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Décisions

CA Paris, 25e ch., 6 novembre 1998, n° 1996-18656

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Trassard (Epoux)

Défendeur :

Blanchard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Radenne

Avoués :

SCP Garrabos-Gerigny Freneaux, SCP Regnier-Bequet

Avocats :

Mes Damy, Lamballe, Pigeau.

TGI Paris, 5e ch., du 5 mai 1996

5 mai 1996

LA COUR statue sur l'appel relevé par M. Xavier Trassard et Mme Maryvonne Cordier, épouse Trassard, du jugement du Tribunal de grande instance de Paris, 5e chambre, rendu le 7 mai 1996, qui les a déboutés de leur demande en résolution de la vente d'un cheval sur le fondement d'un vice caché ou en annulation pour erreur sur une qualité substantielle.

Il convient de se référer aux énonciations du jugement pour l'exposé des faits et de la procédure, des prétentions et des moyens développés en première instance ; il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

Les époux Trassard ont fait l'acquisition, le 17 août 1994, d'un cheval de concours d'obstacles, dénommé Urubu du Moulin, auprès de M. Blanchard, pour le prix de 300 000 F. Cet achat était destiné à permettre à leur fils Thibault de participer à des épreuves de concours hippique junior.

Quelques jours après cette acquisition, les acheteurs ont constaté que ce cheval était atteint d'une " fourmilière " à l'antérieur droit, constituant un handicap sévère pour les épreuves auxquelles il était destiné, qui le conduisait à refuser certains obstacles, notamment les sauts de rivières.

Une expertise ordonnée en référé permettait de mettre en évidence cette lésion, qui existait lors de la vente et qui, du fait de la longueur du traitement et de la guérison, devait entraver la carrière sportive du cheval.

Les époux Trassard, estimant que le cheval était atteint d'un vice caché lors de son acquisition, ont sollicité la résolution de la vente, le remboursement de la somme de 300 000 F outre la somme d'1 F à parfaire pour les frais inhérents au cheval, 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC. Ils ont demandé subsidiairement l'annulation de la vente pour erreur sur une qualité substantielle physique ou psychique du cheval, et, en conséquence le paiement de la somme de 294 000 F, outre le remboursement des frais exposés pour le cheval, 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi par leur fils, et 30 000 F à titre d'indemnité de procédure.

M. Blanchard s'est opposé à ces demandes en faisant valoir que les acheteurs avaient fait essayer, par leur fils, le cheval, qu'ils connaissaient par ailleurs, et en indiquant qu'une visite médicale avait eu lieu, concluant à l'aptitude du cheval à la compétition en l'absence de toute pathologie décelée le jour de la vente.

Il a soulevé l'irrecevabilité de la demande du fait du non-respect du bref délai de l'article 1648 du Code civil, et, plus précisément, du délai de dix jours prévu par le décret du 28 juin 1990, applicable à la vente d'animaux domestiques. Subsidiairement, il a soutenu que le vice était apparent le jour de la vente, puisque la fissure aurait dû être décelée par le docteur Lepagne, étant décelable sur les clichés radiographiques réalisés par ce vétérinaire, bien qu'aucune manifestation extérieure de cette fourmilière n'eût existé le jour de la vente.

Par conséquent l'erreur sur la qualité substantielle du cheval alléguée à titre subsidiaire par les demandeurs, consistant dans le refus du cheval, lors de son premier concours avec le fils des acquéreurs, de franchir les rivières, il a estimé que ce refus relevait davantage de la façon de monter du jeune Trassard et de l'entente non encore réalisée entre le cheval et son cavalier.

Il a soutenu avoir agi en vendeur occasionnel de bonne foi et a sollicité le débouté des époux Trassard de leur demande complémentaire de dommages-intérêts, ainsi que leur condamnation à lui payer la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Les premiers juges ont écarté l'exception d'irrecevabilité de la demande relevant que le bref délai pour agir avait été respecté par les époux Trassard en assignant au fond le 4 mai 1994 après le dépôt du rapport de l'expert désigné en référé.

Ils ont relevé que les acheteurs avaient fait procéder le jour de la vente à l'examen vétérinaire du cheval et que le docteur Lepagne, désigné par eux, avait eu la possibilité de se rendre compte, à l'examen des clichés, de l'existence de la fissure, non apparente pour le profane, mais décelable par un vétérinaire. Ils ont en conséquence estimé que les acheteurs ne pouvaient se prévaloir d'un vice caché.

Ils ont également écarté la demande des époux Trassard sur le fondement de l'erreur sur une qualité substantielle en soulignant que le refus d'obstacle disparaissait lorsque le cheval était monté par son ancien propriétaire et que le délai de quinze jours, observé en l'espèce par les acheteurs pour formuler leur réclamation était insuffisant pour permettre à un cheval de compétition de s'habituer à son nouveau cavalier. Ainsi la preuve d'une erreur sur une qualité substantielle du cheval n'est pas rapportée.

Appelants, M. Xavier Trassard et Mme Maryvonne Trassard concluent à l'infirmation du jugement et, renonçant à leur action en résolution et en annulation de la vente, sollicitent, sur le fondement de l'action estimatoire, la condamnation de M. Blanchard à leur restituer la somme de 150 000 F sur le prix de vente versé, et à leur payer les sommes de 100 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice sportif, 9 573,06 à titre de remboursement des frais de maréchalerie et de vétérinaire, 44 000 F à titre de frais de pension et 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Ils sollicitent en outre que ces sommes soient augmentées des intérêts en taux légal à compter de l'assignation au fond, avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil.

