CJCE, 5e ch., 1 février 2001, n° C-108/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Union professionnelle belge des médecins spécialistes en ophtalmologie et chirurgie oculaire
Défendeur :
Mac Quen, Derek Pouton, Godts, Antoun, Grandvision Belgium (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wathelet
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Edward, Jann
Avocats :
Mes Fyon, Louis, Vallery, Gilliams, Defourny, Bützler
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par jugement du 27 mars 1996, parvenu à la Cour le 3 avril suivant, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 5 du traité CE (devenu article 10 CE) ainsi que 30, 52 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE, 43 CE et 49 CE).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de la procédure pénale engagée à l'encontre de Mme Godts, de MM. Mac Quen, Antoun et Pouton, ainsi que de Grandvision Belgium SA (ci-après "Grandvision"), en tant qu'employeur des quatre prévenus, pour avoir illégalement accompli un ou des actes relevant de l'art de guérir.
Le cadre juridique
3 Les dispositions nationales applicables ressortent, d'une part, de l'arrêté royal, du 30 octobre 1964 (Moniteur belge du 24 décembre 1964, p. 13274), instaurant les conditions d'exercice de la profession d'opticien-lunetier dans les entreprises de l'artisanat, du petit et du moyen commerce et de la petite industrie, tel que modifié par les arrêtés royaux, des 16 septembre 1966, 14 janvier 1975, 3 octobre 1978 et 2 mars 1988 (Moniteur belge du 17 mars 1988, p. 3812), et, d'autre part, de l'arrêté royal n° 78, du 10 novembre 1967, relatif à l'exercice de l'art de guérir, de l'art infirmier, des professions paramédicales et aux commissions médicales concernant la prévention d'exercice illégal de l'art de guérir (Moniteur belge du 14 novembre 1967, p. 11881).
4 Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de l'arrêté royal du 30 octobre 1964:
"La profession d'opticien au sens du présent arrêté consiste à exercer de manière habituelle et indépendante une ou plusieurs des activités suivantes:
a) la proposition au choix du public, la vente, l'entretien et la réparation d'articles d'optiques destinés à la correction et/ou la compensation de la vision,
a bis) l'essai, l'adaptation, la vente et l'entretien des yeux artificiels,
b) l'exécution des prescriptions délivrées par les médecins-oculistes en vue de la correction de la vision."
5 L'article 2, paragraphe 1, premier alinéa, de l'arrêté royal n° 78 prévoit:
"Nul ne peut exercer l'art médical s'il n'est porteur du diplôme légal de docteur en médecine, chirurgie et accouchements obtenu conformément à la législation sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires ou s'il n'en est légalement dispensé et s'il ne réunit pas, en outre, les conditions imposées par l'article 7, paragraphe 1 ou paragraphe 2".
6 Ladite disposition précise, à son deuxième alinéa:
"Constitue l'exercice illégal de l'art médical, l'accomplissement habituel par une personne ne réunissant pas l'ensemble des conditions requises par l'alinéa 1er du présent paragraphe de tout acte ayant pour objet ou présenté comme ayant pour objet, à l'égard d'un être humain, soit l'examen de l'état de santé, soit le dépistage de maladies et déficiences, soit l'établissement du diagnostic, l'instauration ou l'exécution du traitement d'un état pathologique, physique ou psychique, réel ou supposé, soit la vaccination".
7 Par arrêt du 28 juin 1989 (Cass., 28 juin 1989, Pas. 1989, I-1182), la Cour de cassation (Belgique) a jugé qu'il y a lieu d'interpréter l'article 2, paragraphe 1, de l'arrêté royal du 30 octobre 1964 en tenant compte des dispositions de l'arrêté royal n° 78.
