CA Besançon, ch. soc., 31 janvier 2003, n° 01-02425
BESANÇON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Moussous
Défendeur :
Charpier Rieme (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boucon
Conseillers :
MM. Vignes, Landot
Avocats :
Mes Tournier, Varlet.
LA COUR :
Faits et prétentions des parties :
Jean Moussous a été engagé par la SA Performer en qualité de représentant exclusif, suivant contrat écrit du 20 janvier 1992.
A compter du 1er juillet 1996, il a été affecté à la SA Charpier Rieme en qualité de directeur commercial.
Le 21 juin 1999, il a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et la modification de son statut de VRP et des conditions de sa rémunération à la suite de l'attribution de la qualification de directeur commercial, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Besançon le 29 juillet 1999 de diverses demandes en paiement de rappels de salaires et de commissions, et d'indemnités de rupture.
Par jugement en date du 16 novembre 2001 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, le Conseil de prud'hommes de Besançon a:
- dit et jugé que Jean Moussous ne pouvait continuer à revendiquer le statut de VRP jouissant de celui de directeur commercial de la SA Charpier Rieme;
- dit celui-ci mal fondé en ses demandes de rappels de salaires, et de commissions, à l'exception de celle relative à la vente Bijoutiers de France;
- condamné la SA Charpier Rieme à lui payer, au titre de ladite commission, la somme de 3 277,50 F valeur brute, et 327,75 F valeur brute, au titre des congés payés y afférents;
- dit et jugé que le licenciement prononcé par la SA Charpier Rieme à l'encontre de Jean Moussous le 21 juin 1999 reposait sur une cause réelle et sérieuse et débouté celui-ci de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
La juridiction prud'homale s'est déclarée en partage de voix sur la qualification de la faute et ses conséquences (mise à pied-préavis), et sur la demande de dommages-intérêts pour exécution abusive, et a sursis à statuer sur l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Jean Moussous a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 6 décembre 2001.
Il demande à la cour de réformer celui-ci, et de condamner la SA Charpier Rieme à lui payer les sommes suivantes:
- rappels de salaire:
* année 1996 : 6 924,64 euro et 35 892,65 euro, soit 42 817,29 euro,
* année 1997 : 61 042,02 euro,
* année 1998 : 107 783,58 euro,
* année 1999 : 50 531,63 euro,
- commissions non réglées:
* Affaire Cirpex : 50 140,68 euro,
* Rica Lewis : 5 001,59 euro,
* Bijoutiers de France : 6 995,12 euro,
* France Bracelet : 31 959,11 euro,
- commissions juin 1999 :1 417,30 euro,
- indemnité de clientèle : 122 000 euro,
- dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 91 470 euro,
- dommages-intérêts en réparation du préjudice moral : 20 000 euro,
- article 700 du nouveau Code de procédure civile : 7 000 euro.
Il demande en outre la condamnation de la SA Charpier Rieme aux entiers dépens dans lesquels seront compris tous les frais d'exécution engagés par Me Saillard et Me Midez, Huissiers.
Il précise liminairement que par jugement rendu le 28 mars 2002 sous la présidence du juge départiteur, actuellement définitif, le Conseil de prud'hommes de Besançon a dit qu'il n'avait pas commis de faute grave, privative d'indemnités, et a condamné la SA Charpier Rieme à lui verser les sommes suivantes:
- au titre de la mise à pied : 1 080,51 euro brut,
- au titre de l'indemnité de préavis : 10 614 euro brut,
- au titre des congés payés afférents : 1 169,45 euro brut,
- au titre du véhicule de fonction : 914,69 euro brut,
- au titre de l'indemnité légale de licenciement : 3 103,86 euro brut.
