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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 28 novembre 1997, n° 9602351

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Deltasur (Sté)

Défendeur :

Le Collinet, Cepex (Sté), Clément, Frans Bonhomme (SA), ISAF (Sté), Samson, Sinteticas Industrias Abril (Sté), SMABTP (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lefevre

Conseillers :

Mmes L'Henoret, Sabatier

Avoués :

Mes Chaudet & Brebion, d'Aboville & de Moncuit Saint-Hilaire, Gautier, Bourges, Bazille & Genicon, Leroyer-Barbarat, Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Marcovitch, Guerin, Bidault, Guillotin, SCP Gosselin

CA Rennes n° 9602351

28 novembre 1997

Exposé du litige et de la procédure :

Monsieur Le Collinet artisan plombier qui aménage des chaînes de distribution d'aliments pour porc fait l'acquisition en 1987 auprès de la société Frans Bonhomme, assurée par la compagnie Deltasur de vannes plastique de marque ISAF, distribuées en France par la société ISAF France, assurée auprès de la SMABTP.

Ces vannes conçues par la société de droit espagnol Cepex ont été fournies à la société ISAF France par la société Industrias Sinteticas Abril, société espagnole.

A la suite de désordres apparus au cours de l'été 1987, qui n'ont pu être réparés, Monsieur Le Collinet par acte du 15 février 1990 a fait assigner en référé les sociétés Frans Bonhomme et ISAF France et leurs assureurs à l'effet d'obtenir une expertise.

Par ordonnance du 28 février 1990, le Président du Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a ordonné cette expertise et l'a confiée à Monsieur Pore Louis.

Sur demande de la société ISAF France et de la SMABTP les opérations d'expertise ont été étendues par ordonnance de référé du 17 octobre 1990 aux sociétés Cepex et Sinteticas Industrias Abril.

L'expert a clos son rapport le 22 mars 1991.

Par acte du 16 juin 1992, Monsieur Le Collinet a assigné au fond la société Frans Bonhomme.

Celle-ci a appelé en garantie la société ISAF France et la SMABTP par acte du 5 août 1992 et a assigné en intervention Maître Samson et Maître Clément, respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers de la société ISAF, par acte du 29 décembre 1992.

La compagnie Deltasur a été appelée en cause par Monsieur Le Collinet par acte du 2 mars 1993 ; les sociétés Cepex et Sinteticas Industrias Abril ont été assignées en intervention par la société ISAF France par acte du 19 décembre 1994.

Par jugement du 4 octobre 1993, le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SMABTP, l'a condamnée à payer à Monsieur Le Collinet et à la société Frans Bonhomme une somme de 2 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a invité les parties à conclure au fond.

La cour par arrêt du 18 mai 1994 a considéré que le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc s'était déclaré à tort compétent pour connaître de la demande de garantie formée par la société Frans Bonhomme contre la SMABTP et a renvoyé l'affaire de ce chef devant le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc.

Par jugement du 15 janvier 1996, le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a :

- reçu en la forme la demande de Monsieur Le Collinet,

- homologué le rapport de l'expert en ce qui concerne le préjudice matériel visant les réparations des vannes,

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Cepex,

- condamné solidairement la société Frans Bonhomme, la compagnie Deltasur, Maître Samson ès qualité d'administrateur de la société ISAF France, Maître Clément ès qualité de mandataire liquidateur de la société ISAF France, la SMABTP au paiement de la somme de cent vingt huit mille quatre vingt douze francs (128 092 F) avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice du 16 juin 1992 à elles de se retourner contre les sociétés Sinteticas Industrias et Cepex,

- débouté Monsieur Le Collinet de sa demande d'indemnisation du préjudice commercial de 50 000 F constatant qu'il n'a pas fourni de justificatif attestant de la réalité du préjudice invoqué,

- condamné solidairement la société Frans Bonhomme, la société Deltasur, Maître Samson ès qualité d'administrateur de la société ISAF France, Maître Clément ès qualité de mandataire liquidateur de la société ISAF France, la SMABTP à payer à Monsieur Le Collinet la somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté la société Deltasur, la société ISAF France de leurs demandes fins et conclusions,

- débouté la société Cepex de ses demandes,

- condamné solidairement la société Frans Bonhomme, la société Deltasur, Maître Samson et Maître Clément ès qualités aux entiers dépens.

La compagnie Deltasur a relevé appel.

La société Frans Bonhomme, la société Cepex, la société SMABTP et Maître Clément ont formé des appels incidents.

La société Sinteticas Industrias Abril assignée à parquet le 12 mai 1997, n'a pas comparu ni personne pour elle.

