CA Paris, 2e ch. A, 7 mars 1989, n° 87-020331
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Vogelhut (Epoux)
Défendeur :
Financière et de copropriété Sagicop
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schroeder
Avocat général :
M. Paire
Conseillers :
Mmes Gouvernel, Duvernier
Avoués :
Me Ribaut, SCP Regnier Sevestre Regnier
Avocats :
Mes Halimi, Franchon
Par jugement du 28 octobre 1987 le Tribunal de grande instance de Paris a débouté les époux Vogelhut et la société Financière et de copropriété dite Sagicop de leurs demandes respectives, laissent à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Appelants de ce jugement dont ils poursuivent la réformation, les époux Vogelhut font valoir :
1°) qu'ils ont accepté les 22 novembre et 13 décembre 1985 l'offre de vente de l'appartement dont ils sont locataires qui leur a été adressée le 22 novembre 1985 par le propriétaire, la société Sagicop, moyennant le prix de 268 000 F et que la vente est devenue parfaite entre les parties ;
2°) que contrairement à ce qui a été jugé en première instance ils avaient consigné entre les mains du Notaire Me Blanchet le 20 janvier 1986, jour fixé pour la réitération de la vente en forme authentique, le montent du prix de vente et celui de la provision sur frais soit au total 298 000 F.
Aussi invitent-ils la Cour à dire que les parties seront tenues de régulariser la vente devant notaire dans les deux mois de la signification de l'arrêt et qu'à défaut, l'arrêt à intervenir vaudra titre d'acquisition, à ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au Bureau des Hypothèques compétent, les biens vendue comprenant le lot n° 22 et le lot n° 160 du règlement de copropriété du groupe d'immeubles sis à Paris 1°, 9, 11 et 11 bis rue des Halles, 22 rue des Lavandières Sainte Opportune, 2 à 8, rue du Plat d'Etain et 6, rue des Déchargeurs cadastré :
- Section 0102 A0 n° 101, lieu dit rue des Halles n° 9, rue des Lavandières Sainte Opportune n° 27, rue du Plat d'Etain n° 2 pour une contenance de 2 à 39 ca,
- Section 0102 AO n° 100, lieudit rue des Halles n° 11, rue du Plat d'Etain n° 4 et 6 pour une contenance de 5 à 9 ca
- Section 0102 A0 n° 99, Lieudit rue des Halles n° 11 bis, rue du Plat d'Etain n° 8 et rue des Déchargeurs n° 6 pour une contenance de 3 à 94 ca,
à condamner la société Sagicop su paiement des sommes de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à la débouter de toutes ses prétentions et à la condamner aux dépens.
Pour sa part, la société Sagicop soutient : 1°) que l'offre de vente faite aux époux Vogelhut conformément eux dispositions de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 au prix de 268 000 F résulte d'une erreur de plume alors que le prix proposé était de 468 000 F et que l'attention des destinataires de l'offre a été attirée sur cette erreur par téléphone et par un acte rectificatif de l'huissier qui avait procédé à la notification de l'offre de vente dès le 28 novembre 1985, six jours après l'exploit contenant l'erreur de plume ;
2°) que les locataires n'ont pu se méprendre sur le montent du prix demandé alors que quelques mois plutôt la vente de l'appartement leur avait été offerte au prix de 470 000 F ;
3°) qu'une vente au prix de 268 000 F n'était pas possible alors que le bien était grevé dune hypothèque pour un montant de 423 000 F;
4°) que les époux Vogelhut ont omis de consigner chez le notaire dans les deux mois de leur acceptation la totalité du prix de vente et des frets, s'étant gardés d'indiquer qu'ils entendaient recourir à un prêt ;
5°) qu'elle subit un grave préjudice financier résultant de l'impossibilité de vendre le bien au prix de 468 000 F fixé dans une promesse de vente du 24 décembre 1987 et des charges financières qu'elle doit supporter.
