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Décisions

CJCE, 21 septembre 1999, n° C-124/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Markku Juhani Läärä; Cotswold Microsystems Ltd; Oy Transatlantic Software Ltd

Défendeur :

Kihlakunnansyyttäjä (Jyväskylä); Suomen valtio

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kapteyn

Présidents de chambre :

MM. Puissochet, Jann

Avocat général :

M. La Pergola

Juges :

MM. Gulmann, Murray, Edward, Ragnemalm, Sevón, Wathelet

Avocats :

Mes Kiviluoto, Vlaemminck, Van Den Hende, Brealey, Manhaeve

CJCE n° C-124/97

21 septembre 1999

LA COUR,

1. Par ordonnance du 21 mars 1997, parvenue à la Cour le 25 mars suivant, le Vaasan hovioikeus (cour d'appel de Vaasa) a posé à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'arrêt de la Cour du 24 mars 1994, Schindler (C-275-92, Rec. p. I-1039, ci-après l'"arrêt Schindler"), et des articles 30, 36, 56, 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE, 30 CE, 46 CE et 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE), en vue d'apprécier la compatibilité avec ces dispositions d'une législation nationale qui réserve à un organisme public le droit d'exploiter des machines à sous sur le territoire de l'État membre concerné.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Läärä, la société de droit finlandais Oy Transatlantic Software Ltd (ci-après "TAS") et la société de droit anglais Cotswold Microsystems Ltd (ci-après "CMS"), appelants au principal, au Kihlakunnansyyttäjä (Jyväskylä) (procureur de district de Jyväskylä) et au Suomen valtio (État finlandais), au sujet de l'exploitation de machines à sous en Finlande.

La réglementation nationale

3. En Finlande, en vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de l'arpajaislaki (1.9.1965/491) (loi n° 491 du 1er septembre 1965 sur les jeux de hasard, dans sa version en vigueur à l'époque des faits au principal, ci-après l'"arpajaislaki"), les jeux de hasard ne peuvent être organisés, avec l'autorisation de l'administration, qu'afin de recueillir des fonds dans le cadre d'une action de bienfaisance ou dans un autre but désintéressé prévu par la loi. Selon l'article 1er, paragraphe 2, de l'arpajaislaki, sont notamment considérés comme jeux de hasard, au sens de cette loi, l'activité de casino, les machines à sous et autres appareils de jeux ou les jeux dans lesquels, en échange d'une somme d'argent, le joueur peut recevoir un lot consistant en de l'argent, en une marchandise ou en un autre avantage appréciable en argent, ou encore en des jetons susceptibles d'être convertis en argent, marchandises ou avantages.

4. L'article 3 de l'arpajaislaki prévoit notamment que l'administration peut délivrer à un organisme de droit public l'autorisation de faire fonctionner, contre rémunération, des machines à sous et autres appareils de jeux ou d'exploiter une activité de casino, afin de recueillir des fonds destinés à différentes actions d'intérêt général, énumérées par cette disposition. Il ne peut être délivré qu'une seule autorisation couvrant ces activités, pour une période donnée.

5. Cette autorisation a été délivrée à la Raha-automaattiyhdistys (association pour la gestion des machines à sous, ci-après la "RAY"), en vertu de l'article 1er, paragraphe 3, du raha-automaattiasetus (29.12.1967/676) (règlement n° 676 du 29 décembre 1967 sur les machines à sous, dans sa version en vigueur à l'époque des faits). Selon l'article 6 de ce règlement, la RAY a le droit, afin de réaliser son objet qui est de recueillir des fonds destinés à couvrir les besoins cités à l'article 3 de l'arpajaislaki, de faire fonctionner, contre rémunération, des machines à sous et d'exercer une activité de casino, ainsi que de fabriquer et de vendre des machines à sous et des appareils de loisirs. Les articles 29 et suivants du même règlement précisent les conditions dans lesquelles le produit net des activités de la RAY, dont le montant figure au budget de l'État, doit être versé au ministère des Affaires sociales et de la Santé puis réparti entre les organismes et fondations qui ont pour objet la satisfaction des besoins précités.

