CJCE, 15 septembre 1998, n° C-231/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Edis Srl
Défendeur :
Ministero delle Finanze
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Ragnemalm, Wathelet, Schintgen
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Kapteyn, Edward, Puissochet (rapporteur), Sevón, Ioannou
Avocats :
Mes Conte, Giacomini
LA COUR,
1 Par ordonnance du 18 juin 1996, parvenue à la Cour le 8 juillet suivant, le président du Tribunale di Genova a posé, en application de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation du droit communautaire en matière de répétition de l'indu.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Edilizia Industriale Siderurgica Srl (Edis), société à responsabilité limitée (ci-après "Edis"), anciennement société anonyme, au ministère des Finances italien à propos de la taxe de concession gouvernementale pour l'inscription des sociétés au registre des entreprises (ci-après la "taxe de concession").
3 La taxe de concession a été instituée par le décret n° 641 du président de la République, du 26 octobre 1972 (GURI n° 292, du 11 novembre 1972, supplément n° 3, ci-après le "décret n° 641-72"). Elle a fait l'objet, en ce qu'elle s'applique à l'inscription au registre de l'acte constitutif des sociétés, de modifications successives concernant ses montants et sa périodicité.
4 Les montants de la taxe de concession ont tout d'abord été substantiellement augmentés par le décret-loi n° 853, du 19 décembre 1984 (GURI n° 347, du 19 décembre 1984), converti en loi par la loi n° 17, du 17 février 1985 (GURI n° 41 bis, du 17 février 1985), qui a également prévu que la taxe serait désormais due non seulement lors de l'inscription au registre de l'acte constitutif de la société, mais également le 30 juin de chaque année civile ultérieure. Les montants de la taxe ont ensuite été à nouveau modifiés en 1988 et en 1989. Cette dernière année, ils atteignaient 12 millions de LIT pour les sociétés anonymes et en commandite par actions, 3,5 millions de LIT pour les sociétés à responsabilité limitée et 500 000 LIT pour les autres sociétés.
5 Dans l'arrêt du 20 avril 1993, Ponente Carni et Cispadana Costruzioni (C-71-91 et C-178-91, Rec. p. I-1915, ci-après l'"arrêt Ponente Carni"), rendu à propos de la taxe de concession, la Cour a dit pour droit que l'article 10 de la directive 69-335-CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), doit être interprété en ce sens qu'il interdit, sous réserve des dispositions dérogatoires de l'article 12, une imposition annuelle due en raison de l'immatriculation des sociétés de capitaux, cela même si le produit de cette imposition contribue au financement du service chargé de la tenue du registre dans lequel sont immatriculées les sociétés. La Cour a également jugé que l'article 12 de la directive 69-335 doit être interprété en ce sens que les droits ayant un caractère rémunératoire, mentionnés au paragraphe 1, sous e), de cette disposition, peuvent être des rétributions perçues en contrepartie d'opérations imposées par la loi dans un but d'intérêt général, comme par exemple, l'immatriculation des sociétés de capitaux. Les montants de ces droits, qui peuvent être différents selon la forme juridique de la société, doivent être calculés sur la base du coût de l'opération, ce coût pouvant être évalué forfaitairement.
6 A la suite de cet arrêt, le décret-loi n° 331, du 30 août 1993 (GURI n° 203, du 30 août 1993), converti en loi par la loi n° 427, du 29 octobre 1993 (GURI n° 255, du 29 octobre 1993), a réduit la taxe de concession à 500 000 LIT pour toutes les sociétés et supprimé sa perception annuelle.
7 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que Edis a acquitté, entre 1986 et 1992, auprès du Trésor public la somme de 64 500 000 LIT au titre du versement annuel de la taxe de concession.
8 Estimant que cette somme avait été indûment versée dans la mesure où la taxe en question était contraire à la directive 69-335, cette société en a demandé, sans succès, le remboursement à l'administration des finances compétente. Elle a, par la suite, engagé un recours en injonction devant le président du Tribunale di Genova tendant à ce qu'il ordonne au ministre des Finances de lui restituer la somme en question ainsi que les intérêts dus à compter de chaque paiement effectué.
