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Décisions

Cass. crim., 8 février 2005, n° 04-86.873

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Gailly

Avocat général :

Mme Commret

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.

Rennes, du 9 nov. 2004

9 novembre 2004

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : - la société X, - la société Y, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Rennes, en date du 9 novembre 2004, qui, dans l'information suivie contre elles du chef de tromperie, a rejeté leur demande en annulation de pièces de la procédure ; - Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 17 décembre 2004, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'une plainte du groupement agricole d'exploitation en commun Z, des agents de la brigade des enquêtes vétérinaires et sanitaires ont effectué, le 22 décembre 2000, dans les locaux de cette exploitation d'élevage de bovins, trois prélèvements de "tourteaux de soja 48 broyés", aliment fabriqué par la société Y et distribué par la société X ;

Que, par ailleurs, le 12 janvier 2001, le directeur technique de la société W, filiale de la société Y, a remis aux agents de la brigade d'enquêtes vétérinaires et sanitaires quatre prélèvements de produits d'alimentation animale opérés le 23 octobre 2000 ; que le procès-verbal constatant cette remise, signé par un enquêteur et deux salariés de la société, comportait la mention suivante : "Il est convenu que ces prélèvements constitués de quantités insuffisantes pour être scindés respectivement en trois échantillons, qui permettraient des analyses contradictoires, ne seront analysés qu'à titre informatif et ne permettront pas de contre-expertise" ;

Que les analyses réalisées par le laboratoire technique de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont révélé la présence, dans certains produits, de fragments d'os d'animaux terrestres ainsi que d'arêtes et d'écailles de poissons ; que, le 17 novembre 2003, les sociétés Y et X, mises en examen du chef de tromperie, ont saisi la chambre de l'instruction, dans le délai prévu par l'article 175 du Code de procédure pénale, d'une requête en annulation de tous les documents et pièces relatifs aux prélèvements opérés tant le 22 décembre 2000, dans les locaux du groupement agricole Z, que le 12 janvier 2001, dans ceux de la société W ; que, par l'arrêt attaqué, la chambre de l'instruction a rejeté cette requête ; En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 215-9, L. 215-11, L. 215-12 du Code de la consommation, des articles préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation du principe du contradictoire et des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête tendant à l'annulation de tous les documents et pièces relatifs aux prélèvements effectués le 22 décembre 2000 dans les locaux du GAEC Z, sans que les sociétés Y et Sica X aient été avisées de leur droit de prendre communication du rapport du laboratoire et qu'un délai de trois jours francs leur ait été ouvert pour présenter leurs observations et pour faire connaître si elles réclamaient l'expertise contradictoire prévue à l'article L. 215-9 du Code de la consommation ;

"aux motifs, que cette omission n'a pas eu pour effet de rendre nuls les prélèvements effectués régulièrement et la procédure subséquente ; en effet, la loi ne fixe pas de délai à l'autorité judiciaire pour aviser l'auteur présumé de la fraude ou de la falsification de son droit de prendre connaissance du rapport du laboratoire et lui impartir un délai de trois jours pour présenter ses observations et pour faire connaître s'il réclame l'expertise contradictoire ; qu'elle ne réserve pas non plus au seul procureur de la République cette information et, dans l'hypothèse où elle lui est demandée, l'organisation de l'expertise contradictoire de l'article L. 215-9 du Code de la consommation ; qu'en effet, lorsque, comme en l'espèce, la présomption de fraude ou de falsification résulte de l'analyse faite au laboratoire, le juge d'instruction et éventuellement la juridiction de jugement tiennent de l'article L. 215-12 le pouvoir d'aviser des résultats de l'analyse l'auteur présumé de la fraude et, si celui-ci le demande, ou bien d'office, d'ordonner eux-mêmes l'expertise contradictoire selon les modalités de l'article L. 215-12 du Code de la consommation prévoyant l'intervention de deux experts, l'un nommé par la juridiction, l'autre choisi par l'auteur présumé de la fraude ; qu'en l'espèce il appartient au juge d'instruction de Brest de mettre en œuvre la procédure prévue à l'article L. 215-11 du Code de la consommation ;

