CJCE, 2 février 1989, n° 274-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Koopmans, Joliet
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
Sir Gordon Slynn, MM. Kakouris, Moitinho De Almeida, Rodriguez Iglesias, Diez De Velasco, Zuleeg
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 septembre 1987, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en interdisant l'importation et la commercialisation sur son territoire de produits à base de viande provenant d'autres Etats membres et non conformes aux articles 4 et 5 de la Fleisch-Verordnung (arrêté sur la viande, du 21 janvier 1982, BGBL. I p. 89), la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.
2 Les dispositions de l'arrêté en cause interdisent la commercialisation de produits à base de viande comportant certains ingrédients non carnés, sous réserve d'exceptions prévues pour des produits déterminés dont la composition est définie et moyennant, dans certains cas, des indications précises devant figurer sur les emballages ou sur des écriteaux. L'interdiction de commercialiser ces produits est complétée par l'article 47, paragraphe 1, de la Lebensmittel - und Bedarfsgegenstaendegesetz (loi sur les produits alimentaires et objets d'usage courant) du 15 août 1974 (BGBL. I p. 1945; III 2125-40) qui prohibe l'importation des produits alimentaires non conformes aux normes allemandes. Le respect de ces règles est garanti par des sanctions pénales ou administratives.
3 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
4 Il y a lieu de relever à titre liminaire qu'il n'est pas contesté que la réglementation attaquée exerce un effet restrictif sur les importations de produits à base de viande, légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres Etats membres. Le débat entre les parties porte sur la question de savoir si les mesures en cause sont ou non justifiées par les raisons invoquées par le Gouvernement allemand, à savoir la protection de la santé ainsi que des exigences impératives tenant à la défense des consommateurs, à la loyauté des transactions commerciales et à la politique agricole commune.
5 Il y a lieu de relever également à titre liminaire que la réglementation litigieuse interdit la commercialisation, sur le territoire allemand, des produits en cause sans établir à cet égard une différence de traitement entre les produits nationaux et les produits étrangers. Une telle mesure indistinctement applicable échappe à l'interdiction des mesures d'effet équivalent pour autant qu'elle est nécessaire pour satisfaire à certaines exigences impératives (cf. Notamment l'arrêt du 17 juin 1981, Commission c/ Irlande, 113-80, Rec. p. 1625).
Sur la justification tirée de la protection de la santé, au sens de l'article 36 du traité
6 Avant d'examiner les arguments invoqués à cet égard par le gouvernement défendeur, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, si la santé et la vie des personnes sont au nombre des intérêts protéges par l'article 36 et s'il appartient aux Etats membres de décider dans les limites du traité du niveau auquel ils entendent en assurer la protection, une réglementation nationale ayant un effet restrictif sur les importations n'est compatible avec le traité que dans la mesure où elle est nécessaire aux fins d'une protection efficace de ces intérêts et à la condition que cet objectif ne puisse être atteint par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires (arrêts du 20 mai 1976, de Peijper, 104-75, Rec. p. 613, et du 4 février 1988, Commission c/ Royaume-uni, 261-85, non encore publie).
7 Selon le Gouvernement allemand, l'interdiction d'importation attaquée est justifiée par des raisons de protection de la santé au sens de l'article 36 du traité, car elle serait nécessaire pour garantir à la population un apport suffisant de certaines substances alimentaires essentielles, contenues dans la viande, notamment les protéines.
8 A cet égard, il convient de relever d'emblée que cet argument est contredit par des éléments qui résultent des rapports sur l'alimentation publiés en 1980 et 1984 par le Gouvernement allemand lui-même. En effet, il ressort de ces rapports que l'approvisionnement en protéines de la population allemande est en général largement suffisant et que, même pour certains groupes de la population, notamment les jeunes, pour lesquels cet approvisionnement est inférieur aux quantités recommandées, cette circonstance ne présente pas de danger pour la santé, compte tenu des marges de sécurité que comportent les recommandations intervenues en la matière.
9 Il ressort également des rapports précités que certains des ingrédients carnés contiennent des substances nocives telles que la purine, la cholestérine et les acides gras saturés; aussi ces rapports expriment-ils une inquiétude certaine de voir éventuellement augmenter la consommation de viande et de produits à base de viande.
10 Enfin, en ce qui concerne l'argument du Gouvernement défendeur tiré de ce que les protéines végétales auraient une valeur nutritive inférieure à celle des protéines animales, il convient de souligner que, comme la Cour l'a déjà admis dans son arrêt du 23 février 1988 (Commission c/ France, 216-84, non encore publié), un Etat membre ne saurait invoquer des raisons de santé publique pour interdire l'importation d'un produit au motif que celui-ci aurait une valeur nutritive inférieure à celle d'un autre produit qui se trouve déjà sur le marché concerné, car il est évident que le choix alimentaire des consommateurs dans la Communauté est tel que la seule circonstance qu'un produit importé soit d'une qualité nutritive inférieure n'entraîne pas un danger réel pour la santé humaine.
