CA Bordeaux, 5e ch., 18 novembre 2003, n° 02-00785
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gomez
Défendeur :
Biotonic (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaboriau
Conseillers :
Mmes Coll, O'yl
Avoués :
SCP Touton-Pineau, Figerou, SCP Aude Claverie, Annie Taillard
Avocats :
Mes Ngako-Djeykam, Danglade, Chas.
Motifs de la décision
Dans le courant du mois de septembre 1999, Valériana Gomez a reçu de la SA Biotonic, société spécialisée dans la vente par correspondance de produits de beauté et de santé un certain nombre de documents qu'accompagnaient un catalogue de produits commercialisés et un bon de commandes.
Ces documents étaient relatifs à la participation de Madame Gomez à un jeu desquels il ressortait le gain d'une somme de 100 000 F au bénéfice de l'intéressée.
Madame Gomez, comme cela lui était suggéré par les documents précités, a adressé à la société le 21 septembre 1999 sa "demande de validation pour versement de 100 000 F valant pour bon de participation distinct" après avoir reçu des rappels l'invitant à faire "retour des documents de validation réglementaires attestant, le cas échéant, que oui, elle est bien notre grande gagnante ..."
En l'absence de toute réponse de la SA Biotonic, Madame Gomez a saisi le Tribunal de grande instance de Bordeaux sur deux fondements juridiques en estimant:
D'une part que la société n'avait pas respecté les dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation,
D'autre part qu'elle l'avait trompé en lui faisant croire qu'elle avait gagné 100 000 F afin de favoriser la prise d'une commande et qu'ainsi elle avait subi un préjudice dont elle demandait réparation.
Le tribunal dont le jugement est entrepris a rejeté l'ensemble de demandes de Madame Gomez.
Il résulte, cependant, de l'examen des documents adressés par la SA Biotonic à l'intéressée les éléments suivants:
Tous les documents relatifs au versement d'une somme de 100 000 F:
- sont au présent et non au conditionnel,
- sont personnalisés au nom de Valériana Gomez,
- comportent des affirmations péremptoires, tels que dans la première série d'envois :
* "certificat de remise de prix confirmant ce jour que : Madame Gomez a gagné de façon indiscutable la somme de 100 000 F"
*"invitation officielle : je soussigné Jean Pierre Atlan, Directeur financier de la SA Biotonic invite Madame Valériana Gomez à prendre part officiellement à l'opération "invitation privée" à titre personnel en vue de la remise d'un chèque d'un montant de 100 000 F. Ce chèque sera établi à son nom dès qu'elle nous aura confirmé conformément au règlement, au moyen des documents ci-joints, qu'elle pourra effectivement assister à cette cérémonie en tant que gagnante officielle", "chèque d'échange garanti intitulé spécimen "payer contre ce chèque la somme de cent mille F à Madame Valériana Gomez. Fait à Moujias le 8 février 2000..." Sur la page de droite alors que sur la page de gauche figure la mention suivante : "En tant que Directeur financier de la société Biotonic je m'engage personnellement à verser 100 000 F au gagnant en échange de son chèque d'échange garanti..." et plus bas sur la même page "attention : si la réclamation de Madame Gomez me parvient hors délais, je serai dans l'obligation, quoiqu'il arrive, de lui refuser le versement du chèque de 100 000 F.
- accréditent par leur montage et les caractères utilisés l'idée que Madame Gomez va effectivement recevoir un chèque de 100 000 F ayant été l'heureuse gagnante d'un tirage et ce d'autant plus que ces documents ne comportent pas la moindre allusion au fait que ce lot gagnant est possible mais non certain et que le règlement intérieur du jeu intitulé "millionnaire de l'an 2000" figure en petits caractères très serrés sans espace entre les phrases le rendant parfaitement illisible.
- comportent les mêmes affirmations du gain de 100 000 F renouvelées dans la 2e série de documents envoyés en rappel, "c'est bien un chèque de 100 000 F qui est en jeu et je vous en garantie la bonne remise
- mentionnent le nom de l'huissier Maître Franck et contiennent plusieurs textes et engagements de Monsieur Atlan Directeur financier permettant au lecteur d'être convaincu de la réalité de ce gain unique à son profit.
De plus, si les bons de commande et de participation au jeu sont séparés, il apparaît que dans plusieurs documents le montage utilisé par la société est volontairement ambigu.
Tel est le cas du document intitulé "demande de validation pour versement de 100 000 F qui comporte outre la validation et en caractère gras dominants "à compléter et à retourner uniquement en cas de commande" même si en petits caractères difficilement lisible est mentionné "Pré-tirage gratuit sans obligation d'achat effectué sous le contrôle de Maître Franck huissier de justice à Cannes avec un gagnant et des perdants - Prix mis en jeu un chèque de 100 000 F - Règlement complet ci-joint".
Il ressort de plusieurs documents également que la participation est liée à une commande. Il en est ainsi des documents intitulés Tour avoir la certitude de respecter les délais réglementaires ... commandez aujourd'hui même c'est le bon choix !" et "Dernier avis. C'est l'ultime tentative de recherche du gagnant" documents dans lequel il est mentionné un traitement prioritaire du bulletin de validation permettant l'encaissement du chèque de 100 000 F par l'intéressée à la passation d'une commande.
L'ensemble de ces éléments permet de caractériser une faute à l'encontre de la SA Biotonic qui d'une part a fait parvenir un message dont les termes volontairement équivoques étaient de nature à persuader Madame Gomez par la confusion délibérément entretenue, qu'elle avait gagné une somme de 100 000 F et qui d'autre part n'a pas respecté les dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation en faisant un amalgame soigneusement monté entre bon de participation et commande tant dans la présentation de certains documents que de leur libellé.
Madame Gomez a certes subi un préjudice moral en raison de ses attentes et de sa déception finale.
Ce préjudice, cependant, n'est pas directement proportionnel à la perte de gain résultant de cette espérance déçue et ne peut être indemnisé par une somme équivalente à la perte de ce gain.
Au vu de sa situation financière, des démarches entreprises pour concrétiser ses espérances, il apparaît que le préjudice moral de Madame Gomez sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 3 050 euro.
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Madame Gomez qui bénéficie de l'Aide Juridictionnelle, recevra une somme de 1 000 euro.
Par ces motifs, LA COUR, Réforme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau: Déclare la SA Biotonic responsable du dommage causé à Valériana Gomez par application des dispositions des articles 1382 du Code civil et L. 121-36 du Code de la consommation. Condamne, en conséquence, la SA Biotonic à payer à Valériana Gomez la somme de trois mille cinquante euro (3 050 euro) en réparation de son préjudice moral. Condamne la SA Biotonic à payer à Valériana Gomez une somme de mille euro (1 000 euro) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SA Biotonic aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.