6. En vertu de l'article 6, paragraphe 1, de l'arpajaislaki, celui qui, sans autorisation, organise des jeux de hasard pour lesquels une autorisation est requise est passible d'une amende ou d'une peine de prison pouvant atteindre six mois. En outre, selon l'article 16 du titre 2 de la rikoslaki (13.05.1932/143) (loi pénale finlandaise dans sa version résultant de la loi n° 143 du 13 mai 1932), tout instrument appartenant à l'auteur de l'infraction ou à son commettant et qui a servi à la commission de l'infraction, ou qui a été fabriqué ou acquis uniquement à cette fin, peut être confisqué.

Le litige au principal

7. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que CMS a confié à TAS, dont M. Läärä est le président, l'exploitation en Finlande de machines à sous dites "AWP", de type Golden Shot, qui restent, selon les termes du contrat passé entre les deux sociétés, la propriété de CMS. Ces appareils contiennent des rouleaux qui tournent sur eux-mêmes et sur lesquels figurent des dessins de fruits. Lorsque les rouleaux s'immobilisent, soit d'eux-mêmes, soit par l'action du joueur sur une poignée, et que la séquence formée par les dessins est répertoriée au barème des gains, la machine délivre au joueur un gain unitaire qui peut atteindre au maximum 200 FIM (pour une mise comprise entre 1 et 5 FIM).

8. M. Läärä a été poursuivi pénalement, en sa qualité de responsable de TAS, devant le Jyväskylän käräjäoikeus (tribunal de première instance de Jyväskylä) pour avoir fait fonctionner ces machines en Finlande sans autorisation. Soutenu par TAS et CMS, appelées dans la cause, il a contesté l'infraction qui lui était reprochée au motif, notamment, que la possibilité de gains offerte par les machines Golden Shot ne reposait pas essentiellement sur le hasard mais aussi, pour une part considérable, sur l'habileté du joueur, de sorte que ces machines ne pouvaient être qualifiées de jeux de hasard, et que la législation finlandaise était en contradiction avec les règles communautaires qui régissent la libre circulation des biens et des services. Le käräjäoikeus, qui n'a pas fait droit à ses arguments, l'a condamné à une amende et a ordonné la confiscation des machines.

9. Les intéressés ayant fait appel de ce jugement devant le Vaasan hovioikeus, celui-ci a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'arrêt rendu par la Cour le 24 mars 1994 dans l'affaire C-275-92, Her Majesty's Customs and Excise/Gerhart Schindler et Jörg Schindler, doit-il être interprété en ce sens qu'il est possible de considérer qu'il se rapporte à une affaire analogue à la présente (voir l'arrêt rendu le 6 octobre 1982 dans l'affaire 283-81, Srl Cilfit et Lanificio di Gavardo SpA/Ministère de la

Santé) et que les dispositions du traité CE doivent être interprétées ici de la même façon que dans l'affaire précitée?

Si la réponse à la première question s'avère négative, en tout ou en partie, le hovioikeus pose les questions suivantes:

2) Les dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des biens et des services (articles 30, 59 et 60) s'appliquent-elles aussi aux machines à sous du type de celles en cause ici?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question,

a) les articles 30, 59 ou 60, ou tout autre article du traité CE, font-ils obstacle à ce que la Finlande limite le droit de gérer des machines à sous au monopole de la Raha-automaattiyhdistys (association de droit public pour la gestion des machines à sous) et cela indépendamment du fait que la restriction s'applique en vertu de la même loi aux organisateurs de jeux tant nationaux qu'étrangers et

b) cette restriction est-elle susceptible d'être justifiée, eu égard aux motifs exposés dans la loi sur les jeux de hasard, ou dans ses mesures d'application, ou pour d'autres motifs, par les principes contenus aux articles 36 ou 56 ou à tout autre article du traité CE; par ailleurs, le montant du gain susceptible d'être procuré par les machines à sous et son origine, selon qu'il est dû au hasard ou à l'habileté du joueur, influent-ils sur la réponse à cette question?"