11 Il résulte de ce qui précède que l'interdiction d'importation contestée ne peut pas être justifiée par des raisons tenant à la protection de la santé, au sens de l'article 36 du traité.
Sur la justification tirée des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs
12 Le Gouvernement défendeur soutient que l'interdiction d'importation contestée est nécessaire pour une protection efficace des consommateurs allemands qui, compte tenu des habitudes alimentaires datant de plusieurs dizaines d'années, se seraient formes une image précise de ce qu'ils attendent des produits à base de viande, à savoir que ceux-ci doivent être composés exclusivement ou essentiellement de viande et correspondre aux normes de qualité définies aux articles 4 et 5 de l'arrêté sur la viande.
13 A cet égard, il convient de rappeler que, comme la Cour l'a souligné à maintes reprises (notamment dans les arrêts du 12 mars 1987, Commission c/ Allemagne, 178-84, et du 14 juillet 1988, Drei Glocken, 407-85, non encore publiés), s'il est certes légitime de vouloir donner aux consommateurs qui attribuent des qualités particulières à certains produits la possibilité d'opérer leur choix en fonction des critères qu'ils considèrent comme essentiels, pareille possibilité peut être assurée par des moyens qui n'entravent pas l'importation de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres Etats membres, et notamment par l'apposition obligatoire d'un étiquetage adéquat concernant la nature du produit vendu.
14 Il est vrai que, en ce qui concerne les produits à base de viande, l'indication de tous les ingrédients peut poser des problèmes lorsque ces produits sont vendus en vrac ou portés sur les cartes des restaurants. Il convient néanmoins d'observer qu'il résulte de la directive 79-112 du Conseil sur l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires (JO 1979 L 33, p. 1), notamment de son article 12, que les Etats membres sont autorisés à déterminer les modalités d'étiquetage des denrées alimentaires présentées non préemballées au consommateur final, de façon à assurer à celui-ci les informations essentielles pour son choix et à éviter de créer une confusion par des indications trop détaillées.
15 Par ailleurs, ainsi que la Commission l'a relevé, à juste titre, le problème de l'étiquetage, dans de telles situations, a été déjà pris en considération par les dispositions de l'arrêté allemand sur la viande, notamment par son article 5, paragraphe 2, qui prévoit, en ce qui concerne les produits exceptés de l'interdiction de commercialisation, un régime special d'étiquetage en cas de vente en vrac et, plus particulièrement, dans des restaurants ou des établissements de restauration collective.
16 Il s'ensuit que l'interdiction d'importation contestée ne peut pas être justifiée par des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs.
Sur la justification tirée des exigences impératives tenant à la loyauté des transactions commerciales
17 Le Gouvernement allemand soutient encore que l'interdiction d'importation attaquée constitue une mesure nécessaire pour la protection des producteurs et des distributeurs de produits carnés purs contre une concurrence déloyale résultant de ce que certains opérateurs économiques pourraient s'assurer des avantages concurrentiels en utilisant des produits de moindre qualité à un coût inférieur, sans que les différences de fabrication soient apparentes pour le consommateur.
18 A cet égard, il suffit de constater que cet argument, fondé sur le défaut d'information du consommateur, a déjà été rejeté ci-dessus.
19 Il s'ensuit que l'interdiction d'importation contestée ne peut pas être justifiée par des exigences impératives tenant à la loyauté des transactions commerciales.
Sur la justification tirée des exigences impératives tenant à la politique agricole commune
20 Le Gouvernement allemand soutient enfin que l'interdiction d'importation contestée est nécessaire pour satisfaire à certaines exigences impératives tenant à la politique agricole commune, notamment à l'objectif de stabilisation des marchés visé par les organisations communes de marché dans les secteurs de la viande de boeuf et de porc.
21 Cette argumentation ne peut pas davantage être retenue. Comme la Cour l'a admis dans les arrêts du 23 février 1988 et du 14 juillet 1988 (216-84 et 407-85, précités), dès lors que la Communauté a établi une organisation commune de marché dans un secteur déterminé, les Etats membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure unilatérale, même si celle-ci est de nature à servir de soutien à la politique commune.
22 Il ressort en outre de ces arrêts que des mesures nationales, même soutenant une politique commune de la Communauté, ne peuvent aller à l'encontre d'un des principes fondamentaux de la Communauté, en l'occurrence celui de la libre circulation des marchandises, sans être justifiées par des raisons reconnues par le droit communautaire. Or, il a été constaté ci-dessus que tel n'est pas le cas des normes visées en l'espèce.
23 Il résulte de tout ce qui précède que le manquement est établi. Il y a donc lieu de constater qu'en interdisant l'importation et la commercialisation sur son territoire de produits à base de viande provenant d'autres Etats membres et non conformes aux articles 4 et 5 de la Fleisch-Verordnung, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.
Sur les dépens
24 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombe en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1. En interdisant l'importation et la commercialisation sur son territoire de produits à base de viande provenant d'autres Etats membres et non conformes aux articles 4 et 5 de la Fleisch-Verordnung, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.
2. La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.