Il fait valoir en substance sur les points restants en litige:
- qu'il a été embauché par la SA Performer en qualité de représentant exclusif, selon contrat écrit du 20 janvier 1992, lui attribuant le bénéfice du statut dérogatoire prévu par les articles 751-1 et suivants du Code du travail, et qu'en vertu d'un avenant de rémunération du 3 janvier 1994, le taux de ses commissions était fixé à 9 % sur les bracelets, 7 % sur les autres produits, et 1 % sur les opérations promotionnelles ; qu'à partir de 1995, l'employeur a décidé unilatéralement de lui attribuer la qualification de directeur commercial et de modifier les taux de ses commissions, réduits à 5 % sur le direct Pub, 1 % sur l'indirect, et 0,5 % sur le Private Label; qu'en l'absence d'accord écrit de sa part, ces modifications substantielles lui sont inopposables, et il est fondé à revendiquer le bénéfice du statut de VRP et le calcul de sa rémunération sur la base de l'avenant de 1994 (7 % du chiffre d'affaires), d'où sa demande de rappels de salaire au titre des années 1995 à 1999, et sa demande d'indemnité de clientèle, à concurrence d'une année de commissions (sauf à déduire l'indemnité de licenciement allouée par le conseil de prud'hommes le 28 mars 2002);
- que d'autre part la SA Charpier Rieme ne lui a versé qu'une commission de 50 000 F en mars 1998, au titre d'une commande de montres passée par l'organisme Cirpex le 16 mars 1998 pour un montant de 4 925 796 F HT, alors qu'il était à l'origine de celle-ci et ayant traité directement le dossier, il était en droit de prétendre à une commission de 7 %, d'où un solde dû de 50 140,68 euro; que de même il n'a perçu aucune commission sur les commandes Rica-Lewis intervenues en 1996, les commandes Bijoutiers de France de janvier 1999 et France-Bracelet des 9 et 18 mars 1999, alors qu'il s'agissait de clients démarchés par lui et de commandes traitées par son intermédiaire; qu'il n'a par ailleurs perçu aucune commission au titre du mois de juin 1999, et que faute par l'employeur de produire les éléments permettant de chiffrer celle-ci, il est fondé à solliciter une somme équivalente à la moyenne des commissions perçues au cours des douze mois précédents, soit 1 417,30 euro;
- qu'enfin son licenciement prononcé pour motif disciplinaire avait pour origine en réalité une réorganisation commerciale, et a fait suite à son refus d'accepter une transaction aux conditions proposées par l'employeur; que jusqu'en mai 1999, il n'avait jamais fait l'objet d'aucun reproche ; qu'après avoir confié une partie de sa clientèle (France-Bracelet, Lip, Decerny) à Mme Cuenot, soeur de Denis Rieme, la SA Charpier Rieme l'a informé en mai 1999 d'un changement de stratégie commerciale consécutif au partenariat d'affaires noué avec la société Festina, celui-ci impliquant l'abandon de clients importants du réseau détail, représentant les trois quarts de son activité; que son emploi n'ayant plus de raison d'être, la société Festina lui a proposé le 10 mai 1999 (en accord avec M. Rieme) un poste d'agent commercial; que les griefs allégués à son encontre constituent de fallacieux prétextes et sont dénués de fondement réel et sérieux; que celui relatif à l'utilisation à des fins personnelles de la carte d'autoroute et de la carte bancaire remises par la société fait référence à des débits de septembre, décembre 1998, et janvier-février 1999, antérieurs de plus de deux mois à la date du licenciement et que l'employeur avait régulièrement approuvé en signant les relevés d'opérations ; que les plaintes des clients Didier Guerin, Goldy, Galeries Lafayette enregistrées en mai et juin 1999 sont la conséquence des nouvelles directives données sur la stratégie de l'entreprise, projetant de ne plus traiter avec la clientèle de détail, et que celles émanant des autres clients cités sont antérieures de plus d'un an, voire deux ans au licenciement ; que de même les autres griefs invoqués - absence de suivi du réseau commercial, absence de compte rendu d'activité - fait référence à des faits anciens ou sans consistance réelle ;
- qu'il est fondé à solliciter, en sus des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité en réparation du préjudice moral spécifique qu'il a subi du fait de l'acharnement procédural dont l'employeur a fait preuve pour obtenir la restitution de la somme de 25 667,96 euro (168 378,75 F) qu'il avait perçue au titre de la commission Cirpex en vertu d'une ordonnance de référé du 5 juillet 1999 réformée ensuite par la cour d'appel le 18 janvier 2000.
