CJCE, 25 janvier 1977, n° 46-76
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bauhuis
Défendeur :
État néerlandais
LA COUR,
1. Attendu que, par jugement du 10 mai 1976, enregistré au greffe de la Cour le 2 juin 1976, l'Arrondissementsrechtbank de la Haye a, en vertu de l'article 177 du traité CEE, demandé à celle-ci de statuer sur l'interprétation de l'article 16 du traité et, à cet égard, de dire si :
" les charges pécuniaires, appliquées par un Etat membre pour des raisons de contrôle sanitaire de têtes de bétail destinées à être expédiées vers un autre Etat membre, doivent être considérées comme des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation lorsque ces charges pécuniaires servent à couvrir, et ne dépassent pas, le coût réel d'un contrôle sanitaire qui est opéré par décision de l'autorité nationale ;
a) (s'agissant de bovins ou de porcins)
Pour l'exécution des obligations que le Conseil de la Communauté économique européenne a imposées à l'Etat membre d'expédition dans sa directive n° 64-432-CEE du 26 juin 1964, ou bien
b) (s'agissant de bovins ou de porcins)
Pour l'exécution des obligations visées au point a) et en outre pour constater que les bovins ou les porcins en question remplissent les conditions spéciales auxquelles l'Etat membre de destination subordonne leur importation, ou bien
c) (s'agissant d'autres animaux que de bovins ou de porcins)
Pour constater que les animaux en question remplissent les conditions auxquelles l'Etat membre de destination subordonne leur importation ' ;
2. Que ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant à l'administration néerlandaise un marchand de bétail qui, entre le mois d'août 1966 et le mois de juillet 1971, a exporté vers d'autres Etats membres des animaux vivants et qui réclame le remboursement des redevances acquittées pour les contrôles sanitaires effectués par l'Administration néerlandaise, préalablement à ces exportations ;
3. Qu'il fait valoir que ces redevances constitueraient des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation, interdites, à partir du 1er janvier 1962, par l'article 16 du traité et qui, dès lors, auraient été payées indûment ;
4. Attendu qu'il ressort du jugement rendu par la juridiction nationale que les droits litigieux ont été prélevés, d'une part, à l'occasion de contrôles sanitaires de bovins et de porcins imposés et réglés par la directive n° 64-432-CEE du Conseil du 26 juin 1964 relative à des problèmes de police sanitaire en matière d'échanges intracommunautaires d'animaux des espèces bovine et porcine (JO n° 121 du 29. 7. 1964, p. 1977) et, d'autre part, à l'occasion de contrôles sanitaires autres que ceux imposés par cette directive ou encore sur d'autres animaux que ceux visés à la directive et règles par les seules dispositions du droit national ;
5. Qu'il importe d'examiner séparément ces hypothèses ;
6. Attendu qu'il y a cependant lieu, au préalable, de préciser le cadre dans lequel doivent se situer les réponses aux questions posées ;
7. Attendu qu'aux termes de l'article 9 du traité CEE, sont interdits entre les Etats membres les droits de douane à l'importation et à l'exportation et toutes taxes d'effet équivalent ;
8. Qu'aux termes de l'article 16, les Etats membres suppriment entre eux, au plus tard à la fin de la première étape de la période transitoire, les droits de douane à l'exportation et les taxes d'effet équivalent ;
9. Que la justification de l'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, fussent-elles minimes, appliquées en raison du franchissement des frontières, constituent pour la circulation des marchandises, aggravée par les formalités administratives consécutives ;
10. Que, dès lors, toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité, alors même qu'elle ne serait pas perçue au profit de l'Etat ;
11. Qu'il n'en est autrement que si la charge en question constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'exportateur, d'un montant proportionné audit service ou si elle relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement, selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits importés ou exportés ;
12. Que si l'article 36 du traité prévoit que les dispositions des articles 30 à 34 inclus ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions quantitatives à l'exportation ou à l'importation, justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des hommes et des animaux, cette disposition, en tant que dérogation à la règle fondamentale de l'élimination de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises entre les Etats membres, est d'interprétation stricte et ne saurait donc être comprise comme autorisant des mesures d'une nature autre que celles envisagées par les articles 30 à 34 ;
