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Décisions

Cass. 1re civ., 13 mai 1986, n° 84-14.026

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lluansi (Sté)

Défendeur :

BGLM (Sté), Sohier, Société des Forges d'Haironville (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Joubrel

Rapporteur :

M. Viennois

Avocat général :

M. Gulphe

Avocats :

SCP Labbé, Delaporte, Mes Boulloche, Odent

Reims, du 4 avr. 1984

4 avril 1984

LA COUR : - Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu'en 1970, la société Lluansi, aux droits de laquelle se trouve maintenant la société civile particulière Le Moulin du Fardier, a confié à M. Sohier, architecte, et à la société Berdeaux, Gayer, Lion, Migeot, Perrier (société BGLM) la construction d'une usine de bouchons ; que les parois et les plafonds du bâtiment ont été revêtus d'un bardage de plaques de tôle recouvertes sur leur face interne de mousse de polyuréthane ; que ces plaques et leur revêtement avaient été commandés par la société BGLM à la Société des Forges d'Haironville qui en était le fabricant et le vendeur ; que la notice technique précisait que cette mousse était " auto-extinguible " ; que la construction du bâtiment a été achevée en décembre 1971 ; que, le 21 juin 1972, un ouvrier de l'usine ayant laissé tomber accidentellement un sac de poussière de liège à proximité du brûleur d'un séchoir, un dard de flamme a atteint le bardage ; que le feu s'est rapidement propagé sur toute la surface de celui-ci et a provoqué, en quelques minutes, l'embrasement et la ruine de la totalité de l'édifice ; que la société Lluansi a assigné M. Sohier, la société BGLM et la Société des Forges d'Haironville en réparation de son préjudice ; qu'avant dire droit, le tribunal de grande instance a ordonné une mesure d'expertise aux fins de rechercher les causes de l'incendie et de son extension ; qu'après dépôt du rapport d'expertise, la société Lluansi a soutenu que la Société des Forges d'Haironville, fabricant et vendeur d'un produit dangereux, avait manqué à son obligation de renseigner l'acquéreur sur les risques de la chose vendue ; que le tribunal de grande instance a débouté la société Lluansi de son action contre M. Sohier et la société BGLM et, retenant la violation par la Société des Forges d'Haironville de son obligation de renseignement, a mis à sa charge la réparation des neuf dixièmes du préjudice, le surplus demeurant à la charge de la société Lluansi ; qu'en cause d'appel, la compagnie Union des Assurances de Paris (UAP) est intervenue pour demander le remboursement de l'indemnité versée à son assuré, la société Lluansi ;

Attendu que la Société des Forges d'Haironville reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée entièrement responsable des conséquences dommageables de l'incendie et de l'avoir condamnée à payer à l'UAP la somme de 795 200 F et à la SCP le Moulin du Fardier la somme de 1 711 320 F, valeur 1980, à actualiser, alors, selon le moyen, d'une part, que dans la notice technique sur la mousse de polyuréthane remise à la société BGLM le fabricant-vendeur invitait les acquéreurs à solliciter de son bureau d'études des renseignements complémentaires, de sorte qu'en reprochant néanmoins à la Société des Forges d'Haironville de n'avoir pas rempli son obligation de " provoquer, en tant que de besoin, des demandes de renseignements complémentaires " et d'avoir diffusé une notice " imprécise et insuffisante ", la cour d'appel a dénaturé " par omission " ce document dont les termes comportaient une invitation claire et précise ; alors, d'autre part, que la qualification " auto-extinguible " utilisée dans la notice ne pouvait s'appliquer qu'à un produit inflammable et qu'ainsi, en aucun cas, la commande de ce produit n'aurait pu laisser présumer à son fabricant que le maître de l'ouvrage cherchait à se prémunir contre des risques de propagation d'incendie, l'importance de la commande ne révélant rien d'autre que celle de la superficie de la couverture envisagée, de sorte que l'arrêt attaqué est privé de base légale au regard des articles 1134, 1135 et 1147 du Code civil et alors, enfin, qu'ayant constaté que la société BGLM avait tenu la Société des Forges d'Haironville dans l'ignorance de l'usage qu'elle entendait faire des plaques de tôle destinées à la construction d'une usine où se trouve une matière de nature à s'enflammer facilement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en ne retenant pas de faute à la charge de la société BGLM, acheteur professionnel, qui avait manqué à son " obligation de dialogue " avec son vendeur ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel relève que la notice diffusée par la Société des Forges d'Haironville auprès de sa clientèle ne révélait pas le caractère facilement inflammable de la mousse de polyuréthane, ne donnait aucun conseil particulier quant à son utilisation et se bornait à attirer l'attention des utilisateurs éventuels sur la qualité de bon isolant thermique de ce matériau et sur son caractère " auto-extinguible ", laconiquement défini comme " ne propageant pas la flamme " ; que, par ces énonciations, les juges du second degré ont souverainement estimé, en dehors de toute dénaturation, qu'un tel document était imprécis et insuffisant ;

