CJCE, 2e ch., 17 mai 1984, n° 15-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Denkavit Nederland BV
Défendeur :
Hoofdproduktschap voor Akkerbouwprodukten
LA COUR,
1. Par ordonnance du 25 janvier 1983, parvenue à la Cour le 26 janvier suivant, le collège Van Beroep Voor het Bedrijfsleven a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 34, 40, paragraphe 3 et 43, paragraphe 3, lettre b), du traité CEE, ainsi que de l'article 22 du règlement n° 804-68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 148, p. 13) et du principe de proportionnalité ; la juridiction nationale demande si l'ensemble de ces règles doit être interprété en ce sens que sont incompatibles avec elles les articles 6, paragraphe 2, et 7 du règlement n° 1725-79 de la Commission, du 26 juillet 1979, relatif aux modalités d'octroi d'aides au lait écrémé transformé en aliments composés et au lait en poudre destinés à l'alimentation des veaux (JO L 199, p. 1).
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un recours de la société Denkavit Nederland BV dirigé contre le Hoofdproduktschap voor Akkerbouwprodukten et ayant pour objet la demande de la requérante que l'aide à la livraison en vrac des aliments composés pour animaux des Pays-Bas vers la Belgique lui soit versée dès la présentation mensuelle de la demande et des relevés de transformation et récapitulatifs correspondants, éventuellement sous réserve du remboursement.
3. Dans le cadre de cette procédure, la demanderesse au principal a fait valoir, entre autres, que les dispositions des articles 6, paragraphe 2, et 7 du règlement n° 1725-79 régleraient la charge de la preuve de l'utilisation des livraisons en vrac d'une manière plus lourde pour les exportations que pour les livraisons à l'intérieur du pays avec pour conséquence que le versement de l'aide à l'exportation serait retardé d'environ un mois par rapport à celui de l'aide aux livraisons sur le marché intérieur de l'Etat membre.
4. La demanderesse au principal a donc estimé que les dispositions en cause devraient être considérées comme des mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'exportation, contraires à l'article 34 du traité CEE et au règlement n° 804-68 ainsi que comme une discrimination du producteur, contraire aux articles 40, paragraphe 3, et 43, paragraphe 3, lettre b), du traité CEE ; ils seraient également contraires au principe de la proportionnalité.
5. Par contre, la défenderesse au principal a réfuté ce point de vue et s'est déclarée être liée par les dispositions litigieuses.
6. C'est un regard de cette situation de fait et de droit que le Collège Van Beroep Voor het Bedrijfsleven a posé la question préjudicielle suivante :
' L'article 34 du traité et/ou l'article 40, paragraphe 3, du traité et/ou l'article 43, paragraphe 3, sous b), du traité et/ou le règlement (CEE) n° 804-68 et/ou le principe de proportionnalité ou tout autre principe qui est à la base du traité doivent-ils être interprétés en ce sens que sont incompatibles avec eux les dispositions combinées des articles 6, paragraphe 2, et 7 du règlement (CEE) n° 1725-79, en tant que ces dispositions ont pour conséquence que l'aide visée dans ce règlement, qui est accordée pour du lait écrémé en poudre transformé dans un des Etats membres en un aliment composé pour animaux et livré par citernes ou containers, est versée un mois plus tard qu'en cas de vente à l'intérieur du pays? '
7. Cette question, bien qu'elle porte formellement sur l'interprétation de certaines dispositions du traité CEE et du règlement n° 804-68, vise en réalité la validité des articles 6, paragraphe 2, et 7 du règlement n° 1725-79.
Sur l'existence d'une différence de traitement
8. Il y a lieu de déterminer, en tant que préalable à l'examen juridique au fond, dans quelle mesure les aliments composés exportés en vrac sont effectivement soumis à un régime différent de celui applicable aux aliments composés commercialisés en vrac à l'intérieur du pays.
9. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l'article 6, paragraphe 1, lettre b), du règlement n° 1725-79 prévoit un contrôle administratif pour toutes les livraisons en vrac d'aliments composés, afin de vérifier que les livraisons sont effectuées à une exploitation agricole ou à une exploitation d'élevage ou d'engraissement utilisatrices sans faire de distinction selon l'exportation d'une part, et la livraison à l'intérieur du pays, d'autre part ; de même, le paragraphe 2 de l'article précité prévoit que dans les deux situations le versement de l'aide n'est effectué que lorsque l'entreprise fournit à l'organisme national compétent des pièces justificatives permettant d'établir que la livraison a eu lieu en respectant les conditions de son paragraphe 1, lettre b).
