisés dont la preuve incombe à celui qui s en prétend victime ; que la circonstance que la société SNC Les Délices d'antan ait pris la part de marché auparavant détenue par l'appelante ne saurait, en elle-même, et à elle seule, démontrer l'utilisation par celle-ci de manœuvres ou pratiques déloyales ; qu'aucun acte de dénigrement de la part des intimées des services et produits de l'appelante n'est au demeurant établi et il échet de rappeler que cette dernière ne peut, sauf à méconnaître le principe même de la liberté du commerce et de l'industrie, se prévaloir d'un quelconque droit privatif sur ses clients ; que le jeu normal de la concurrence est précisément de permettre à la loi du marché de s'exercer dans le seul intérêt du consommateur final et il appartient aux sociétés SCA Produits du traiteur et DCAF de procéder au choix du fournisseur, fût-il une filiale du groupe concerné, le mieux à même de répondre à leurs propres objectifs commerciaux ; qu'en l'espèce, au delà d'affirmations générales non corroborées, la société La Gourmandière ne justifie d'aucun acte anticoncurrentiel concret et précis de la part des sociétés intimées et ne peut, dès lors, qu'être déboutée de son action susvisée;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'aucune faute imputable aux sociétés SCA Produits du traiteur, DCAF et Les délices d'Auzan et de nature à engager leur responsabilité ne peut être retenue; qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter l'appelante de l'ensemble de ses prétentions;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande dans les circonstances de l'espèce de ne pas faire droit aux demandes formées par les intimées au titre des frais hors dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, Au fond, le rejetant, confirme le jugement, Déboute la société La Gourmandière de l'ensemble de ses prétentions, La condamne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Nut, avoué, Rejette la demande présentée par les intimées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.