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Décisions

CJCE, 6e ch., 24 septembre 2002, n° C-255/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Grundig Italiana SpA

Défendeur :

Ministero delle Finanze

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Macken

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Gulmann, Puissochet, Schintgen, Cunha Rodrigues

Avocats :

Me Giammarco, De Bellis.

CJCE n° C-255/00

24 septembre 2002

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 6 juin 2000, parvenue à la Cour le 26 juin suivant, le Tribunale di Trento a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation des principes du droit communautaire en matière de répétition de l'indu.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Grundig Italiana SpA (ci-après "Grundig Italiana") au Ministero delle Finanze (ci-après le "ministère des Finances"), au sujet du remboursement de sommes versées au titre de la taxe de consommation sur les produits audiovisuels et photo-optiques (ci-après la "taxe de consommation"), instituée par l'article 4 du décret-loi n° 953, du 30 décembre 1982 (GURI n° 359, du 31 décembre 1982, p. 9570), ultérieurement remplacé par la loi n° 53, du 28 février 1983 (GURI, supplément ordinaire au n° 58, du 1er mars 1983, publiée dans une version consolidée à la GURI n° 65, du 8 mars 1983, p. 1798, ci-après la "loi n° 53-1983").

Le contexte factuel et juridique du litige au principal et la question préjudicielle

3 La taxe de consommation a été perçue du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1992. Grundig Italiana a demandé, par acte signifié le 22 juillet 1993, le remboursement des sommes versées à ce titre pendant cette période pour des produits audiovisuels provenant d'autres États membres que la République italienne, à savoir essentiellement de la République fédérale d'Allemagne.

4 Le litige au principal a déjà fait l'objet d'une question préjudicielle du Tribunale di Trento à la Cour, qui a donné lieu à l'arrêt du 17 juin 1998, Grundig Italiana (C-68-96, Rec. p. I-3775).

5 La juridiction de renvoi demandait alors:

"L'article 95 du traité CE doit-il être interprété en ce sens qu'il interdit à un État membre d'instituer et de percevoir une taxe de consommation telle que celle prévue par l'article 4 du décret-loi du 30 décembre 1982, ratifié par la loi n° 53 du 28 février 1983 et dont les modalités d'application sont régies par le décret du ministre des Finances du 23 mars 1983, lorsque la base imposable est différente pour les produits nationaux et pour les produits importés d'autres États membres et que les modalités de perception de la taxe sont différentes pour les mêmes produits?"

6 La Cour a répondu:

"L'article 95 du traité CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre institue et perçoive une taxe de consommation pour autant que la base imposable et les modalités de perception de l'impôt sont différentes pour les produits nationaux et pour les produits importés d'autres États membres."

7 À la suite de cette réponse de la Cour, Grundig Italiana a sollicité du Tribunale di Trento la reprise de l'instance.

8 Le ministère des Finances a toutefois opposé à Grundig Italiana la tardiveté de sa demande de remboursement pour une partie des sommes réclamées.

9 L'article 2033 du Code civil italien dispose que "[q]uiconque a effectué un paiement indu a droit de récupérer ce qu'il a payé [...]". L'article 2946 du même Code prévoit que, "[s]auf dans les cas où la loi en dispose autrement, les droits s'éteignent par prescription passé un délai de dix ans".

10 L'article 4, dernier paragraphe, de la loi n° 53-1983 dispose:

"Le droit au remboursement de l'impôt indûment versé expire au terme d'un délai de cinq ans à compter de la date du paiement."

11 Aux termes de l'article 91, premier alinéa, du texte unique des dispositions législatives en matière douanière, approuvé par le décret n° 43 du président de la République, du 23 janvier 1973:

"Le contribuable a droit au remboursement des sommes payées en trop en raison d'erreurs de calcul lors de la liquidation ou en raison de l'application d'un droit différent de celui fixé par le tarif douanier pour la marchandise décrite lors de l'évaluation de l'impôt à condition qu'il en fasse la demande dans le délai péremptoire de cinq ans à compter de la date du paiement et que la demande soit accompagnée de la quittance originale prouvant le paiement."

12 La loi n° 428, du 29 décembre 1990, portant dispositions en vue de l'application des obligations découlant de l'appartenance de l'Italie aux Communautés européennes (loi communautaire pour l'année 1990) (GURI, supplément ordinaire, n° 10, du 12 janvier 1991, p. 5, ci-après la "loi n° 428-1990"), est entrée en vigueur le 27 janvier 1991. Son article 29, paragraphe 1, dispose:

"Le délai quinquennal de forclusion prévu à l'article 91 du texte unique des dispositions législatives en matière douanière, approuvé par le décret n° 43 du président de la République, du 23 janvier 1973, doit être entendu comme s'appliquant à toutes les demandes et actions visant au remboursement des sommes payées en relation avec des opérations douanières. À compter du 90e jour suivant la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le délai précité [est réduit] à trois ans."