La SA Charpier Rieme demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de dire et juger que le licenciement de Jean Moussous repose sur une cause réelle et sérieuse; que celui-ci jouissait du statut de directeur commercial et ne peut revendiquer celui de VRP et qu'il a été rempli de ses droits à commissions; de rejeter en conséquence l'ensemble de ses demandes, tant à titre de dommages-intérêts qu'à titre de rappels de salaires et de commissions, et de le condamner à lui verser une somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle ajoute que la cour d'appel n'est pas compétente pour statuer sur les demande de Jean Moussous relatives à l'imputabilité des frais d'exécution engagés par Me Saillard et Me Midez, seuls le Tribunal d'instance et le juge de l'Exécution de Pontarlier ayant vocation à trancher ce problème.
Elle soutient en substance, s'agissant de la revendication par Jean Moussous de son statut initial de VRP, que celui-ci a été promu en 1995 au poste de directeur commercial, position cadre, au sein de la société Performer avant d'être transféré à compter du 1er juillet 1996 au sein de la SA Charpier Rieme ; qu'il a expressément accepté cette promotion ainsi qu'il résulte de ses cartes de visite, des courriers adressés par lui aux clients et agents commerciaux du réseau, de son affiliation à l'assurance collective Gan et à la Crica, et qu'il a effectivement exercé la fonction d'un directeur commercial, consistant dans l'animation du réseau national, dans le suivi des commandes et le service après-ventes ... ; que son activité n'était pas limitée à un secteur géographique déterminé, et qu il ne peut des lors revendiquer le bénéfice du statut de VRP, et les indemnités de clientèle et de rupture y afférentes, ni le calcul de ses commissions sur la base de l'avenant de rémunération du 3 janvier 1994 lié directement audit statut ; qu'il établissait lui-même mensuellement ses décomptes de commissions au titre de ses activités Pub et Private Label aux taux de 5 %, 1 % et 0,5 % et que ses demandes de rappels de salaires sont exorbitantes et totalement dénuées de fondement.
S'agissant des demandes de rappels en commissions, la SA Charpier Rieme fait valoir en substance:
- que les ventes de montres par la SA Performer à la société France Bracelets intervenues en mars 1999 correspondaient à une cession de stock consécutive à la cession de la branche d'activité autonome relative aux produits de la marque Dauteil, diffusés dans le réseau bureaux de tabac-presse, cession intervenue le 27 février 1999, et négociée directement entre les dirigeants et leurs conseils ;
- que Jean Moussous n'était pas le seul interlocuteur de la société Rica-Lewis au sein de l'entreprise et n'établit pas ses droits à commissionnement sur cette affaire;
- que le client Bijoutiers de France dépend du secteur d'activité Private Label, et les commandes ne peuvent générer des commissions supérieures à 0,5 %, d'où son offre à titre subsidiaire de versement de la somme de 3 277,50 F à ce titre;
- que la commande Cirpex ne correspondait pas à des montres publicitaires mais à des montres vendues sous la marque Charpier-Rieme, et n'entrait donc pas dans le chiffre d'affaires "direct Pub" donnant droit à un commissionnement de 5 %, et que Jean Moussous n'a pas été à l'origine de celle-ci, ni directement ni indirectement, par une action de démarchage personnelle, puisqu'il s'agissait d'un appel d'offres lancé en janvier 1998 par cet organisme, dont la société a été informée par l'intermédiaire de M. Bracco, fondé de pouvoir du Cial ; que la commission de 50 000 F versée en mars 1998 à Jean Moussous était destinée à le récompenser du suivi et de la gestion du dossier, assurée conjointement avec M. Denis Rieme;
S'agissant du licenciement, l'intimée soutient que Jean Moussous n'ayant pas interjeté appel de la décision du Conseil de prud'hommes du 28 mars 2002, qui a considéré que les fautes qui lui étaient reprochées justifiaient son licenciement, mais ne revêtait pas un caractère de gravité suffisant pour le priver des indemnités de préavis et de licenciement, ne peut venir prétendre que son licenciement ne repose pas sur des motifs réels et sérieux.
Elle estime qu'en tout Etat de cause, elle rapporte suffisamment la preuve par les documents qu'elle produit aux débats, tels que notes internes, plaintes de clients et d'agents commerciaux, de ce que Jean Moussous a gravement manqué à ses obligations contractuelles en ce qui concerne le suivi du réseau commercial, la préparation et le suivi des commandes, et mis en péril les intérêts de l'entreprise.