C'est pourquoi elle demande à la cour de confirmer le jugement attaqué et y ajoutant de condamner les époux Vogelhut à lui payer en dédommagement de l'immobilisation d'un capital de 460 000 F les intérêts au taux de 14,50 % de ce capital à partir du 22 novembre 1985 jusqu'à décision définitive, d'ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du Code civil, de condamner les époux Vogelhut au paiement des sommes de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
LA COUR,
Considérant que par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 juin 1985, la société Sagicop propriétaire d'un appartement et une cave 11 bis rue des Halles à Paris 1°, faisait notifier aux occupants les époux Vogelhut conformément è l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 et au décret du 30 juin 1977 modifié par l'article 81 de la loi du 22 juin 1982, son intention de vendre cas biens moyennent le prix principal de 470 000 F afin de leur permettre d'exercer le cas échéant leur droit de préemption ;
Considérant que par lettre du 3 juillet 1985, non produite aux débats, les époux Vogelhut répondaient qu'en raison du grave état de santé du mari, ils étaient dans l'impossibilité de répondre positivement à l'offre de vente de la société Sagicop ;
Considérant cependant que par une lettre du 28 août 1985, les époux Vogelhut informaient la société Sagicop qu'ils se portaient acquéreurs de l'appartement mais pour une somme qui restait à discuter, le prix de 470 000 F leur paraissant trop élevé ;
Considérant que, par acte de Charles Audrant, Huissier de Justice, en date du 22 novembre 1985, la société Sagicop faisait notifier de nouveau aux époux Vogelhut, en vertu de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 et du décret du 30 juin 1977 modifié par l'article 81 de la loi du 22 juin 1982, son intention de vendre l'appartement qu'ils occupaient au prix principal de 268 000 F afin de leur permettre d'exercer le cas échéant leur droit de préemption ;
Considérant que par lettre recommandée avec accusé de réception du même jour adressée à l'huissier Audrant, les époux Vogelhut déclaraient se porter acquéreurs de l'appartement 11 bis, rue des Halles pour le prix demandé soit 268 000 F ;
Considérant que, par acte rectificatif du même huissier en date du 28 novembre 1985, la société Sagicop faisait notifier eux époux Vogelhut une offre de vente au prix de 468 000 F, leur déclarant que le prix de 268 000 F indiqué dans l'acte du 22 novembre 1985 résultait d'une simple erreur de plume et qu'il fallait lire celui de 468 000 F ;
Qu'en conséquence la levée de l'option était considérée par elle comme nulle et non avenue
Considérant que par lettre datée du 13 novembre 1985 mais en réalité du 13 décembre 1985, les époux Vogelhut confirmaient en tant que de besoin leur acceptation d'achat du 22 novembre précédent au prix de 268 000 F, précisant qu'ils invitaient leur Notaire Me Blanchet à entrer en rapport avec le Notaire de la société pour préparer l'acte de vente qui devrait intervenir le 22 janvier 1986 au plus tard et qu'ils étaient à se disposition pour régulariser l'acte à la date de se convenance ;
Considèrent que, par acte d'huissier du 16 janvier 1986, les époux Vogelhut faisaient sommation à la société Sagicop de comparaître en l'étude de René Blanchet et Dominique Destrem, Notaires associés à Paris, le 20 janvier 1986 à 11 heures à l'effet de régulariser l'acte authentique de vente conformément aux dispositions de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975, précisant que faute d'obéir à la sommation, il en serait dressé procès-verbal et qu'ils étaient déterminés à poursuivre en justice la réalisation de la vente promise et à réclamer des dommages-intérêts en cas de résistance abusive ;
Considérant que, par acte d'huissier du 30 janvier 1986, la société Sagicop faisait protestation à sommation, en rappelant aux époux Vogelhut que le vente de l'appartement qu'ils occupaient leur avait été offerte au prix de 468 000 F et non de 268 000 F comme indiqué par une erreur de plume et en affirmant que le sommation du 16 janvier 1986 ne saurait produire aucun effet ;
Considérant que le 20 janvier 1985, les époux Vogelhut comparaissant en l'étude de Me Blanchet lui déclaraient qu'ils avaient obtenu le 7 janvier 1986 une offre de prêt de la somme de 215 000 F du Crédit Industriel et Commercial qu'ils avaient acceptée le 17 janvier et versaient en la Caisse du Notaire une somme de 83 000 F représentant le complément du prix soit 53 000 F et les frais évalués à 30 000 F, se disant prêts à réaliser la vente à leur produit ;
Que faute de comparution de la société Sagicop, le Notaire prononçait défaut contre elle et dressait procès-verbal ;
