CA Versailles, 3e ch., 15 avril 2005, n° 03-07172
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Marc, UFC Que Choisir
Défendeur :
Emi Music France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Henry-Bonniot
Conseillers :
MM. Grandpierre, Regimbeau
Avoués :
SCP Tuset-Chouteau, SCP Fievet-Lafon
Avocats :
Mes Franck, Pecnard
Faits et procédure :
Mme Marc a acheté un disque compact (CD) de chansons d'Alain Souchon, édité par la société EMI. Fonctionnant sur divers appareils, ce disque était inutilisable sur l'autoradio de son véhicule.
Par jugement du 2 septembre 2003, le Tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré irrecevable l'action intentée par l'association UFC Que Choisir à l'encontre de la société EMI et de la société Auchan et a débouté Mme Marc de sa demande à l'égard de la société Auchan, faute de preuve d'un achat effectué auprès de cet établissement. L'action rédhibitoire de Mme Marc à l'encontre de la société EMI a été déclarée recevable et cette société a été condamnée à verser à Mme Marc la somme de 9,50 euro. Mme Marc et la société Auchan ont été déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts, la société Auchan a été déboutée de sa demande de publication. L'exécution provisoire de la décision a été ordonnée. La société EMI a été condamnée à payer à Mme Marc la somme de 150 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et, sur ce fondement, la société UFC a été condamnée à verser à la société Auchan la somme de 2 000 euro et la même somme à la société EMI. Elle a été condamnée aux dépens.
Prétentions et moyens des appelants :
Mme Marc et l'association UFC demandent d'infirmer la décision en ce qu'elle a déclaré l'action de l'UFC irrecevable, condamné l'UFC à payer à la société EMI la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, débouté Mme Marc de sa demande de réparation du préjudice par la société EMI. Elles demandent sa confirmation en ce qu'elle a fait droit à l'action estimatoire de Mme Marc en raison de l'existence d'un vice caché affectant le disque produit par la société EMI et en ce que cette société a été condamnée à restituer à Mme Marc la somme de 9,50 euro et à lui payer la somme de 150 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Marc réclame la condamnation de la société EMI à lui payer la somme de 50 euro en réparation de son préjudice.
L'association UFC, demande à être reçue dans son action et d'interdire à la société EMI de commercialiser le disque litigieux et d'utiliser une mesure technique de protection, dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à peine d'astreinte de 10 000 euro par jour de retard pour chacune des interdictions.
L'association UFC sollicite la diffusion d'un communiqué judiciaire à insérer dans trois périodiques de son choix sans que le coût de chaque insertion puisse être inférieur à 10 000 euro le texte du communiqué judiciaire étant le suivant:
"par décision en date du, la Cour d'appel de Versailles a constaté, à la requête de Mme Marc et de l'association UFC-Que Choisir, que la société EMI commercialisait un disque compact de M. Alain Souchon dont le titre est: "j'veux du live ", comportant un vice caché résultant de l'utilisation d'un système de protection anti-copie rendant le disque compact inaudible sur certains autoradios.
En conséquence, la cour a enjoint à la société EMI de cesser d'utiliser cette mesure technique de protection et de commercialiser le CD litigieux. Le présent communiqué est diffusé pour informer les consommateurs et permettre à ceux-ci de faire valoir leurs droits auprès de la société EMI Music France".
L'association UFC demande aussi la condamnation de la société EMI à lui verser la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice causé la collectivité des consommateurs, outre la somme de 150 euro pour Mme Marc et celle de 4 500 euro pour elle-même, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Prétentions et moyens de l'intimée :
Constatant que l'association UFC a engagé l'instance conjointement avec Mme Marc, la société EMI demande de juger que l'article 421-7 du Code de la consommation n'autorise pas les associations de consommateurs à agir conjointement avec le consommateur lorsque l'action est engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés et que les demandes formées par les associations de consommateurs sur ce fondement doivent prendre la forme de l'intervention au sens article 66 et 68 du nouveau Code de procédure civile.
Écartant des débats les pièces communiquées par l'association UFC numérotées 7, 9, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 29, 32, 33, 34, 42, 43 et 45, la société demande la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action intentée par l'association. Elle fait valoir que les témoignages écrits de tiers à la procédure communiqués par l'association UFC ne sont pas rédigés dans les formes prescrites par les articles 199 et 202 du nouveau Code de procédure civile, que les extraits des forums de discussion du site Internet de l'association UFC ne répondent pas davantage aux exigences des textes et ne permettent pas d'identifier - dans un cas - l'auteur du témoignage, que ces lacunes ne permettent pas de considérer ces témoignages valables, leurs auteurs n'ayant notamment pas pu prendre conscience de la portée d'une déclaration et de l'usage judiciaire qui en serait fait.