Elle maintient également que Jean Moussous n'a fourni aucun compte-rendu d'activités en 1999, ni les justificatifs de ses déplacements et frais professionnels, et qu'après vérification elle s'est rendu compte que celui-ci avait utilisé à plusieurs reprises la carte d'autoroute et la carte bancaire à des fins personnelles, tels que déplacements privés les dimanches et jours fériés, achat de revues sans rapport avec les besoins de l'entreprise. La cour entend se référer pour ce surplus de l'argumentation des parties aux conclusions déposées par elle respectivement les 8 octobre et 29 novembre 2002, développées oralement à l'audience par leur conseil.
Motifs de la décision :
Sur la modification du contrat de travail et le statut de VRP :
En vertu du contrat du 20 janvier 1992 produit aux débats Jean Moussous a été engagé par la SA Performer, en qualité de représentant exclusif, bénéficiant du statut dérogatoire des VRP.
Il était chargé de la diffusion de montres, pendules, réveils, bracelets et piles.
Son secteur de prospection était délimité géographiquement à quinze départements du Sud-Ouest et professionnellement à la clientèle des hypermarchés (exclusivement).
Ce contrat a été modifié le 3 janvier 1994 par trois avenants:
- l'un substituait au mode de rémunération initialement convenu (fixe de 8 000 F + commissions sur chiffre d'affaires variant de 0,5 % à 3 %) une rémunération exclusivement à la commission (9 % sur les bracelets, 7 % sur les autres produits, 1 % sur les opérations promotionnelles);
- un autre avenant modifiait son secteur géographique, qui était fixé désormais à sept départements de la Région Rhône-Alpes;
- un troisième avenant lui assignait un objectif de 3 500 000 F HT de chiffre d'affaires.
Jean Moussous ne peut valablement soutenir que le statut de directeur commercial, position cadre, qui lui a été attribué à compter du 1er janvier 1995 au sein de la SA Performer, puis à partir de juillet 1996 au sein de la SA Charpier Rieme lui est inopposable, de même que les nouvelles conditions de rémunération qui lui ont été appliquées à savoir un salaire fixe mensuel de 15 000 F, puis de 16 500 F, augmenté de commissions au taux de 1 %, 5 % et 0,5 %, faute d'acceptation écrite de sa part et qu'il est fondé à revendiquer le bénéfice des conventions initiales.
Si la modification de la rémunération d'un salarié exige en effet une acceptation écrite de celui-ci, dès lors qu'il continue d'accomplir la même prestation de travail avec la même qualification, il n'en va pas de même quand les modifications intervenues portent non seulement sur la rémunération mais également sur la nature même de la prestation de travail. Dans cette hypothèse, le salarié qui a accepté sans réserves pendant plusieurs années d'exercer les nouvelles fonctions assignées par l'employeur ne peut revendiquer le bénéfice d'un statut ou d'un mode de rémunération qui n'ont plus aucun rapport avec l'activité exercée.
Tel est précisément le cas en l'espèce.
D'une part, Jean Moussous n'allègue en aucune façon avoir continué à prospecter effectivement et exclusivement la clientèle des hypermarchés sur le secteur Rhône-Alpes, tel qu'il était prévu dans son contrat initial,et reconnaît dans ses écritures qu'il a été spécialement chargé au sein de la SA Charpier Rieme des grands comptes et du développement de l'activité des montres publicitaires et du Private Label, c'est-à-dire la fabrication pour le compte d'importants donneurs d'ordre titulaires de marques notoires (Maty, Lip, Decerny, Yema) ce qui n'a plus rien à voir avec la clientèle hypermarchés visée à son contrat.
D'autre part, ainsi que le relèvent à juste titre les premiers juges, la SA Charper Rieme produit divers courriers et pièces émanant de l'intéressé, qui établissent sans équivoque qu'il exerçait effectivement des fonctions de directeur commercial et ne se limitait pas à la prise d'ordres, qu'il encadrait bien le réseau commercial et était chargé des relations avec les agents commerciaux (établissement de contrats, tarifs, objectifs) assurait le suivi des commandes et réglait les problèmes de service après-vente.
La prospection itinérante et la prise d'ordres ne constituant plus l'essentiel de son activité, il n'est pas fondé à revendiquer le bénéfice du statut de VRP et les indemnités de clientèle et de rupture afférentes à celui-ci.