10. Par ses trois questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, à la lumière de l'arrêt Schindler, les articles 30, 59 et 60 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation nationale qui accorde à un seul organisme public des droits exclusifs d'exploitation des machines à sous, telle que la législation finlandaise, compte tenu des motifs d'intérêt général invoqués pour la justifier.

11. M. Läärä, TAS et CMS font valoir que l'exploitation des machines à sous en cause au principal est, notamment en raison de la modestie des mises et des lots et de leur finalité principale, qui est d'offrir un divertissement reposant sur l'habileté du joueur, totalement différente de l'organisation des grandes loteries, objet de l'arrêt Schindler. Selon eux, le droit exclusif accordé à la RAY est contraire aux dispositions du traité sur la libre circulation des biens et des services et sur la concurrence, principalement parce que les objectifs d'intérêt général invoqués pour le justifier ne sont pas vraiment poursuivis et pourraient être atteints par des mesures moins restrictives telles qu'une réglementation imposant aux exploitants les prescriptions nécessaires.

12. Les Gouvernements finlandais, belge, allemand, espagnol, irlandais, luxembourgeois, néerlandais, autrichien, portugais, suédois et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, estiment au contraire que les dispositions du traité ne s'opposent pas à une législation qui accorde des droits exclusifs d'exploitation des machines à sous, telle que la législation finlandaise, dès lors qu'elle est justifiée par des considérations analogues à celles retenues par la Cour dans l'arrêt Schindler. Pour tous ces Gouvernements, les jeux en cause au principal, qui offrent contre paiement la possibilité de gagner des lots en argent, sont des jeux d'argent comparables aux loteries, dont la Cour a admis qu'il revenait aux États membres, compte tenu de leurs particularités socioculturelles, d'apprécier s'il est nécessaire d'en restreindre ou même d'en interdire les activités pour la protection de l'ordre social.

13. Il convient, à cet égard, de rappeler que, au point 60 de l'arrêt Schindler, la Cour a souligné les considérations d'ordre moral, religieux ou culturel qui entourent les loteries comme les autres jeux d'argent dans tous les États membres. Les législations nationales tendent, de manière générale, à limiter, voire à interdire la pratique des jeux d'argent et à éviter qu'ils ne soient une source de profit individuel. La Cour a également relevé que, compte tenu de l'importance des sommes qu'elles permettent de collecter et des gains qu'elles peuvent offrir aux joueurs, surtout lorsqu'elles sont organisées à grande échelle, les loteries comportent des risques élevés de délit et de fraude. Elles constituent, en outre, une incitation à la dépense qui peut avoir des conséquences individuelles et sociales dommageables. Enfin, sans que ce motif puisse, en lui-même, être regardé comme une justification objective, il n'est pas indifférent, selon la Cour, de relever que les loteries peuvent participer, de manière significative, au financement d'activités désintéressées ou d'intérêt général telles que les œuvres sociales, les œuvres caritatives, le sport ou la culture.

14. Ainsi qu'il ressort du point 61 du même arrêt, la Cour a considéré que ces particularités justifient que les autorités nationales disposent d'un pouvoir d'appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comportent la protection des joueurs et, plus généralement, compte tenu des particularités socioculturelles de chaque État membre, la protection de l'ordre social, tant en ce qui concerne les modalités d'organisation des loteries et le volume de leurs enjeux que l'affectation des profits qu'elles dégagent. Dans ces conditions, il leur revient d'apprécier non seulement s'il est nécessaire de restreindre les activités des loteries, mais aussi de les interdire, sous réserve que ces restrictions ne soient pas discriminatoires.

15. Même si l'arrêt Schindler porte sur l'organisation des loteries, ces considérations valent également, ainsi qu'il ressort d'ailleurs des termes mêmes du point 60 de cet arrêt, pour les autres jeux d'argent qui présentent des caractéristiques comparables.