13 C'est sur le fondement de cet article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 que le ministère des Finances entend faire déclarer forclose l'action au principal en tant qu'elle concerne les taxes versées plus de trois ans avant son introduction, à savoir celles versées avant le 22 juillet 1990. À titre subsidiaire, ledit ministère a opposé le délai de prescription de cinq ans, prévu à l'article 4, dernier paragraphe, de la loi n° 53-1983. Le Tribunale di Trento a d'ores et déjà donné satisfaction au ministère des Finances sur ce dernier plan.

14 La juridiction de renvoi doute en revanche de la compatibilité avec les principes du droit communautaire en matière de répétition de l'indu du délai de forclusion de trois ans prévu à l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990, en tant qu'il est opposé à une demande portant sur le remboursement de sommes qui ont été versées avant son entrée en vigueur.

15 Il convient de rappeler que les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 ont déjà suscité des questions préjudicielles à la Cour, qui ont donné lieu aux arrêts du 17 novembre 1998, Aprile (C-228-96, Rec. p. I-7141), et du 9 février 1999, Dilexport (C-343-96, Rec. p. I-579).

16 Ainsi, au point 1 du dispositif de l'arrêt Aprile, précité, la Cour a dit pour droit:

"Le droit communautaire ne s'oppose pas à l'application d'une disposition nationale tendant à substituer, pour l'ensemble des actions en remboursement en matière douanière, un délai spécial de forclusion, de cinq puis de trois ans, au délai ordinaire de prescription, de dix ans, prévu pour l'action en répétition de l'indu, dès lors que ce délai de forclusion, qui est analogue à celui déjà prévu pour différentes impositions, s'applique de la même manière aux actions en remboursement qui sont fondées sur le droit communautaire et à celles qui sont fondées sur le droit interne."

17 La Cour a également jugé ce qui suit au point 1 du dispositif de l'arrêt Dilexport, précité:

"Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que des dispositions nationales soumettent le remboursement de droits de douane ou d'impositions contraires au droit communautaire à des conditions de délai et de procédure moins favorables que celles prévues pour l'action en répétition de l'indu entre particuliers, dès lors que ces conditions s'appliquent de la même manière aux actions en remboursement qui sont fondées sur le droit communautaire et à celles qui sont fondées sur le droit interne et ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l'exercice du droit au remboursement."

18 La Cour a toutefois fourni ces réponses en se fondant sur la prémisse selon laquelle les juridictions italiennes interprétaient l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 comme permettant encore d'introduire dans un délai de trois ans à compter de l'entrée en vigueur du nouveau délai de forclusion une demande de remboursement portant sur des sommes versées avant cette entrée en vigueur.

19 Au point 42 de l'arrêt Dilexport, précité, qui est rédigé en des termes analogues à ceux du point 28 de l'arrêt Aprile, précité, la Cour a indiqué ce qui suit:

"[...] la disposition litigieuse fixe un délai suffisant pour garantir l'effectivité du droit au remboursement. À cet égard, il ressort des observations écrites et orales présentées devant la Cour que les juridictions italiennes, y compris la Corte suprema di cassazione elle-même, ont interprété cette disposition en considérant qu'elle permettait d'introduire la demande dans les trois ans suivant son entrée en vigueur. Dans ces conditions, ladite disposition ne peut être regardée comme ayant effectivement une portée rétroactive."

20 La juridiction de renvoi a connaissance des arrêts Aprile et Dilexport, précités. Cependant, tout comme le ministère des Finances, elle considère que l'application du droit national conduit à une solution différente de celle retenue comme prémisse par la Cour dans lesdits arrêts en ce qui concerne les actions introduites à partir du 27 avril 1991, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur du délai de trois ans, elle-même fixée 90 jours après l'entrée en vigueur de la loi n° 428-1990. Se référant à l'arrêt de la Corte suprema di cassazione n° 414, du 15 janvier 1992, la juridiction de renvoi juge en effet que, en vertu du droit national, si le nouveau délai de forclusion de trois ans ne peut s'appliquer aux actions déjà engagées à la date de son entrée en vigueur, en revanche il doit s'appliquer aux actions non encore engagées à cette date, même si elles portent sur des sommes versées antérieurement à celle-ci, et doit être décompté à partir du versement de ces sommes.