10. Il en résulte qu'il n'existe qu'une seule différence entre les deux situations susmentionnées, laquelle réside dans le type de document qui doit être produit pour obtenir l'aide :
- en ce qui concerne, d'une part, les livraisons en vrac dans un Etat membre autre que l'Etat membre vendeur, la preuve de la livraison dans les conditions visées à l'article 6, paragraphe 1, sous b), ne peut être apportée, selon l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1725-79, que par la production de l'exemplaire de contrôle visé à l'article 10 du règlement n° 223-77 de la Commission du 22 décembre 1976 (JO L 38, p. 20), c'est-à-dire du document T-5, sauf en ce qui concerne les exportations dans les pays du Bénélux, où cette preuve peut être apportée par l'exemplaire Bénélux 5, conformément à l'article 58 du règlement n° 222-77 du Conseil du 13 décembre 1976 (JO L 38, p. 1).
- en ce qui concerne, d'autre part, les livraisons en vrac à l'intérieur de l'Etat membre vendeur, en dépit des dispositions spécifiques sur ce point figurant dans le règlement n° 1725-79, chaque Etat membre a la faculté de prévoir, conformément à l'article 14 du règlement n° 223-77, que la preuve soit établie selon une procédure nationale.
11. Toutefois, il convient de souligner que lorsqu'un Etat membre a choisi d'appliquer une procédure nationale, il est néanmoins obligé de faire en sorte que l'objectif de l'article 6 du règlement n° 1725-79 soit respecté d'une manière équivalente.
12. Etant donné que les exigences de contrôle sont essentiellement les mêmes tant pour les exportations en vrac que pour les livraisons en vrac à l'intérieur du pays, un retard éventuel du versement de l'aide aux exportations ne résulte que des conditions différentes liées à l'exportation, à savoir du fait d'une circulation plus longue du document T-5 dans le commerce intracommunautaire par rapport à la circulation d'un document national à l'intérieur d'un Etat membre.
Sur la violation de l'article 34 du traité et de l'article 22 du règlement n° 804-68
13. La question posée par la juridiction de renvoi vise en premier lieu à savoir si les dispositions litigieuses constituent des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation au sens de l'article 34 du traité CEE.
14. L'article 34 dispose que " les restrictions quantitatives à l'exportation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres ".
15. L'interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d'effet équivalent, vaut, comme la Cour l'a itérativement déclaré, non seulement pour des mesures nationales, mais également pour des mesures émanant des institutions communautaires (arrêt du 20.4.1978, 80 et 81-77, Recueil p. 927).
16. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'article 34 vise les mesures " qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportations et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'état intéressé au détriment de la production ou du commerce d'autres Etats membres " (voir par exemple l'arrêt du 8.11.1979, Groenveld, 15-79, Recueil p. 3409, n° 7).
17. Tel n'est pas le cas d'une réglementation communautaire comme celle de l'espèce qui prévoit sinon des conditions identiques, du moins des conditions équivalentes de contrôle administratif tant pour l'exportation en vrac des aliments composés que pour leur commercialisation à l'intérieur du pays.
18. Cette appréciation n'est pas modifiée par le fait que l'aide dont les aliments composés exportes en vrac peuvent bénéficier est éventuellement versée plus tard que celle pour les livraisons à l'intérieur du pays. En effet, une telle différence ne résulterait que de la situation particulière afférente au trafic intracommunautaire, à savoir que la circulation des documents entre les divers organismes compétents des Etats membres prend nécessairement plus de temps que celle des mêmes documents à l'intérieur d'un Etat membre, et ne constitue pas une différence de traitement au sens de l'article 34.
19. Comme la Commission l'a exposé a juste titre, ne peuvent être prises en considération dans la procédure préjudicielle de l'article 177 du traité des discriminations éventuelles qui résultent du fait que les autorités nationales n'on pas appliqué correctement les dispositions pertinentes.
20. Ces considérations valent également pour l'interdiction de mesures d'effet équivalent prévue dans l'article 22, paragraphe 1, du règlement n° 804-68 adaptant l'article 34 au domaine de l'organisation commune des marchés du lait et des produits laitiers.
Sur la violation des articles 40 et 43 du traité
21. Quant à la prétendue violation de l'article 40, paragraphe 3, du traité, cette disposition prévoit que l'organisation commune des marchés agricoles " doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté ".