Considérant que, par exploit du 10 septembre 1986, les époux Vogelhut faisaient assigner le société Financière et de Copropriété (Sagicop) devant le Tribunal de grande instance de Paris afin de faire déclarer la vente parfaite au prix de 218 000 F, dire que le jugement à intervenir vaudrait titre d'acquisition à leur profit de l'appartement 11 bis, rue des Halles à Paris 1°, de se faire donner acte de leur offre de payer la somme de 218 000 F à la Sagicop et de la faire condamner au paiement des sommes de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur la demande en réalisation de vente forcée
Considérant qu'aux termes de l'article 1583 du Code civil, le vente est parfaite entre les parties et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur dès qu'on est convenu de la chose et du prix quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ;
Mais considérant que ce texte exige pour son application un consentement mutuel du vendeur et de l'acheteur sur les conditions de la vente ;
Considérant qu'au cas où le consentement d'une des parties est entaché d'un vice, notamment d'une erreur, il n'y a pas d'accord valable entre elles malgré l'apparence trompeuse d'un consentement réciproque ;
Considérant qu'en l'occurrence il est manifeste que l'offre de vente au prix de 268 000 F faite aux époux Vogelhut le 22 novembre 2985 résulte d'une erreur de la société Sagicop ou de son mandataire ;
Considérant en effet que moins de cinq mois auparavant, une première offre avait été faite au prix de 470 000 F ;
Que de la seule comparaison des prix de vente successifs, il s'infère que le second est erroné compte tenu de sa considérable disproportion avec le premier sinon de son montant dérisoire en comparaison de la nature du bien ;
Considérant que de surcroît l'immeuble était grevé d'une créance hypothécaire d'un montant bien supérieur au prix supposé ;
Qu'il eut été inconcevable que le vendeur le cédât à ce prix alors qu'il resterait tenu de payer à son créancier l'excédent de sa dette et qu'au demeurant le créancier hypothécaire, compte tenu de la modicité du prix, ne manquerait pas de requérir la mise de l'immeuble aux enchères et adjudications publiques ;
Considérant qu'il importe peu dans la notification du 22 novembre 1985 le prix de 268 000 F écrit d'abord en chiffres ait été répété en lettres, la répétition d'une erreur n'étant pas de nature à purger les vices qu'elle contient ;
Considérant d'ailleurs que les époux Vogelhut, dans le dispositif de leur propre assignation, mentionnent eux-mêmes, à deux reprises, à l'appui de leur demande de réalisation de la vente, un prix inexact de 218 000 F ;
Qu'ils ne peuvent faire grief à la société Sagicop d'une erreur de prix à laquelle ils sont également sujets ;
Considérant, au surplus, que, constatant l'erreur commise, la société venderesse l'a réparée au plus tôt en faisant notifier aux occupants de l'appartement six jours après la notification défectueuse une notification rectificative annulant la précédente et levant toute équivoque sur le prix demandé ;
Et considérant que la vente ayant pour motif déterminant le recherche d'un juste prix de la part des parties et spécialement du vendeur, l'erreur grossière commise par celui-ci sur le montant du prix demandé et la substitution au prix véritable d'un prix entièrement disproportionné, exclusives de tout accord valable sur la chose et sur le prix, constituent une cause de nullité de le vente en altérant la substance même de la convention prévue ;
Considérant dès lors qu'en substituant les motifs ci-dessus aux motifs des premiers juges, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux Vogelhut de leur action en réalisation de vente forcée ;
Sur les autres demandes
Considérant que le société Sagicop n'est pas fondée à demander réparation aux époux Vogelhut de l'immobilisation du prix de vente et des frais financiers consécutifs alors que cette immobilisation et ces frais sont la conséquence d'une erreur du vendeur qui lui est imputable quoiqu'elle ne permette pas aux acheteurs d'en tirer tout le parti escompté ;
Considérant d'autre part qu'il n'est pas établi que les parties ou l'une d'elles aient fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour la défense de leurs intérêts et de relever appel de la décision qui leur fait grief ;
Que leurs demandes réciproques de dommages-intérêts seront rejetées ;
Considérant que l'équité ne commande pas de foire application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que les demandes formées de ce chef seront également rejetées ;
Considérant enfin que chacune des parties succombant partiellement, elles conserveront toutes les deux la charge de leurs propres dépens ;
Par ces motifs, Substitués à ceux des premiers juges, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Déboute les parties de toutes leurs demandes ; Dit que chacune d'elles conservera la charge de ses propres dépens d'appel.