13. Que, dès lors, si l'article 36 ne fait pas obstacle à des contrôles sanitaires, il ne saurait cependant être interprété comme permettant de ce fait la perception de droits, prélevés sur les marchandises importées ou exportées assujetties auxdits contrôles, et destinés à couvrir les frais de ceux-ci ;
14. Qu'en effet cette perception n'est pas intrinsèquement nécessaire à l'exercice de la compétence prévue à l'article 36 et est donc susceptible de constituer un obstacle complémentaire dans le commerce intracommunautaire ;
15. Que c'est à la lumière de ces considérations qu'il y a lieu d'examiner les questions posées ;
I - En ce qui concerne les droits prélevés pour des contrôles sanitaires imposés par la directive n° 64-432
16. Attendu qu'en vue d'éliminer les obstacles aux échanges intracommunautaires d'animaux des espèces bovine et porcine, le Conseil a harmonisé, par la directive n° 64-432 du 26 juin 1964, les mesures de police sanitaire en vigueur dans les Etats membres en obligeant ceux-ci à uniformiser, conformément aux prescriptions de cette directive, les dispositions nationales en la matière ;
17. Que, selon ses deuxième et troisième considérants, la directive du 26 juin 1964 vise à augmenter l'efficacité des règlements relatifs aux organisations des marchés dans le secteur de la viande bovine et porcine, en substituant " aux multiples et traditionnelles mesures de protection à la frontière un système uniforme destiné notamment à faciliter les échanges intracommunautaires " ;
18. Que, selon les troisième et quatrième considérants, cet objectif ne saurait être atteint que par l'élimination des disparités entre législations nationales, en " procédant à un rapprochement des dispositions des Etats membres en matière de police sanitaire " ;
19. Que ce rapprochement consiste essentiellement à imposer aux Etats membres expéditeurs de bétail, l'obligation de veiller au respect d'une série de mesures sanitaires destinées à garantir, entre autres, que les animaux exportés ne constituent pas une source de propagation de maladies contagieuses ;
20. Qu'il apparaît de l'ensemble de ces considérations que le système de contrôles sanitaires harmonisé, mis en place par la directive, est fondé sur l'équivalence des garanties sanitaires exigées dans l'ensemble des Etats membres, d'où résulte à la fois la garantie de la protection de la santé et l'égalité de traitement des produits ;
21. Que, dans cette perspective, ce système vise à déplacer le contrôle vers l'Etat membre expéditeur et à substituer ainsi aux mesures systématiques de protection à la frontière un système uniforme de façon à rendre superflus des contrôles frontaliers multiples tout en ménageant à l'Etat destinataire la possibilité de veiller à ce que soient réalisées effectivement les garanties résultant du système de contrôles ainsi uniformisé ;
22. Attendu que ce système est fondé sur la confiance que doivent se témoigner les Etats membres en ce qui concerne les garanties offertes par les contrôles effectués, au départ, par les services sanitaires de l'Etat membre d'où les animaux sont expédiés ;
23. Qu'en vue de rendre ces garanties effectives, la directive a harmonisé les dispositions des Etats membres en généralisant des méthodes de contrôle particulièrement sévères ;
24. Qu'il s'ensuit que, fréquemment, une partie au moins des opérations de contrôle prévues par la directive sera identique aux contrôles effectués à l'occasion de la commercialisation et du transport des mêmes animaux sur le territoire de l'Etat membre concerné ;
25. Que les redevances établies sur ces contrôles, si elles sont exigées tant en cas de commercialisation intérieure que d'exportation, font partie d'un système général de redevances intérieures, et ne constituent pas des taxes d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation mais relevant de l'interdiction de discrimination de l'article 95 du traité ;
26. Attendu que la question posée en premier lieu concerne donc l'interprétation de la notion de taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, au regard des redevances établies sur ceux des contrôles qui sont exclusivement effectués sur les animaux destinés à être exportés vers un autre Etat membre et en vue de satisfaire aux obligations de la directive n° 64-432 du Conseil ;
27. Attendu que, bien que corrélative à une exportation vers un autre Etat membre, l'organisation de ces contrôles a été, par la directive, rendue obligatoire pour l'Etat membre expéditeur et ce en vue de rendre superflus des contrôles à la frontière unilatéralement organisés par l'Etat membre importateur, ou, à tout le moins, de réduire ceux-ci à un contrôle sporadique de l'observation des mesures sanitaires à prendre dans l'Etat membre expéditeur ;
