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Décisions

CJCE, 6e ch., 11 juillet 2002, n° C-96/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gabriel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Macken

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Gulmann, Schintgen, Skouris, Cunha Rodrigues

Avocats :

Mes Klauser, Wägenbaur

CJCE n° C-96/00

11 juillet 2002

LA COUR (sixième chambre),

1. Par ordonnance du 15 février 2000, parvenue à la Cour le 13 mars suivant, l'Oberster Gerichtshof a, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, posé une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 5, points 1 et 3, ainsi que 13, premier alinéa, point 3, de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la "Convention de Bruxelles").

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure introduite devant l'Oberster Gerichtshof par M. Gabriel, ressortissant autrichien domicilié à Vienne (Autriche), aux fins de désignation de la juridiction compétente ratione loci pour statuer sur le recours qu'il se propose de former dans l'État de son domicile à l'encontre d'une société de vente par correspondance établie en Allemagne.

Le cadre juridique

La Convention de Bruxelles

3. Les règles de compétence édictées par la Convention de Bruxelles figurent au titre II de celle-ci, constitué des articles 2 à 24.

4. L'article 2, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles, qui fait partie du titre II de celle-ci, section 1, intitulée "Dispositions générales", énonce la règle de principe libellée comme suit:

"Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État."

5. L'article 3, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles, qui figure dans la même section, dispose:

"Les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d'un autre État contractant qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du présent titre."

6. Aux articles 5 à 18 de la Convention de Bruxelles, qui forment les sections 2 à 6 du titre II de celle-ci, sont prévues des règles de compétence spéciale, impérative ou exclusive.

7. Ainsi, aux termes de l'article 5, qui figure dans la section 2, intitulée "Compétences spéciales", du titre II de la Convention de Bruxelles:

"Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée; [...]

[...]

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit;

[...]"

8. Sous le même titre II de la Convention de Bruxelles, les articles 13 et 14 de celle-ci font partie de la section 4, intitulée "Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs".

9. L'article 13 de la Convention de Bruxelles est ainsi libellé:

"En matière de contrat conclu par une personne pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ci-après dénommée le consommateur, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l'article 4 et de l'article 5 paragraphe 5:

1) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

2) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets;

3) pour tout autre contrat ayant pour objet une fourniture de services ou d'objets mobiliers corporels si:

a) la conclusion du contrat a été précédée dans l'État du domicile du consommateur d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité

et que

b) le consommateur a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat.

Lorsque le cocontractant du consommateur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État contractant, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État contractant, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État.

La présente section ne s'applique pas au contrat de transport."

10. Aux termes de l'article 14, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles:

"L'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le consommateur."

11. Il ne peut être dérogé à cette règle de compétence que sous réserve du respect des conditions énoncées à l'article 15 de la Convention de Bruxelles, qui figure également à ladite section 4 du titre II de celle-ci.

Les dispositions nationales pertinentes

12. En vertu de l'article 28, premier alinéa, point 1, de la loi autrichienne du 1er août 1895 sur la compétence d'attribution et la compétence territoriale des juridictions ordinaires en matière civile (Jurisdiktionsnorm, RGBl. 111), l'Oberster Gerichtshof doit, sur demande d'une partie, désigner, parmi les juridictions matériellement compétentes pour connaître d'un litige civil, celle qui sera territorialement compétente, lorsque le juge autrichien compétent ratione loci n'est déterminé ni par les règles définies dans ladite loi ni par aucune autre disposition, mais qu'il est tenu de statuer en application d'une convention internationale.

13. Il est constant que la Convention de Bruxelles constitue une convention internationale au sens de cette disposition.

14. L'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs (BGBl. 1979-140) est ainsi rédigé:

"Les entreprises qui adressent à un consommateur déterminé des promesses d'attribution de prix ou d'autres messages similaires, libellés de sorte à laisser croire que le consommateur a gagné un prix déterminé, doivent remettre ce prix au consommateur; ce prix peut également être réclamé devant les tribunaux."

15. Cette disposition a été ajoutée à la loi sur la protection des consommateurs par l'article 4 de la loi autrichienne sur les contrats à distance (BGBl. 1999-185), à l'occasion de la transposition en droit autrichien de la directive 97-7-CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (JO L 144, p. 19).