9 Dans son ordonnance de renvoi, le président du Tribunale di Genova indique que l'incompatibilité de la taxe de concession a été confirmée par l'arrêt Ponente Carni, dont les effets n'ont pas été limités dans le temps. Il ajoute que la Corte costituzionale, dans l'arrêt n° 56, du 24 février 1995 (GURI, série spéciale n° 9, du 1er mars 1995), et la Corte Suprema di cassazione, dans l'arrêt n° 4468, du 23 février 1996, ont ultérieurement reconnu le caractère indu des versements effectués au titre de la taxe.
10 Le président du Tribunale di Genova relève toutefois que, dans l'arrêt n° 3458 du même jour, la Corte Suprema di cassazione a considéré que le remboursement de la taxe de concession relève de l'article 13, deuxième alinéa, du décret n° 641-72 aux termes duquel "Le contribuable peut, sous peine de forclusion, demander la restitution des taxes payées par erreur dans le délai de trois ans à compter du jour du paiement...".
11 Le président du Tribunale di Genova éprouve des doutes en ce qui concerne la compatibilité de telles modalités de remboursement avec la jurisprudence de la Cour en matière de restitution des taxes perçues en violation du droit communautaire. Il observe notamment que, selon les règles générales de l'ordre juridique italien, l'exercice de l'action en répétition de l'indu n'est soumis à aucun délai de forclusion, mais seulement à la prescription décennale de droit commun, prévue par l'article 2946 du Code civil.
12 Le président du Tribunale di Genova a donc sursis à statuer et posé à la Cour les trois questions préjudicielles suivantes:
"1) Pour compléter et préciser l'arrêt de la Cour du 20 avril 1993, Ponente Carni (C-71-91 et C-178-91), les dispositions du traité doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à l'introduction et/ou au maintien de la part d'un État membre d'une réglementation nationale, telle que celle introduite par le législateur italien par l'article 13, deuxième alinéa, du D. P. R. n° 641 du 26 octobre 1972, dans le cas où l'application de cette réglementation a pour conséquence de limiter dans le temps les effets d'un arrêt rendu par la Cour de justice ?
2) L'article 5 du traité CE, tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour, est-il compatible avec une réglementation nationale (article 13 du DPR n° 641-72) qui, dans les modalités procédurales des actions judiciaires destinées à garantir le remboursement des taxes payées en violation de la directive 69-335-CEE du Conseil, prévoit un délai de forclusion de trois ans à compter du paiement, forclusion par contre pas prévue par le droit national pour les actions en répétition de l'indu entre particuliers ?
3) En cas de réponse affirmative à la question qui précède, est-il incompatible avec le droit communautaire qu'une réglementation nationale prévoie un délai de forclusion qui court (au détriment d'un ressortissant d'un État membre qui invoque les dispositions d'une directive pour obtenir le remboursement d'une taxe indûment versée) avant que cette directive ne soit correctement transposée en droit national ?"
Sur la première question
13 Par sa première question, le juge de renvoi demande si le droit communautaire interdit à un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation d'une disposition du droit communautaire un délai national de forclusion dès lors que l'application de ce délai aurait pour conséquence de limiter les effets dans le temps d'un arrêt préjudiciel de la Cour interprétant cette disposition.
14 Edis propose de répondre par l'affirmative à cette question. Les gouvernements qui ont déposé des observations ainsi que la Commission, dans ses observations écrites, estiment en revanche que l'application d'un délai de forclusion n'aboutit pas à limiter les effets pour le passé d'un arrêt rendu par la Cour. En effet, un tel délai n'aurait pas d'incidence sur l'existence et le contenu des droits conférés par l'ordre juridique communautaire, mais seulement sur l'exercice de ces droits. Il ressortirait d'ailleurs d'une jurisprudence constante de la Cour qu'il appartient à chaque État membre, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, 33-76, Rec. p. 1989, et Comet, 45-76, Rec. p. 2043, et, plus récemment, arrêt du 8 février 1996, FMC e.a., C-212-94, Rec. p. I-389).
15 Selon une jurisprudence constante, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 177 du traité, l'interprétation par la Cour d'une disposition de droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin est, la signification et la portée de cette règle, telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge à des rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouvent réunies (voir, notamment, arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61-79, Rec. p. 1205, point 16, et du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime, C-197-94 et C-252-94, Rec. p. I-505, point 47).