28. Que ces mesures ne sont pas unilatéralement imposées par chaque Etat membre, mais rendues obligatoires et uniformes pour l'ensemble des produits en cause, quel que soit l'Etat membre d'expédition ou de destination ;
29. Que, d' autre part, elles ne sont pas édictées par chaque Etat membre pour la protection d'un intérêt qui lui est propre, mais par le Conseil dans l'intérêt général de la Communauté ;
30. Qu'on ne saurait donc les considérer comme des mesures unilatérales entravant les échanges, mais plutôt comme des opérations destinées à favoriser la libre circulation des marchandises, notamment en neutralisant des obstacles pouvant résulter, pour cette libre circulation, des mesures de contrôle sanitaire prises en conformité avec l'article 36 ;
31. Que, dans ces conditions, des redevances perçues à l'occasion de contrôles sanitaires, imposés par une disposition communautaire, uniformes et devant obligatoirement être effectués, avant l'expédition, dans l'Etat membre expéditeur, ne constituent pas des taxes d'effet équivalent à des droits de douane à l'exportation, à condition que leur montant ne dépasse pas le coût réel du contrôle à l'occasion duquel elles sont perçues ;
32. Que les motifs qui inspirent l'interdiction de toute entrave aux échanges intracommunautaires, soit sous forme de taxes d'effet équivalent à des droits de douane soit sous forme de mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives, ne s'appliquent pas dans ce cas ;
33. Que, par ailleurs, une distinction doit être faite, en ce qui concerne la légitimité de l' exigence d'une redevance, entre les contrôles imposés par la directive et ceux, sporadiques, qu'en vertu de celle-ci les Etats membres sont seulement autorisés à maintenir à la frontière, la première catégorie étant organisée, de façon obligatoire et générale, de sorte qu'elle grève toutes les marchandises concernées tandis que les redevances exigées pour les contrôles de la seconde catégorie qui ne sont effectués que de façon incidente et ponctuelle, grèveraient uniquement les marchandises contrôlées ;
34. Qu'il s'agit d'ailleurs de la compensation, financièrement et économiquement justifiée, d'une obligation imposée de façon égale à tous les Etats membres par le droit communautaire ;
35. Attendu, sans doute, que les coûts des opérations de contrôle peuvent différer d'un Etat membre à l'autre, de sorte que les rétributions peuvent se révéler inégales suivant l'Etat membre ou le contrôle est effectué ;
36. Attendu que, s'il peut être souhaitable de voir harmoniser ces redevances, la circonstance qu'elles ne sauraient, sous peine d'être qualifiées comme taxes d'effet équivalent à des droits de douane, dépasser le coût réel de l'opération, leur enlève le caractère d'aides interdites à l'exportation et empêche de les considérer comme des entraves à la circulation des marchandises ;
II - En ce qui concerne les droits prélevés pour des contrôles sanitaires spéciaux effectués à l'occasion de l'exportation de bovins et de porcins
37. Attendu que dans le but de favoriser la libre circulation des animaux des espèces bovine et porcine, la directive n° 64-432 a généralisé et rendu uniformes pour l'ensemble du territoire de la Communauté les contrôles sanitaires destinés à protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ;
38. Que la confiance réciproque que les Etats membres doivent avoir dans des contrôles effectués, dans les conditions prévues, par les organes compétents des autres Etats membres, constitue un élément fondamental du système mis en place par la directive en l'absence duquel celle-ci serait privée d'objet ;
39. Qu'il s'ensuit que les bovins et porcins qui ont fait l'objet des contrôles imposés par cette directive, doivent pouvoir être transportés d'un Etat membre vers les autres, sans que soient exigées des conditions sanitaires supplémentaires ;
40. Qu'il en resulte que, sauf les exceptions prévues par la directive elle-même, tout contrôle supplémentaire impose unilatéralement par un Etat membre sur des bovins ou porcins destinés à être exportés vers un autre Etat membre, soit de sa propre initiative, soit pour répondre à des exigences devenues injustifiées d'un autre Etat membre, constituerait une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative et que toute redevance perçue à cette occasion serait, de ce chef, incompatible avec le droit communautaire ;
41. Qu'il n'en serait différemment que si ce contrôle et une redevance identique étaient également imposés par la réglementation nationale en ce qui concerne la commercialisation et le transport de bovins et de porcins sur le territoire de l'Etat membre concerné ;