21 Dès lors, la juridiction de renvoi se demande si, premièrement, la réduction à trois ans du délai d'action pour l'exercice de droits nés avant cette réduction, deuxièmement, le changement de nature de ce délai (qui, de délai de prescription pouvant être interrompu et non susceptible d'être soulevé d'office, serait devenu un délai de forclusion ne pouvant pas être interrompu et susceptible d'être soulevé d'office) et, troisièmement, la limitation à 90 jours de la période transitoire pendant laquelle les actions liées à ces droits pouvaient encore être intentées dans l'ancien délai de prescription ne méconnaissent pas le principe d'effectivité. Elle indique que ce principe s'impose aux modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, afin que ces modalités ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice de tels droits.

22 La juridiction de renvoi souligne que la Cour a jugé en lui-même raisonnable un délai de forclusion de trois ans, de même qu'un délai de forclusion d'un an, mais estime nécessaire, au regard de la période transitoire de 90 jours précédant en l'espèce la réduction du délai, de poser la question préjudicielle suivante:

"Une disposition législative nationale (l'article 29, premier alinéa, in fine, de la loi n° 428, du 29 décembre 1990) prévoyant une période transitoire de 90 jours, au cours de laquelle, pour échapper à la forclusion triennale rétroactive introduite à la place de la prescription quinquennale applicable auparavant, le titulaire d'une action en répétition de l'indu communautaire née du fait de paiements exécutés avant l'entrée en vigueur de la disposition précitée doit engager un recours, est-elle compatible avec le droit communautaire, et notamment avec le principe d'effectivité que la Cour a confirmé à plusieurs reprises (voir, notamment, arrêts [...] Dilexport [,précité]; du 15 septembre 1998, Spac, C-260-96, Rec. p. I-4997; du 15 septembre 1998, Edis, C-231-96, Rec. p. I-4951; [...] Aprile [précité], et du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261-95, Rec. p. I-4025)?"

Observations soumises à la Cour

23 Grundig Italiana confirme l'interprétation des dispositions nationales en cause au principal retenue par le ministère des Finances et la juridiction de renvoi. La Commission expose également son point de vue sur le fondement de cette interprétation.

24 Grundig Italiana considère dès lors que, compte tenu de la rétroactivité du délai de forclusion de trois ans à l'égard de droits nés avant son édiction, la suspension de son entrée en vigueur pendant seulement 90 jours conduit à une "confiscation" du droit à répétition de l'indu, correspondant au raccourcissement du délai d'action. L'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 méconnaîtrait par conséquent le principe d'effectivité dans la mesure où il rendrait extrêmement difficile l'action en répétition de sommes payées en vertu d'une législation nationale incompatible avec le droit communautaire, et ce indépendamment du fait que ladite disposition respecterait par ailleurs le principe d'équivalence puisqu'elle s'appliquerait indistinctement aux actions en répétition fondées sur le droit communautaire ou sur le droit national.

25 Selon Grundig Italiana, le délai de grâce de 90 jours pendant lequel les intéressés pouvaient encore se soustraire à l'application du délai rétroactif de forclusion de trois ans a été trop bref pour que ceux-ci aient pu détecter la portée innovatrice et rétroactive de l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 et comprendre que cette disposition affectait les droits de répétition de sommes indûment versées au titre d'une législation nationale incompatible avec le droit communautaire, alors qu'il n'existait encore aucune décision judiciaire ni aucune réflexion doctrinale concernant cette incompatibilité. Un tel délai de 90 jours aurait également été trop court pour préparer l'introduction d'une action en justice, ce qui supposerait notamment de rassembler les documents nécessaires et de mener à terme des processus décisionnels parfois complexes dans les sociétés, en particulier dans les sociétés internationales. Cette appréciation serait pleinement cohérente avec celle portée par la Cour dans les arrêts Aprile et Dilexport, précités, selon laquelle l'introduction d'un délai de forclusion non rétroactif de trois ans ne méconnaît pas le principe d'effectivité.

26 Au contraire, la Commission ne considère pas que l'instauration du délai de forclusion de trois ans dans les conditions prévues à l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990, méconnaît le principe d'effectivité.