Moyens et prétentions des parties :

Au soutien de son appel, la compagnie Deltasur fait valoir que le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc n'a pas précisé qui elle devait garantir, rappelant qu'elle est l'assureur de la société Frans Bonhomme.

Elle prétend que cette dernière a souscrit une assurance responsabilité civile et que sa garantie est exclue quant à la reprise d'une prestation défectueuse dont au demeurant l'assuré n'est ni le concepteur ni le fabriquant.

En toute occurrence, elle considère que la société Frans Bonhomme simple revendeur des vannes défectueuses, n'est pas responsable des désordres qui relèvent selon l'expert d'une faute de conception et que la réparation allouée est injustifiée.

Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement et à la condamnation de tout succombant aux entiers dépens et à lui payer 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Maître Clément, ès qualité de représentant des créanciers de la société ISAF France et Maître Samson ès qualité d'administrateur judiciaire de cette même société, prétendent à leur mise hors de cause en l'état de la mise en liquidation judiciaire de la société ISAF France.

En sa qualité de liquidateur de la société ISAF France, Maître Clément fait valoir qu'aucune condamnation ne peut être prononcée contre cette dernière et, que la société Deltasur n'a déclaré aucune créance, et sollicite en conséquence le débouté de celle-ci et sa condamnation aux dépens et à lui payer 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Frans Bonhomme soutient également que la responsabilité des dysfonctionnements des vannes incombe à la société Cepex et demande à titre principal sa mise hors de cause.

Elle rappelle que la société ISAF est son fournisseur et qu'elle lui doit avec son assureur sa garantie.

Elle conteste l'exclusion de garantie que lui oppose la compagnie Deltasur considérant qu'elle ne s'applique pas au cas d'espèce.

Enfin en réponse aux conclusions de la Cepex qui soutient que la juridiction commerciale de Barcelone est seule compétente pour connaître de l'action, elle prétend que le lieu où le fait dommageable s'est produit est celui où le matériel est installé.

Aussi, à titre subsidiaire, en cas de condamnation prononcée à son égard, elle sollicite la garantie des sociétés ISAF et Deltasur et de la SMABTP.

En toute occurrence elle conclut à la condamnation solidaire des autres parties à lui payer 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

La société Cepex, en application de l'article 5 de la convention de Saint-Sebastian comportant adhésion de l'Espagne à la CEE soutient que l'action de la société ISAF France doit être renvoyée devant la juridiction commerciale de Barcelone dans la mesure où le fait dommageable a trait à la conception des vannes, laquelle n'a pu avoir lieu qu'à son siège et demande la condamnation de ISAF France et de Maître Clément aux dépens et à lui payer 5 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

A titre subsidiaire, elle invoque le caractère tardif de la demande de Monsieur Le Collinet et l'absence de justification du préjudice de ce dernier.

La SMABTP rappelle qu'elle n'était plus partie à l'instance devant le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc en l'état de l'arrêt du 18 mai 1994 mais n'entend pas solliciter sa mise hors de cause.

Elle relève que l'action de Monsieur Le Collinet est tardive rappelant que les désordres sont apparus en 1987, que Monsieur Le Collinet n'a sollicité une expertise qu'en 1990 et qu'il n'a saisi le juge du fond que le 16 juin 1992 alors que le rapport de l'expert était déposé depuis le 22 mars 1991.

Elle souligne que Monsieur Le Collinet n'a pas été en mesure de justifier de la réalité de ses préjudices.

Elle rappelle qu'une franchise contractuelle de 10 % avec un minimum de 2 000 F et un maximum de 10 000 F a été stipulée dans la police souscrite par ISAF France et que la responsabilité des désordres revient à la société Sinteticas Industrias Abril et à la société Cepex, respectivement fournisseur et concepteur des vannes.

Elle conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de l'action de Monsieur Le Collinet, subsidiairement au rejet de ses demandes, et très subsidiairement à l'application de la franchise stipulée à sa police et à la garantie des deux sociétés espagnoles.

Elle réclame de surcroît 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour Monsieur Le Collinet le jugement du Tribunal de commerce de Saint-Brieuc doit être confirmé, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation d'un préjudice commercial. Il réclame à ce dernier titre la somme de 50 000 F et subsidiairement l'instauration d'une expertise comptable, et en outre 8 000 F HT en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il rétorque à la société Cepex que le lieu du fait dommageable est le lieu de livraison ou d'installation du matériel défectueux.

Il conteste avoir tardé à agir, rappelant que les différentes parties lui ont par leur comportement laissé de justes raisons d'espérer une solution amiable.

Il souligne que l'évaluation de son préjudice matériel n'a jamais été contredite devant l'expert.

