CJCE, 2e ch., 13 décembre 1989, n° C-49/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Corsica Ferries France
Défendeur :
Direction générale des douanes françaises
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Schockweiler
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Mancini, OHiggins
Avocats :
Mes Thouvenin, Scapel
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par arrêt du 17 janvier 1989, parvenu à la Cour le 23 février suivant, la Cour de cassation française a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation du traité CEE, en particulier des articles 59, 62 et 84.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige qui oppose la société Corsica Ferries (France) (ci-après "société Corsica Ferries") à la Direction générale des douanes à propos de taxes perçues en 1981 et 1982, et mises à la charge de l'armateur, sur les passagers débarqués, embarqués ou transbordés dans les ports corses.
3 Pour ces ports, l'article R. 212-20 du Code des ports maritimes français, dans sa version résultant d'un décret du 12 mai 1981, institue une taxe sur tous les passagers à destination d'un port de la Corse, de la France métropolitaine ou de la Sardaigne et une taxe d'un taux identique sur tous les passagers en provenance ou à destination d'un port situé en Europe ou en Afrique du Nord.
4 Selon la société Corsica Ferries, ce texte est contraire aux articles 59 et suivants du traité CEE en ce qu'il institue une discrimination entre les navires assurant des liaisons entre la Corse et les ports de la France continentale, qui ne sont assujettis à l'acquittement de la taxe sur les passagers qu'au départ du port corse, et les navires, comme ceux de la société Corsica Ferries, qui effectuent des trajets entre la Corse et des ports situés dans un autre État, et qui sont soumis à taxation à l'arrivée et au départ du port corse.
5 Considérant que le litige exige une interprétation de certaines dispositions du traité CEE, la Cour de cassation française a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée à titre préjudiciel sur la question suivante :
"Le traité, et notamment ses articles 59, 62 et 84, doit-il être interprété en ce sens qu'un État membre est autorisé à percevoir, à l'occasion de l'utilisation, par un navire, d'installations portuaires situées sur son territoire insulaire, lorsque les passagers proviennent de ports sis dans un autre État membre ou se dirigent vers ceux-ci, des taxes lors du débarquement et de l'embarquement des passagers, alors que, dans le cas d'un transport entre deux ports situés sur le territoire national, ces taxes ne sont perçues que pour l'embarquement au départ du port insulaire ?"
6 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
7 Pour répondre à la question posée par la Cour de cassation française, il convient, tout d'abord, de relever que la réglementation française en cause dans l'affaire au principal est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté, au sens de l'article 59, premier alinéa, du traité CEE, dans la mesure où elle opère une discrimination à l'encontre du prestataire de services qui effectue des transports entre un port situé sur le territoire national et un port situé dans un autre État membre de la Communauté par rapport à celui qui effectue des transports entre deux ports situés sur le territoire national.
8 En effet, comme la Cour l'a jugé à différentes reprises, les articles du traité CEE relatifs à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux constituent des dispositions fondamentales pour la Communauté, et toute entrave, même d'importance mineure, à cette liberté est prohibée.
9 Dans le domaine de la libre prestation des services, une telle entrave peut notamment résulter, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 6 juillet 1988, Ledoux (127-86, Rec. p. 0000), de mesures fiscales nationales qui affectent l'exercice, par l'opérateur économique, de cette liberté.
10 Si l'article 59, qui assure la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté, est d'application directe et inconditionnelle depuis l'expiration de la période de transition prévue par l'article 8 du traité, il y a lieu toutefois d'observer qu'en vertu de l'article 61, paragraphe 1, du traité la libre circulation des services en matière de transports est régie par les dispositions du titre relatif aux transports (voir arrêts du 30 avril 1986, Asjes, 209-84, 210-84, 211-84, 212-84, 213-84, Rec. p. 1457, et du 13 juillet 1989, Lambregts, points 8 et 9, 4-88, Rec. p. 0000).
11 Il en résulte, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 30 avril 1986 (précité, point 37), que dans le secteur des transports l'objectif fixé par l'article 59 du traité et consistant à éliminer, au cours de la période de transition, les restrictions à la libre prestation des services aurait dû être atteint dans le cadre de la politique commune définie aux articles 74 et 75 du traité.
12 En ce qui concerne, plus particulièrement, les transports maritimes, l'article 84, paragraphe 2, du traité prévoit que le Conseil pourra décider si, dans quelle mesure et par quelle procédure des dispositions appropriées pourront être prises pour ce type de transports.
13 Or, il convient de constater que ce n'est que par le règlement n° 4055-86, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1), entré en vigueur le 1er janvier 1987, que le Conseil a adopté, sur la base de l'article 84, paragraphe 2, du traité, les mesures nécessaires à la réalisation de la libre prestation des services dans le secteur des transports maritimes entre États membres.
14 Il y a, dès lors, lieu de conclure que pendant les années 1981 et 1982, période en cause dans l'affaire au principal, la libre prestation des services dans le secteur des transports maritimes n'était pas encore réalisée et qu'en conséquence les États membres étaient en droit d'appliquer des dispositions du type de celles qui sont visées dans l'affaire au principal.
15 Cette conclusion n'est pas infirmée par le fait que cette réglementation a été réintroduite dans le Code des ports maritimes français en 1981 après avoir été supprimée en 1969. En effet, l'article 62 du traité, interdisant aux États membres d'introduire de nouvelles restrictions à la liberté effectivement atteinte, en ce qui concerne la prestation des services, à l'entrée en vigueur du traité, ne trouve pas à s'appliquer, compte tenu de l'existence de l'article 61, paragraphe 1, du même traité.
16 Il y a, dès lors, lieu de répondre à la question posée par la Cour de cassation française que le traité CEE, en particulier les articles 59, 61, 62 et 84, ne s'opposait pas, avant l'entrée en vigueur du règlement n° 4055-86, à ce qu'un État membre perçût, à l'occasion de l'utilisation, par un navire, d'installations portuaires situées sur son territoire insulaire, lorsque les passagers provenaient de ports sis dans un autre État membre ou se dirigeaient vers ceux-ci, des taxes lors du débarquement et de l'embarquement des passagers, alors que, dans le cas d'un transport entre deux ports situés sur le territoire national, ces taxes n'étaient perçues que pour l'embarquement au départ du port insulaire.
Sur les dépens
17 Les frais exposés par le Gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par la Cour de cassation française, par arrêt du 17 janvier 1989, dit pour droit :
Le traité CEE, en particulier les articles 59, 61, 62 et 84, ne s'opposait pas, avant l'entrée en vigueur du règlement n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, à ce qu'un État membre perçût, à l'occasion de l'utilisation, par un navire, d'installations portuaires situées sur son territoire insulaire, lorsque les passagers provenaient de ports sis dans un autre État membre ou se dirigeaient vers ceux-ci, des taxes lors du débarquement et de l'embarquement des passagers, alors que, dans le cas d'un transport entre deux ports situés sur le territoire national, ces taxes n'étaient perçues que pour l'embarquement au départ du port insulaire.