CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 13 novembre 1997, n° 323-97
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Thomson CSF (SA)
Défendeur :
Ingenico (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M Assié
Conseillers :
M Laporte, M Maron
Avoués :
SCP Jullien & Lecharny & Rol, SCP Lambert & Debray & Chemin
Avocats :
Mes Martinez, Thonon, Bouhot, Jenselme
Faits et procédure
La compagnie industrielle et financière d'ingénierie Ingenico (ci-après désignée Ingenico) est spécialisée dans la conception et la réalisation de terminaux de paiement électronique qui ont vocation à être utilisés notamment dans la grande distribution, les réseaux de stations services ou encore les banques.
Pour la fabrication de ces appareils, elle s'adresse couramment à des sous-traitants ou des façonniers dont la société Compagnie européenne de composants électroniques (LCC) devenue Thomson CSF - Passive Components (TPC) qui conçoit et fabrique, entre autres productions, des lecteurs de cartes magnétiques équipant les terminaux.
C'est ainsi que, de mars 1987 à février 1988, la société Ingenico a passé commande à la société LCC de 25 000 lecteurs ISO II destinés à équiper ses terminaux de paiement.
Les livraisons de ces matériels ont été échelonnées jusqu'à la fin de l'année 1988 et les terminaux ont été progressivement mis en service.
Au second semestre de l'année 1988, la société Ingenico a reçu un certain nombre de réclamation de sa clientèle et en particulier du Crédit Mutuel, du Crédit Agricole, de la BNP et des sociétés Auchan, Carrefour, Genty, Docks Français, etc. ...
Ceux-ci se plaignaient, en particulier, de nombreux refus de lecture des cartes par les terminaux.
Les société Ingenico et LCC se sont alors rapprochées pour tenter de définir l'origine de ces dysfonctionnements et un certain nombre de tests ont été effectués par des organismes spécialisées tels que SLIGOS, le CENT et le CEA. Des modifications ont été également apportées à certains lecteurs.
Cependant, les parties ne se sont pas accordées sur le causes des désordres, la société Ingenico incriminant la mauvaise qualité des lecteurs fabriqué par la société LCC et cette dernière prétendant que les cartes utilisées n'étaient pas conformes à la norme ISO.
Par acte en date du 17 juillet 1989, la société Ingenico a fait assigner la société LCC devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir la désignation d'un expert.
Par ordonnance du 26 juillet 1989, il a été fait droit à la mesure sollicitée et Monsieur Jacques Viet a été désigné avec mission de :
- se rendre en toux lieux qu'il jugera nécessaire pour l'accomplissement de sa mission, se faire communiquer tous les documents, pièces et matériels qu'il jugera utile ;
- entendre tous sachant, et le cas échéant... s'adjoindre tout technicien ou organisme spécialisé... ;
- examiner les désordres allégués et, en particulier, dire si les lecteurs de cartes fournis par la société LCC sont conformes à leur destination, c'est-à-dire à une utilisation commerciale normale ;
- fournir tous les éléments techniques et de ce fait, de nature à permettre à la juridiction du fond de déterminer les responsabilités éventuellement encourues et d'évaluer, s'il y a lieu, les préjudices subis ;
- indiquer et évaluer les travaux éventuellement nécessaires pour remédier au mauvais fonctionnement des appareils, en chiffrer le coût ;
- en cas d'urgence, autoriser la société Ingenico à faire exécuter à ses frais avancés et pour le compte de qui il appartiendra, tous travaux et modifications nécessaire au bon fonctionnement de ces terminaux électroniques, et ce, sous le contrôle de l'expert ;
- donner son avis sur le compte entre les parties ;
Parallèlement et toujours par assignation du 17 juin 1989, la société Ingenico a saisi le Tribunal de commerce de Nanterre d'une action au fond pour obtenir notamment la résolution de la vente avec toutes conséquences de droit et des dommages et intérêts.
Estimant que l'appréciation d'une " utilisation commerciale normale " se référait implicitement aux performances obtenues par les lecteurs de la concurrence, la société Ingenico a saisi à nouveau le juge des référés, par acte du 26 juin 1991, afin de lui demander d'autoriser l'expert à procéder à des essais comparatifs.
Par ordonnance du 10 juillet 1991, cette demande a été rejetée.