Ses demandes de rappels de salaires sur la base du taux de 7 % visé à l'avenant de rémunération du 3 janvier 1994 sont tout aussi dénuées de fondement, en ce qu'elles prétendent appliquer ce taux à des volumes de commandes de montres publicitaires ou du secteur Private Label, qui n'ont strictement aucun rapport avec les prévisions du contrat initial, ne serait-ce qu'au regard des montants de chiffre d'affaires servant d'assiette aux commissions.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les prétentions de Jean Moussous fondées sur ledit contrat de VRP.
Sur les rappels de commissions :
Les demandes concernent des commandes et facturations intervenues en 1996 (Rica-Lewis) 1998 (Cirpex) et 1999 (France-Bracelets et Bijoutiers de France).
S'agissant des commissions sur la vente de montres Rica-Lewis, il convient de relever que la réclamation porte sur des chiffres d'affaires réalisés par la SA Charpier Rieme sur la période du 1er janvier 1995 au 31 mars 1996, à un moment où Jean Moussous était directeur commercial de la SA Performer.
A l'examen des pièces produites, il apparaît que les montres Rica-Lewis ne sont pas des montres publicitaires stricto sensu mais des montres fabriquées par Charpier-Rieme sous licence de marque Rica-Lewis, et commercialisées par Performer, notamment auprès des grands distributeurs Carrefour, Continent.
Jean Moussous produit aux débats pour justifier de son droit à commissions un fax d'Isabelle Cuenot du 16juin 1995 l'informant de ce que la gamme Rica-Lewis est retenue par certains distributeurs, et le félicitant pour la "gamme", un autre du 11 juillet 1996 qui lui a été adressé avec la mention "copie pour information" interrogeant les commerciaux chargés de diffuser le produit sur l'intérêt de développer celui-ci, enfin un fax du 11 juillet l'informant des remontées du "terrain" et de la nécessité de baisser le prix du produit et de renforcer la démarche marketing.
S'il résulte de ces documents que Jean Moussous a bien participé à l'élaboration de la "gamme" et à la définition prix-produit, il en résulte à l'inverse qu'il n'a pas été chargé ni directement ni indirectement de la diffusion de celle-ci, lui permettant de prétendre à des commissions au taux de 7 % de l'avenant de 1994 ou même de 1 % au titre du chiffre d'affaires indirect.
Il n'établit pas non plus son droit à commissionnement sur ce type de montres, dans le cadre de ses nouvelles fonctions, s'abstenant de préciser si celles-ci entraient contractuellement dans le secteur montres publicitaires, de Private-Label.
Il convient en conséquence de rejeter sa demande sur ce point.
S'agissant des autres réclamations, il convient de rappeler que selon les bulletins de salaires et décomptes de commissions produits par Jean Moussous, celui-ci était rémunéré par la SA Charpier Rieme sur la base d'un salaire fixe mensuel brut de 16 500 F et d'un commissionnement de:
* 1 % sur le chiffre d'affaires indirect Pub,
* 5 % sur le chiffre d'affaires direct Pub,
* 0,5 % sur le chiffre d'affaires Private Label.
La SA Charpier Rieme reconnaît que les commandes Bijoutiers de France (marque Julien Dorcel) relèvent du secteur d'activité Private Label (ce qui résulte d'ailleurs des décomptes de commissions produits) et que Jean Moussous n'a pas été commissionné sur les factures de janvier 1999, représentant un montant total de 655 000 F.
Elle a offert à ce titre une somme de 3 277,50 F brut, offre entérinée par les premiers juges.
Pour les motifs déjà exposés plus haut, Jean Moussous ne peut en aucune façon prétendre à une commission de 7 % sur ce secteur d'activité.
Il convient donc de confirmer purement et simplement la décision de première instance sur ce point.
S'agissant des commissions réclamées au titre des ventes de montres à la SA France Bracelet, Jean Moussous fait Etat d'un contrat d'achat exclusif dont il serait l'initiateur et qui aurait donné lieu à:
- une première livraison de 893 596 F dont il a fait l'inventaire le 9 mars 1999,
- cinq factures pour un montant d'environ 100 000 F émises les 5, 8 et 9 mars 1999,
- une commande de 2 millions de francs passée le 12 mars.
La SA Charpier Rieme établit que la première "livraison" et l'inventaire de 893 596 F sont consécutifs à un contrat de cession de branche autonome d'activité intervenu le 27 février 1999 entre la SA Performer et la société France Bracelets, comportant la cession des marques Dauteuil et Cofram et du stock de montres et autres articles d'horlogerie correspondant auxdites marques, évalué à un million minimum.