42. Que, par ailleurs, s'il s'agissait de contrôles supplémentaires effectués dans le pays expéditeur dans les cas et sous les conditions prévues par des dispositions spéciales de la directive n° 64-432, tel l'article 8, les redevances, à condition de ne pas dépasser le coût réel de l'opération, seraient conformes à celles analysées ci-dessus et ne constitueraient pas des taxes d'effet équivalent à des droits de douane à l'exportation ;
III - En ce qui concerne les redevances prélevées pour les contrôles sanitaires effectués dans les pays expéditeurs, sur des animaux autres que les bovins et les porcins
43. Attendu que les contrôles visés par la dernière partie des questions sont effectués par chaque Etat membre en dehors de toute réglementation communautaire, de façon unilatérale et non uniformisée ;
44. Que dans la mesure où ces contrôles sont effectués sur les seuls animaux destinés à l'exportation et se distinguent de ceux pratiqués à l'occasion de la commercialisation ou du transport des mêmes animaux sur le territoire de l'Etat membre concerné, il s'agit de mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives ;
45. Que ces mesures, destinées à protéger les intérêts sanitaires du pays importateur, sont conformes au traité dans les conditions prévues à l'article 36 de celui-ci ;
46. Attendu que l'article 36 n'interdit pas que les contrôles effectués par l'Etat importateur à l'occasion du franchissement de la frontière soient remplacés par des contrôles effectués au départ par l'Etat membre expéditeur ;
47. Que, cependant, le déplacement de ces contrôles qui continuent d'être effectués dans l'intérêt de l'Etat importateur, n'a pas pour effet d'en modifier la nature ;
48. Attendu qu'ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, l'article 36, s'il ne fait pas obstacle, dans les conditions qu'il détermine, au maintien de certaines restrictions notamment sous forme de contrôles sanitaires, ne permet cependant pas la perception de droits prélevés sur les marchandises assujetties à ces contrôles, cette perception n'étant pas nécessaire à l'exercice de la compétence prévue par l'article 36 et constituant, dès lors, un obstacle complémentaire dans le commerce intracommunautaire ;
49. Que les motifs qui rendent licite la perception de droits appropriés en cas d'exécution de contrôles généralisés, uniformes et de nature communautaire, ne sauraient s'appliquer à des situations qui demeurent des entraves unilatérales ;
50. Qu'il en est ainsi, même si ces contrôles nationaux constituent des mesures de promotion des exportations ;
51. Qu'il y a donc lieu de répondre que constituent des taxes d'effet équivalent à des droits de douane des redevances perçues par l'Etat membre expéditeur et liées à des contrôles sanitaires, effectués par les services de cet Etat, qui ne sont pas imposés par un règlement ou une directive communautaire, mais rendus obligatoires par cet Etat en vue de vérifier s'il est satisfait aux conditions auxquelles l'Etat membre de destination subordonne l'importation ;
Sur les dépens
52. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement des Pays-Bas et la Commission des Communautés Européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;
53. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par l'Arrondissementsrechtbank de la Haye, par jugement du 10 mai 1976, dit pour droit :
1) Des redevances perçues à l'occasion de contrôles sanitaires imposés par une disposition communautaire, uniformes et devant obligatoirement être effectués, avant l'expédition, dans l'Etat membre expéditeur, ne constituent pas des taxes d'effet équivalent à des droits de douane à l'exportation, à condition que leur montant ne dépasse par le coût réel du contrôle à l'occasion duquel elles sont perçues ;
2) Sauf les exceptions prévues par la directive n° 64-432-CEE elle-même, tout contrôle supplémentaire impose unilatéralement par un Etat membre sur des bovins ou porcins destinés à être exportés vers un autre Etat membre, soit de sa propre initiative, soit pour répondre à des exigences devenues injustifiées d'un autre Etat membre, constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative et toute redevance perçue à cette occasion est, de ce chef, incompatible avec le droit communautaire ;
3) Constituent des taxes d'effet équivalent à des droits de douane des redevances perçues par l'Etat membre expéditeur et liées à des contrôles sanitaires, effectuées par les services de cet Etat, qui ne sont pas imposés par un règlement ou une directive communautaire, mais rendus obligatoires par cet Etat en vue de vérifier s'il est satisfait aux conditions auxquelles l'Etat membre de destination subordonne l'importation.