Statuant sur l'appel interjeté par la société Ingenico à l'encontre de cette ordonnance, la cour d'appel de ce siège a, par arrêt infirmatif du 12 décembre 1991 :
- étendu la mission confiée à Monsieur Jacques Viet, expert, et à Monsieur André Adamsbaum, sapiteur, par l'ordonnance du 26 juillet 1989 ;
- dit que les experts auront également pour mission de procéder à des essais comparatifs entre le lecteur livré à la société LCC par la société Ingenico et trois lecteurs de carte à piste magnétique de paiement les plus couramment utilisés sur les terminaux de paiement électroniques, à la période de livraison du matériel litigieux, l'un étant le lecteur utilisé par la société Ingenico avant l'acquisition du matériel LCC et les deux autres au choix de l'expert et de la société LCC ;
- dit que les essaies seront effectués à l'aide de cartes magnétiques conformes à la norme ISO.
Par arrêt en date du 23 mars 1994, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société LCC à l'encontre de cette décision.
Les opérations d'expertise se sont poursuivies sur ces nouvelles bases mais elles ont donné lieu à de nombreuses difficultés en raison notamment de l'opposition des parties sur la manière de conduire les tests comparatifs. Par ailleurs, la société Ingenico ayant refusé de fournir un suppléant de consignation, l'expert a déposé son rapport en l'état, auquel était joint un pre-rapport du sapiteur.
La société LCC a fait valoir pour l'essentiel, que les opérations d'expertise étaient entachées de graves irrégularités et qu'elles ne pouvaient, dans ces conditions, valablement étayer les demandes formées à son encontre. Elle a soutenu par ailleurs que celle-ci étant dépourvues de tout fondement.
La société Ingenico s'est, pour sa part, opposée à l'augmentation adverse et a maintenu des prétentions.
C'est dans ces conditions que, par jugement en date du 22 octobre 1996, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, la 9e chambre du Tribunal de Nanterre a :
- dit le dépôt du rapport valable ;
- dit le rapport dénué de toute carence ;
- ordonner la résolution de la vente des 25 500 lecteurs par la société LCC aux torts de cette dernière ;
- condamné la société LCC à payer à la société Ingenico la somme de 2 036 243,20 F ;
- avant dire droit sur les préjudices subis par la société Ingenico, désigné Monsieur De Querre en qualité d'expert, avec mission de ;
- se rendre en tous les lieux qu'il jugera nécessaire pour l'accomplissement de sa mission ;
- se faire communiquer tous documents qu'il estimera utile ;
- entendre tous sachants ;
- fournir tous éléments de nature à permettre au tribunal d'évaluer les préjudices subis par la société Ingenico ;
- ordonné l'exécution provisoire en ce qui concerne la résolution de la vente et le paiement par la société LCC à la société Ingenico de 2036 243,60 F, à charge pour la société Ingenico de produire une caution bancaire équivalente ;
- dit les parties mal fondées en leur surplus de demande ;
- condamné la société LCC à payer à la société Ingenico la somme de 150 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.
Appel de cette décision à été interjetée par la société LCC devenue TPC et la société Ingenico a été autorisée par Monsieur le Premier Président de cette cour à faire venir l'affaire à jour fixe pour l'audience du 26 mai 1997. A cette date, la cause s'est avérée ne pas être en état et elle a été renvoyée, avec l'accord des parties, à l'audience du 24 juin 1997.
La société TPC (anciennement LCC) a déposé à cette deuxième audience de nouvelles conclusions (82 pages), que la cour a estimé devoir rejeter des débats, faute du respect et du principe du contradictoire , ainsi qu'en fait foi de plumitif dressé par le greffier de la chambre.
Au soutien de son recours, la société TPC reproche aux premiers juges de ne pas avoir pris en compte les critiques qu'elle avait formulée en ce qui concerne les conditions dans lesquelles s'est déroulée l'expertise et d'avoir validé et pris en compte le rapport de l'expert Viet, ainsi que celui du sapiteur, pour entrer en voie de condamnation à son encontre. Elle leur reproche également d'avoir prononcé la résolution de la vente alors que, selon elle, les difficultés de lecture constatées proviennent d'un défaut de conformité des cartes à la norme et non d'un vice des lecteurs qu'elle a fournis à la société Ingenico.
