CA Paris, 4e ch. B, 14 janvier 2005, n° 03-10900
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Comité national contre les maladies respiratoires et la tuberculose
Défendeur :
JT International GmbH (Sté), Japan Tobacco Inc (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Regnier Bequet, SCP Gaultier-Kistner
Avocats :
Mes André, Vaisse.
LA COUR est saisie d'un appel formé par l'association Comité national contre les maladies respiratoires et la tuberculose (ci-après l'association CNMRT) à l'encontre d'un jugement rendu contradictoirement par le Tribunal de grande instance de Paris le 28 mars 2003 dans un litige l'opposant aux sociétés JT International GmbH et Japan Tobacco Inc.
Il convient de rappeler que la société JT International fabrique des cigarettes de marque Camel vendues en France et qu'elle exploite plusieurs marques figuratives apposées sur les paquets de cigarettes commercialisées sous cette dénomination. Ayant appris que l'association CNMRT s'apprêtait à diffuser une campagne publicitaire de lutte contre le tabagisme en utilisant le décor figurant sur les paquets de cigarette Camel et correspondant aux marques qu'elle exploite, elle a fait assigner celle-ci par acte du 6 novembre 2001, sur le fondement des articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-9 du Code de la propriété intellectuelle, aux fins de lui voir ordonner de mettre fin aux agissements litigieux.
Dans le cours de la procédure, la société Japan Tobacco Inc, titulaire des marques opposées, est intervenue volontairement aux côtés de la société JT International et ces deux sociétés ont, par écritures, dit qu'elles agissaient subsidiairement sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil en incriminant des agissements parasitaires et des dénigrements.
Par le jugement entrepris, le tribunal a, rejetant les demandes formées sur le fondement du droit des marques:
"- dit que le CNMRT a commis une faute au préjudice des sociétés JT International et Japan Tobacco Inc en utilisant certains des éléments du décor du paquet de cigarettes vendu sous la dénomination Camel aux fins de discréditer les produits commercialisés sous cette marque,
- interdit la poursuite de tels agissements sous astreinte de 30 euro par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
- condamné l'association CNMRT à verser aux demanderesses la somme globale d'un euro à titre de dommages et intérêts,
- rejeté la demande formée par les sociétés JT International et Japan Tobacco Inc au titre de l'article 700 du NCPC,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné le défenseur aux dépens."
Dans ses dernières écritures signifiées le 2 novembre 2004, l'association CNMRT, appelante, demande à la cour de:
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'association CNMRT avait commis une faute au préjudice des sociétés JT International et Japan Tobacco,
- débouter les sociétés JT International et Japan Tobacco de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- les condamner au paiement de la somme de 2 000 euro ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans leurs dernières écritures signifiées le 25 octobre 2004, les sociétés JT International GmbH et Japan Tobacco Inc, prient la cour de:
- dire irrecevable et en tout cas mal fondé l'appel formé par l'association CNMRT,
- 1°) vu les articles 1382 et 1383 du Code civil,
* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'association CNMRT au motif que celui-ci a commis une faute au préjudice des intimées en utilisant certains des éléments du décor du paquet de cigarettes vendu sous la dénomination "Camel" aux fins de discréditer les produits commercialisés sous cette marque,
* confirmer la mesure d'interdiction et d'indemnisation prononcée sur ce fondement,
- 2°) au surplus, vu les articles L. 713-5, L. 713-2 et L. 713-3 du CPI et vu les marques semi-figuratives 1.695.893, 1.245.009 et 1.245.016 de la société Japan Tobacco Inc,
* infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes fondées sur l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, alors que l'usage du visuel litigieux portait notamment sur des produits non similaires à ceux de la classe 34, tels que les produits et services des classes 16, 35, 41 et 44 et qu'il constituait un emploi non autorisé et préjudiciable des éléments emblématiques desdites marques,
