CJCE, 1re ch., 5 février 1981, n° 50-80
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Joszef Horvath
Défendeur :
Hauptzollamt Hamburg-Jonas
LA COUR,
1. Par ordonnance du 15 janvier 1980, parvenue à la Cour le 6 février 1980, le Finanzgericht de Hambourg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à la détermination de la valeur en douane de marchandises qui ont été introduites en fraude dans le territoire douanier de la communauté.
2. Par ordonnance du 8 juillet 1980, parvenue à la Cour le 11 juillet 1980, complétant et rectifiant l'ordonnance du 15 janvier 1980, le même Finanzgericht a posé une quatrième question préjudicielle libellée comme suit :
' Les dispositions du traité CEE sur l'union douanière (article 9, paragraphe 1, et articles 12 à 29) doivent-elles être interprétées en ce sens qu'un Etat membre n'est pas en droit de percevoir des droits de douane sur des stupéfiants importés illicitement et détruits par la suite, lorsque aucun des autres Etats membres ne perçoit de droits de douane au titre des stupéfiants importés illicitement, saisis et détruits ; la perception de droits de douane dans un seul Etat membre est-elle contraire, le cas échéant, à l'article 7 du traité CEE? "
3. La juridiction nationale a indiqué qu'une réponse affirmative à la quatrième question rendrait l'examen des trois premières questions sans objet. Conformément à cette indication, la Cour examinera d'abord la quatrième question.
4. Le litige au principal concerne la détermination du droit de douane applicable à une quantité d'héroïne achetée sur le marché noir à Amsterdam et découverte au passage de la frontière néerlando-allemande. L'héroïne a été saisie et détruite, et le contrebandier a été condamné, par une juridiction pénale allemande, à cinq années d'emprisonnement pour trafic d'héroïne et pour contrebande. Par la suite, les autorités douanières allemandes lui ont réclamé une somme de 1 296 DM au titre des droits de douane sur la marchandise frauduleusement importée.
5. Dans sa première ordonnance, du 15 janvier 1980, le Finanzgericht s'est réfère à la législation, la jurisprudence et la pratique administrative allemandes en matière de détermination de la valeur en douane de stupéfiants importés en contrebande, notamment en ce qui concerne le moment où prend naissance la dette douanière. Toutefois, le tribunal s'est demandé si, et dans quelle mesure, les règlements communautaires concernant la détermination de la valeur en douane, et notamment le règlement n° 803-68 du conseil, du 27 juin 1968, relatif à la valeur en douane des marchandises (JO L 148, p. 6), ne seraient pas d'application.
6. Dans sa deuxième ordonnance, du 8 juillet 1980, le tribunal a réagi aux renseignements que la Commission avait fournis à la Cour, à la demande de celle-ci, et selon lesquels dans les huit Etats membres autres que la République fédérale d'Allemagne les drogues importées de façon illégale seraient saisies et, en general, aussitôt détruites sans qu'aucun droit de douane ne soit perçu. Dans certains Etats membres, toutefois, les drogues saisies seraient occasionnellement vendues à l'industrie pharmaceutique moyennant un prix correspondant à celui normalement payé par cette industrie pour la drogue en question ; la valeur en douane serait, dans ce cas, déterminée en fonction de ce prix.
7. Dans les motifs de la deuxième ordonnance, le tribunal émet des doutes sur la compatibilité avec l'idée fondamentale d'une union douanière d'une perception de droits de douane, dans un seul Etat membre, sur des drogues importées frauduleusement et détruites par la suite, alors que les autres Etats membres se bornent à poursuivre l'importation frauduleuse de drogues par les voies du droit pénal.
8. La commission a fait valoir que les dispositions communautaires en matière de valeur en douane s'appliquent à toute marchandise visée au tarif douanier commun. L'héroïne devant être classée dans la sous-position 29.42 a ii, " alcaloïdes du groupe de l'opium ", " autres ", sa valeur en douane devrait être déterminée, en principe, selon le droit communautaire, qu'elle ait été importée de façon légale ou illégale. Pour autant que le droit communautaire présenterait encore des lacunes - comme, à l'époque considérée en l'espèce, en ce qui concerne le moment où prend naissance la dette douanière -, la législation nationale de l'Etat membre d'importation serait applicable.
9. Il importe de souligner d'abord que la quatrième question posée par la juridiction nationale ne concerne pas le cas d'une simple importation frauduleuse d'un produit quelconque, mais l'importation en contrebande d'un produit nuisible affecté à un usage illicite et détruit des sa découverte.
10. Il convient de rappeler ensuite qu'un produit tel que l'héroïne n'est pas saisi et détruit au seul motif que l'importateur n'a pas observé les formalités douanières, mais surtout parce qu'il s'agit d'un produit stupéfiant dont la nocivité est reconnue et dont l'importation et la commercialisation sont interdites dans tous les Etats membres, exception faite d'un commerce strictement contrôlé et limité en vue d'une utilisation autorisée à des fins pharmaceutiques et médicales.
11. Si, dans ces conditions, la classification du tarif douanier commun comprend un tel produit, pour en fixer le taux du droit de douane - à 13,6 % dans le cas de la sous-position 29.42 a ii -, elle ne peut que viser l'importation en vue d'une utilisation autorisée. En effet, un droit de douane ad valorem ne peut être déterminé pour des marchandises d'une nature telle qu'elles ne peuvent être mises en circulation dans aucun des Etats membres mais doivent, par contre, être saisies et mises hors circulation par les autorités compétentes des leur découverte.
12. Il y a lieu d'observer, à cet égard, que toutes les dispositions du règlement n° 803-68 du conseil, relatif à la valeur en douane des marchandises, sont basées sur l'hypothèse selon laquelle les produits importés sont susceptibles d'être mis dans le commerce et intégrés au circuit économique.
13. Comme, en outre, l'article 18 du traité CEE indique que l'établissement du tarif douanier commun se situe dans le cadre d'une contribution au développement du commerce international et à la réduction des entraves aux échanges, il ne saurait se rapporter à l'importation de produits stupéfiants affectes à des usages illicites et mis hors circulation des leur découverte.
14. Cette interprétation du tarif douanier commun est confirmée par la pratique suivie par les autorités douanières de huit Etats membres. La même conception inspire d'ailleurs les articles 10 et 11 du règlement n° 1430-79 du conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l'importation ou à l'exportation (JO L 175, p. 1), selon lesquels il est procédé au remboursement ou à la remise des droits à l'importation pour autant que les marchandises ayant fait l'objet de l'application de ces droits soient détruites sous le contrôle des autorités compétentes.
15. Il résulte de ce qui précède que l'instauration du tarif douanier commun ne laisse plus compétence à un Etat membre pour appliquer des droits de douane aux stupéfiants importés en contrebande et détruits des leur découverte, tout en lui laissant pleine liberté de poursuivre les infractions commises par les voies du droit pénal, avec toutes les conséquences que celles-ci impliquent, même dans le domaine pécuniaire.
16. A la lumière de cette réponse, les trois premières questions sont devenues sans objet.
Sur les dépens
17. Les frais exposés par la Commission des communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur les questions a elle soumises par le Finanzgericht de Hambourg, par ordonnances du 15 janvier 1980 et du 8 juillet 1980, dit pour droit :
L'instauration du tarif douanier commun ne laisse plus compétence à un Etat membre pour appliquer des droits de douane aux stupéfiants importés en contrebande et détruits des leur découverte, tout en lui laissant pleine liberté de poursuivre les infractions commises par les voies du droit pénal, avec toutes les conséquences que celles-ci impliquent, même dans le domaine pécuniaire.