En ce qui concerne l'expertise, elle fait tout d'abord valoir que le sapiteur aurait déposé son rapport préliminaire " par surprise " et que les experts n'auraient pas respecté les accords intervenus entre les parties sur la manière de procéder tests comparatifs ainsi que les prescriptions contenues dans l'arret du 12 décembre 1991. Elle ajoute que le sapiteur aurait exploité des documents non contradictoirement débattus dans le cadre de l'expertise. Elle estime également que le rapport d'expertise a été déposé " en état " dans des conditions totalement irrégulières au regard des prescriptions du nouveau Code de procédure civile et qu'il ne peut en aucun cas s'agir d'un rapport définitif. Elle déduit que l'action de la société Ingenico est tardive et que la dite société est dans l'incapacité d'établir qu'elle est encore en possession des matériels vendus ou qu'elle ferait l'objet d'une action en garantie émanant de ses propres acheteurs, ce qui, selon elle, conditionne la recevabilité de l'action. Elle ajoute encore que la non conformité alléguée, qui doit s'apprécier par rapport à ce qui a été convenu entre les parties au moment de la vente, n'est nullement prouvée en l'espèce, et ce, d'autant que les matériels ont été testés de façon positive à la livraison. Elle ajoute encore que la société Ingenico a abusivement étendu en cours de procédure, sa demande qui ne visait, au départ, que de 10 500 lecteurs à 15 000 autres lecteurs sans justifier de cette demande de résolution complémentaire et qu'il n'est pas davantage justifié que les lecteurs qu'elle a livrés seraient en cause. Pour l'ensemble de ces motifs a très largement développés dans ses écritures, elle demande que la société Ingenico soit déboutée de l'ensemble de ses prétentions et qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité " hors taxes " de même montant, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Subsidiairement, elle sollicite l'organisation d'une nouvelle mesure d'instruction.
La société Ingenico réfute, point par point, l'argumentation adverse et conclut à la confirmation du jugement entrepris en qu'il a :
- dit le rapport de l'expert valable ;
- ordonne la résolution de la vente des 25 500 lecteurs par la société LCC aux torts de cette dernière ;
- condamne la société LCC à lui payer la somme de 2036 243,20 F ;
-avant dire droit sur son préjudice, ordonné une mesure d'expertise confiée à Monsieur de Querre.
Elle reproche en revanche aux premiers juges d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation provisionnelle du préjudice commercial qu'elle a subi et dont la réalité a été admise puisqu'une expertise a été ordonné de ce chef et elle demande, dans le cadre d'un appel incident, que la société LCC devenue TPC, soit condamnée à lui payer d'ores et déjà, sur la base des éléments d'appréciation qu'elle fournit, 100 millions de francs à titre provisionnel. Elle réclame aussi une indemnité de 250 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Considérant que la société Ingenico fonde sur les vices affectant les têtes de lecture qui lui ont été livrée par la société LCC et qui rendent, selon elle, ces matériels inaptes à l'usage commercial auquel ils étaient destinés ; qu'elle sollicite en conséquence la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente des 25 500 têtes de lectures et ordonné la restitution du prix, outre à titre provisionnel et dans le cadre de son appel incident, des dommages et intérêts complémentaire sous réserve des résultats de l'expertise en cours confiée à Monsieur de Querre ;
Mais considérant qu'il est de principe que l'action en garantie des vices cachés se transmet avec la chose vendue au sous-acquéreur et que le vendeur intermédiaire ne conserve la faculté de l'exercer qu'autant qu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain ;
Or considérant qu'en l'espèce, il ressort des pièces des débats que les têtes de lecture litigieuse ont été intégrées dans les terminaux de paiement fabriqués par la société Ingenico, lesquels ont été ensuite revendus à différents opérateurs ; qu'il n'est nullement justifié que lesdits opérateurs aient sollicité l'annulation de la vente ou demandé de manière systématique à la société Ingenico de reprendre ces matériels ; que les seules pièces produites par cette société pour servir de fondement à son action dont des lettres de doléances qui lui ont été envoyées par certains de ses clients ou quelques demandes ponctuelles d'intervention ; qu'il en résulte que les conditions d'exercice de l'action en garantie des vices cachés ne sont pas réunies en l'état comme le souligne incidemment l'appelante dans ses écritures, et qu'il y a lieu d'ordonner la réouverture des débats, sur ce point fondamental, dans la mesure où il conditionne à la fois la recevabilité de l'action engagée par la société Ingenico ainsi que son éventuelle étendue, étant observé que le recours du vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire n'est autre que le recours subrogatoire de l'article 1251-3º du Code civil ouvert à celui qui a acquitté la dette dont il était tenu avec d'autres, ce qui suppose que la société Ingenico ait été contrainte d'intervenir auprès de chacun de ses clients et de reprendre le matériel ou actionnée par ces derniers et qu'elle soit à même, en cas de résolution de la vente, de restituer à la société LCC devenue TPC, la totalité des têtes lectures prétendument affectée d'un vice.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, Avant dire droit, - ordonner la réouverture des débats et invite la Compagnie Industrielle et Financière d'Ingénierie - Ingenico à préciser les fondements de son action et en définir, dans les termes ci-dessus l'étendue au regard de chaque vente à sa propre clientèle ; - réserve le droit de réplique de la Compagnie Européenne de Composants Electroniques - LCC devenue Thomson CSF - Passive Components - TPC ainsi que les autres moyens des parties ; - réserve également les dépens.