CA Paris, 5e ch. A, 19 février 1997, n° 20850-94
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pigeat
Défendeur :
Procrédit (Sté), RL Financement (Sté), Feraud-Prax (ès qual.), Rafoni (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vigneron
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Cosses, SCP Bernabe Ricard
Avocats :
Mes Smietana, Campana
Monsieur Richard Pigeat a, suivant déclaration remise au secrétariat-greffe le 12 août 1994, interjeté appel du jugement réputé-contradictoire rendu le 13 juin 1994 par le Tribunal de commerce de Paris qui a dit, recevables mais mal fondées les demandes introduites par Monsieur Pigeat à l'encontre des sociétés RL France et RL Financement et de Me Feraud-Prax pris en sa qualité de liquidateur de RL France SA, condamné Monsieur Pigeat à payer à la société Procrédit la somme de 90 416,96 F TTC, débouté les parties de leurs autres demandes et condamné Monsieur Pigeat aux entiers dépens.
Monsieur Pigeat a signifié le 3 mai 1996 des conclusions récapitulatives par lesquelles il demande à la cour, réformant la décision entreprise :
- à titre principal de prononcer la résolution du contrat de vente aux torts exclusifs des sociétés RL France et RL Financement et la résiliation du contrat de crédit-bail du 29 septembre 1989, de condamner en conséquence la société RL Financement à lui payer la somme de 1 827,03 F au titre de la première mensualité de loyer, celle de 70 100,50 F en remboursement du prix de vente du matériel et celle de 148 562 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial et de fixer aux mêmes montants sa créance sur la société RL France prise en la personne de son liquidateur Me Rafoni, de lui donner acte de ce qu'il s'engage à remettre le prix de vente à la société Procrédit, et de débouter cette dernière envers laquelle il n'est redevable d'aucune somme à quelque titre que ce soit (loyers ou indemnité de résiliation), de l'intégralité de ses demandes,
- à titre subsidiaire de prononcer la nullité du contrat de crédit-bail du 29 septembre 1989 et de condamner la société Procrédit à lui payer la somme de 1 868,70 F au titre de la première mensualité et celle de 148 562 F en réparation de son préjudice commercial.
Il poursuit en toute hypothèse la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Procrédit de sa demande en paiement de la somme de 5 831,20 F à titre de clause pénale, et la condamnation in solidum de RL Financement et de Procrédit à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC, sa créance devant être fixée de ce chef à la même somme sur la société RL France prise en la personne de son liquidateur Me Rafoni.
Monsieur Pigeat expose qu'exerçant l'activité de débit de boissons sous l'enseigne " Bar du marché" au Creusot il a souscrit auprès de la société RL Financement, le 29 septembre 1989 un contrat de location d'une friteuse automatique fournie par RL France moyennant le paiement de 48 loyers de 1 868,70 F TTC dont il a réglé le premier; que la machine ayant fait l'objet de pannes dès sa mise en service il a en vain demandé à RL France l'annulation du contrat et cessé de régler les échéances dont le bénéfice avait été transféré à Procrédit, qui lui a notifié le 23 avril 1990 la résiliation du contrat de location.
Il fait grief au premier juge d'avoir retenu que la dite résiliation avait mis fin à la délégation d'action en garantie et résolution de la vente dont il disposait en tant que locataire, et qu'en toute hypothèse il n'était pas fondé à exercer l'action fondée sur les vices cachés, apparus dès le lendemain de la livraison, faute d'avoir respecté le bref délai de l'article 1648 du Code civil et soutient que ce n'est qu'après expertise que l'origine des désordres a pu être déterminée, que son action ne peut être considérée comme tardive, et qu'en toute hypothèse elle est également fondée sur l'inexécution par RL France et RL Financement de leur obligation de délivrance d'une chose conforme en vertu de l'article 1604 du Code civil.
Il s'estime dès lors fondé à poursuivre la résolution de la vente, qui entraîne nécessairement la résiliation du contrat de bail, et subsidiairement la nullité du dit contrat pour défaut de cause.