16 Toujours selon cette jurisprudence, une limitation, par la Cour, des effets d'un arrêt statuant sur une demande d'interprétation doit, eu égard à ces principes, rester tout à fait exceptionnelle (arrêts précités Denkavit italiana, point 17, et Bautiaa et Société française maritime, point 48).
17 Il ressort de ce qui précède que, si les effets d'un arrêt d'interprétation de la Cour remontent normalement à la date de l'entrée en vigueur de la règle interprétée, encore faut-il, pour que celle-ci soit appliquée par le juge national à des faits antérieurs à cet arrêt, que les modalités procédurales nationales des recours en justice, tant de fond que de forme, aient été respectées.
18 L'application de telles modalités ne saurait ainsi être confondue avec une limitation des effets d'un arrêt de la Cour statuant sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire. En effet, la conséquence d'une telle limitation est de priver les justiciables, qui seraient normalement en mesure, conformément à leurs règles procédurales nationales, d'exercer les droits qu'ils tirent de la disposition communautaire en cause, de la faculté de s'en prévaloir à l'appui de leurs demandes.
19 Il résulte, au demeurant, d'une jurisprudence constante que, en l'absence de réglementation communautaire en matière de restitution de taxes nationales indûment perçues, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, étant entendu que ces modalités ne sauraient être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (arrêts précités Rewe, point 5, et Comet, points 13 et 16, et, plus récemment, arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312-93, Rec. p. I-4599, point 12).
20 La Cour a ainsi reconnu la compatibilité avec le droit communautaire de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l'intérêt de la sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l'administration concernés (arrêts précités Rewe, point 5, Comet, points 17 et 18, et Denkavit italiana, point 23; voir également arrêts du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261-95, Rec. p. I-4025, point 28, et du 17 juillet 1997, Haahr Petroleum, C-90-94, Rec. p. I-4085, point 48). La circonstance que la Cour a rendu un arrêt préjudiciel sur l'interprétation de la disposition de droit communautaire en cause est, à cet égard, indifférente (voir, en ce sens, arrêt Rewe, précité, point 7).
21 La Commission a toutefois fait valoir à l'audience que, par l'arrêt n° 3458, du 23 février 1996, la Corte Suprema di cassazione a procédé à un revirement de sa jurisprudence dans la mesure où elle limitait jusqu'alors l'application des délais de forclusion comme le délai litigieux aux hypothèses d'erreurs dans le calcul des impositions. En jugeant, postérieurement au prononcé de l'arrêt Ponente Carni, que le remboursement de la taxe de concession est soumis à la forclusion triennale prévue à l'article 13 du décret n° 641-72 au lieu de la prescription décennale de droit commun, la haute juridiction italienne aurait ainsi spécifiquement réduit la possibilité pour les intéressés d'agir en répétition d'une imposition indûment perçue en violation du droit communautaire, en méconnaissance des arrêts du 2 février 1988, Barra (309-85, Rec. p. 355), et du 29 juin 1988, Deville (240-87, Rec. p. 3513).
22 Il convient de rappeler que, dans l'arrêt Barra, précité, point 19, la Cour a jugé que le droit communautaire s'oppose à une disposition législative nationale limitant le remboursement d'un droit déclaré contraire au traité par un arrêt de la Cour aux seuls demandeurs ayant introduit une action en remboursement avant le prononcé de cet arrêt. En effet, une telle disposition prive purement et simplement les personnes physiques ou morales qui ne remplissent pas cette condition du droit d'obtenir le remboursement de sommes indûment payées et rend ainsi impossible l'exercice par les justiciables des droits que leur confère le droit communautaire.
23 De même, dans l'arrêt Deville, précité, la Cour a dit pour droit qu'un législateur national ne peut adopter, postérieurement à un arrêt de la Cour dont il résulte qu'une législation déterminée est incompatible avec le traité, de règle procédurale réduisant spécifiquement les possibilités d'agir en répétition des taxes qui ont été indûment perçues en vertu de cette législation.
24 Il ressort de ces arrêts qu'un État membre ne peut adopter de dispositions soumettant le remboursement d'une imposition, qui a été déclarée contraire au droit communautaire par un arrêt de la Cour ou dont l'incompatibilité avec le droit communautaire résulte d'un tel arrêt, à des conditions concernant spécifiquement cette imposition et qui sont moins favorables que celles qui se seraient appliquées, en leur absence, au remboursement de l'imposition en cause.
