Livv
Décisions

CJCE, 17 juin 1981, n° 113-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Irlande

CJCE n° 113-80

17 juin 1981

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour, le 28 avril 1980, la Commission a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que l'Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l'article 30 du traité CEE, en exigeant que les articles importés, tombant sous le coup de l'application de l'arrêté - Statutory Instrument (SI) n° 306 de 1971 - relatif aux marques de fabrique (restrictions à la vente d'articles de bijouterie importés) (Iris Oifigiuil du 21.11.1971) et de l'arrêté - SI n° 307 de 1971 - relatif aux marques de fabrique (restrictions à l'importation d'articles de bijouterie) (Iris Oifigiuil du 21.11.1971), portent une indication d'origine ou soient revêtus du terme " foreign ".

2. Selon leur notice explicative, ces deux arrêtés interdisent, le premier, la vente ou l'exposition en vue de la vente d'articles de bijouterie importés portant des motifs ou des caractéristiques suggérant qu'ils sont des souvenirs d'Irlande, par exemple un personnage irlandais, un événement ou un paysage irlandais, un lévrier irlandais, une tour ronde, un trèfle irlandais, etc., et le second, l'importation de ces mêmes articles, à moins qu'ils ne comportent, dans les deux cas, l'indication de leur pays d'origine ou qu'ils soient revêtus du terme "foreign".

3. Ces objets sont énumérés en annexe de chaque arrêté ; toutefois, pour entrer dans le champ d'application desdits arrêtés, ils doivent être constitués, soit d'un metal précieux ou d'un metal précieux plaqué, soit d'un metal vil y compris les articles polis ou plaqués se prêtant au sertissage.

4. La Commission est d'avis que les restrictions à la libre circulation des marchandises figurant dans les deux arrêtés constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation contraires aux dispositions de l'article 30 du traité et elle précise que, selon l'article 2, paragraphe 3, point f), de la directive 70-50, du 22 décembre 1969, fondée sur les dispositions de l'article 33, paragraphe 7, portant suppression des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation non visées par d'autres dispositions prises en vertu du traité CEE (JO 1970, L 13, p. 29), il faut considérer comme mesures d'effet équivalent contraires à l'article 30 du traité CEE " les mesures qui déprécient un produit importé, notamment en provoquant une diminution de sa valeur intrinsèque ou son renchérissement ".

5. Le Gouvernement irlandais ne conteste pas que ces arrêtés ont des effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises, il soutient toutefois que ces mesures litigieuses se justifieraient par l'intérêt de la défense des consommateurs et celui de la loyauté dans les transactions commerciales entre les producteurs. A cet effet, il s'appuie sur l'article 36 du traité qui dispose que les articles 30 à 34 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation justifiées par des raisons notamment d'ordre public ou de protection de la propriété industrielle et commerciale.

6. Mais c'est toutefois à tort que la défenderesse invoque l'article 36 du traité comme base légale au soutien de son moyen.

7. En effet, la Cour ayant précisé dans l'arrêt du 25 janvier 1977 (Bauhuis, affaire 46-76, Rec. p. 5) que l'article 36 du traité, " en tant que dérogation à la règle fondamentale de l'élimination de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises entre les Etats membres, est d'interprétation stricte ", les exceptions qu'il énumère ne peuvent être étendues à des cas autres que ceux limitativement prévus.

8. Or, ni la défense des consommateurs, ni la loyauté des transactions commerciales n'étant mentionnées parmi les exceptions figurant à l'article 36, il apparaît que ces raisons ne peuvent être invoquées - en tant que telles - dans le cadre dudit article.

9. Cependant, le recours à ces notions ayant été qualifié par le Gouvernement irlandais de " point fondamental dans cette affaire ", il y a lieu d'apprécier cet argument dans le cadre de l'article 30 et d'examiner si ces notions permettent de nier l'existence de mesures d'effet équivalant aux restrictions quantitatives à l'importation au sens de cet article, compte tenu de ce que, selon la jurisprudence constante de la Cour, celles-ci englobent " toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire " (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, affaire 8-74, Rec. p. 837).

10. A cet égard, la Cour a itérativement affirmé (arrêt du 20 février 1979, Rewe, affaire 120-78, Recueil, p. 649 ; arrêt du 26 juin 1980, Gilli, affaire 788-79, Rec. p. 2071 ; arrêt du 19 février 1981, Kelderman, affaire 130-80, non encore publié) qu' " en l'absence de réglementation commune de la production et de la commercialisation d'un produit, il appartient aux Etats membres de régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne la production, la distribution et la consommation de celui-ci, à la condition toutefois que ces réglementations ne fassent pas obstacle... au commerce intracommunautaire " et que " ce ne serait que lorsqu'une réglementation nationale indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, pourrait être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant en particulier à... la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales qu'elle pourrait déroger aux exigences découlant de l'article 30 ".