16. Ladite disposition est entrée en vigueur le 1er octobre 1999.

17. L'Oberster Gerichtshof précise, dans son ordonnance de renvoi, que l'objectif dudit article 5 j est d'accorder au consommateur, qui a été induit en erreur en raison du fait que le professionnel l'a contacté personnellement en faisant naître chez lui l'impression qu'il avait gagné un prix, alors que la réalité de l'opération n'est expliquée qu'en petits caractères ou dans un endroit peu apparent de la correspondance et en des termes difficilement compréhensibles, un droit d'action aux fins de poursuivre en justice l'exécution d'une telle "promesse de gain".

L'affaire au principal et la question préjudicielle

18. Il ressort du dossier de l'affaire au principal que Schlank & Schick GmbH (ci-après "Schlank & Schick"), une société de droit allemand établie à Lindau (Allemagne), exerce des activités de vente par correspondance de marchandises notamment en Allemagne, en Autriche, en France, en Belgique et en Suisse.

19. En octobre 1999, M. Gabriel a reçu, à son adresse privée et sous enveloppe fermée, plusieurs courriers personnalisés émanant de Schlank & Schick dont il prétend qu'ils étaient de nature à lui laisser croire que, à la suite d'un tirage au sort, il était l'heureux gagnant d'une somme de 49 700 ATS et qu'il avait le droit de percevoir celle-ci sur simple demande, à la seule condition qu'il commande simultanément auprès de ladite société des marchandises pour un montant minimal de 200 ATS, lesquelles étaient à choisir dans un catalogue et à porter sur un bon de commande joints auxdits courriers.

20. Ceux-ci comportaient notamment les indications suivantes: "Cher M. Rudolf Gabriel, vous n'avez toujours pas réclamé votre avoir en numéraire. [...] Voulez-vous vraiment perdre votre argent ? [...] Vous avez encore droit à votre avoir, mais maintenant vous devez vraiment réagir très vite. Dans la lettre jointe de European Credit tout est expliqué de façon plus précise. [...] PS: En guise de preuve pour vous, M. Gabriel, j'ai annexé la quittance concernant le paiement. Vous avez droit à 100 % à votre avoir en numéraire, à condition de commander sans engagement également des marchandises."

21. Une lettre annexée auxdits courriers, à en-tête de "European Credit", intitulée "Confirmation officielle de paiement" et à laquelle étaient joints la copie d'une "quittance" ainsi que le fac-similé d'un "livret d'épargne", portant tous les deux le nom de M. Gabriel et le montant de 49 700 ATS, était ainsi rédigée: "Cher M. Rudolf Gabriel, par la présente nous vous confirmons à nouveau le paiement à notre compte de l'avoir en numéraire d'un montant total de 49 700 ATS. Nous avons joint spécialement pour vous copie d'une quittance. Afin de saisir votre chance et d'accélérer le versement de la somme de 49 700 ATS, vous n'avez qu'à nous renvoyer la copie de la quittance avec votre commande-test sans engagement. [...] Maintenant plus rien ne s'oppose au versement. Pour que vous puissiez recevoir votre argent le plus rapidement possible, je vous fais parvenir simplement un chèque après réception de la quittance. Vous pouvez alors encaisser celui-ci à votre guise auprès de l'établissement financier de votre choix."

22. Il ressort toutefois de diverses mentions imprimées en assez petits caractères et figurant pour partie au dos des documents envoyés à M. Gabriel que la somme de 49 700 ATS ne constituait pas une promesse de prix ferme de la part de Schlank & Schick.

23. Ainsi, au verso de la lettre de "European Credit", il était notamment précisé, sous le titre "Conditions d'attribution", que la participation au "jeu gagnant", régi par le droit allemand, était soumise à une "commande-test sans engagement", que la date limite de cette "action" était le 30 novembre 1999 et que tout recours judiciaire était exclu. En outre, il était fait mention de ce que le tirage au sort avait été effectué par la société de vente par correspondance, que les prix en numéraire étaient divisés en "différentes valeurs partielles", faisant l'objet de plusieurs versements fractionnés en fonction du nombre des copies de quittances retournées à l'organisateur avec le bon de commande dûment rempli, et que, pour des raisons de coût, les "avoirs" d'une valeur inférieure à 35 ATS ne donneraient lieu à aucun paiement, mais seraient remis en jeu lors d'un tirage ultérieur.