"alors, d'une part, qu'en vertu des articles L. 215-11 du Code de la consommation, dans le cas où la présomption de fraude ou de falsification résulte d'une analyse faite au laboratoire, l'auteur présumé de la fraude ou de la falsification est avisé, par le procureur de la République, qu'il peut prendre communication du rapport du laboratoire et qu'un délai de trois jours francs lui est imparti pour présenter ses observations et pour faire connaître s'il réclame l'expertise contradictoire prévue à l'article L. 215-9 du même Code ;

que ce bref délai touche aux droits de la défense, dans la mesure où il permet une contre-expertise efficace, dans des domaines où compte la fraîcheur du produit expertisé ; qu'en l'espèce l'absence de cette formalité après les prélèvements effectués le 22 décembre 2000 dans les locaux du GAEC Z a fait nécessairement grief aux sociétés Y et Sica X, qui n'ont été informées qu'après leurs mises en examen lors de la notification des dispositions de l'article 175 du Code de procédure pénale, dès lors que la contre-expertise risquait de ne plus avoir la moindre efficacité ; qu'ainsi la décision de la chambre de l'instruction de refuser l'annulation de tous les documents ou pièces relatifs à ces prélèvements viole nécessairement les articles et principes susvisés ;

"alors, d'autre part, qu'il était impossible pour le juge d'instruction, après avoir notifié aux sociétés Y et Sica X leur mises en examen et la fin de l'instruction, d'ordonner cette contre-expertise ; que, dès lors, la chambre de l'instruction, qui n'a pas estimé elle-même utile de mettre en œuvre cette contre-expertise contradictoire, et qui était saisie d'une requête en nullité des prélèvements et pièces afférentes, était obligée d'y faire droit ; que, en s'y refusant, elle a de nouveau violé les textes et principes susvisés ;

"alors, enfin, que ne saurait réparer l'omission de ces formalités essentielles au respect du principe du contradictoire et des droits de la défense la simple possibilité pour la juridiction de jugement, qui ne peut pas y être obligée par les personnes renvoyées devant elle, d'ordonner elle-même l'expertise contradictoire prévue à l'article L. 215-9 du Code de la consommation" ;

Attendu que, pour obtenir l'annulation du bulletin d'analyse des prélèvements effectués le 22 décembre 2000, les sociétés X et Y ont soutenu que, d'une part, le procureur de la République ne les ayant pas mises en mesure de prendre communication du rapport du laboratoire, elles se trouvaient privées du droit de réclamer l'expertise contradictoire prévue par l'article L. 215-9 du Code de la consommation et que, d'autre part, l'ancienneté des prélèvements rendait impossible la réalisation de cette expertise ;

Attendu que, pour écarter cette argumentation, l'arrêt relève qu'il appartient au juge d'instruction saisi de l'information de recourir à la procédure prescrite par l'article L. 215-11 du Code précité afin de mettre les sociétés mises en examen en mesure de réclamer l'expertise contradictoire prévue ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'impossibilité de mettre en œuvre l'expertise contradictoire aurait pour seule conséquence de priver de valeur probante les analyses en cause, la cour d'appel a justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 215-9, L. 215-11, L. 215-12, R. 215-1 et suivants du Code de la consommation, des articles préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation du principe du contradictoire et des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête tendant à l'annulation de tous les documents et pièces relatifs aux prélèvements effectués le 12 janvier 2001 à l'usine R de Hennebont ;