Le société EMI estime que Mme Marc et l'association UFC ne démontrent pas l'existence d'un vice caché affectant le disque d'Alain Souchon. Les autres causes possibles de dysfonctionnements, telles que le défaut du lecteur utilisé, n'ont pas été explorées. Les limitations d'usage du disque d'Alain Souchon ne sont pas démontrées. La société EMI a, au contraire, démontré que ce disque fonctionnait normalement sur des lecteurs similaires à ceux employés par Mme Marc et que les causes de dysfonctionnements pourraient être multiples.
Ainsi la société EMI demande d'infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu'il a reconnu l'existence d'un vice caché du disque d'Alain Souchon et conclut au rejet de la demande de Mme Marc et de l'association UFC Que Choisir.
Subsidiairement, Mme Marc ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui qui pourrait être compensé au titre de l'action estimatoire. La preuve d'un défaut affectant l'ensemble des exemplaires du disque Alain Souchon n'est pas rapportée ni la preuve d'un défaut lié aux systèmes techniques de production du disque. Les mesures d'interdiction de commercialisation du disque d'Alain Souchon et plus généralement des disques protégés sont inadaptées et disproportionnées. Les mesures de publication sollicitées n'ont pas lieu d'être. La preuve d'un préjudice subi par l'association UFC Que Choisir du fait de la commercialisation du disque litigieux n'est pas rapportée. La société EMI demande la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Mme Marc de sa demande de dommages et intérêts et l'association UFC de l'ensemble de leurs demandes.
Elle sollicite la condamnation de l'association UFC Que Choisir à lui verser la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision :
- Sur la recevabilité de l'action de l'association UFC Que Choisir :
L'article L. 421-7 du Code de la consommation prévoit que : "les associations mentionnées à l'article L. 421-1 peuvent intervenir devant les juridictions civiles et demander notamment l'application des mesures prévues à l'article L. 421-2 lorsque la demande initiale a pour objet la réparation d'un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d'une infraction pénale ".
A juste titre l'intimée et le tribunal ont relevé qu'en l'espèce l'association UFC Que Choisir n'avait pas agi par voie d'intervention au sens des article 66 et 68 du nouveau Code de procédure civile mais avait formé une demande aux côtés de Mme Marc, dans la même assignation.
Mais l'article L. 421-7 précité interdit aux associations ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs d'agir seules. Il exige, pour que leur action soit recevable, une demande initiale d'au moins un consommateur sollicitant la réparation de son préjudice en dehors d'une infraction pénale, condition qui n'est pas en l'espèce discutée. Il n'interdit pas à l'intervenant volontaire de se joindre au demandeur principal dès l'acte introductif d'instance. En l'espèce la demande initiale introduisant l'instance est celle de Mme Marc. Elle constitue le support obligatoire de la demande de l'association UFC Que Choisir laquelle avait pris soin de préciser dans l'assignation qu'elle intervenait aux côtés du consommateur.
L'action de l'association UFC Que Choisir est recevable.
- Sur les demandes de Mme Marc :
L'article 1641 du Code civil sur lequel Mme Marc fonde son action prévoit que : "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ".
Le constat d'huissier de justice du 5 mai 2003 produit aux débats prouve que le disque compact acheté par Mme Marc fonctionne normalement sur ses lecteurs domestiques ou portables mais pas sur le lecteur dont est équipé son véhicule de marque Renault alors que cet appareil est en état de marche puisqu'il permet d'écouter d'autres disques.
La société EMI Music France fait observer que ce constat n'identifie ni la nature, ni les références, ni la marque du lecteur installé sur la voiture de Mme Marc et ajoute qu'aucun test technique n'a été réalisé et que le constat a été effectué avant toute réclamation auprès de ses services.
Cependant ce constat constitue une preuve suffisante d'un fait dans un domaine où la preuve est libre. Certes, ce fait est limité au non-fonctionnement d'un disque. Mme Marc n'avait pas l'obligation, avant de s'adresser à la justice, de prévenir les services de la société EMI Music France ni celle d'apporter des démonstrations techniques.
En prouvant que le disque ne fonctionne pas dans un lecteur cependant adapté, elle établit que le disque est atteint d'un vice. Il était mentionné sur la pochette, en caractères à peine lisibles, que le CD contenait "un dispositif technique limitant les possibilités de copie". Aucune réserve d'usage sur des lecteurs n'était mentionnée. Ainsi à juste titre le premier juge a admis la qualification de vice caché du disque le rendant impropre à son usage et a condamné la société EMI Music France à payer à Mme Marc la somme de 9,50 euro, prix du CD.
La demande de dommages et intérêts de Mme Marc a été écartée au motif que le vendeur ignorait les vices de la chose. Mais la société EMI Music France étant un vendeur professionnel, tenu de connaître les vices de ce qu'il vend, le tribunal de grande instance a fait une application erronée des dispositions de l'article 1646 du Code civil : "si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente".
Le préjudice de jouissance supporté par Mme Marc n'est pas réparé par l'action rédhibitoire, contrairement à ce que soutient la société EMI Music France. Il justifie la demande de la somme de 50 euro à titre de réparation.
