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Décisions

CA Papeete, ch. civ., 14 janvier 1993

PAPEETE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sopom (SARL)

Défendeur :

Flore

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Michaux

Conseillers :

Mme Delorme, M. Calinaud

Avocats :

Mes Quinquis, Latil

TI Papeete, du 10 juin 1992

10 juin 1992

La Société Polynésienne des Moteurs (Sopom) a vendu à Michel Flore et installé un moteur de bonitier de marque Isotta.

Par ordonnance du référé du 12 juillet 1990, André Telle a été désigné, en qualité d'expert, pour procéder à l'examen du moteur et à l'analyse des pannes qui ont affecté celui-ci.

M. Telle a déposé un rapport daté du 6 février 1991.

Par jugement rendu le 10 juin 1992, le Tribunal de première instance de Papeete a annulé la vente intervenue entre les parties en raison des vices rédhibitoires affectant le moteur vendu et a condamné la Sopom à payer à Michel Flore, avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 1991 et avec le bénéfice de l'exécution provisoire à concurrence de la moitié des sommes allouées :

- la somme de 5 345 226 CFP, au titre de la restitution du prix,

- la somme de 13 802 691 CFP, au titre du préjudice commercial,

- la somme 1 305 945 CFP, au titre du préjudice financier,

- la somme de 899 984 CFP, au titre de l'immobilisation,

- la somme de 49 940 CFP, au titre des frais de justice.

Par ordonnance du 15 juillet 1992, le Premier Président de la Cour d'appel de Papeete a rejeté la requête présentée par la Sopom tendant à faire arrêter l'exécution provisoire.

Par requête enregistrée le 2 juillet 1992, la Sopom a relevé appel de cette décision et en sollicite l'infirmation.

Elle demande de déclarer la demande formée par M. Flore irrecevable et, en tout cas, non fondée et réclame paiement de la somme de 250 000 CFP sur le fondement de l'article 48-1 du Code de procédure civile local.

Subsidiairement, elle sollicite une contre-expertise technique et une expertise financière.

Elle fait valoir que l'action en garantie des vices cachés doit être formée dans un bref délai ; que seule une demande en justice peut interrompre ce bref délai ; que n'est pas applicable en Polynésie Française, la loi du 5 juillet 1985 qui a donné à une citation en référé un effet interruptif de prescription ; que, selon la Cour de cassation, en cas de citation en référé, la prescription n'est interrompue que "pendant la durée de l'instance généralement brève à laquelle met fin l'ordonnance prescrivant une mesure d'expertise" et qu'en introduisant une action au fond le 2 avril 1991 alors que la première panne a été décelée le 16 décembre 1989, M. Flore n'a pas respecté le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil.

Il ajoute que M. Telle n'est pas expert en mécanique marine ; que, selon l'étude critique approfondie de son rapport effectuée par le Bureau Véritas, ses conclusions sont erronées ; que le moteur vendu était parfaitement adapté à un bonitier ; que l'usage qui a été fait de ce moteur par M. Flore est la cause des avaries et que "la brutalité des changements de marche, avant/arrière, sans marquer de temps d'arrêt nécessaire au point mort entre les deux régimes, ainsi que des augmentations et des diminutions d'allure trop sèches sont très vraisemblablement à l'origine du phénomène de rupture du filon d'huile".

Elle soutient, enfin et subsidiairement, que le premier juge ne pouvait, à l'occasion d'une action en garantie des vices cachés, prononcer la nullité d'une vente ; que seule la restitution du prix doit être mise à sa charge ; qu'elle est vendeur de bonne foi ; que "le chiffre d'affaires avancé par M. Flore paraît largement surévalué" ; que le cahier d'écolier, qualifié de "livre de compte" par le tribunal, n'est pas une pièce probante et que les frais financiers mis à sa charge auraient été, même en l'absence de litige, supportés par M. Flore.

