CA Paris, 1re ch. H, 10 mai 2005, n° ECOC0500093X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Quille (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Remenieras, Maunand, Franchi, Mme Horbette
Avocat :
Me Duteil.
Le 23 novembre et le 26 juillet 1991, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques d'ententes constatées à l'occasion de marchés de grands travaux dans le secteur du génie civil.
Il était reproché à 53 entreprises relevant du secteur du BTP de s'être concertées, préalablement au dépôt de leurs offres, lors des procédures de mise en concurrence initiées pour l'édification de différents ouvrages d'art (ponts de Normandie, de Rochefort, de Gennevilliers et de Plougastel) et pour la construction des lignes du TGV Nord, de son interconnexion ainsi que du TGV Rhône-Alpes, la société Quille étant elle-même mise en cause à raison de son implication, comme filiale de la société Bouygues, dans la concertation générale concernant la construction des ponts.
Par décision n° 95-D-76 du 29 novembre 1995, le Conseil a infligé des sanctions pécuniaires d'un montant compris entre 5 200 F et 148 700 000 F à 31 entreprises et notamment une sanction de 9 000 000 F (1 372 041,10 euro) à la société Quille. Cette dernière et vingt-trois autres des entreprises sanctionnées ont introduit un recours contre cette décision,
Par arrêt du 6 mai 1997 suivi d'un arrêt rectificatif du 27 mai 1997, la 1er chambre H de cette cour a notamment :
- maintenu les sanctions prononcées par le Conseil pour les sociétés Bouygues, Campenon-Bernard, Fougerolle Nord-France Entreprise, Quille, Quillery et Spie-Citra,
- après avoir annulé les sanctions prononcées par le Conseil, condamné les sociétés Bec Frères, Entreprise Chagnaud, Chantiers Modernes, entreprise Industrielle, Guintoli, Sogéa, Entreprise Jean Spada et Spie-Batignolles à des sanctions comprises entre 100 000 F et 17 120 000 F et dit n'y avoir lieu à sanction contre la société Auxiliaire d'Entreprise,
- réformant pour le surplus la décision attaquée, fixé les sanctions pécuniaires infligées aux sociétés Demathieu et Bard, Deschiron, DTP Terrassement, Gagneraud Père et Fils, Muller TP, Pertuy, Prigent et Valerian à des montants compris entre 200 000 F et 750 000 F.
Sur le pourvoi formé par 15 des entreprises sanctionnées, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par arrêt du 5 octobre 1999, vu la violation des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme résultant de la présence du rapporteur au délibéré du Conseil, a cassé et annulé l'arrêt en toutes ses dispositions concernant les quinze entreprises mentionnées dans son dispositif et renvoyé les parties devant la même cour autrement composée.
Saisie par 13 de ces sociétés, la cour de renvoi a, par arrêt du 14 janvier 2003,
- déclaré recevables les recours des sociétés requérantes et notamment de la société Quille,
- rejeté le moyen de prescription et les moyens de nullités soulevés par les requérantes,
- annulé la décision du Conseil en ce qui concerne les treize entreprises requérantes,
- statué à nouveau à leur égard et prononcé à leur encontre les sanctions suivantes:
- la société Bouygues 22 500 000 euro,
- la société Vinci Construction anciennement Campenon Bernard : 4 700 000 euro,
- la société Eiffage TP: 3 400 000 euro,
- la société Fougerolle : 2 400 000 euro,
- la société Quille : 1 200 000 euro,
- la société Gagea : 650 000 euro,
- la société Bec Frères 90 000 euro
- la société DTP Terrassement : 80 000 euro,
- la société Chagnaud : 75 000 euro,
- la société Demathieu et Bard : 75 000 euro
- la société Deschiron : 60 000 euro,
- la société Entreprise Jean Spada : 60 000 euro,
- la société Muller TP : 60 000 euro,
- rejeté tous autres demandes et moyens.
Sur le pourvoi formé contre cet arrêt par 10 des entreprises sanctionnées, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par arrêt du 13 juillet 2004, a cassé et annulé cet arrêt pour manque de base légale, mais " seulement en ce qu'il a condamné la société Quille à sanction pécuniaire de 1 200 000 euro " et a renvoyé les parties devant la même cour autrement composée.