16. Certes, dans l'arrêt du 26 juin 1997, Familiapress (C-368-95, Rec. p. I-3689), la Cour a refusé d'assimiler certains jeux aux loteries présentant les caractéristiques examinées dans l'arrêt Schindler. Mais il s'agissait de jeux-concours proposés dans

des magazines sous forme de mots croisés ou d'énigmes, permettant, après tirage au sort, à certains des lecteurs ayant fourni les réponses attendues de gagner des lots. Ainsi que l'a notamment relevé la Cour au point 23 de cet arrêt, de tels jeux, organisés seulement à petite échelle et dont les enjeux sont peu importants, ne constituent pas une activité économique indépendante, mais seulement un élément parmi d'autres du contenu rédactionnel d'une revue.

17. Dans la présente affaire, au contraire, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi qu'il s'agit d'un jeu de hasard et que les appareils en cause au principal offrent, contre paiement spécifiquement destiné à leur utilisation, une espérance de gain en argent. La modestie relative des mises et des lots, invoquée par les appelants au principal, n'empêche nullement, comme l'ont souligné la plupart des Gouvernements intervenants à la présente procédure, que l'exploitation de tels appareils permette de recueillir des sommes considérables, en raison notamment du nombre de joueurs potentiels et de la tendance de la plupart d'entre eux, compte tenu de la brièveté du jeu et de son caractère répétitif, à rejouer un grand nombre de fois.

18. Dans ces conditions, les jeux consistant en l'utilisation contre rémunération de machines à sous telles que celles en cause au principal doivent être considérés comme des jeux d'argent comparables aux loteries visées dans l'arrêt Schindler.

19. Cependant, la présente affaire se distingue de l'affaire Schindler sous différents aspects.

20. Tout d'abord, les activités de loterie en cause dans l'arrêt Schindler ne sont pas relatives à des "marchandises" relevant, comme telles, de l'article 30 du traité, mais doivent être regardées comme des activités de "services", au sens du traité CE (arrêt Schindler, points 24 et 25). En revanche, les machines à sous constituent en elles-mêmes des biens susceptibles de relever de l'article 30 du traité.

21. Ensuite, alors que la législation nationale en cause dans l'arrêt Schindler interdit, sauf exceptions qu'elle détermine, le déroulement des loteries sur le territoire de l'État membre concerné, celle en cause dans la présente affaire n'interdit pas l'utilisation des machines à sous mais réserve leur exploitation à un organisme de droit public bénéficiant d'une autorisation délivrée par l'administration (ci-après l'"organisme public autorisé").

22. Enfin, ainsi qu'il a été relevé dans certaines des observations présentées devant la Cour, d'autres dispositions du traité, telles que celles relatives au droit d'établissement ou aux règles de concurrence, pourraient trouver à s'appliquer à une législation telle que celle en cause au principal.

23. Sur ce dernier point, cependant, la juridiction de renvoi s'étant bornée à ajouter à la mention des articles 30, 36, 59 et 60 du traité, qui figure dans sa troisième question, celle de "tout autre article du traité", sans fournir aucune autre précision

à cet égard, ni dans les motifs ni dans le dispositif de son ordonnance, la Cour n'est pas en mesure de se prononcer sur la question de savoir si d'autres dispositions du traité que celles relatives à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services s'opposent à une législation nationale telle que celle en cause au principal.

24. Concernant, en premier lieu, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, elles peuvent, ainsi qu'il a été relevé au point 20 du présent arrêt, s'appliquer aux machines à sous, qui constituent des biens susceptibles de faire l'objet d'importation ou d'exportation. Certes, de telles machines sont destinées à être mises à la disposition du public en vue de leur utilisation contre rémunération. Mais, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 19 de ses conclusions, la circonstance qu'une marchandise importée est destinée à la prestation d'un service n'est pas, à elle seule, de nature à la soustraire des règles relatives à la libre circulation (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 1997, Commission/Italie, C-158-94, Rec. p. I-5789, points 15 à 20).

