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Décisions

CJCE, 1 juillet 1969, n° 2-69

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders

Défendeur :

Ch. Brachfeld & Sons et Chougol Diamond Co (SA)

CJCE n° 2-69

1 juillet 1969

LA COUR,

1. Attendu que, par jugement du 24 décembre 1968, parvenu au greffe de la Cour le 16 janvier 1969, le juge de paix du 2e canton d'Anvers a posé, en vertu de l'article 177 du traité instituant la CEE, plusieurs questions tendant a obtenir l'interprétation des articles 9, 12, 13, 18 et 95 du traité CEE ;

2. Attendu que, à l'exception de la question n° 5, c, ces questions ont essentiellement pour objet de faire préciser la notion de taxe d'effet équivalant à un droit de douane, visée aux articles 9 et 12 du traité CEE, et la portée de son interdiction ;

3. Que les références faites aux articles 18, 37 et 95, en vue d'une comparaison et d'une distinction par rapport aux articles 9 et 12, tendent à ce même but ;

4. Qu'il convient donc d'envisager ces questions dans leur ensemble ;

5. Attendu qu'aux termes de l'article 9 la Communauté est fondée sur une union douanière reposant sur l'interdiction, entre les Etats membres, des droits de douane et de " toutes taxes d'effet équivalent ", ainsi que sur l'adoption d'un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers ;

6. Qu'aux termes de l'article 12 est interdite l'introduction de " nouveaux droits de douane à l'importation ... ou taxes d'effet équivalent " ;

7. Attendu que la place de ces articles en tête de la partie réservée aux " fondements de la Communauté ", celle de l'article 9 à l'entrée même du titre sur " la libre circulation des marchandises ", celle de l'article 12 à l'ouverture de la section consacrée à " l'élimination des droits de douane ", suffit à marquer le rôle essentiel des interdictions ainsi édictées ;

8. Que la force de ces prohibitions est telle que, pour éviter de les voir tournées par la variété des pratiques douanières ou fiscales, le traité a voulu prévenir toute faille éventuelle dans leur mise en œuvre ;

9. Qu'il est ainsi précise par l'article 17 que les interdictions de l'article 9 recevront application même si les droits de douane ont un caractère fiscal ;

10. Que l'article 95, place à la fois dans la partie du traité consacrée à la " politique de la Communauté " et dans le chapitre réservé aux " dispositions fiscales ", tend, par l'interdiction de frapper les produits importes d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent la production nationale, à colmater les brèches qu'un procédé fiscal pourrait ouvrir dans les interdictions prescrites ;

11. Attendu qu'en édictant l'interdiction des droits de douane, le traité ne distingue pas entre les marchandises selon qu'elles entrent ou non en concurrence avec les produits du pays importateur ;

12. Que l'abolition des barrières douanières ne vise donc pas exclusivement à éliminer leur caractère protecteur, le traité ayant au contraire entendu donner à la règle de l'élimination des droits de douane et des taxes d'effet équivalent une portée et un effet généraux en vue d'assurer la libre circulation des marchandises ;

13. Qu'il résulte de l'ensemble du système, et du caractère general et absolu de l'interdiction de tout droit de douane applicable aux marchandises circulant entre les Etats membres, que les droits de douane sont interdits indépendamment de toute considération du but en vue duquel ils ont été institues, ainsi que de la destination des recettes qu'ils procurent ;

14. Que la justification de cette interdiction réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, fussent-elles minimes, appliquées en raison du franchissement des frontières constituent pour la circulation des marchandises ;

15. Attendu que l'extension de l'interdiction des droits de douane aux taxes d'effet équivalent a pour fonction de compléter, en la rendant efficace, l'interdiction des entraves aux échanges résultant de ces droits ;

16. Que l'emploi de ces deux notions complémentaires tend ainsi à éviter, dans le commerce entre les Etats membres, l'imposition de toute charge pécuniaire basée sur le fait du passage de la frontière d'un état par des marchandises circulant à l'intérieur de la Communauté ;

17. Que, pour reconnaître à une taxe un effet équivalant à celui d'un droit de douane, il importe donc de considérer cet effet au regard des objectifs que se propose le traité, dans les parties, titre et chapitre ou sont insérés les articles 9 et 12, notamment par rapport à la libre circulation des marchandises ;

18. Que, des lors, une charge pécuniaire, fut-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises nationales ou étrangères à raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent, au sens des articles 9 et 12 du traité, alors même qu'elle ne serait pas perçue au profit de l'état, qu'elle n'exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur, et que le produit imposé ne se trouverait pas en concurrence avec une production nationale ;

19. Attendu qu'il résulte de l'ensemble des textes susvisés, et de leur rapport avec les autres dispositions du traité, que l'interdiction de nouveaux droits de douane ou taxes d'effet équivalent, liée au principe de la libre circulation des produits, constitue une règle essentielle qui, sans préjudice d'autres dispositions du traité, ne comporte pas d'exceptions ;