Ils font valoir en substance que :

- le bref délai de l'article 1648 du Code civil a été respecté puisque, dès le 6 septembre 1994, ils demandaient aux vendeurs de reprendre leur cheval, dont l'affection avait été confirmée par un autre vétérinaire que celui consulté lors de la vente, et sollicitaient parallèlement la restitution du prix de vente,

- en l'absence de réponse, ils ont saisi, le 19 septembre 1994, le juge des référés pour obtenir une mesure d'expertise, qui a été ordonnée le 30 septembre 1994. Cette mesure a permis de confirmer que la fourmilière était antérieure à la vente,

- le vice constaté ne présentait aucun caractère apparent lors de la vente, l'animal ne présentant alors aucune lésion externe qui fût décelable, étant souligné que les acquéreurs n'ont aucune compétence vétérinaire et qu'ils doivent, de ce fait, se voir appliquer le régime des acquéreurs non professionnels, considérant comme un vice caché que seul un technicien aurait pu découvrir,

- l'expert rappelle que la lésion n'était pas cliniquement visible lors de la vente et il a dû lui-même solliciter l'avis du Professeur Denoix pour confirmer son diagnostic,

- Les premiers juges ont tiré une conséquence erronée de la présence de M. le docteur Lepage lors de la visite d'achat, puisque la non-détection par ce spécialiste de la lésion du cheval justifiait encore plus que les appelants, profanes, n'eussent rien décelé,

- la réduction du prix est seule demandée devant la cour, car les acquéreurs ne souhaitent plus se séparer de leur cheval mais obtenir la reconnaissance de sa valeur réelle le jour de la vente,

- l'indisponibilité du cheval pour les compétitions pendant une période de 22 mois a entraîné des frais de pension et de vétérinaires qui doivent être payés par les vendeurs ainsi que la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice sportif.

Intimé, M. Blanchard sollicite que l'action des époux Trassard soit déclarée irrecevable comme tardive, subsidiairement, que le jugement soit confirmé en toutes ses dispositions, et demande en outre la condamnation des appelants à lui payer la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Il expose principalement que :

- les époux Trassard n'ont introduit leur référé que dans le délai d'un mois à compter de la vente et leur assignation au fond que quatre mois et demi après le dépôt du rapport d'expertise, soit en dehors du bref délai imposé en la matière,

- l'intervention, lors de la vente, d'un vétérinaire particulièrement qualifié pour effectuer la visite d'achat, accompagnée de prise de clichés radiographiques, permettaient de constater l'existence de la fissure de l'antérieur droit compatible avec une fourmilière. Les époux Trassard ne pouvaient donc se prévaloir d'un vice caché, dès lors qu'il aurait dû être décelé par le docteur Lepage,

- la demande en réduction de prix des époux Trassard fondée sur l'article 1644 du Code civil doit être rejetée, étant observé que le prix du cheval n'a pas été surévalué lors de sa vente par M. Blanchard,

- la carrière du cheval Urubu du Moulin qui avait accumulé les bonnes performances avec M. Blanchard, a repris de façon prestigieuse depuis le mois de juin 1996 avec Thibault Trassard,

- étant vendeur occasionnel et de bonne foi, M. Blanchard ne peut se voir condamner à des dommages-intérêts ni au titre des dépenses occasionnées par l'entretien et les soins du cheval pour la période d'exclusion de compétition.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que lors de la visite d'achat du cheval Urubu du Moulin, effectuée avec le concours du docteur Lepage, le 17 août 1994, les clichés radiographiques ont fait apparaître au niveau de l'antérieur droit une fissure profonde du sabot, confirmée lors de l'expertise et par un spécialiste, le professeur d'anatomie Denoix, consulté spécialement par l'expert ;

Que cette lésion de l'antérieur droit, qui constituait la seule anomalie radiologique décelée, était antérieure à la vente, compatible avec une fourmilière et devait impérativement être portée à la connaissance des acheteurs ;

Que l'absence de lésion externe constatée lors de la vente n'excluait pas, en effet, une lésion plus profonde révélée précisément par la radiographie,

Considérant qu'il ressort de l'expertise diligentée par le professeur J.-P. Catard, désigné par ordonnance de référé du 30 septembre 1994, que la lésion était décelable lors de la visite d'achat, étant révélée par la radiographie ;

Qu'une telle affection, qui s'est aggravée par la suite, nécessitait un traitement hygiénique et médical d'une durée de six mois, pendant lesquels toute compétition devait être interrompue pour éviter des complications de bascule sur la troisième phalange ;

Considérant que le vice, ayant été révélé à l'occasion des vérifications effectuées lors de la visite d'achat, ne peut entrer dans la catégorie des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil, au seul motif qu'il n'aurait pas été porté à la connaissance des acheteurs par le docteur vétérinaire qu'ils avaient eux-mêmes sollicité ;

Qu'il appartenait aux acheteurs, non professionnels mais suffisamment avisés en la matière, du fait du niveau élevé de compétition que pratiquait leur jeune fils, de prendre toutes précautions pour contrôler les interprétations qui pouvaient être faites des clichés radiographiques, en raison de l'importance de l'investissement réalisé et nonobstrant la fonction prestigieuse du vétérinaire désigné pour procéder à l'examen ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité soulevée par l'intimé n'a plus lieu d'être examinée ;

Considérant que les époux Trassard seront en conséquence déboutés de l'intégralité de leurs demandes contre M. Blanchard ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Blanchard les frais non recouvrables de procédure exposés par lui en cause d'appel ; qu'il convient de condamner les époux Trassard à lui payer à ce titre la somme de 5 000 F ;

Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel, Condamne M. Xavier Trassard et Mme Maryvonne Trassard à payer à M. Blanchard la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC. Condamne M. Xavier Trassard et Mme Maryvonne Trassard aux dépens d'appel et Admet la SCP Regnier Bequet au bénéfice de l'article 699 du NCPC.