Attendu, ensuite, qu'après avoir relevé qu'il appartenait à la Société des Forges d'Haironville, tenue en tant que fabricant de connaître le caractère facilement inflammable de la mousse, d'informer suffisamment son cocontractant acheteur sur les risques et les limites d'utilisation de ce matériau, la cour d'appel a pu estimer que la société BGLM n'avait commis aucune faute en faisant confiance à la notice du fabricant, " une mousse annoncée comme étant " auto-extinguible " devant nécessairement présenter la propriété de ne pas propager la flamme dès cessation du contact, accidentel ou non d'un dard de flamme, qualité déterminante pour les constructeurs d'une usine où se trouve traitée une matière susceptible de s'enflammer facilement " ; que par ces motifs qui impliquent que la société BGLM n'avait pas à se concerter spécialement avec le fabricant, abstraction faite de celui critiqué par la deuxième branche du moyen qui est surabondant, la cour d'Appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit qu'en aucune de ses trois branches le moyen n'est fondé ;

Sur le second moyen : - Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel d'avoir statué ainsi qu'il a été dit, alors, selon le moyen, que tout antécédent nécessaire d'un dommage est causal et que, s'il constitue une faute, il entraîne la responsabilité de son auteur à moins que cette faute soit absorbée par celle beaucoup plus importante imputée à un auteur distinct ; que, malgré ses constatations d'où résultait que la société Lluansi avait concouru à la réalisation de son propre dommage, tant par la maladresse de son préposé que par la violation volontaire des dispositions du permis de construire, la cour d'appel, qui a implicitement décidé que les fautes du maître de l'ouvrage avaient été absorbées par celle retenue à l'encontre du fabricant-vendeur, sans constater que les deux fautes du premier, dont l'une était volontaire, eussent été beaucoup moins graves que la faute unique du second a privé sa décision de base légale ;

Mais attendu, en premier lieu, que s'il est exact que la cour d'appel a relevé que les experts avaient établi que l'incendie avait été engendré par un " incident mineur " résultant de la chute accidentelle d'un sac de poussière de liège, elle énonce que les experts, dont elle adopte les conclusions, ont estimé que la combustion d'une fine pellicule de poussière déposée à la surface de la mousse de polyuréthane " n'aurait pu, en aucun cas, prendre la vitesse constatée par les témoins " et que la cause de la " propagation foudroyante de l'incendie " réside dans le caractère particulièrement inflammable de la mousse de polyuréthane ; qu'en second lieu, les juges du second degré n'ont nullement constaté une violation du permis de construire de la part de la société Lluansi, mais se sont bornés à observer que la Société des Forges d'Haironville n'était pas fondée à reprocher au maître de l'ouvrage le choix d'un matériau dont elle vantait les qualités dans sa notice ; que, par ces énonciations, la cour d'appel a expressément écarté l'existence de toute faute de la part de la société Lluansi, justifiant ainsi légalement sa décision quant à la responsabilité exclusive des Forges d'Haironville dans la réalisation du sinistre ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.