25. A cet égard, il convient de relever qu'une législation nationale telle que celle en cause au principal est susceptible, dans la mesure où l'organisme public autorisé est légalement le seul exploitant possible de machines à sous destinées à une utilisation contre rémunération et où il a le droit de fabriquer lui-même de telles machines, d'entraver la libre circulation des marchandises.

26. Toutefois, en l'absence de précisions suffisantes sur les conséquences effectives de la législation en cause sur l'importation des machines à sous, la Cour n'est pas en mesure, dans le cadre de la présente procédure, de se prononcer sur la question de savoir si l'article 30 du traité s'oppose à l'application d'une telle législation.

27. S'agissant, en second lieu, des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services, elles s'appliquent, ainsi que la Cour l'a retenu dans l'arrêt Schindler au sujet de l'organisation des loteries, à une activité qui consiste à permettre aux utilisateurs de participer, contre rémunération, à un jeu d'argent. Partant, une telle activité relève du champ d'application de l'article 59 du traité, dès lors que l'un au moins des prestataires est établi dans un État membre autre que celui dans lequel le service est offert.

28. Ainsi que le relève la juridiction de renvoi, une législation nationale sur les machines à sous telle que la législation finlandaise, en ce qu'elle interdit à toute personne autre que l'organisme public autorisé l'exploitation de ces appareils, ne comporte aucune discrimination selon la nationalité et frappe indistinctement les opérateurs qui pourraient être intéressés par une telle activité, qu'ils soient établis en Finlande ou dans un autre État membre.

29. Cependant, une telle législation, en ce qu'elle empêche les opérateurs des autres États membres, directement ou indirectement, de mettre eux-mêmes des machines

à sous à la disposition du public en vue de leur utilisation contre rémunération, constitue une entrave à la libre prestation des services.

30. Il convient, dès lors, de rechercher si cette atteinte à la libre prestation des services peut être admise au titre des mesures dérogatoires expressément prévues par le traité ou justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d'intérêt général.

31. A cet égard, les articles 55 du traité CE (devenu article 45 CE) et 56 du traité, applicables en la matière en vertu de l'article 66 du traité CE (devenu article 55 CE), admettent les restrictions justifiées par la participation, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique ou par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda, C-288-89, Rec. p. I-4007, points 13 à 15) que les entraves à la libre prestation des services qui découlent de mesures nationales indistinctement applicables ne peuvent être acceptées que si ces mesures sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, si elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles visent et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

32. Selon les indications contenues dans l'ordonnance de renvoi et dans les observations du Gouvernement finlandais, la législation en cause au principal répond au souci de limiter l'exploitation de la passion des êtres humains pour le jeu, d'éviter les risques de délit et de fraude engendrés par les activités correspondantes et de n'autoriser celles-ci qu'afin de recueillir des fonds destinés à des œuvres de bienfaisance ou au soutien de causes désintéressées.

33. Ainsi que la Cour l'a admis au point 58 de l'arrêt Schindler, ces motifs doivent être considérés dans leur ensemble. Ceux-ci se rattachent à la protection des destinataires du service et, plus généralement, des consommateurs ainsi qu'à la protection de l'ordre social, objectifs dont il a déjà été jugé qu'ils étaient au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme des raisons impérieuses d'intérêt général (voir arrêts du 18 janvier 1979, Van Wesemael e.a., 110-78 et 111-78, Rec. p. 35, point 28; du 4 décembre 1986, Commission/France, 220-83, Rec. p. 3663, point 20, et du 24 octobre 1978, Société générale alsacienne de banque, 15-78, Rec. p. 1971, point 5). Encore faut-il que, comme il a été dit au point 31 du présent arrêt, les mesures fondées sur de tels motifs soient propres à garantir la réalisation des objectifs visés et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.

34. Ainsi qu'il a été relevé au point 21 du présent arrêt, la législation finlandaise se distingue de la législation en cause dans l'arrêt Schindler notamment en ce qu'elle n'interdit pas l'utilisation des machines à sous mais réserve leur exploitation à un organisme public autorisé.