8 En effet, cette juridiction a constaté dans ledit arrêt que, "s'il est permis aux opticiens non-médecins d'accomplir des actes tendant à la correction des défectuosités purement optiques de la vision, qu'ils fassent ou non usage à cet effet d'appareils ou d'instruments, il leur est toutefois interdit d'examiner l'état de la vision de leurs clients autrement qu'en recourant à une méthode selon laquelle seul le patient détermine les défectuosités optiques dont il souffre, notamment à partir d'échelles typographiques éventuellement incorporées dans un instrument de contrôle et dont le patient assure lui-même la correction en choisissant, sur leur proposition, les verres qui lui donnent satisfaction, l'opticien ayant l'obligation de conseiller à son client de consulter un médecin oculiste si les indications ainsi obtenues laissent apparaître un doute sur le caractère de la défectuosité constatée".
Les faits au principal et les questions préjudicielles
9 Il ressort du dossier que Grandvision est une société anonyme de droit belge qui a son siège social à Bruxelles. Grandvision fait partie d'un groupe de sociétés qui commercialise des produits et des services dans le domaine de l'optique. Elle est contrôlée par la société de droit anglais Vision Express UK Ltd. M. Mac Quen était le directeur général de cette dernière société avant d'exercer, de novembre 1990 à juillet 1991, les fonctions d'administrateur délégué de Vision Express Belgium SA. M. Pouton lui a succédé dans ces fonctions de juillet 1991 à 1993.
10 Peu de temps après sa constitution, Vision Express Belgium SA a distribué en Belgique une publicité relative aux divers examens de la vue effectués dans ses magasins, à savoir notamment une "tonométrie informatisée", destinée à dépister une "éventuelle hypertension intra-oculaire", une "rétinoscopie" générale, destinée à examiner "l'état de la rétine", ainsi qu'une "estimation du champ visuel à l'aide d'un appareil ultra-moderne" et une "biomicroscopie" qui donne l'"état de votre cornée, de votre conjonctive, des paupières et des larmes [...]". Cette publicité était apparemment la traduction littérale de la publicité faite au Royaume-Uni par la société Vision Express UK Ltd.
11 Sur le fondement de cette publicité, l'union professionnelle belge des médecins spécialistes en ophtalmologie et chirurgie oculaire (ci-après l'"UPBMO") a, en septembre 1991, porté plainte avec constitution de partie civile contre Grandvision, pour exercice illégal de l'art de guérir et publicité mensongère.
12 Au terme de l'instruction pénale, MM. Mac Quen et Pouton, ainsi que M. Antoun, opticien, et Mme Godts, secrétaire, ont été renvoyés conjointement avec la société Grandvision - qui, en tant qu'employeur des quatre prévenus, est civilement responsable - devant le Tribunal de première instance de Bruxelles siégeant en matière correctionnelle.
13 Éprouvant des doutes quant à la conformité avec le droit communautaire de la législation belge mentionnée aux points 3 à 6 du présent arrêt, telle qu'interprétée par la Cour de cassation, le Tribunal de première instance de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Une interdiction, résultant de l'interprétation ou de l'application d'une disposition de droit national, faite aux opticiens dans d'autres États membres d'offrir, à l'intérieur d'un État membre, dans le cadre de la correction de défectuosités purement optiques de la vision, des services consistant en un examen objectif de la vision, c'est-à-dire autrement qu'en recourant à une méthode selon laquelle seul le client détermine les défectuosités optiques dont il souffre et assure seul la correction à apporter, est-elle compatible avec les articles 5, 52 et 59 du traité CE?
2) Les obstacles à la commercialisation, à l'intérieur d'un État membre, des appareils permettant un examen objectif de la vision en vue de la correction de défectuosités purement optiques de la vision, tel par exemple un autoréfracteur, résultant de l'interdiction faite par la législation nationale aux opticiens établis dans d'autres États membres d'offrir, à l'intérieur de cet État membre, des services consistant en un examen objectif de la vision, c'est-à-dire autre que subjectif, et ce dans le cadre de la correction de défectuosités pourtant purement optiques de la vision, [sont-ils] compatible[s] avec l'article 30 du traité CE?"
14 L'UPBMO ayant interjeté appel de cette décision, le président de la Cour a décidé, par ordonnance du 28 juin 1996, de suspendre la procédure. Après que la Cour de cassation, saisie d'un pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (Belgique), eut donné acte, par arrêt du 12 mai 1999, du désistement du pourvoi introduit par l'UPBMO devant elle, la procédure devant la Cour a repris son cours le 11 juin 1999.