24. M. Gabriel a dûment rempli et renvoyé à Schlank & Schick les documents pertinents pour réclamer le versement du gain promis et il a passé une commande d'articles du catalogue de cette société pour un montant supérieur aux 200 ATS requis.

25. Aussi la société concernée a-t-elle livré à M. Gabriel les marchandises commandées, sans cependant le faire bénéficier de la somme de 49 700 ATS que, selon lui, il avait gagnée.

26. En conséquence, M. Gabriel a décidé d'engager une action en justice pour obtenir la condamnation de Schlank & Schick à lui payer ladite somme, augmentée des intérêts et des frais de justice, sur le fondement de l'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs.

27. Souhaitant intenter cette action en Autriche - État sur le territoire duquel il est domicilié -, sur la base de l'article 14, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles, mais estimant que le droit autrichien ne comporte aucune disposition à l'effet de déterminer la juridiction nationale territorialement compétente pour en connaître, M. Gabriel a, avant de déposer son assignation au fond, saisi l'Oberster Gerichtshof aux fins de désignation de ladite juridiction en application de l'article 28, premier alinéa, point 1, de la loi autrichienne du 1er août 1895.

28. L'Oberster Gerichtshof considère que, si le recours que M. Gabriel se propose d'introduire semble être couvert par l'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs, le point de savoir s'il y a lieu de faire droit à la demande de désignation de la juridiction nationale territorialement compétente dépend de la nature de l'action que le demandeur au principal entend exercer à l'encontre de Schlank & Schick.

29. En effet, si cette action est relative à un contrat conclu par un consommateur, au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la Convention de Bruxelles, une telle désignation serait indispensable, puisque ladite convention permet seulement au consommateur de porter le litige devant la juridiction de l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié, sans pour autant déterminer directement quelle est la juridiction de cet État qui est compétente pour statuer à cet égard.

30. En revanche, la demande pendante devant l'Oberster Gerichtshof serait sans objet dans l'hypothèse où le droit d'action de M. Gabriel aurait une nature contractuelle, au sens de l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles, ou une nature délictuelle ou quasi délictuelle, au sens du point 3 de cet article, au motif que ces dispositions désignent de façon précise la juridiction territorialement compétente, à savoir respectivement le tribunal du lieu d'exécution de l'obligation contractuelle pertinente ou celui du lieu où le fait dommageable s'est produit.

31. Considérant que, dans ces conditions, la réponse à la demande qui lui est soumise par M. Gabriel dépend de l'interprétation de la Convention de Bruxelles, l'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Au regard de la Convention de Bruxelles [...], le droit d'action conféré au consommateur par l'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs [...], dans la version résultant de l'article 1er, paragraphe 2, de la loi autrichienne sur les contrats à distance [...], permettant au consommateur de réclamer en justice, à l'encontre des entreprises, le prix apparemment gagné dans le cas où celles-ci adressent (ou ont adressé) à un consommateur déterminé une promesse d'attribution de prix ou d'autres messages similaires dont la formulation est (ou était) de nature à laisser croire au consommateur qu'il a gagné un prix déterminé, constitue-t-il:

a) un droit de nature contractuelle au sens de l'article 13, point 3,

ou

b) un droit de nature contractuelle au sens de l'article 5, point 1,

ou

c) un droit de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3 ?"

Sur la question préjudicielle

32. Compte tenu du contexte factuel de l'affaire au principal, il y a lieu de comprendre la question posée comme demandant en substance si les règles de compétence énoncées par la Convention de Bruxelles doivent être interprétées en ce sens que l'action juridictionnelle, par laquelle un consommateur vise à faire condamner, dans l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié et en application de la législation de cet État, une société de vente par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d'un gain, lorsque celle-ci lui avait adressé personnellement un envoi de nature à donner l'impression qu'un prix lui sera attribué à la condition qu'il commande des marchandises pour un montant déterminé et que ce consommateur passe effectivement une telle commande dans l'État de son domicile sans cependant obtenir le versement dudit gain, est de nature contractuelle, au sens de l'article 5, point 1, de ladite convention ou de l'article 13, premier alinéa, point 3, de celle-ci, ou bien de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de la même convention.