Michel Flore conclut à la confirmation du jugement attaqué, précise que la Sopom, au titre de l'exécution provisoire, a versé la somme de 10 802 754 CFP et sollicite paiement de la somme de 170 000 CFP, au titre des frais irrépétibles.

Il expose que le bref délai est "une notion élastique dont l'appréciation dépend des circonstances" ; qu' "il ne commence à courir qu'à compter du jour de la connaissance du vice par l'acquéreur" ; que ce n'est qu'après le dépôt du rapport d'expertise de M. Telle qu'il a eu la certitude de l'existence d'un vice affectant le moteur et que c'est "à juste titre que le tribunal a fixé le point de départ du bref délai à la date du dépôt du rapport d'expertise".

Il affirme également que dans l'hypothèse d'une absence de vices cachés, la résolution de la vente peut être ordonnée en cas d'inadaptation de la chose vendue à l'usage auquel elle est destinée et de manquement du vendeur à son obligation de conseil et de renseignements ; qu'en l'espèce le matériel vendu n'a pu être utilisé normalement ; qu'en sa qualité de professionnel et en fournissant un moteur inadapté aux besoins de l'acheteur, la Sopom a engagé sa responsabilité ; que le caractère répétitif des pannes démontre l'existence d'un vice non décelable par l'acheteur au moment de la vente ; que cette existence résulte du rapport d'expertise ; qu'aucun élément n'établit un comportement fautif de l'utilisateur ; que le Bureau Véritas n'a pas examiné le moteur et que ses observations ne nécessitent pas une contre-expertise.

Il écrit, enfin, qu'un vendeur professionnel est assimilé à un vendeur de mauvaise foi ; qu' "ainsi, outre la restitution du prix, il peut prétendre à des dommages-intérêts" ; qu'il justifie de l'immobilisation du bonitier, de son préjudice commercial, de son préjudice financier et des frais de remise en état du bateau ; qu'il n'a pas l'obligation d'utiliser les services d'un expert comptable ; que l'appelante ne fournit pas d'éléments réfutant l'exactitude des chiffres qu'il avance ; qu'il est en droit de réclamer le remboursement de la fraction d'intérêts du prêt contracté pour l'achat du moteur litigieux correspondant à la période d'immobilisation ; qu'il s'est trouvé dans l'obligation d'acheter un nouveau moteur et que le deuxième prêt qu'il a dû signer du fait de la résistance de la Sopom à la demande de résolution de la vente, "a entraîné une charge" qui doit être indemnisée.

Motifs de la décision :

M. Flore fonde son action, à titre principal, sur la garantie des vices cachés et, à titre subsidiaire, sur l'obligation de délivrance du vendeur.

Il convient donc, avant d'examiner la recevabilité de cette action, d'en déterminer le fondement exact dans la mesure où ceux invoqués par l'intimé obéissent chacun à des règles particulières.

Sur l'existence du vice caché :

A la lecture du rapport d'expertise déposé par André Telle, celui-ci a rempli sa mission avec sérieux et compétence et fourni des explications claires et précises.

La note du 6 septembre 1992 rédigé par le Bureau Véritas ne possède nullement les mêmes caractères, d'autant qu'elle est intervenue à la seule vue du rapport de M. Telle et sans examen du moteur litigieux.

Il convient donc, pour statuer sur l'existence du vice caché, de se référer aux conclusions de l'expert judiciaire et de rejeter la demande de contre-expertise.

Il résulte du rapport d'expertise que :

- le moteur a été vendu à l'état neuf,

- dès la fin des travaux d'installation du moteur, des avaries sont survenues qui ont entraîné des réparations ou remplacements de pièces,

- du 16 décembre 1989 au 14 juin 1990, onze interventions ont été nécessaires,

- l'huile engorge les carters culbuteurs,

- les joints de cache-culbuteur sont de très mauvaise facture,

- il existe un passage entre les cylindres 3 S et 2 S qui explique un "trop d'imbrûlés" et le mauvais fonctionnement du moteur (fumées, vibrations...),

- lors du changement de la culasse droite, le joint d'origine de 12 mm a été remplacé par un joint de 6 mm, "ce qui explique la réduction de moitié de la circulation d'huile de retour au carter moteur et l'engorgement du carter culbuteur à l'origine des problèmes...".