- Sur les demandes de l'association UFC Que Choisir :
Le constat d'huissier de justice a été complété par d'autres constats effectués le 23 mai 2003, le 18 septembre 2003 qui confirment que d'autres exemplaires de CD diffusé par la société EMI Music France du même titre et du même auteur connaissent des difficultés de lecture sur d'autres supports.
La société EMI Music France produit, de son côté, des constats révélant que d'autres exemplaires de CD du titre en question fonctionnent sur d'autres autoradios du même type que celui de Mme Marc.
Le constat réalisé le 25 février 2004 à la demande de la société EMI Music France a, ainsi, montré un fonctionnement normal dans plusieurs véhicules mais aussi quelques défaillances. La société EMI Music France en conclut que le système de protection contre la copie illicite dont certains de ses CD sont équipés ne peut avec certitude être mis en cause et que des modèles de lecteurs de disque pourraient être à l'origine de difficultés de lecture. Elle ajoute que le nombre des réclamations parvenues à la connaissance de l'association UFC Que Choisir est dérisoire malgré le "battage médiatique" auquel cette association se serait livré. Elle fait état cependant de 184 réclamations en septembre 2003, qu'elle met en parallèle avec les 800 000 ventes intervenues durant la même période.
L'association UFC Que Choisir avance des pourcentages de problèmes de lecture plus importants et incrimine le dispositif de protection dénommé "copy control". Si aucune explication scientifique n'est apportée, il ressort des constatations que de nombreux CD munis d'un système de protection sont atteints du même vice caché que celui de Mme Marc et qu'il s'agit bien d'un vice inhérent au CD et non aux supports.
L'association UFC Que Choisir a produit, en outre, de nombreux témoignages de consommateurs s'adressant à elle pour signaler leurs déconvenues avec des CD protégés. Ces lettres versées aux débats ne répondent pas aux formes prescrites pour les attestations prévues par l'article 202 du nouveau Code de procédure civile. Cependant, elles ne sont pas nulles ou irrecevables et sont reçues aux débats en tant que présomption de preuve par écrit dans la mesure où elles sont précises sur les circonstances des incidents survenus, des CD et supports utilisés, dans la mesure aussi où elles sont concordantes. La société EMI Music France fait observer que la plupart de ces courriers sont antérieurs à l'assignation. Mais la cour estime que cela n'affaiblit pas la portée de ce qui est relaté dans ces courriers.
Tous ces faits constituent des présomptions suffisamment graves et concordantes de ce que le système de protection apposé sur le CD de Mme Marc, comme sur d'autres CD, est à l'origine des difficultés d'écoute sur certains supports, et que ces difficultés ne proviennent pas de supports défectueux ou obsolètes comme le prétend la société EMI Music France.
L'association UFC Que Choisir demande la cessation de l'usage de la mesure de protection contre la copie qu'elle qualifie d'agissement illicite et l'interdiction de commercialiser le CD, ces mesures étant chacune assorties d'astreinte.
Mais d'une part la preuve de l'illicéité d'une mesure technique de protection contre la copie n'est pas rapportée et d'autre part rien n'interdit à la société EMI Music France de commercialiser un CD avec une mesure de protection dont le fonctionnement serait normal à condition que l'acheteur en soit prévenu. Les demandes de l'association UFC Que Choisir relatives à ces interdictions sont rejetées. Il n'a pas été demandé l'apposition d'une mention plus complète sur le CD pour informer l'acheteur.
En raison de l'insuffisance des explications techniques apportées sur le vice inhérent au CD et des délais écoulés depuis la date des constats de dysfonctionnements dans un domaine d'évolution rapide des technologies, il n'est pas approprié d'ordonner la diffusion d'un communiqué judiciaire dans des périodiques.
En revanche, la demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article L. 421-1 du Code de la consommation en vue de réparer le préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs est justifiée à hauteur de 10 000 euro.
La société EMI Music France est déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Il est équitable d'allouer à Mme Marc la somme de 150 euro et à l'association UFC Que Choisir la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais non répétibles exposés par les appelantes pour leur défense en première instance et devant la cour d'appel.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement du 2 septembre 2003 du Tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu'il a déclaré recevable l'action rédhibitoire de Mme Marc et condamné la société EMI Music France à lui restituer la somme de 9,50 euro ; l'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau quant à ce: Condamne la société EMI Music France à verser à Mme Marc la somme de 50 euro à titre de dommages et intérêts, Déclare recevable l'action de l'association UFC Que Choisir, Déboute l'association UFC Que Choisir de ses demandes d'interdiction de la commercialisation du CD litigieux, d'interdiction d'utiliser une mesure technique de protection et de publicité, Condamne la société EMI Music France à verser à l'association UFC Que Choisir la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs, Condamne la société EMI Music France à payer à Mme Marc la somme de 150 euro et à l'association UFC Que Choisir une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société EMI Music France aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Tuset Chouteau, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.