LA COUR,
Vu la déclaration enregistrée au greffe le 10 novembre 2004, par laquelle la société Quille a saisi la cour aux fins " d'annulation de la décision n° 95-D-76 rendue le 29 novembre 1995 par le Conseil de la concurrence, laquelle décision [lui] a infligé une sanction pécuniaire de 1 372 041 euro (9 000 000 F) et a mis les dépens à [sa] charge et à celle des autres requérants ", faisant en outre observer que l'arrêt de la Cour de cassation ne lui a pas été notifié:
Vu l'exposé des moyens produit le 10 novembre 2004 à l'appui de la saisine, soutenu par un mémoire en réponse déposé le 4 février 2005, par lesquels la société Quille demande à la cour de :
- constater que la décision n° 95-D-76 du Conseil est définitive à son égard en ce qu'elle l'a mise hors de cause d'avoir participé à une entente anticoncurrentielle pour l'attribution du marché du pont de Normandie,
- prononcer l'annulation de cette décision en ce qu'il a considéré qu'elle s'était livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées en participant à la concertation ou aux échanges d'informations constatés entre neuf entreprises, dont les principales du secteur, en vue de répartir entre elles les travaux de construction des ponts,
- ordonner en conséquence les mesures de remise au état et dire que le Trésor Public sera tenu à restitution et paiement à son profit avec intérêts au taux légal à compter des dates de règlement, capitalisés en application de l'article 1154 du Code civil, de la somme de 1 372 041 euro ainsi que du montant des coûts des publications décidées par le Conseil dans la décision attaquée:
Vu les observations écrites déposées par le ministre chargé de l'Economie demandant à la cour de rejeter le recours tendant à l'annulation ou à la réformation de la décision du Conseil et, usant de son pouvoir d'évocation, de statuer de nouveau sur cette affaire sur le cas de la requérante en prenant en compte son implication dans l'élaboration des accords généraux négociés en amont des appels d'offres;
Vu la lettre du 7 janvier 2005 par laquelle le Conseil a précisé qu'il n'entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites;
Après avoir, à l'audience publique du 1er mars 2005, entendu le conseil de la requérante,
Ouï en leurs observations orales le ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, ce dernier constatant que les moyens développés par la requérante s'avérant inopérants en ce qu'ils tendent à l'annulation d'une décision inexistante puisque déjà annulée définitivement, et concluant au renvoi de l'affaire au Conseil pour un nouvel examen;
La requérante ayant eu la parole en dernier.
Vu la note en délibéré déposée le 4 avril 2005 par la société Quille, concluant à ce qu'il soit statué en droit et en fait par la cour sur cette affaire ;
Vu la note en délibéré déposée le 4 avril 2005 par le ministre chargé de l'Economie demandant à la cour d'user de son pouvoir d'évocation et de se prononcer sur la base des éléments dont elle dispose, sur la participation de la requérante à l'infraction;
Considérant qu'il ressort des dispositions des articles 1032 et 1033 du nouveau Code de procédure civile que la juridiction de renvoi après cassation est saisie par déclaration à son secrétariat contenant les mentions exigées pour l'acte introductif devant elle; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence, la déclaration de recours doit préciser, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, l'objet du recours ;
Considérant que la déclaration de saisine du 10 novembre 2004 se borne à demander l'annulation de la décision n° 95-D-76 rendue le 29 novembre 1995 par le Conseil de la concurrence, alors que par l'effet de l'annulation déjà prononcée par la cour dans son arrêt du 14 janvier 2003 non critiqué sur ce point par
la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juillet 2004, la décision du Conseil, définitivement annulée, est inexistante;
Qu'il en résulte que la déclaration de saisine est irrecevable, comme ne contenant pas l'objet du recours, étant observé qu'à défaut de signification de l'arrêt de la Cour de cassation, l'instance portée devant la cour de renvoi est soumise au délai prévu par l'article 386 du nouveau Code de procédure civile:
Par ces motifs, Déclare la saisine irrecevable, Condamne la société Quille aux dépens.