Observations liminaires
15 L'UPBMO soutient que le litige au principal concerne une situation purement interne qui ne présente aucun élément la rattachant au droit communautaire. En effet, Grandvision, en tant que société de droit belge opérant en Belgique, se trouverait dans une situation qui n'entre pas dans le champ d'application du droit communautaire.
16 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il ressort des observations soumises à la Cour ainsi que des précisions fournies lors de l'audience que Grandvision est une société anonyme de droit belge, fondée en 1990 sous la dénomination de Vision Express Belgium SA par la société néerlandaise VE Holdings BV. En tant que filiale de la société de droit anglais Vision Express UK Ltd, elle fait partie d'un groupe de sociétés, établies dans différents États membres, qui commercialise des produits et des services dans le domaine de l'optique. La situation juridique d'une telle société relève du droit communautaire en vertu des dispositions de l'article 52 du traité.
17 Selon Grandvision, l'interprétation de la réglementation nationale mentionnée au point 3 du présent arrêt ne fait pas l'unanimité auprès des autorités belges. Plus particulièrement, elle fait valoir que l'interprétation retenue par la Cour de cassation, qui tend à interdire aux opticiens non-médecins de procéder à un contrôle objectif de la vue et qui réserve ce type d'examen aux médecins ophtalmologues, n'est pas partagée par d'autres juridictions belges, de sorte qu'il ne serait pas établi que la pratique en Belgique de tels examens soit nécessairement interdite aux opticiens.
18 À cet égard, il convient de constater que, dans une situation où il existe ou semble exister des divergences d'analyse entre les autorités administratives ou judiciaires d'un État membre quant à l'interprétation correcte d'une réglementation nationale, notamment en ce qui concerne sa portée exacte, il n'appartient pas à la Cour de juger quelle est l'interprétation qui est conforme ou qui est la plus conforme au droit communautaire. En revanche, il incombe à la Cour d'interpréter le droit communautaire au regard de la situation factuelle et juridique telle que décrite par la juridiction de renvoi, afin de donner à cette dernière les éléments utiles à la solution du litige dont elle est saisie.
Sur les questions préjudicielles
19 Par ses questions, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 5, 30, 52 et 59 du traité s'opposent à ce que les instances compétentes d'un État membre interprètent le droit national relatif à l'art de guérir de telle manière que, dans le cadre de la correction de déficiences purement optiques de la vision du client, l'examen objectif de celle-ci, c'est-à-dire un examen qui ne recourt pas à une méthode selon laquelle seul le client détermine les déficiences optiques dont il souffre, est réservé aux ophtalmologues, à l'exclusion, notamment, des opticiens non-médecins.
20 Ne s'agissant, dans l'affaire au principal, ni de la prestation de services fournie par Grandvision ou ses collaborateurs à des destinataires établis dans d'autres États membres ni des obligations des États membres au sens de l'article 5 du traité, il n'est pas nécessaire d'apprécier la conformité de l'interdiction en cause au principal (ci-après l'"interdiction litigieuse") avec les articles 5 et 59 du traité.
21 En ce qui concerne l'article 30 du traité, à supposer que l'interdiction litigieuse ait des effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises, ces effets seraient la conséquence inéluctable de cette même interdiction. Dans la mesure où cette dernière serait justifiée, ses effets devraient être acceptés au regard de l'article 30 du traité.
22 S'agissant de l'article 52 du traité, il convient d'emblée de constater que la question de savoir si l'examen objectif de la vision est une activité réservée aux ophtalmologues n'est pas régie par les directives 75-362-CEE et 75-363-CEE du Conseil, du 16 juin 1975, visant, respectivement, à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de médecin et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services, et à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du médecin (JO L 167, p. 1 et 14), non plus que par la directive 93-16-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres (JO L 165, p. 1), qui a abrogé les deux premières directives mentionnées. En outre, il est constant que l'activité d'opticien ne fait l'objet d'aucune réglementation communautaire spécifique.