27 À cet égard, la Commission fait valoir que, dans l'arrêt du 22 février 1990, Busseni (C-221-88, Rec. p. I-495, point 35), la Cour a jugé que le principe du respect de la confiance légitime ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nouvelle aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la réglementation antérieure. La Commission considère que, au regard du droit communautaire, la législation en cause au principal ne doit pas être considérée comme rétroactive. Le législateur national devrait certes veiller à ce que les contribuables concernés ne soient pas brutalement privés du droit au remboursement de taxes contraires au droit communautaire, lors de la réduction de la durée du délai d'action. Il s'ensuivrait que, lors de la fixation des modalités de réduction de ce délai, le législateur devrait prévoir une période transitoire raisonnable, permettant aux contribuables concernés - pour autant qu'ils fassent preuve de la diligence requise - de sauvegarder la possibilité de recouvrer leurs créances nées à l'époque où l'impôt a été indûment perçu.

28 Pour la Commission, les critères d'évaluation du caractère raisonnable de la durée de la période transitoire prévue pour le passage d'un délai à un autre, plus court, ne doivent pas être les mêmes que ceux sur le fondement desquels il y a lieu d'évaluer la conformité avec le principe d'effectivité du délai de recours lui-même. En l'occurrence, la Commission juge suffisante et conforme au principe d'effectivité la période transitoire de 90 jours introduite par l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990.

29 Le Gouvernement italien soutient pour sa part que l'interprétation correcte des dispositions nationales en cause au principal est celle qui a été retenue par la Cour dans les arrêts Aprile et Dilexport, précités, et que, dans la présente affaire, la juridiction de renvoi saisit la Cour sur le fondement d'une interprétation erronée du droit national. Certes, la Corte suprema di cassazione ne se serait prononcée sur l'impossibilité d'une application rétroactive du délai de forclusion prévu à l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 qu'en ce qui concerne les actions intentées avant son entrée en vigueur, mais il n'y aurait aucune raison de traiter différemment les personnes engageant après cette date des actions portant sur des droits nés auparavant. La question de la juridiction de renvoi étant fondée sur une analyse erronée du droit national, la Cour ne pourrait y répondre.

Sur la recevabilité

30 Il y a lieu, à l'égard de l'objection du Gouvernement italien exposée au point précédent, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l'article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415-93, Rec. p. I-4921, point 59).

31 Certes, dans des hypothèses exceptionnelles, il appartient à la Cour d'examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence. Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n'est possible que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire sollicitée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I-2099, point 39).

32 Tel n'est pas le cas dans la présente affaire. D'une part, les parties au litige au principal, et en particulier le ministère des Finances, s'accordent pour considérer que, en lui-même, l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 entraîne l'application du délai de forclusion de trois ans aux actions non encore engagées à la date de l'entrée en vigueur de ce délai, même si elles portent sur des sommes versées avant cette date, ainsi que le décompte de ce délai à partir du versement de ces sommes. La question posée à la Cour n'est donc nullement hypothétique. D'autre part, à la connaissance de la Cour, la position adoptée par le Gouvernement italien dans les observations déposées devant elle n'a pas amené le ministère des Finances à renoncer à l'interprétation contraire de l'article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428-1990 qu'il oppose à Grundig Italiana devant le Tribunale di Trento et qui conduit au maintien du litige au principal.

Sur la question préjudicielle

33 En l'absence de réglementation communautaire en matière de restitution de taxes nationales indûment perçues, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, pour autant, d'une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d'équivalence) et, d'autre part, qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité) (voir, notamment, arrêt Aprile, précité, point 18).

34 En ce qui concerne ce dernier principe, la Cour a reconnu la compatibilité avec le droit communautaire de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l'intérêt de la sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l'administration concernés. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire. À cet égard, un délai national de forclusion de trois ans qui court à compter de la date du paiement contesté apparaît en lui-même raisonnable (voir arrêt Aprile, précité, point 19).

35 Le principe d'effectivité n'interdit pas non plus dans l'absolu une application rétroactive d'un nouveau délai d'action plus court et le cas échéant plus restrictif pour le contribuable que le délai précédemment applicable, dans la mesure où une telle application concerne les actions en restitution de taxes nationales contraires au droit communautaire non encore engagées au moment de l'entrée en vigueur du nouveau délai, mais portant sur des sommes versées alors que l'ancien délai était d'application.

36 En effet, dès lors que les modalités de restitution des taxes nationales indûment perçues relèvent du droit national, la question de la possibilité d'une application rétroactive de telles modalités relève également de ce droit tant que cette éventuelle application rétroactive ne compromet pas le respect du principe d'effectivité.