25 Dès lors, et sans qu'il soit besoin de s'interroger sur les conditions d'application de cette jurisprudence aux organes juridictionnels des États membres, il suffit de relever, d'une part, que l'interprétation de la Corte Suprema di cassazione a porté sur une disposition nationale qui était en vigueur depuis de nombreuses années au moment du prononcé de l'arrêt Ponente Carni et, d'autre part, que cette disposition vise non seulement le remboursement de la taxe qui était en cause dans cet arrêt, mais aussi celui de l'ensemble des taxes de concession gouvernementale italiennes. Il en résulte que la solution des arrêts Barra et Deville, précités, n'est pas applicable en l'espèce.
26 Il y a lieu dès lors de répondre à la première question que la circonstance que la Cour a rendu un arrêt préjudiciel statuant sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire sans limiter les effets dans le temps de cet arrêt n'affecte pas le droit d'un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation de cette disposition un délai national de forclusion.
Sur la deuxième question
27 Par sa deuxième question, le juge de renvoi demande à la Cour si l'article 5 du traité CE est compatible avec une réglementation nationale qui, dans les modalités procédurales des actions judiciaires destinées à garantir le remboursement des taxes payées en violation de la directive 69-335, prévoit un délai de forclusion de trois ans à compter du paiement, alors que, selon le droit national, un tel délai n'est pas applicable aux actions en répétition de l'indu entre particuliers.
28 La Commission estime que cette question porte sur l'interprétation du droit italien et qu'elle est donc, en l'état, irrecevable. Elle propose, dans ces conditions, de la reformuler. La question posée reviendrait, à son avis, à se demander si le droit communautaire s'oppose à une législation nationale qui soumet les actions en remboursement d'une taxe perçue en violation de la directive 69-335 à un délai de forclusion qui présuppose l'existence d'un pouvoir d'imposition et d'une créance fiscale de l'État, en lieu et place d'un délai de prescription qui, selon cette même législation, est applicable en cas d'indu objectif résultant de l'absence d'un tel pouvoir et d'une telle créance.
29 Il ressort de la question posée que le juge de renvoi demande à la Cour si le droit communautaire interdit à un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation du droit communautaire un délai national de forclusion de trois ans qui déroge au régime commun de l'action en répétition de l'indu entre particuliers, soumise à un délai plus favorable. Le juge de renvoi invite ainsi la Cour à préciser sa jurisprudence selon laquelle les modalités procédurales nationales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne.
30 Il en résulte qu'il y a lieu de répondre à la question.
31 Edis estime qu'il convient de répondre par l'affirmative à cette question dès lors que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les modalités procédurales nationales de recours en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne. Or, la Corte costituzionale aurait clairement jugé que l'action en remboursement de la taxe de concession relève, dans l'ordre juridique italien, du régime de la répétition de l'indu.
32 Selon les trois gouvernements qui ont déposé des observations, un État membre est en droit de prévoir, en matière fiscale, un délai de forclusion différent du délai de droit commun dès lors que ce délai s'applique de la même manière aux demandes de remboursement fondées sur le droit communautaire et sur le droit interne, ce qui serait le cas en l'espèce.
33 Ainsi que la Cour l'a relevé à plusieurs reprises, il ressort d'un rapprochement comparatif des systèmes nationaux que le problème de la contestation de taxes illégalement réclamées ou de la restitution de taxes indûment payées est résolu de différentes manières dans les divers États membres et même, à l'intérieur d'un même État, selon les divers types d'impôts et taxes en cause. Dans certains cas, les contestations ou demandes de ce genre sont soumises par la loi à des conditions précises de forme et de délai en ce qui concerne tant les réclamations adressées à l'administration fiscale que les recours juridictionnels. Dans d'autres cas, les recours en remboursement de taxes indûment payées doivent être portés devant les juridictions ordinaires, sous forme notamment d'actions pour la restitution de l'indu, ces recours étant ouverts pendant des délais plus ou moins longs, dans certains cas pendant le délai de prescription de droit commun (voir arrêts du 27 février 1980, Just, 68-79, Rec. p. 501, points 22 et 23; Denkavit italiana, précité, points 23 et 24; du 10 juillet 1980, Ariete, 811-79, Rec. p. 2545, points 10 et 11, et Mireco, 826-79, Rec. p. 2559, points 11 et 12).