La société Procrédit poursuit la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée du surplus de sa demande, et la condamnation de Monsieur Pigeat à lui payer la somme de 5 831,20 F au titre de la clause pénale, et les intérêts de la créance au taux contractuel prévu à l'article 13 du contrat à compter de la mise en demeure du 23 avril 1990, sollicitant en outre la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du Code civil (demande formée par conclusions du 24 mars 1995) et la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient qu'en application du contrat de location Monsieur Pigeat ne peut rechercher sa responsabilité en raison du mauvais fonctionnement de l'appareil par lui choisi, qu'il ne peut prétendre obtenir la résolution de la vente sur le fondement des vices cachés car il a attendu quatre ans à compter de la découverte du vice pour introduire une action au fond à l'encontre du fournisseur, ni invoquer une prétendue non-conformité de la chose vendue à sa destination, alors qu'il s'agit d'un vice, pour échapper au bref délai de l'article 1648 du Code civil, et qu'il y a lieu en conséquence d'appliquer les clauses du contrat qui règlent les conséquences de la résiliation du contrat de location, intervenue en avril 1990 pour non-paiement des loyers.
Me Feraud-Prax ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société RL France conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Me Rafoni, qui a succédé à Me Feraud-Prax en cette qualité, assigné à personne le 4 septembre 1996, n'a pas constitué avoué. La société RL Financement, assignée et réassignée suivant les modalités de l'article 659 du NCPC, n'a pas comparu.
Le présent arrêt est réputé contradictoire par application des dispositions de l'article 474 al 2 du NCPC.
Sur ce, LA COUR:
Considérant que suivant contrat du 29 septembre 1989 la société RL Financement a donné en location à Monsieur Pigeat exploitant le " Bar du marché " au Creusot une friteuse semi- automatique, qui devait lui être livrée par RL France le 19 octobre 1989, pour une durée de 4 ans moyennant le paiement de loyers mensuels de 1 868,70 F TTC qui devaient faire l'objet d'un prélèvement automatique; que par acte de transfert du même jour signé par l'ensemble des parties la société Procrédit s'est substituée au bailleur d'origine;
Considérant que dès le 20 octobre 1989, Monsieur Pigeat a écrit à la société RL France pour se plaindre du matériel, qui avait connu deux pannes en 30 minutes de service et émettait des odeurs insupportables, et demander l'annulation du contrat de vente; que le 24 octobre suivant la société RL France, indiquant qu'il s'agissait d'un défaut de fabrication rencontré sur plusieurs appareils, a fait connaître à Monsieur Pigeat que dans le cadre de sa garantie elle procédera à un échange avec un matériel neuf mais qu'il n'était pas question d'annuler la vente et qu'il lui appartenait de respecter ses engagements envers la société de financement; que Monsieur Pigeat a alors avisé RL Financement puis Procrédit de ce qu'il n'avait pas l'intention de poursuivre l'exécution des contrats et annulerait sa demande de prélèvement automatique des échéances;
Considérant que par courrier recommandé en date du 23 avril 1990 la société Procrédit a notifié à Monsieur Pigeat la résiliation de plein droit, pour non-paiement des loyers, du contrat de location, sollicité la restitution du matériel et informé son débiteur du montant de sa dette, qu'elle détaillait, pour un total de 98 890,57F TTC;
Considérant que Monsieur Pigeat a, le 2 octobre 1990, fait assigner en référé la société RL France pour voir désigner un expert avec mission d'examiner le matériel défectueux et chiffrer son préjudice; qu'il ressort des conclusions du rapport de Monsieur Elbeze, l'expert désigné, que les pannes que présente l'appareil ont pour cause un défaut de conception et de réalisation, puisque le système électronique de mesure de température étant sensible à sa propre température il est susceptible d'arrêter intempestivement le fonctionnement de l'appareil en détectant une température erronée;
Considérant que Monsieur Pigeat, qui n'a agi à l'encontre des sociétés RL France et RL Financement que par actes d'huissier du 9 septembre 1993 ayant pour objet de les attraire à la procédure diligentée à son encontre par Procrédit depuis le 8 novembre 1990, fait grief au jugement entrepris de l'avoir débouté de sa demande de résolution de la vente et ce aux motifs que la résiliation du contrat de crédit-bail étant intervenue il ne bénéficiait plus de la délégation d'action dont il disposait en tant que locataire et qu'il n'avait pas respecté le bref délai de l'article 1648 du Code civil;