11. Or, en l'espèce, il ne s'agit pas d'une réglementation applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, mais d'un ensemble de règles qui ne visent que les seuls produits importés, et qui a, de ce fait, un caractère discriminatoire excluant l'application aux mesures en cause de la jurisprudence susvisée, qui ne concerne que les dispositions des législations régissant d'une manière uniforme la commercialisation des produits nationaux et des produits importés.

12. Le Gouvernement irlandais, tout en reconnaissant que les mesures incriminées ne concernent que les objets importés et qu'elles rendent l'importation et la vente de ceux-ci plus difficiles que l'écoulement de la production nationale, soutient toutefois que cette différence de traitement de l'objet national et de l'objet importé ne constitue pas une discrimination au motif que les objets visés par les deux arrêtés litigieux seraient surtout constitués par ce qu'on appelle des " souvenirs " et que ces " souvenirs " - dont la qualité substantielle serait d'être fabriqués au lieu où ils sont achetés - porteraient en eux-mêmes la marque implicite de leur origine irlandaise, si bien que l'acheteur serait trompé lorsque le souvenir acheté en Irlande est fabriqué ailleurs ; en conséquence l'exigence que tous les "souvenirs" importés - visés par les deux arrêtés - soient revêtus d'une marque d'origine serait justifiée et ne constituerait aucunement une discrimination puisque les objets seraient différents, leurs qualités substantielles étant différentes.

13. La Commission rejette cette argumentation. S'appuyant sur l'arrêt du 20 février 1975 (Commission/République fédérale d'Allemagne, affaire 12-74, Recueil, p. 191), elle relève qu'il n'est pas nécessaire pour l'acheteur de savoir si un produit a ou non une origine précise, à moins que cette origine n'implique une certaine qualité, des matières de base particulières ou un procédé de fabrication déterminé ou encore un certain rôle dans le folklore ou la tradition de la région en question ; or, aucun des articles visés dans les arrêtés ne répondant à ces caractéristiques, les mesures en cause ne seraient pas justifiées et auraient par conséquent " manifestement un caractère discriminatoire ".

14. Il convient donc d'examiner si les mesures litigieuses ont effectivement un caractère discriminatoire ou si elles ne constituent qu'une discrimination apparente.

15. Il apparaît que le "souvenir" - tel qu'il est décrit dans les arrêtés n° 306 et 307 - est constitué en général par un objet d'ornement de faible valeur marchande représentant ou comportant un motif ou un emblème rappelant un lieu, une chose, un personnage, un événement historique évoquant un symbole irlandais, tenant sa valeur du fait que l'acheteur, le plus souvent un touriste, l'acquiert sur place ; il a en l'espèce une qualité substantielle : la réminiscence imagée du lieu visité, qualité qui n'impose pas par elle-même qu'un "souvenir" tel que défini par les arrêtés irlandais soit fabriqué dans le pays d'origine.

16. Au surplus, tout en réservant la question soulevée par la Commission - en ce qui concerne les objets visés par les arrêtés litigieux - qu'il ne suffirait pas que l'apposition d'une mention d'origine soit également exigée pour les produits nationaux, il importe d'observer que l'intérêt des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales seraient suffisamment sauvegardés s'il était laissé aux fabricants nationaux la possibilité d'utiliser des moyens adéquats tels que l'apposition, à leur gré, de leur marque d'origine sur leurs propres produits ou leurs conditionnements.

17. Ainsi, en subordonnant l'accès au marché national de ces "souvenirs" importés des autres Etats membres à la condition de l'apposition d'une mention d'origine qui n'est pas exigée pour les produits nationaux, il apparaît de manière non contestable que les dispositions prévues aux arrêtés 306 et 307 constituent une mesure discriminatoire.

18. Il convient donc de conclure que, en exigeant que tous les "souvenirs" et articles de bijouterie importés des autres Etats membres, relevant des arrêtés 306 et 307, doivent porter une indication d'origine ou être revêtus du terme "foreign", la réglementation irlandaise constitue une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité CEE. L'Irlande a, par conséquent, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu dudit article.

Sur les dépens

19. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens.

20. En l'espèce, la défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) en exigeant que tous les articles importés des autres Etats membres, relevant des arrêtés n° 306 et 307 de 1971, portent une indication d'origine ou soient revêtus du terme "foreign", l'Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2) la défenderesse est condamnée aux dépens.