34 Cette diversité des systèmes nationaux résulte notamment de l'absence de réglementation communautaire en matière de restitution de taxes nationales indûment perçues. Dans une telle situation, comme il a été rappelé au point 19 du présent arrêt, il appartient en effet à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, pour autant, d'une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de l'équivalence) et, d'autre part, qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité).
35 En ce qui concerne ce dernier principe, la Cour, ainsi qu'il a été rappelé au point 20 du présent arrêt, a reconnu la compatibilité avec le droit communautaire de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l'intérêt de la sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l'administration concernés. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire. A cet égard, un délai national de forclusion de trois ans qui court à compter de la date du paiement contesté apparaît raisonnable.
36 Le respect du principe de l'équivalence suppose, de son côté, que la modalité litigieuse s'applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit communautaire et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne, s'agissant d'un même type de taxes ou redevances (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 1980, Salumi, 66-79, 127-79 et 128-79, Rec. p. 1237, point 21). Ce principe ne saurait en revanche être interprété comme obligeant un État membre à étendre à l'ensemble des actions en restitution de taxes ou redevances perçues en violation du droit communautaire son régime de répétition interne le plus favorable.
37 Ainsi, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que la législation d'un État membre comporte, à côté d'un délai de prescription de droit commun applicable aux actions en répétition de l'indu entre particuliers, des modalités particulières de réclamation et de recours en justice moins favorables pour la contestation des taxes et autres impositions. Il n'en irait autrement que si ces modalités n'étaient applicables qu'aux seules actions en remboursement de ces taxes ou impositions fondées sur le droit communautaire.
38 En l'espèce, ainsi que la Cour l'a relevé au point 25 du présent arrêt, le délai de forclusion en cause vise non seulement la taxe de concession litigieuse, mais aussi l'ensemble des taxes de concession gouvernementales. Au surplus, selon des indications non contestées du Gouvernement italien, un délai analogue est également applicable aux actions en remboursement d'un certain nombre de droits indirects. En outre, il ne ressort pas du libellé de la disposition litigieuse qu'elle ne s'applique qu'aux seuls recours fondés sur le droit communautaire. D'ailleurs, comme M. l'avocat général l'a relevé aux points 62 à 64 de ses conclusions, il résulte de la jurisprudence de la Corte Suprema di cassazione que les délais en matière fiscale s'appliquent également aux actions en remboursement de taxes ou impositions perçues sur le fondement de lois déclarées contraires à la Constitution italienne.
39 Il y a lieu dès lors de répondre à la deuxième question que le droit communautaire n'interdit pas à un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation du droit communautaire un délai national de forclusion de trois ans qui déroge au régime commun de l'action en répétition de l'indu entre particuliers, soumise à un délai plus favorable, dès lors que ce délai de forclusion s'applique de la même manière aux actions en remboursement de ces impositions qui sont fondées sur le droit communautaire et à celles qui sont fondées sur le droit interne.
Sur la troisième question
40 Par sa troisième question, le juge de renvoi demande à la Cour si le droit communautaire interdit à un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation d'une directive un délai national de forclusion qui court à compter de la date du paiement des impositions en cause, alors que, à cette date, cette directive n'avait pas encore été correctement transposée en droit national.
41 Les trois gouvernements qui ont déposé des observations proposent de répondre par la négative à cette question. Ils considèrent en effet qu'un État membre est en droit de se prévaloir d'un délai national de forclusion comme le délai en cause dès lors que celui-ci remplit les conditions posées par les arrêts Rewe et Comet, précités. D'après ces gouvernements, l'arrêt du 25 juillet 1991, Emmott (C-208-90, Rec. p. I-4269), doit être replacé dans le cadre des circonstances tout à fait particulières de cette affaire, ce que la Cour aurait d'ailleurs confirmé dans ses arrêts du 27 octobre 1993, Steenhorst-Neerings (C-338-91, Rec. p. I-5475), et du 6 décembre 1994, Johnson (C-410-92, Rec. p. I-5483).