Considérant, sur le premier point, que dans un contrat de crédit-bail le mandat consenti au crédit-preneur par le crédit-bailleur pour l'exercice des recours contre le fournisseur a pour contrepartie la renonciation du preneur au bénéfice de la garantie du bailleur, et se trouve dès lors soumis aux mêmes conditions de déchéance que l'aurait été le droit de mettre en jeu cette garantie; que la résiliation du crédit-bail est donc sans incidence sur l'exercice de ce mandat;
Considérant, sur l'inobservation du bref délai de l'article 1648 du Code civil, que Monsieur Pigeat soutient d'une part qu'il a agi dans un bref délai à compter du dépôt du rapport de l'expert qui a seul déterminé l'origine des désordres, d'autre part que son action a aussi pour fondement l'inexécution par le vendeur de son obligation de délivrer une chose conforme en vertu de l'article 1604 du Code civil, laquelle n'est soumise à aucun délai;
Considérant que la conformité à laquelle prétend Monsieur Pigeat n'est pas la conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties, le matériel livré étant celui qui a été commandé, mais la conformité à sa destination normale qui est de fonctionner sans arrêts intempestifs; que le régime juridique applicable est donc celui de la garantie des défauts cachés de la chose vendue de l'article 1641 du Code civil, et l'action doit être engagée dans le bref délai de l'article 1648;
Considérant que Monsieur Pigeat ne peut prétendre prendre comme point de départ de ce délai le dépôt du rapport d'expertise qui a déterminé l'origine des désordres, alors que dès le 24 octobre 1989 la société RL France auprès de laquelle il se plaignait du mauvais fonctionnement de l'appareil par elle fourni lui a indiqué expressément qu'il s'agissait d'un défaut de fabrication déjà rencontré sur plusieurs appareils; que Monsieur Pigeat, qui avait dès cette date une connaissance certaine du vice affectant le matériel, n'a pas agi dans un bref délai puisqu'il n'a exercé son action en résolution de la vente que le 9 septembre 1993, soit près de quatre années plus tard; que son action est en conséquence irrecevable;
Considérant qu'à titre subsidiaire Monsieur Pigeat soutient que le contrat de crédit-bail est nul pour défaut de cause dès lors que la chose louée est atteinte d'un vice rédhibitoire qui prive l'utilisateur de sa jouissance de sorte qu'il n'existe pas de contrepartie au paiement des loyers;
Mais considérant qu'aux termes de l'article 1.3 du contrat de locataire qui reconnaît avoir procédé sous sa seule responsabilité au choix de l'équipement s'interdit de rechercher la responsabilité du loueur en cas de mauvais fonctionnement et de lui en faire supporter les conséquences, les loyers étant dus en toute hypothèse aux échéances prévues; qu'en contrepartie de sa renonciation à tout recours contre le crédit-bailleur l'article 3.4 lui délègue le droit de ce dernier d'agir en garantie à l'encontre du fournisseur; que le moyen n'est pas fondé et Monsieur Pigeat doit être débouté de l'ensemble de ses demandes;
Considérant, sur l'appel incident de la société Procrédit, que c'est à juste titre que le tribunal a refusé d'allouer à cette dernière la somme de 5 831,20 F réclamée à titre de clause pénale, cette pénalité présentant un caractère manifestement excessif compte tenu de l'allocation de l'intégralité de l'indemnité de résiliation sollicitée, qui présente elle-même le caractère de clause pénale;
Considérant que si la société Procrédit est en droit de prétendre au paiement des intérêts au taux contractuel prévus à l'article 7.4 du contrat s'agissant des loyers impayés (soit 20 560,54 F HT) soit 24 384,80 F TTC à compter du dernier arrêté de compte (25 octobre 1990), il n'en est pas de même des autres postes de la condamnation (intérêts sur loyers jusqu'au 25 octobre 1990, indemnité forfaitaire d'impayé et indemnité de résiliation) qui, en l'absence de dispositions contractuelles sur ce point, ne peuvent porter intérêts qu'au taux légal et à compter de l'assignation du 8 novembre 1990 seulement en l'absence de mise en demeure préalable, la lettre de Procrédit du 23 avril 1990 ne présentant pas un tel caractère;
Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus dans les termes de l'article 1154 du Code civil à compter de la demande, formée par conclusions du 24 mars 1995;
Considérant que l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du NCPC;
Par ces motifs: Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande de Monsieur Pigeat à l'encontre de la société RL France et le réformant de ce chef et statuant à nouveau ; Déclare irrecevable l'action de Monsieur Pigeat à l'encontre de la société RL France ; Y ajoutant ; Condamne Monsieur Pigeat au paiement d'intérêts: - au taux contractuel à compter du 25 octobre 1990 sur la somme de 24 384,80 F, - au taux légal à compter du 8 novembre 1990 sur la somme de 66 032,16 F ; Ordonne la capitalisation des intérêts échus dans les termes de l'article 1154 du Code civil; Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne Monsieur Pigeat aux dépens ; Accorde à la SCP Cossec et à la SCP Barnabe Ricard avoués le bénéfice de l'article 699 du NCPC.