37 À cet égard, si le principe d'effectivité ne s'oppose pas à ce qu'une législation nationale réduise le délai pendant lequel peut être demandé le remboursement de sommes versées en violation du droit communautaire, c'est à la condition non seulement que le nouveau délai fixé présente un caractère raisonnable, mais également que cette nouvelle législation comporte un régime transitoire permettant aux justiciables de disposer d'un délai suffisant, après l'adoption de celle-ci, pour pouvoir introduire les demandes de remboursement qu'ils étaient en droit de présenter sous l'empire de l'ancienne législation. Un tel régime transitoire est nécessaire dès lors que l'application immédiate à ces demandes d'un délai de prescription plus court que celui précédemment en vigueur aurait pour effet de priver rétroactivement de leur droit à remboursement certains justiciables ou de ne leur laisser qu'un délai trop bref pour faire valoir ce droit (arrêt du 11 juillet 2002, Marks & Spencer, C-62-00, non encore publié au Recueil, point 38).

38 Ainsi, la période de transition doit être suffisante pour que les contribuables qui pensaient initialement disposer de l'ancien délai d'action conservent un temps raisonnable pour faire valoir leur droit à remboursement si leur action est déjà tardive au regard du nouveau délai. Ils doivent, en tout état de cause, recevoir la possibilité de préparer leur action autrement que dans la précipitation liée à l'obligation d'agir dans une urgence sans rapport avec les délais sur lesquels ils pouvaient initialement compter.

39 Une période de transition de 90 jours précédant l'application rétroactive d'un délai d'action de trois ans remplaçant un délai d'action de dix ou de cinq ans est manifestement insuffisante. En prenant comme référence un délai initial de cinq ans, une telle période conduit en effet les contribuables dont les droits sont nés il y a environ trois ans à devoir agir en pratique en trois mois, alors qu'il pensaient disposer d'encore près de deux ans.

40 Dans un tel cas de réduction du délai d'action de dix ou de cinq ans à trois ans, la durée de la période minimale de transition nécessaire pour que le caractère effectif de l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire soit assuré, en permettant aux contribuables normalement diligents de prendre connaissance du nouveau régime et de préparer et d'engager leur action dans des conditions qui ne compromettent pas leurs chances de succès peut être raisonnablement évaluée à six mois.

41 La constatation, par le juge national, de l'insuffisance d'une période de transition fixée par le législateur national telle que celle de l'espèce au principal ne doit cependant pas conduire à écarter toute application rétroactive du nouveau délai d'action. Le principe d'effectivité n'impose en effet d'écarter une telle application rétroactive que dans la mesure nécessaire à son respect. Dès lors, des actions introduites après l'expiration d'une période de transition suffisante, évaluée dans un cas tel que celui de l'espèce au principal à six mois, doivent pouvoir être soumises au nouveau délai d'action, même si elles portent sur le remboursement de sommes versées avant l'entrée en vigueur du texte prévoyant ce nouveau délai.

42 Il convient donc de répondre à la juridiction de renvoi que le droit communautaire s'oppose à l'application rétroactive d'un délai de forclusion plus court et, le cas échéant, plus restrictif pour le demandeur que le délai d'action précédemment applicable aux demandes de remboursement de taxes nationales contraires au droit communautaire, dès lors que n'est pas assurée une période de transition suffisante pendant laquelle les demandes portant sur des sommes versées avant l'entrée en vigueur du texte instaurant ce nouveau délai peuvent encore être présentées sous le régime de l'ancien délai. Dans le cas de la substitution d'un délai de forclusion de trois ans à un délai de prescription de cinq ans, une période de transition de 90 jours doit être considérée comme insuffisante et la période minimale de transition permettant que l'exercice du droit à un tel remboursement ne soit pas rendu excessivement difficile doit être évaluée à six mois.

Sur les dépens

43 Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunale di Trento, par ordonnance du 6 juin 2000, dit pour droit:

Le droit communautaire s'oppose à l'application rétroactive d'un délai de forclusion plus court et, le cas échéant, plus restrictif pour le demandeur que le délai d'action précédemment applicable aux demandes de remboursement de taxes nationales contraires au droit communautaire, dès lors que n'est pas assurée une période de transition suffisante pendant laquelle les demandes portant sur des sommes versées avant l'entrée en vigueur du texte instaurant ce nouveau délai peuvent encore être présentées sous le régime de l'ancien délai. Dans le cas de la substitution d'un délai de forclusion de trois ans à un délai de prescription de cinq ans, une période de transition de 90 jours doit être considérée comme insuffisante et la période minimale de transition permettant que l'exercice du droit à un tel remboursement ne soit pas rendu excessivement difficile doit être évaluée à six mois.