20. Qu'a cet égard, il résulte des articles 95 et suivants que la notion de taxe d'effet équivalent ne comprend pas les impositions frappant de la même manière, à l'intérieur de l'état, les produits nationaux similaires ou comparables, ou entrant tout au moins, en l'absence de tels produits, dans le cadre d'une imposition intérieure générale, ou ayant pour but de compenser, dans les limites prévues par le traité, de telles impositions intérieures ;

21. Que, s'il n'est pas exclu que, dans certaines hypothèses, un service déterminé effectivement rendu puisse faire l'objet d'une éventuelle contrepartie proportionnée audit service, il ne peut s'agir que de cas d'espèces qui ne sauraient conduire à tourner les dispositions des articles 9 et 12 du traité ;

22. Attendu que les dispositions du traité établissant les interdictions susvisées imposent aux Etats membres des obligations précises et bien définies, ne nécessitant, pour leur application, aucune intervention ultérieure des autorités communautaires ou nationales ;

23. Que, des lors, ces dispositions engendrent directement des droits dans le chef des justiciables ;

24. Attendu qu'en interdisant toute charge pécuniaire nouvelle appliquée lors du passage des frontières de marchandises circulant dans la Communauté, le traité n'établit aucune distinction entre les ressortissants des différents Etats membres ;

25. Qu'en effet le traité interdit toute charge pécuniaire à l'importation et à l'exportation entre Etats membres, indépendamment de la nationalité des opérateurs économiques qui seraient défavorisés par de telles mesures ;

26. Qu'il ne serait donc pas justifie, pour l'application de ces dispositions, de faire une distinction selon que les mesures envisagées désavantagent certains Etats membres et leurs ressortissants, ou bien tous les ressortissants de la Communauté, ou bien seulement les ressortissants de l'état auteur de ces mesures ;

27. Attendu que la question n° 5, c, du juge de paix du 2e canton d'Anvers tend à savoir si une taxe nouvelle qui frappe l'importation en provenance de tout pays étranger est toujours interdite comme étant incompatible avec le traité, du fait qu'elle ferait obstacle à l'instauration du tarif douanier commun ;

28. Attendu qu'en relation avec les échanges avec les pays tiers, le traité ne contient pas de dispositions explicites analogues à celles qui, dans les échanges entre les Etats membres, interdisent les taxes d'effet équivalant aux droits de douane ;

29. Que l'existence de charges pécuniaires autres que les droits de douane proprement dits, qui, avant la mise en place du tarif douanier commun, auraient été appliquées par un Etat membre, lors de l'importation sur son territoire de marchandises provenant directement de pays tiers, n'était pas susceptible d'entraver l'alignement des tarifs douaniers de chaque Etat membre sur les taux du tarif douanier commun ;

30. Qu'il est vrai que les objectifs que vise l'application uniforme par tous les Etats membres du tarif douanier commun dans les relations avec les pays tiers pourraient être entraves par l'adoption unilatérale ou le maintien, par un Etat membre, des mesures susvisées, notamment lorsque le principe de la libre circulation des marchandises admises en libre pratique dans un Etat membre ne serait pas suffisant pour corriger les effets de ces mesures nationales ;

31. Que, dans de telles hypothèses, la question pourrait se poser de savoir si des limites peuvent résulter du traité quant à la liberté des états d'adopter ou de maintenir des mesures qui auraient pour effet d'altérer le fonctionnement du tarif douanier commun ;

32. Que, toutefois, cette question ne saurait se poser que pour la période postérieure à la mise en place du tarif douanier commun ;

Sur les dépens

33. Attendu que les frais exposés par la Commission des communautés européennes et par le Gouvernement du Royaume de Belgique, qui ont soumis leurs observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

34. Que la procédure revêt, à l'égard des parties en cause, le caractère d'un incident soulevé au cours d'un litige pendant devant le juge de paix d'Anvers et que la décision sur les dépens appartient, des lors, a cette juridiction ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions a elle soumises par le juge de paix du 2e canton d'Anvers, conformément au jugement rendu par cette juridiction le 24 décembre 1968, dit pour droit :

1) la notion de taxe d'effet équivalent visée aux articles 9 et 12 du traité CEE comprend toute charge pécuniaire, autre qu'un droit de douane proprement dit, frappant en raison du franchissement de la frontière les marchandises circulant à l'intérieur de la Communauté, pour autant qu'elle n'est pas admise par des dispositions spécifiques du traité ;

2) sans préjudice des limitations qui pourraient être imposées pour atteindre les objectifs du tarif douanier commun, le traité n'a pas considéré les charges pécuniaires autres que les droits de douane proprement dits, appliquées par un Etat membre avant la mise en place de ce tarif, aux importations de marchandises provenant directement de pays tiers, comme étant incompatibles avec les exigences relatives à l'alignement progressif des tarifs douaniers nationaux sur le tarif extérieur commun.