Il convient de souligner que le remplacement de la culasse est intervenue en raison d'une "anomalie... due à une mauvaise conception à l'origine du serrage des culasses..." ainsi que le reconnaît la Sopom dans une lettre du 22 juin 1990.

M. Telle, en outre, ne conçoit pas "que les défauts de graissage des culbuteurs ayant entraîné leur grippage soit la conséquence des variations marche avant/marche arrière, le constructeur ayant sans conteste prévu cette opération dans les conditions optimales de lubrification" et n'a décelé aucun défaut de rodage.

Il apparaît, dans ces conditions, que le moteur était affecté lorsqu'il a été vendu, d'un défaut de conception qui n'était pas décelable par M. Flore ; que ce vice était grave puisque le vendeur n'a pu y remédier et que sa gravité a rendu le matériel impropre à l'usage auquel il était destiné.

L'existence d'un vice caché étant donc démontrée, M. Flore est parfaitement en droit de fonder son action sur les articles 1641 et suivants du Code civil.

Sur la recevabilité de l'action :

L'article 1648 du Code civil édicte que "l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite".

En l'espèce, le moteur a été vendu à la fin de l'année 1989 ; dès l'apparition des pannes, M. Flore a fait toutes diligences pour qu'elle soient réparées et il ne peut lui être reproché d'avoir attendu le résultat des interventions de la Sopom pour se préoccuper de connaître la cause véritable des anomalies et donc de demander en justice une expertise.

Par ailleurs, ce n'est qu'au moment du dépôt du rapport d'expertise, soit au mois de février 1991, que l'intimé a véritablement appris l'existence, la nature et la gravité du vice.

Or c'est par requête du 2 avril 1991 qu'il a intenté devant le Tribunal de première instance de Papeete une action en garantie des vices cachés.

En agissant deux mois après la découverte du vice, M. Flore, a respecté le bref délai imposé par la loi.

Sa demande doit donc être déclarée recevable.

L'action étant recevable et l'existence d'un vice caché étant démontré, il convient de prononcer la résolution de la vente du moteur Isotta intervenue entre la Sopom et M. Flore.

Sur l'indemnisation :

L'article 1645 du Code civil dispose que "Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur".

Il est de jurisprudence constante, depuis un arrêt rendu le 24 novembre 1954 par la première Chambre civile de la Cour de cassation, d'assimiler le vendeur professionnel qui ne pouvait ignorer les vices de la chose au vendeur de mauvaise foi.

En l'espèce, c'est le métier de la Sopom de vendre et d'installer des moteurs de bateau et l'appelante fait, elle-même, état de son professionnalisme.

Les dispositions de l'article 1645 du Code civil lui sont donc applicables.

A la lecture des factures produites, il convient d'allouer à M. Flore, au titre de la restitution du prix, la somme de 5 345 226 CFP ainsi décomposée :

- facture Sopom du 30 décembre 1989 : 5 051 941 CFP,

- facture Sopom du 31 décembre 1990 : 19 485 CFP,

- installation du moteur : 140 700 CFP, 118 100 CFP, 15000 CFP.

Cette somme étant fixée en vertu du contrat ayant lié les parties, elle produira intérêts à compter de la demande en justice, soit le 2 avril 1991.

Les deux seules pièces que M. Flore produit à l'appui de sa demande en réparation de son préjudice commercial sont un cahier de compte établi par lui-même et une attestation du Président du Syndicat des Pêches Professionnelles de Haute-Mer de la Polynésie Française selon laquelle le bonitier de M. Flore a été immobilisé à plusieurs reprises depuis le 29 décembre 1989 et il est de nouveau immobilisé le 18 juin 1990.

Toutefois, nul ne peut se constituer une preuve à soi-même.