33. En vue de répondre à la question ainsi reformulée, il convient de rappeler à titre liminaire que, conformément à une jurisprudence constante, la notion de matière délictuelle ou quasi délictuelle couverte par l'article 5, point 3, de la Convention de Bruxelles comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la même convention (voir, notamment, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189-87, Rec. p. 5565, point 17; du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C-261-90, Rec. p. I-2149, point 16, et du 27 octobre 1998, Réunion européenne e. a., C-51-97, Rec. p. I-6511, point 22).

34. Il s'ensuit qu'il importe de rechercher dans un premier temps si une action telle que celle en cause au principal revêt un caractère contractuel.

35. À cet égard, il y a lieu de relever que l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles est relatif à la matière contractuelle en général, alors que l'article 13 de ladite convention vise de façon spécifique différents types de contrats conclus par un consommateur.

36. L'article 13 de la Convention de Bruxelles constituant dès lors une lex specialis par rapport à l'article 5, point 1, de celle-ci, il doit être déterminé préalablement si une action qui présente les caractéristiques énoncées dans la question préjudicielle telle que reformulée est susceptible de relever du champ d'application de la première de ces deux dispositions.

37. Selon une jurisprudence constante, les notions figurant à l'article 13 de la Convention de Bruxelles doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ladite convention, en vue d'assurer à celle-ci sa pleine efficacité (voir notamment, arrêts du 21 juin 1978, Bertrand, 150-77, Rec. p. 1431, points 14 à 16; du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton, C-89-91, Rec. p. I-139, point 13; du 3 juillet 1997, Benincasa, C-269-95, Rec. p. I-3767, point 12, et du 27 avril 1999, Mietz, C-99-96, Rec. p. I-2277, point 26).

38. Il ressort du libellé même de cette disposition qu'elle ne trouve à s'appliquer que pour autant que, de façon générale, l'action se rattache à un contrat conclu par un consommateur pour un usage étranger à son activité professionnelle.

39. Il résulte de cette formulation, ainsi que de la fonction du régime particulier institué par les dispositions du titre II, section 4, de la Convention de Bruxelles, à savoir assurer une protection adéquate au consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant professionnel, que lesdites dispositions ne visent que le consommateur final privé, non engagé dans des activités commerciales ou professionnelles, qui est lié par l'un des trois types de contrats énumérés à l'article 13 de ladite convention et qui est par ailleurs personnellement partie à l'action en justice, conformément à l'article 14 de celle-ci (voir arrêt Shearson Lehman Hutton, précité, points 19, 20, 22 et 24).

40. S'agissant plus spécifiquement d'un contrat ayant pour objet une fourniture de services - autre qu'un contrat de transport, lequel est exclu du champ d'application de la section 4 du titre II de la Convention de Bruxelles, conformément à l'article 13, troisième alinéa, de celle-ci - ou d'objets mobiliers corporels, contrat auquel fait référence l'article 13, premier alinéa, point 3, cette disposition prévoit deux conditions d'application supplémentaires, à savoir que la conclusion du contrat ait été précédée dans l'État du domicile du consommateur d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité et que le consommateur ait accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat.

41. Ainsi qu'il ressort du rapport de M. Schlosser relatif à la convention d'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la Convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 71, 118), ces deux conditions cumulatives visent à garantir l'existence de liens étroits entre le contrat en cause et l'État sur le territoire duquel le consommateur est domicilié.

42. Pour ce qui est de la portée des notions employées auxdites conditions, à la page 119 de son rapport, M. Schlosser renvoie au rapport de MM. Giuliano et Lagarde concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO 1980, C 282, p. 1), convention ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO L 266, p. 1, ci-après la "convention de Rome"), étant donné que l'article 5 de celle-ci, relatif aux contrats conclus par les consommateurs, comporte, à son paragraphe 2, premier tiret, deux conditions énoncées en des termes identiques à ceux figurant à l'article 13, premier alinéa, point 3, sous a) et b), de la Convention de Bruxelles.