Compte tenu de la nature de l'opération, qui implique nécessairement une négociation directe entre dirigeants des sociétés en cause, et ne peut être assimilée à une simple commande de produits, Jean Moussous ne peut sans mauvaise foi, se prévaloir de l'avenant de rémunération du 3 janvier 1994 fixant au taux de 7 % ses commissions de VRP.
Cette vente n'entre pas non plus dans le chiffre d'affaires Pub ou Private Label lui ouvrant droit à commissions en sa qualité de directeur commercial.
Les cinq factures 436 à 441 pour un montant d'environ 100 000 F ont été émises par la SA Dauteuil, qui n'a jamais été l'employeur de Jean Moussous, de sorte qu'on voit mal à quel titre celui-ci réclame des commissions.
Enfin outre le fait qu'il ne justifie d'aucun document probant sur la commande de deux millions de francs dont il fait Etat, il résulte des décomptes de commissions annexés à ses bulletins de salaire d'avril et mai 1999 qu'il a été commissionné au taux de 0,5 % dans le cadre du Private Label sur des ventes France-Bracelets d'un montant de 100 515 F en avril et de 57 264 F en mai, ce qui était probablement une conséquence logique de la cession de la marque Dauteuil, en cas de fabrication de nouvelles montres sous cette marque pour le nouveau titulaire de celle-ci. Dès lors et en l'Etat des pièces du dossier, la réclamation n'apparaît pas justifiée.
S'agissant de la commande Cirpex, d'un montant de 4 892 205 F HT, Jean Moussous établit, certes, par une attestation du 22 juin 1999 de M. Pierre Pellegrinelli, chargé de mission Axa Conseil et trésorier de Cirpex, rédigée en forme de droit, qu'il a été contacté dès décembre 1997 pour une éventuelle commande de montres destinées à être offertes aux adhérents à l'occasion de la dissolution de l'organisme Cirpex.
Il établit également qu'il a participé activement à l'élaboration du dossier et à la finalisation du projet jusqu'à la livraison (attestation Diard).
Pour autant il ne peut revendiquer un droit à commissions ni au taux de 7 % en vertu d'un avenant de rémunération devenu "obsolète" ni au taux de 5 % alloué sur le chiffre d'affaires de montres publicitaires par les nouvelles conventions des parties, étant donné que les montres livrées n'étaient pas du tout des montres publicitaires, mais des montres de qualité livrées en écrin avec garantie et portant la marque Charpier-Rieme.
Il lui a été alloué néanmoins une commission de 50 000 F (1 %) en considération sans doute de ce qu'il avait été à l'origine de la soumission à l'appel d'offres du Cirpex et de ce qu'il avait contribué par son investissement personnel à l'obtention du marché.
En l'absence de preuve d'un engagement de l'employeur au versement d'une commission plus substantielle, sa réclamation ne peut qu'être rejetée.
Enfin Jean Moussous réclame des commissions au titre de la période de juin 1999, en considération de ce qu'il en percevait régulièrement chaque mois.
Sa réclamation est justifiée, l'employeur ne pouvant sans mauvaise foi soutenir qu'aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé dans les secteurs attribués à Jean Moussous pendant cette période, notamment celui du "Private Label".
En l'absence de production par l'employeur des facturations établies, il sera fait droit à la demande à concurrence de 6 547 F (moyenne mensuelle sur 12 mois) x 21/30 = 4 582,81 F, soit 698,64 euro, outre les congés payés afférents soit la somme de 69,86 euro.
Sur le licenciement :
Jean Moussous a été licencié pour faute grave le 21 juin 1999.
Par jugement en date du 28 mars 2002, actuellement définitif le Conseil de prud'hommes de Besançon statuant en formation de départage a dit que Jean Moussous n'avait pas commis de faute grave privative d'indemnités.
Aucune exception ou fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de certains des motifs dudit jugement, ne saurait être opposée à l'appelant, dès lors que les motifs en cause, relatifs au bien-fondé du licenciement, ne constituent en aucune façon le soutien nécessaire du dispositif, la formation de départage n'étant pas saisie de l'appréciation du caractère réel et sérieux des motifs allégués par l'employeur, sur lequel le jugement déféré avait déjà statué, mais uniquement de la qualification de faute grave des faits reprochés à Jean Moussous.