35. Toutefois, la détermination de l'étendue de la protection qu'un État membre entend assurer sur son territoire en matière de loteries et autres jeux d'argent fait partie du pouvoir d'appréciation reconnu par la Cour aux autorités nationales au point 61 de l'arrêt Schindler. Il appartient à celles-ci, en effet, d'apprécier si, dans le contexte du but poursuivi, il est nécessaire d'interdire totalement ou partiellement des activités de cette nature ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes.

36. Dans ces conditions, la seule circonstance qu'un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d'incidence sur l'appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière. Celles-ci doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités nationales de l'État membre intéressé et du niveau de protection qu'elles entendent assurer.

37. Le fait que les jeux en cause ne sont pas totalement interdits ne suffit pas, contrairement à ce que soutiennent les appelants au principal, à démontrer que la législation nationale ne vise pas réellement à atteindre les objectifs d'intérêt général qu'elle prétend poursuivre et qui doivent être considérés dans leur ensemble. En effet, une autorisation limitée de ces jeux dans un cadre exclusif, qui présente l'avantage de canaliser l'envie de jouer et l'exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, de prévenir les risques d'une telle exploitation à des fins frauduleuses et criminelles et d'utiliser les bénéfices qui en découlent à des fins d'utilité publique, s'inscrit aussi dans la poursuite de tels objectifs.

38. Il en est de même de la circonstance que les différents établissements dans lesquels sont installées les machines à sous reçoivent de l'organisme public autorisé une part des recettes collectées.

39. Quant à la question de savoir si, pour atteindre ces objectifs, il serait préférable, plutôt que d'octroyer un droit exclusif d'exploitation à l'organisme public autorisé, d'adopter une réglementation imposant aux opérateurs intéressés les prescriptions nécessaires, elle relève du pouvoir d'appréciation des États membres, sous réserve toutefois que le choix retenu n'apparaisse pas disproportionné au regard du but recherché.

40. Sur ce point, il ressort notamment du règlement sur les machines à sous que la RAY, qui est le seul organisme titulaire de l'autorisation d'exploiter ces machines, est une association de droit public dont les activités sont exercées sous le contrôle de l'État et qui doit, ainsi qu'il a été relevé au point 5 du présent arrêt, verser à celui-ci le montant du produit net distribuable résultant de l'exploitation des machines à sous.

41. S'il est vrai que les sommes ainsi perçues par l'État à des fins d'utilité publique pourraient également être obtenues par d'autres moyens, tels que la taxation des activités des différents opérateurs qui seraient admis à les exercer dans le cadre d'une réglementation à caractère non exclusif, l'obligation imposée à l'organisme public autorisé de reverser le produit de son exploitation constitue une mesure certainement plus efficace pour assurer, en raison des risques de délit et de fraude, une stricte limitation du caractère lucratif de telles activités.

42. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que, dans la mesure où elles confient à un seul organisme public des droits exclusifs, les dispositions de la législation finlandaise sur l'exploitation des machines à sous, en tant qu'elles affectent la libre prestation des services, soient disproportionnées au regard des objectifs qu'elle poursuit.

43. Il y a lieu, dès lors, de répondre à la juridiction de renvoi que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne s'opposent pas à une législation nationale qui accorde à un seul organisme public des droits exclusifs d'exploitation des machines à sous, telle que la législation finlandaise, compte tenu des objectifs d'intérêt général qui la justifient.

Sur les dépens

44. Les frais exposés par les Gouvernements finlandais, belge, allemand, espagnol, irlandais, luxembourgeois, néerlandais, autrichien, portugais, suédois et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Vaasan hovioikeus, par ordonnance du 21 mars 1997, dit pour droit:

Les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne s'opposent pas à une législation nationale qui accorde à un seul organisme public des droits exclusifs d'exploitation des machines à sous, telle que la législation finlandaise, compte tenu des objectifs d'intérêt général qui la justifient.