43. Il ressort du rapport de MM. Giuliano et Lagarde que ladite disposition de la convention de Rome a pour objet de couvrir les situations dans lesquelles le commerçant a fait des démarches pour proposer à la vente ses objets mobiliers corporels ou ses services dans le pays où réside le consommateur et, notamment, les ventes par correspondance et le démarchage (voir rapport susmentionné, p. 23 et 24).

44. Les notions de "publicité" et de "proposition spécialement faite", figurant à la première de ces conditions communes aux conventions de Bruxelles et de Rome, visent toutes formes de publicité faite dans l'État contractant où le consommateur est domicilié, qu'elle soit diffusée de manière générale, par voie de presse, de radio, de télévision, de cinéma ou selon toute autre modalité, ou adressée de manière directe, par exemple par voie de catalogues spécialement dirigés vers ledit État, ainsi que les propositions d'affaires soumises individuellement au consommateur, notamment par le moyen d'un agent ou d'un colporteur.

45. Quant à la seconde desdites conditions, l'expression "actes nécessaires à la conclusion" du contrat se réfère à tout acte écrit ou à toute autre démarche effectués par le consommateur dans l'État où il est domicilié et qui expriment sa volonté de donner suite à la sollicitation du professionnel.

46. Or, force est de constater que toutes ces conditions sont remplies dans une affaire telle que celle au principal.

47. En premier lieu, il est en effet constant que M. Gabriel a en l'occurrence la qualité de consommateur final privé couvert par l'article 13, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles, en ce qu'il ressort du dossier qu'il a commandé des marchandises proposées par Schlank & Schick pour son usage personnel, sans que cette opération présente un lien quelconque avec son activité professionnelle.

48. En deuxième lieu, dans une situation telle que celle au principal, le consommateur et le vendeur professionnel sont incontestablement liés par un rapport de nature contractuelle dès lors que M. Gabriel a commandé des marchandises offertes par Schlank & Schick, ce dernier manifestant ainsi son acceptation de la proposition - y compris toutes les conditions afférentes à celle-ci - que cette société lui avait personnellement adressée.

49. Au surplus, cet accord de volonté entre les deux parties a donné naissance à des obligations réciproques et interdépendantes dans le cadre d'un contrat qui a précisément l'un des objets décrits à l'article 13, premier alinéa, point 3, de la Convention de Bruxelles.

50. Ainsi, s'agissant d'une affaire telle que celle au principal, ce contrat porte plus particulièrement sur la fourniture, au moyen d'une vente par correspondance, d'objets mobiliers corporels commandés par le consommateur sur la base d'une proposition faite et moyennant un prix stipulé par le vendeur.

51. En troisième lieu, les deux conditions spécifiques énumérées à l'article 13, premier alinéa, point 3, sous a) et b), de la Convention de Bruxelles sont également remplies.

52. En effet, d'une part, le vendeur s'est adressé au consommateur dans l'État contractant du domicile de ce dernier en lui envoyant plusieurs courriers personnalisés, auxquels étaient joints un catalogue de vente et un bon de commande, en vue de l'amener à contracter sur la base de ces propositions et des conditions y afférentes et, d'autre part, à la suite de ces envois, le consommateur a effectué dans cet État les démarches nécessaires à la conclusion du contrat en procédant à la commande pour le montant exigé par le vendeur et en expédiant à celui-ci le bon de commande avec la copie de la "quittance".

53. Dans ces conditions, lorsqu'un consommateur a été contacté à son domicile par un ou plusieurs courriers d'un vendeur professionnel aux fins de susciter une commande de marchandises offertes aux conditions déterminées par celui-ci et qu'il a passé effectivement une telle commande dans l'État contractant où il est domicilié, l'action par laquelle un tel consommateur revendique en justice à l'encontre de ce vendeur la remise d'un prix gagné en apparence constitue une action relative à un contrat conclu par un consommateur au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la Convention de Bruxelles.