"aux motifs, que le 12 janvier 2001, dans les locaux de fabrication de l'aliment litigieux, les services vétérinaires ont pris deux initiatives : d'abord, à la demande des responsables de l'entreprise, aux fins d'une analyse qualifiée par eux d'informati(ve) et, après avoir expressément indiqué qu'ils entendaient se placer hors du cadre des dispositions du Code de la consommation, ce qui avait pour effet de priver les résultats de toute force probante, ils ont accepté la remise d'un échantillon de tourteaux de soja 48, d'un aliment pour bovin dénommé Leader 40, d'un deuxième aliment pour bovin dénommé Tourteau Mixte 40 et du soja tel qu'il arrivait en vrac à l'usine (...) ; en acceptant, pour l'information d'Y, et avec son accord, de faire analyser quatre échantillons d'aliments fabriqués par elle, les services vétérinaires ont mentionné expressément dans le procès-verbal qu'ils agissaient hors du cadre défini par les articles L. 215-9 et suivants et R. 215-3 du Code de la consommation ; dès lors, Y n'est pas fondée à venir ensuite, sur le fondement de ces mêmes textes, solliciter l'annulation de cette expertise officieuse qu'elle a acceptée, et qui, en toute hypothèse, ne peut lui préjudicier dans la mesure où elle ne peut constituer la preuve d'une fraude éventuelle de sa part ;

"alors, d'une part, que les prélèvements et analyses de produits altérables qui ne respectent pas le cadre défini aux articles L. 215-9 et suivants et R. 215-2 et suivants du Code de la consommation font nécessairement grief aux personnes mises en cause et doivent être annulés ; qu'en l'espèce, en refusant de tirer les conséquences de ses propres constatations et de prononcer la nullité des prélèvements effectués le 12 janvier 2001 à l'usine R de Hennebont "hors du cadre des dispositions du Code de la consommation" aux fins d'une analyse qualifiée "d'informati(ve)", la chambre de l'instruction a violé les articles et principes susvisés ;

"alors, d'autre part, que la chambre de l'instruction ne pouvait affirmer, sans dénaturer les procès-verbaux établis par la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et sanitaires, que la remise des prélèvements par M. Le X..., directeur technique de la société R le 12 janvier 2001, a été faite "pour l'information de Y, et avec son accord" et que cette dernière a accepté cette expertise officieuse ; que cette dénaturation entache nécessairement la décision de la chambre de l'instruction d'une nullité absolue ;

"alors, de surcroît, que la renonciation des représentants de la société R à une contre-expertise ne saurait être opposée aux sociétés Y et Sica X aujourd'hui mises en examen dans la présente procédure, qui n'ont jamais renoncé à la contre-expertise du Code de la consommation ;

"alors, enfin, que peu importe que ces prélèvements et analyses puissent ou non être utilisés comme la preuve d'une fraude éventuelle, tous les documents et pièces y afférents doivent être purement et simplement supprimés du dossier de la procédure" ;

Vu les articles L. 215-9, R. 215-4 du Code de la consommation et 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que, pour permettre la réalisation de l'expertise contradictoire prévue par l'article L. 215-9 susvisé, tout prélèvement doit, selon l'article R. 215-4, comporter au moins trois échantillons ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour rejeter la demande en annulation des bulletins de l'analyse réalisée sur les échantillons uniques remis le 12 janvier 2001, formée par les sociétés mises en examen qui soutenaient avoir été privées de la possibilité d'obtenir une expertise contradictoire, l'arrêt retient que les responsables de l'entreprise ont accepté que soit effectuée une expertise officieuse dont les résultats ne pouvaient constituer la preuve d'une fraude de leur part ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, et alors que, d'une part, elle constatait que les analyses effectuées, dont les résultats sont versés au dossier de la procédure, avaient été réalisées sur des échantillons uniques ne permettant pas une expertise contradictoire et, d'autre part, que l'accord des sociétés mises en cause n'avait porté que sur le principe d'une analyse effectuée à "titre informatif" et, par conséquent, non destinée à servir de base aux poursuites engagées pour tromperie, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, casse et annule l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Rennes, en date du 9 novembre 2004, en ses seules dispositions ayant rejeté la demande en annulation des bulletins d'analyses des prélèvements effectués le 12 janvier 2001, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.