42 Selon Edis, il résulte de ces deux derniers arrêts que le simple fait que les dispositions d'une directive n'ont pas été correctement transposées n'empêche pas, en l'absence d'autres circonstances, un État membre défaillant de se prévaloir de ses délais de recours internes. Cette société estime cependant que la jurisprudence Emmott trouve à s'appliquer en l'espèce compte tenu du comportement dilatoire qu'auraient adopté les autorités italiennes vis-à-vis des demandes de remboursement des sociétés.
43 Dans un premier temps, la Commission a soutenu que les arrêts Steenhorst-Neerings et Johnson, précités, avaient trait à des réclamations portant sur des prestations sociales indûment refusées et étaient donc sans pertinence en l'espèce. Elle considérait ainsi que la solution de l'arrêt Emmott devait s'appliquer aux actions en remboursement des taxes perçues en violation du droit communautaire, sauf à permettre à l'État membre défaillant de tirer avantage de la violation qu'il a commise. Toutefois, lors de l'audience, la Commission a renoncé à défendre cette thèse en reconnaissant que celle-ci avait été infirmée par l'arrêt du 2 décembre 1997, Fantask e.a. (C-188-95, Rec. p. I-6783).
44 Il ressort de la réponse apportée à la deuxième question que le droit communautaire n'interdit pas en principe à un État membre d'opposer aux actions en remboursement de droits perçus en violation du droit communautaire un délai national de forclusion de trois ans.
45 Certes, il est vrai que, dans l'arrêt Emmott, précité, point 23, la Cour a jugé que, jusqu'au moment de la transposition correcte d'une directive, l'État membre défaillant ne peut exciper de la tardiveté d'une action judiciaire introduite à son encontre par un particulier en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les dispositions d'une directive et qu'un délai de recours de droit national ne peut commencer à courir qu'à partir de ce moment.
46 Toutefois, comme l'a confirmé l'arrêt Johnson, précité, point 26, il découle de l'arrêt Steenhorst-Neerings, précité, que la solution dégagée dans l'arrêt Emmott était justifiée par les circonstances propres à cette affaire, dans lesquelles la forclusion aboutissait à priver totalement la requérante au principal de la possibilité de faire valoir son droit à l'égalité de traitement en vertu d'une directive communautaire (voir, également, arrêts Haahr Petroleum, précité, point 52, et du 17 juillet 1997, Texaco et Olieselskabet Danmark, C-114-95 et C-115-95, Rec. p. I-4263, point 48).
47 La Cour a ainsi jugé, dans l'arrêt Fantask e.a., précité, que le droit communautaire n'interdit pas à un État membre, qui n'a pas correctement transposé la directive 69-335, d'opposer aux actions en remboursement de droits perçus en violation de cette directive un délai de prescription national de cinq ans qui court à compter de la date d'exigibilité de ces droits.
48 En outre, à la lumière du dossier et des débats qui ont eu lieu lors de la procédure orale, il n'apparaît pas que le comportement des autorités italiennes combiné avec l'existence du délai litigieux ait abouti en l'espèce au principal, comme dans l'affaire Emmott, à priver totalement la société requérante de la possibilité de faire valoir ses droits devant les juridictions nationales.
49 Il y a lieu dès lors de répondre à la troisième question que, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, le droit communautaire n'interdit pas à un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation d'une directive un délai national de forclusion qui court à compter de la date du paiement des impositions en cause, même si, à cette date, cette directive n'avait pas encore été correctement transposée en droit national.
Sur les dépens
50 Les frais exposés par les Gouvernements italien, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale di Genova, par ordonnance du 18 juin 1996, dit pour droit:
1) La circonstance que la Cour a rendu un arrêt préjudiciel statuant sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire sans limiter les effets dans le temps de cet arrêt n'affecte pas le droit d'un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation de cette disposition un délai national de forclusion.
2) Le droit communautaire n'interdit pas à un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation du droit communautaire un délai national de forclusion de trois ans qui déroge au régime commun de l'action en répétition de l'indu entre particuliers, soumise à un délai plus favorable, dès lors que ce délai de forclusion s'applique de la même manière aux actions en remboursement de ces impositions qui sont fondées sur le droit communautaire et à celles qui sont fondées sur le droit interne.
3) Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, le droit communautaire n'interdit pas à un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation d'une directive un délai national de forclusion qui court à compter de la date du paiement des impositions en cause, même si, à cette date, cette directive n'avait pas encore été correctement transposée en droit national.