54. En effet, ainsi qu'il ressort du dossier à la disposition de la Cour, le droit d'action du consommateur est intimement lié au contrat conclu entre les parties, dans la mesure où, dans une situation telle que celle au principal, la correspondance que le professionnel a envoyée à ce consommateur établit un rapport indissociable entre la promesse de gain et la commande de marchandises, cette dernière étant présentée par le vendeur comme constituant le préalable exigé pour l'octroi du gain promis, précisément dans le but d'amener le consommateur à contracter. En outre, ce dernier a conclu le contrat d'achat de marchandises essentiellement, voire exclusivement, en raison de la proposition du vendeur comportant une promesse de gain d'une valeur largement supérieure au montant minimal requis pour la commande et le consommateur a, par ailleurs, satisfait à toutes les conditions stipulées par le professionnel, acceptant ainsi la proposition de celui-ci dans son ensemble.

55. En conséquence, l'action juridictionnelle, par laquelle le consommateur vise à faire condamner, dans l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié, une société de vente par correspondance établie dans un autre État contractant, à la remise d'un prix gagné en apparence, doit pouvoir être intentée devant la même juridiction que celle qui est compétente pour connaître du contrat conclu par ledit consommateur.

56. Ne saurait en effet être retenue une interprétation de l'article 13, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles qui aboutirait à ce que certaines prétentions au titre d'un contrat conclu par un consommateur relèvent des règles de compétence des articles 13 à 15 de ladite convention, alors que d'autres actions, qui présentent avec ce contrat des liens à ce point étroits qu'elles en sont indissociables, seraient soumises à des règles différentes.

57. À cet égard, la Cour a récemment rappelé la nécessité d'éviter, dans la mesure du possible, la multiplication des juridictions compétentes par rapport à un même contrat (voir, par analogie, en ce qui concerne l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles, arrêt du 19 février 2002, Besix, C-256-00, non encore publié au Recueil, point 27).

58. Or, cette nécessité s'impose à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'un contrat tel que celui en cause au principal. En effet, compte tenu du fait que la multiplication des chefs de compétence juridictionnelle risque de désavantager tout particulièrement une partie réputée faible comme le consommateur, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice que ce dernier puisse porter devant un même tribunal - en l'occurrence celui de son domicile - l'ensemble des difficultés auxquelles est susceptible de donner lieu un contrat que le consommateur a été incité à conclure en raison de l'emploi, par le professionnel, de formulations de nature à induire en erreur son cocontractant.

59. Une action telle que celle que M. Gabriel se propose d'introduire devant la juridiction nationale compétente relève ainsi du champ d'application de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la Convention de Bruxelles et, partant, il n'est pas nécessaire d'examiner si elle est visée par l'article 5, point 1, de celle-ci.

60. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les règles de compétence énoncées par la Convention de Bruxelles doivent être interprétées en ce sens que l'action juridictionnelle, par laquelle un consommateur vise à faire condamner, dans l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié et en application de la législation de cet État, une société de vente par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d'un gain, lorsque celle-ci lui avait adressé personnellement un envoi de nature à donner l'impression qu'un prix lui sera attribué à la condition qu'il commande des marchandises pour un montant déterminé et que ce consommateur passe effectivement une telle commande sans cependant obtenir le versement dudit gain, est de nature contractuelle au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de ladite convention.

Sur les dépens

61. Les frais exposés par les Gouvernements autrichien et allemand, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par l'Oberster Gerichtshof, par ordonnance du 15 février 2000, dit pour droit:

Les règles de compétence énoncées par la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du royaume de Suède, doivent être interprétées en ce sens que l'action juridictionnelle, par laquelle un consommateur vise à faire condamner, dans l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié et en application de la législation de cet État, une société de vente par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d'un gain, lorsque celle-ci lui avait adressé personnellement un envoi de nature à donner l'impression qu'un prix lui sera attribué à la condition qu'il commande des marchandises pour un montant déterminé et que ce consommateur passe effectivement une telle commande sans cependant obtenir le versement dudit gain, est de nature contractuelle au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de ladite convention.