22. Etant donné que la différence du mode de versement de l'aide correspond à une différence objective des situations de l'exportation, d'une part, et de la commercialisation à l'intérieur d'un Etat membre, d'autre part, elle ne constitue pas une discrimination dans le sens de l'article précité qui veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente à moins qu'une différenciation ne soit pas objectivement justifiée (arrêts du 15. 7. 1982, Edeka, 245-81, Recueil p. 2745, n° 11, du 13.6.1978, Denkavit, 139-77, Recueil p. 1317, et du 15.9.1982, Kind, 106-81, Recueil p. 2885, n° 22).
23. Ces considérations valent également en ce qui concerne la prétendue violation de l'article 43, paragraphe 3, sous b), selon lequel les organisations communes de marché doivent assurer " aux échanges à l'intérieur de la Communauté des conditions analogues à celles qui existent dans un marché national ".
Sur la violation du principe de proportionnalité
24. Le dernier point de la question du Collège Van Beroep Voor het Bedrijfsleven porte sur la violation du principe de la proportionnalité.
25. Ce principe exige, selon la jurisprudence constante de la Cour, que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché (arrêts du 20.2.1979, Buitoni, 122-78, Recueil p. 677, n° 16 et du 23.2.1983, Fromancais, 66-82, Recueil p. 395, n° 8).
26. Dans ce contexte, la demanderesse au principal allègue que les dispositions litigieuses imposeraient à l'exportateur une charge qui dépasserait ce qui serait nécessaire pour atteindre le but de contrôle. Il suffirait, selon elle, d'apporter la preuve que la livraison a été effectuée dans les conditions exigées en ce qui concerne les exportations, selon les mêmes modalités que celles prévues à l'article 6, paragraphe 2, du règlement n° 1725-79 pour les livraisons à l'intérieur du pays producteur sans que le document T-5 soit utilisé.
27. Il convient d'abord d'observer que, selon le quatrième considérant du règlement n° 222-77, l'application du régime du transit communautaire, y compris l'utilisation de documents de contrôle uniformes, est de nature à faciliter le transport à l'intérieur de la Communauté et, notamment à alléger les formalités à accomplir lors du franchissement des frontières intérieures.
28. Par ailleurs, il y a lieu de faire remarquer que la réglementation en cause prescrit un contrôle administratif préalable et, partant, le retour de l'exemplaire de contrôle aux autorités compétentes du pays producteur avant que l'aide ne soit versée, tant pour les exportations en vrac que pour les livraisons en vrac à l'intérieur du pays, soit qu'il s'agisse des documents T-5 ou Bénélux 5, soit qu'il s'agisse d'un document exigé dans le cadre de la procédure nationale conformément à l'article 14 du règlement n° 223-77.
29. L'objectif de cette réglementation étant d'exclure la possibilité de verser deux fois l'aide ainsi que celle de faire revenir la marchandise dans le circuit normal du marché et de prévenir par là-même les pratiques frauduleuses, le maintien rigoureux des formalités de preuve s'impose tant pour les exportations que pour les livraisons à l'intérieur du pays.
30. Au cours de la procédure orale, la Commission a observé à juste titre que l'application d'une autre méthode de contrôle du respect des conditions fixées par l'article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1725-79, à savoir un contrôle à posteriori avec pour conséquence, le cas échéant, le remboursement de l'aide antérieurement octroyée, entraînerait notamment des charges administratives disproportionnées pour les Etats membres qui doivent exécuter ce contrôle.
31. Il y a lieu de constater que le principe de proportionnalité n'est pas violé par une réglementation prévoyant un contrôle administratif préalable des conditions du versement d'une aide, s'il s'agit de montants particulièrement élevés et s'il existe un danger particulier de fraude.
32. Il en résulte que les dispositions litigieuses, même si elles entraînent un certain retard du versement de l'aide aux exportations par rapport à celui de l'aide aux livraisons à l'intérieur du pays, ne violent pas le principe de proportionnalité en raison de l'existence de conditions particulières liées au transit intracommunautaire.
33. Il y a donc lieu de répondre à la juridiction de renvoi que l'examen de la question posée n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter la validité des articles 6, paragraphe 2, et 7 du règlement n° 1725-79.
Sur les dépens
34. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations orales à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Collège Van Beroep Voor het Bedrijfsleven, par ordonnance du 25 janvier 1983, dit pour droit :
L'examen de la question posée par le Collège Van Beroep Voor het Bedrijfsleven n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter la validité des articles 6, paragraphe 2, et 7 du règlement n° 1725-79.