23 L'UPBMO soutient que, dans ces conditions, les États membres sont en droit de réserver aux personnes les mieux qualifiées, c'est-à-dire aux ophtalmologues, certains examens de la vue. Dans l'arrêt du 3 octobre 1990, Bouchoucha (C-61-89, Rec. p. I-3551, point 12), la Cour aurait reconnu que, en l'absence d'une réglementation communautaire de l'activité paramédicale en question dans cette affaire, chaque État membre est libre de régler l'exercice de cette activité sur son territoire, sous la seule réserve de n'opérer aucune discrimination entre ses propres ressortissants et ceux des autres États membres. Les mêmes considérations s'appliqueraient à l'affaire au principal.
24 S'il est vrai que, en l'absence d'harmonisation des activités en cause au principal, les États membres demeurent, en principe, compétents pour définir l'exercice desdites activités, il n'en reste pas moins qu'ils doivent exercer leurs compétences dans ce domaine dans le respect des libertés fondamentales garanties par le traité (voir arrêts du 29 octobre 1998, De Castro Freitas et Escallier, C-193-97 et C-194-97, Rec. p. I-6747, point 23, et du 3 octobre 2000, Corsten, C-58-98, non encore publié au Recueil, point 31).
25 Aux termes de l'article 52, second alinéa, du traité, la liberté d'établissement est exercée dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants. Il s'ensuit que, lorsque l'accès à une activité spécifique, ou l'exercice de celle-ci, est réglementé dans l'État membre d'accueil, le ressortissant d'un autre État membre entendant exercer cette activité doit en principe répondre aux conditions de cette réglementation (arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 36).
26 Il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour que les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ne peuvent être justifiées que si elles remplissent quatre conditions: s'appliquer de manière non discriminatoire, répondre à des raisons impérieuses d'intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (voir arrêts du 31 mars 1993, Kraus, C-19-92, Rec. p. I-1663, point 32; Gebhard, précité, point 37, et, en dernier lieu, arrêt du 4 juillet 2000, Haim, C-424-97, non encore publié au Recueil, point 57).
27 À cet égard, il convient de constater, tout d'abord, que l'interdiction litigieuse s'applique indépendamment de la nationalité et de l'État membre d'établissement des personnes auxquelles elle s'adresse.
28 Ensuite, s'agissant de savoir s'il existe des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier la restriction à la liberté d'établissement qui résulte de l'interdiction litigieuse, il convient de rappeler que la protection de la santé publique figure parmi les raisons qui peuvent, en vertu de l'article 56, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 46, paragraphe 1, CE), justifier des restrictions qui découlent d'un régime spécial pour les ressortissants étrangers. La protection de la santé publique est donc, en principe, susceptible de justifier également des mesures nationales indistinctement applicables, comme c'est le cas en l'espèce.
29 L'importance de la protection de la santé est également soulignée par le fait que l'article 3, sous o), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous p), CE] prévoit que l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le traité, une contribution à la réalisation d'un niveau élevé de protection de la santé.
30 Or, le choix d'un État membre de réserver à une catégorie de professionnels disposant de qualifications spécifiques, tels que les ophtalmologues, le droit d'effectuer sur leurs patients un examen objectif de la vision à l'aide d'instruments sophistiqués permettant d'évaluer la pression intra-oculaire, de déterminer le champ visuel ou d'analyser l'état de la rétine peut être considéré comme un moyen propre à garantir la réalisation d'un niveau élevé de protection de la santé.
31 Dans ces conditions, il convient d'examiner si l'interdiction litigieuse est nécessaire et proportionnée pour atteindre l'objectif de réaliser un niveau élevé de protection de la santé.
32 Grandvision, tout en reconnaissant l'importance de la santé publique, conteste que le seul fait que les ophtalmologues disposent de qualifications professionnelles plus élevées que les opticiens soit de nature à justifier que les examens objectifs des déficiences purement optiques de la vue leur soient réservés. Elle soutient qu'il n'a pas été prouvé que l'usage desdits instruments par des opticiens comportait un risque pour la santé publique, eu égard, notamment, au fait que, dans d'autres États membres, les activités en cause au principal sont licites même lorsqu'elles sont exercées par des opticiens non-médecins.