* infirmer en toute hypothèse le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes formées sur le fondement de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, alors que la reproduction litigieuse du visuel emblématique et historique, hautement distinctif, de la marque "Camel"est quasi-identique, comme l'association CNMRT le reconnaît lui-même,
* enfin, plus subsidiairement, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a repoussé l'exception de parodie invoquée à titre de moyen de défense par l'association CNMRT, mais l'infirmer en ce qu'il a rejeté les demandes fondées sur l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle au motif qu'il n'existerait pas de risque de confusion au sens de ce texte,
* en conséquence, dire et juger que la déclaration d'interdiction et d'indemnisation prononcée par le jugement entrepris se justifie, surabondamment, au regard des dispositions précitées du Code de la propriété intellectuelle,
- condamner l'association CNMRT à verser aux sociétés JT International GmbH et Japan Tobacco Inc la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR:
Considérant qu'au soutien de son appel, l'association CNMRT fait valoir essentiellement que la campagne d'information contre le danger des cigarettes qui lui est reprochée était légitime dans son objectif puisqu'il s'agissait de dissuader les jeunes de commencer à fumer, qu'elle n'a nullement agi dans l'intention de nuire à un fabricant particulier et qu'elle a utilisé le mode parodique afin d'avoir un impact sur la clientèle jeune; qu'elle ajoute qu'il n'a, à aucun moment, été précisé que les cigarettes Camel seraient plus nocives que les autres, le but étant non pas de porter atteinte aux droits du titulaire de la marque, mais de dénoncer les agissements des fabricants de cigarettes dans leur ensemble et que par cette campagne, elle n'a fait qu'user de sa liberté d'expression, étant souligné que cette campagne de santé publique avait reçu l'aval des ministres Jack Lang et Bernard Kouchner;
Mais considérant que si, comme le rappelle, sur ce point, à juste titre, l'association CNMRT, la liberté d'expression est un principe à valeur constitutionnelle et que en application de ce principe, il ne saurait être interdit de porter un regard critique sur les activités d'un tiers, encore est il nécessaire que cette critique soit effectuée dans le respect des droits d'autrui;
Considérant qu'en l'espèce, les premiers juges ont, par des motifs pertinents qui ne sont pas modifiés par l'argumentation de l'appelante en appel et que la cour fait siens, relevé que le but poursuivi par l'association CNMRT est bien de "discréditer aux yeux du public, jeune en l'occurrence, les produits Camel que ce public privilégie par rapport à d'autres marques de cigarettes afin de le détourner de ces produits" ;qu'en effet, le but de la campagne est certes un but de santé publique légitime, puisqu'il s'agit de lutter contre les méfaits de la cigarette ;que toutefois, la référence à une marque spécifique de cigarette même sur un mode parodique, dans le cadre de cette campagne, a pour conséquence de porter un discrédit sur un fabricant au détriment des autres dont l'image n'a pas été utilisée qu'il importe peu que cette campagne ait reçu l'aval de membres du gouvernement, n'étant au surplus pas établi que ceux-ci auraient eu connaissance des images et slogans utilisés dans le cadre de cette campagne ;que le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a retenu que l'association CNMRT avait commis une faute par l'utilisation d'éléments du décor du paquet de cigarettes "Camel" ce qui a eu pour effet de discréditer les produits commercialisés sous cette dénomination;
Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a condamné à des dommages et intérêts et en ce qu'il a ordonné une mesure d'interdiction sous astreinte;
Considérant que les demandes incidentes relatives aux marques étant faites de "de manière surabondante", il n'y a pas lieu de les examiner, compte tenu de la confirmation du jugement sur les actes de dénigrement;
Considérant que l'équité commande qu'il ne soit alloué aucune indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, Dit n'y avoir lieu d'examiner les demandes formées à titre "surabondant" par les sociétés JT International GmbH et Japan Tobacco Inc; Confirme en conséquence le jugement en toutes ses dispositions; Rejette toutes autres demandes; Condamne l'association Comité national contre les maladies respiratoires et la tuberculose (CNMRT) aux entiers dépens; Autorise la SCP Gaultier Kistner, avoué, à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.