Il convient en conséquence d'examiner si les griefs invoqués par la SA Charpier Rieme à l'encontre de celui-ci sont réels et sérieux.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce trois séries de griefs:
- absence de compte-rendus d'activité réels depuis novembre 1998, en dépit de demandes répétées par notes internes des 22 juin 1998, 9 octobre 1998 et 19 mars 1999, absences injustifiées de l'entreprise les 7 et 10 juin 1999, impossibilité de justifier de son activité réelle et future (sic) détachement "intolérable" adopté vis-à-vis de l'entreprise, refus de collaboration;
- absence de plan de suivi des clients et gestion catastrophique de certains d'entre eux, à l'origine de plaintes et de difficultés relationnelles sérieuse, notamment en ce qui concerne Galeries Layette, Sonab, Biche De Bere, Didier Guerin, Lip, Maty, Devinlec;
- faux frais de déplacement : utilisation de la carte d'autoroute et de la carte bancaire de la société à des fins personnelles.
S'agissant d'un licenciement disciplinaire, il convient de rappeler que l'employeur ne peut, à défaut d'avertissements préalables, faire Etat de faits fautifs dont il a eu connaissance depuis plus de deux mois à la date d'engagement de la procédure de licenciement.
Il convient ainsi d'écarter d'emblée le grief relatif à l'utilisation de la carte d'autoroute et de la carte bancaire de la société à des fins personnelles, étant donné que les faits incriminés consistent en deux débits de péage en date des 31 décembre 1998 et 2 janvier 1999 entre Chalon-sur-Saône et Fleury-en-Bière pour motifs familiaux, et divers débits de carte BNP de l'année 1998 pour frais de restaurant, dont le caractère personnel est au surplus contesté par Jean Moussous et n'est pas établi de manière certaine.
La SA Charpier Rieme ne peut sérieusement se prévaloir de ce qu'elle n'aurait découvert cette utilisation prétendument frauduleuse qu'à l'occasion d'un audit effectué en juin 1999, alors que les relevés et factures, qui mentionnent l'identité des bénéficiaires, sont nécessairement enregistrés en comptabilité; que Jean Moussous établit que Denis Rieme les visait régulièrement et qu'à l'inverse l'employeur n'établit pas et n'allègue même pas avoir adressé quelque note de service que ce soit entre 1996 et 1999 à son salarié pour se plaindre de l'absence de justificatifs de frais.
De même en ce qui concerne le second grief, les documents produits par l'employeur relatifs aux difficultés rencontrées avec l'agent commercial Landabourou et la clientèle de l'armée, qui remontent à 1996, et avec les clients Biche De Bere, Yema, Maty en 1997-1998 ne peuvent être pris en considération, eu égard à la date des faits, l'imputabilité à Jean Moussous desdites difficultés (notamment avec Yema) étant au surplus discutable.
En définitive, les seuls griefs susceptibles d'être retenus utilement à son encontre concernent les difficultés rencontrées en mai et juin 1999 avec les clients Galerie Lafayette, Goldy, Première Heure (Didier Guérin) et les faits que l'employeur qualifie plus globalement de "refus de collaboration" et de "détachement intolérable adopté vis-à-vis de l'entreprise".
Or ceux-ci doivent être resitués dans le contexte extrêmement déstabilisant auquel s'est trouvé confronté Jean Moussous à partir d'avril 1999 à la suite du partenariat noué par la société Charpier-Rieme avec la société Festina, et le changement important de stratégie commerciale consécutif à celui-ci, contexte dont l'intéressé justifie par la production aux débats de plusieurs documents tels que courrier du 2 avril 1999 de JP Lambert, son homologue en Private Label annonçant son départ de l'entreprise aux clients, articles de presse (Est Républicain du 1er avril 1999, France Horlogerie de mai 1999).