Il rappelle que l'origine des désordres, retenue par l'expert, n'a pas été contestée et que la société Frans Bonhomme est tenue sur le fondement de l'article 1641 du Code civil de réparer les dommages occasionnés et entend soulever la nullité de l'exclusion de garantie invoquée par la société Deltasur qui n'est ni formelle ni limitée.

Enfin il fait valoir que sa réputation a été gravement mise en cause dans cette affaire et qu'il a perdu de nombreux clients.

Motifs :

Considérant que la société ISAF France ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire Maître Samson ès qualité d'administrateur et Maître Clément ès qualité de représentant de ses créanciers doivent être mis hors de cause ;

Considérant que l'action de la société ISAF France dirigée contre la société de droit espagnol Cepex, ne relève pas de la matière contractuelle au sens de l'article 5 § 1 de la Convention de Bruxelles tel qu'il a été interprété par la Cour de justice des Communautés européennes puisqu'exercée par un sous-acquéreur contre le fabriquant ;

Que par application de l'article 5 § 3 de cette même convention, cette action pouvait donc être portée devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ;

Que cette dernière expression visant à la fois le lieu de l'évènement causal et le lieu où le dommage est survenu, la société ISAF France avait le choix d'attraire la société Cepex devant le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc dans le ressort duquel les installations qui se sont révélées défectueuses ont été aménagées par Monsieur Le Collinet ;

Que le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Cepex ;

Considérant que par arrêt du 18 mai 1994 la cour a renvoyé l'examen du recours en garantie formé contre la SMABTP par la société Frans Bonhomme au Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc ;

Qu'en l'état de cette décision, la SMABTP contre laquelle aucune autre demande n'avait à cette date été formée par Monsieur Le Collinet, la société Frans Bonhomme ou la société ISAF France alors à la cause, n'était plus partie à l'instance qui s'est poursuivie devant le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc ;

Que, partant Monsieur Le Collinet n'était pas recevable à solliciter, par conclusions déposées le 1er juin 1995 devant le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc la condamnation de la SMABTP et c'est à tort que ce tribunal a accédé à sa demande ;

Que le jugement déféré est donc réformé de ce chef et la cour ne peut que constater que la SMABTP n'est plus dans la cause depuis le 18 mai 1994 ;

Que les conclusions au fond déposées par la SMABTP devant la cour n'ont en conséquence pas lieu d'être examinées et les demandes dirigées contre elles sont irrecevables ;

Considérant que les demandes en réparation que formule Monsieur Le Collinet ressortissent à la garantie des vices cachés, puisqu'il est établi et non contesté que les désordres ayant affecté les chaînes de distribution d'aliments pour porcs qu'il a aménagées proviennent d'une mauvaise conception des vannes qui lui ont été vendues ;

Que force est de constater, comme l'a justement invoqué la société Cepex dans ses dernières conclusions signifiées le 15 septembre 1997 que ces demandes, en raison du non-respect du bref délai de l'article 1648 du Code civil, sont irrecevables ;

Qu'en effet, Monsieur Le Collinet a eu connaissance du vice par le rapport de l'expert Monsieur Pore du 22 mai 1991 ;

Qu'il ne justifie d'aucune raison sérieuse lui ayant permis d'espérer une solution amiable et il résulte au contraire des éléments du dossier que dès les premiers dysfonctionnements la société Frans Bonhomme a contesté sa responsabilité (cf. rapport Jan du 29 juin 1989), que la société ISAF France a eu la même attitude lors des opérations de l'expert Monsieur Pore, et que la proposition d'indemnisation qu'aurait faite la société ISAF France, alléguée par Monsieur Le Collinet n'a pas été prouvée ;

Qu'en attendant plus d'un an pour engager son action au fond, son assignation datant du 16 juin 1992, il a agi trop tard ;

Que le jugement est en conséquence réformé en ce qu'il a accueilli ses demandes ;

Que par voie de conséquence sont sans objet les recours en garantie de la société Frans Bonhomme ;

Considérant qu'en raison de l'issue du litige devant la cour, Monsieur Le Collinet supportera les entiers dépens de la procédure ;

Qu'il ne peut cela étant, prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que l'équité n'appelle pas l'application de ce dernier texte à l'avantage des autres parties.

Décision :

Par ces motifs, LA COUR : Met hors de cause Maître Clément et Maître Samson ès qualité d'administrateur et de représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société ISAF France ; Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Cepex ; Le réforme pour le surplus ; Constate que la SMABTP n'est plus dans la cause depuis le 18 mai 1994 ; Déclare irrecevables les demandes de Monsieur Le Collinet et par voie de conséquence le recours en garantie de la société Frans Bonhomme ; Condamne Monsieur Le Collinet aux dépens de première instance et d'appel, ceux-ci pouvant être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toutes les autres demandes.