Or, pour justifier des chiffres contenus dans le cahier d'écolier versé aux débats, M. Flore ne fournit aucun document comptable, ni facture justifiant de l'importance de son activité tant passée que présente.

Il ne rapporte pas non plus la preuve (notamment pas une facture d'achat du nouveau moteur) de la durée exacte de l'immobilisation.

Enfin, même en cas de panne du moteur, il n'est pas impossible que M. Flore ait pu continuer à exercer son activité, ne serait-ce qu'en louant un autre bateau.

La demande formée par l'intimé au titre de son préjudice commercial doit ainsi être rejetée.

Par ailleurs, il convient de souligner que, si M. Flore peut prétendre au remboursement des intérêts du prêt contracté pour l'achat du moteur litigieux, intérêts qu'il n'aurait pas dû régler du fait de la résolution de la vente (735 144 CFP), il ne peut, toutefois, réclamer paiement des mensualités résultant du prêt souscrit pour l'acquisition du deuxième moteur.

En effet, M. Flore, en achetant un moteur doit, de toutes façons, assumer les charges résultant du prêt souscrit pour cette acquisition.

Or, lui accorder le remboursement par la Sopom du deuxième emprunt alors que le préjudice né de la première vente (restitution du prix et frais financiers) a été réparé, lui permettrait d'obtenir un moteur gratuitement et ce, d'autant qu'il n'est ni démontré ni même prétendu que l'achat du deuxième moteur a été rendu, du fait des circonstances, plus onéreux que celui du moteur litigieux.

Sont justifiés à concurrence de 899 984 CFP les frais résultant du démontage, remontage et manutention du moteur ainsi que les frais de gardiennage et de remise eu état du bonitier.

En ce qui concerne, les frais d'expertise et les frais d'huissier restés à la charge de M. Flore et qui ne sont pas compris dans les dépens, ils entreront en ligne de compte pour le calcul de la somme allouée au titre de l'article 48-1 du Code de procédure civile local.

Compte-tenu des motifs ci-dessus exposés et de la gêne importante causée à M. Flore par le vice du moteur, il convient d'évaluer à 2 500 000 CFP le montant des dommages-intérêts que la Sopom devra verser à M. Flore.

Cette créance étant indemnitaire, les intérêts de cette somme commenceront à courir à compter du présent arrêt.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Flore la totalité des sommes exposées pour sa défense et non comprises dans les dépens. Compte tenu de la somme déjà allouée de ce chef en première instance et de la réduction de ses prétentions en appel, il doit lui être accordé la somme supplémentaire de 50 000 CFP sur le fondement de l'article 48-1 du Code de procédure civile local.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ; Confirme le jugement rendu le 10 juin 1992 par le Tribunal de première instance de Papeete en ce qu'il a déclaré recevable l'action en garantie des vices cachés engagée par Michel Flore en ce qu'il a constaté l'existence de vices cachés ; en ce qu'il a condamné la Société Polynésienne des Moteurs à payer à Michel Flore la somme de cinq millions trois cent quarante-cinq mille deux cent vingt-six (5 345 226) francs pacifiques, au titre de la restitution du prix, avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 1991 ; en ce qu'il a accordé à Michel Flore la somme de cent soixante-dix mille (170 000) francs pacifiques au titre des frais irrépétibles et en ce qu'il a condamné la Société Polynésienne des Moteurs aux dépens ; Prononce la résolution de la vente du moteur de marque Isotta intervenue entre la Société Polynésienne des Moteurs et Michel Flore ; Dit que la Société Polynésienne des Moteurs devra verser à Michel Flore : - la somme de deux millions cinq cent mille (2 500 000) francs pacifiques, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la résolution de la vente, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, - la somme supplémentaire de cinquante mille (50 000) francs pacifiques sur le fondement de l'article 48-1 du Code de procédure civile local ; Dit que la Société Polynésienne des Moteurs supportera les dépens d'appel dont distraction au profit de Me Latil, avocat.