Ce changement de stratégie remettait en effet totalement en cause le contenu de ses fonctions et la pérennité de celles-ci, à telle enseigne qu'après s'être vu proposer par la société Festina "comme convenu avec Denis Rieme", le 10 mai 1999, un contrat d'agent commercial (indépendant), il a commencé à recevoir à compter du 17 mai 1999 (note Denis Rieme et réponse Jean Moussous) des injonctions contradictoires sur la stratégie à suivre à l'égard des clients du réseau détail, dont ceux invoqués plus haut, puis des propositions transactionnelles en vue de son départ de l'entreprise, qui l'ont amené naturellement à prendre conseil auprès d'un avocat (courrier du 28 mai 1999 de Me Tournier et réponse du 2 juin 1999).
L'échange de courriers intervenu entre les parties entre le 7 et le 10 juin 1999, et notamment le courrier du 8 juin 1999 de Denis Rieme témoigne de l'ampleur des pressions psychologiques exercées sur Jean Moussous par le biais d'exigences formelles en totale contradiction avec la stratégie d'abandon de la clientèle visée notifiée un mois auparavant.
En outre les fautes reprochées, tels qu'absence de compte-rendus d'activités, rendez-vous et commandes non honorés, sont formellement contestées dans leur matérialité par le salarié, qui donne notamment une version des incidents Didier Guérin et Galeries Lafayette parfaitement crédible et non sérieusement contredite par l'employeur, et produit, entre autres éléments de conviction, un compte-rendu d'activités du 17 mai au 4 juin 1999.
En définitive, les documents produits aux débats de part et d'autre établissent sans équivoque le caractère parfaitement spécieux des griefs allégués à l'encontre du salarié, sans rapport avec les véritables motifs du licenciement, d'ordre économique, d'où il suit que celui-ci ne peut être considéré comme justifié par des motifs réels et sérieux.
Il convient en conséquence de réformer le jugement déféré de ce chef et de faire droit à la demande de dommages-intérêts de Jean Moussous.
Compte tenu des éléments d'appréciation figurant au dossier, relatifs à la situation personnelle et familiale de celui-ci, à son âge (43 ans au moment du licenciement), à son ancienneté dans l'entreprise (7 ans et demi) et aux mutations économiques affectant son secteur d'activité, l'horlogerie, la cour estime être en mesure d'évaluer son préjudice à une somme de 30 000 euro.
Il n'est pas fondé à prétendre en revanche à une indemnité en réparation du préjudice subi par lui du fait des voies d'exécution exercées par la SA Charpier Rieme en vue du recouvrement de la somme qui lui avait été allouée à tort en référé à titre de commissions Cirpex, l'exercice de celles-ci ne pouvant être considéré comme fautif dans le principe compte tenu de l'arrêt rendu le 18 janvier 2000, et l'examen de leur régularité étant de la compétence du juge de l'exécution.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Chaque partie succombant partiellement dans ses prétentions et moyens de défense, conservera à sa charge les dépens et les frais irrépétibles qu'elle a dût exposer dans l'instance.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire , après en avoir délibéré conformément à la loi, Dit Jean Moussous recevable et partiellement fondé en son appel; Réforme le jugement rendu le 16 novembre 2001 par le Conseil de prud'hommes de Besançon; Statuant à nouveau, par dispositions tant confirmatives qu'infirmatives; Condamne la société Charpier-Rieme à verser à Jean Moussous la somme de 499,65 euro (quatre cent quatre-vingt dix-neuf euro et soixante cinq centimes) au titre des commissions Bijoutiers de France, et celle de 49,96 euro (quarante-neuf euro et quatre-vingt-seize centimes) au titre des congés payés afférents; Condamne la SA Charpier Rieme à verser à Jean Moussous une somme de 698,64 euro (six cent quatre-vingt-dix-huit euro et soixante-quatre centimes) au titre des commissions du mois de juin 1999, outre celle de 69,86 euro (soixante-neuf euro et quatre-vingt-six centimes) au titre des congés payés y afférents; Dit non fondées et rejette toutes autres demandes de rappels de salaire et commissions de Jean Moussous ainsi que celle relative à la revendication du statut de VRP et aux indemnités de clientèle et de rupture en découlant; Dit en revanche que le licenciement notifié le 21 juin 1999 à Jean Moussous n'est pas justifié par des motifs réels et sérieux; Condamne en conséquence la SA Charpier Rieme à verser à Jean Moussous en application des dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du travail une indemnité de 30 000 euro (trente mille euro); Dit Jean Moussous non fondé quant au surplus de ses demandes de dommages-intérêts, l'en déboute; Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens qu'elle a exposés dans l'instance; Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.