33 À cet égard, il convient de rappeler que le fait qu'un État membre impose des règles moins strictes que celles applicables dans un autre État membre ne signifie pas en soi que ces dernières sont disproportionnées et, partant, incompatibles avec le droit communautaire (voir arrêts du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384-93, Rec. I-1141, point 51, et du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, C-3-95, Rec. p. I-6511, point 42).
34 En effet, la seule circonstance qu'un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d'incidence sur l'appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière (arrêt du 21 octobre 1999, Zenatti, C-67-98, Rec. p. I-7289, point 34).
35 Il y a lieu toutefois de relever que l'interdiction litigieuse, invoquée au principal comme fondement de poursuites pénales, n'est pas expressément prévue par une disposition législative de droit national, mais résulte plutôt de l'interprétation donnée en 1989 par la Cour de cassation à un certain nombre de dispositions nationales applicables en la matière en vue d'arriver à un haut niveau de protection de la santé publique. Il appert que cette interprétation est fondée sur une évaluation des risques pour la santé publique qui pourraient résulter de l'octroi aux opticiens de l'autorisation de procéder à certains examens de la vue.
36 Or, une telle évaluation est susceptible de changer au cours des années, notamment en fonction des progrès réalisés en la matière sur le plan technique et scientifique. À cet égard, il importe de relever que le Bundesverfassungsgericht (Allemagne), dans sa décision du 7 août 2000 (1 BvR 254-99), est parvenu à la conclusion que les risques qui pourraient résulter du fait de l'octroi aux opticiens de l'autorisation de procéder à certains examens de la vision de leurs clients, tels que la tonométrie et la périmétrie informatisée, ne sont pas de nature à leur interdire d'effectuer ces examens.
37 Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier, au regard des prescriptions du traité relatives à la liberté d'établissement ainsi que des exigences de la sécurité juridique et de la protection de la santé publique, si l'interprétation du droit interne retenue à cet égard par les autorités nationales compétentes demeure un fondement valable aux poursuites exercées dans l'affaire au principal.
38 Il convient donc de répondre aux questions préjudicielles que, dans l'état actuel du droit communautaire, l'article 52 du traité ne s'oppose pas à ce que les instances compétentes d'un État membre interprètent le droit national relatif à l'art de guérir de telle manière que, dans le cadre de la correction de déficiences purement optiques de la vision du client, l'examen objectif de celle-ci, c'est-à-dire un examen qui ne recourt pas à une méthode selon laquelle seul le client détermine les déficiences optiques dont il souffre, soit réservé, pour des raisons liées à la protection de la santé publique, à une catégorie de professionnels disposant de qualifications spécifiques, tels que les ophtalmologues, à l'exclusion, notamment, des opticiens non-médecins. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier, au regard des prescriptions du traité relatives à la liberté d'établissement ainsi que des exigences de la sécurité juridique et de la protection de la santé publique, si l'interprétation du droit interne retenue à cet égard par les autorités nationales compétentes demeure un fondement valable aux poursuites pénales exercées dans l'affaire au principal.
Sur les dépens
39 Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de première instance de Bruxelles, par jugement du 27 mars 1996, dit pour droit:
Dans l'état actuel du droit communautaire, l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) ne s'oppose pas à ce que les instances compétentes d'un État membre interprètent le droit national relatif à l'art de guérir de telle manière que, dans le cadre de la correction de déficiences purement optiques de la vision du client, l'examen objectif de celle-ci, c'est-à-dire un examen qui ne recourt pas à une méthode selon laquelle seul le client détermine les déficiences optiques dont il souffre, soit réservé, pour des raisons liées à la protection de la santé publique, à une catégorie de professionnels disposant de qualifications spécifiques, tels que les ophtalmologues, à l'exclusion, notamment, des opticiens non-médecins. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier, au regard des prescriptions du traité relatives à la liberté d'établissement ainsi que des exigences de la sécurité juridique et de la protection de la santé publique, si l'interprétation du droit interne retenue à cet égard par les autorités nationales compétentes demeure un fondement valable aux poursuites pénales exercées dans l'affaire au principal.