CJCE, 5e ch., 11 juillet 2002, n° C-62/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Marks & Spencer plc
Défendeur :
Commissioners of Customs & Excise
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jann
Avocat général :
M. Geelhoed
Juges :
MM. Edward, La Pergola
Avocats :
Mes Waelbroeck, Mantle.
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 14 décembre 1999, parvenue à la Cour le 28 février 2000, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation du droit communautaire en matière de répétition de l'indu.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Marks & Spencer plc (ci-après "Marks & Spencer") aux Commissioners of Customs & Excise (ci-après les "Commissioners"), compétents en matière de perception de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") au Royaume-Uni, au sujet du remboursement de montants de la TVA indûment payés par ladite société.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L'article 11 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive"), dispose:
"A. l'intérieur du pays
1. La base d'imposition est constituée:
a) pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations;
[...]"
La réglementation nationale
4 Selon les parties au principal et la juridiction de renvoi, l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive n'a fait l'objet d'une transposition correcte au Royaume-Uni qu'à compter du 1er août 1992, en vertu de la Finance (n° 2) Act 1992 (deuxième loi de finances de 1992), qui a modifié l'article 10, paragraphe 3, de la Value Added Tax Act 1983 (loi de 1983 sur la TVA).
5 Cette dernière disposition est désormais ainsi rédigée:
"Si la contrepartie de la fourniture ou de la prestation n'est pas monétaire ou ne l'est pas entièrement, la valeur à prendre en considération est la valeur monétaire correspondante, majorée de la taxe due".
6 S'agissant de la législation relative au remboursement des sommes indûment versées au titre de la TVA, les dispositions pertinentes de l'article 24 de la Finance Act 1989 (loi de finances de 1989) étaient libellées comme suit (avec effet à compter du 1er janvier 1990):
"1) Lorsqu'une personne a versé aux Commissioners, au titre de la TVA, un montant qui ne leur était pas dû, les Commissioners sont tenus de lui rembourser ce montant.
2) Les Commissioners ne sont tenus de rembourser un montant au titre du présent article que sur demande introduite à cet effet.
[...]
4) Aucun montant ne pourra être réclamé au titre du présent article après l'expiration de six années à compter de la date de son versement, sous réserve de l'application du paragraphe 5 ci-après.
5) Lorsqu'un montant a été versé aux Commissioners par erreur, une demande de remboursement de ce montant au titre du présent article peut être introduite à tout moment avant l'expiration d'une période de six années à compter de la date à laquelle le demandeur a découvert l'erreur ou aurait pu la découvrir en faisant preuve d'une diligence raisonnable.
[...]
7) En dehors des cas visés par les dispositions du présent article, les Commissioners ne sont pas tenus de rembourser un montant qui leur a été versé au titre de la taxe sur la valeur ajoutée en raison du fait qu'il ne s'agissait pas d'une taxe due.
[...]"
7 L'article 24 de la Finance Act 1989 a été abrogé et remplacé par l'article 80 de la Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 sur la TVA) avec effet au 1er septembre 1994. Les dispositions pertinentes de l'article 80 sont libellées de manière quasi identique à celles de l'article 24.
8 Le 18 juillet 1996, un membre du gouvernement, Her Majesty's Paymaster General, a annoncé au Parlement que, eu égard aux risques croissants que courait le Trésor du fait des demandes de remboursement de sommes perçues par erreur au titre des impôts, le gouvernement avait l'intention de modifier, dans le Finance Bill 1997 (projet de loi de finances de 1997), le délai de prescription pour les demandes de remboursement concernant la TVA et les autres impôts indirects en le réduisant à trois ans. Ce nouveau délai de prescription devait s'appliquer immédiatement aux demandes en cours à la date de cette annonce, afin d'éviter que la modification législative envisagée ne soit privée d'effet en raison du temps qui s'écoulerait avant la fin du processus parlementaire.
9 Le 4 décembre 1996, la Chambre des communes a adopté les propositions budgétaires du gouvernement, y compris la proposition annoncée le 18 juillet 1996, qui est devenue l'article 47 du Finance Bill 1997.
10 La Finance Act 1997 a été adoptée définitivement le 19 mars 1997. L'article 47, paragraphe 1, de celle-ci modifie l'article 80 de la Value Added Tax Act 1994, disposition dont elle abroge le paragraphe 5 et modifie le paragraphe 4, qui dispose, après cette modification:
"Les Commissioners ne sont pas tenus, à la suite d'une demande introduite au titre du présent article, de rembourser un montant qui leur a été versé plus de trois ans avant l'introduction de la demande."
11 L'article 47, paragraphe 2, de la Finance Act 1997 dispose :
"[...] le paragraphe 1 ci-dessus est réputé être entré en vigueur le 18 juillet 1996 et s'applique, aux fins des remboursements opérés à cette date et après cette date, à toutes les demandes introduites au titre de l'article 80 de la Value Added Tax Act 1994, y compris les demandes introduites avant cette date et les demandes relatives aux paiements opérés avant cette date."
Les faits et la procédure au principal
12 Marks & Spencer est une société de vente au détail établie au Royaume-Uni, spécialisée dans la vente de denrées alimentaires et de vêtements.
13 Marks & Spencer vendait des bons d'achat à des sociétés à un prix inférieur à leur valeur nominale. Les bons d'achat étaient ensuite vendus ou donnés à des tiers qui pouvaient les utiliser en les remettant à Marks & Spencer afin de recevoir en échange des biens dont le prix était équivalent à la valeur nominale de ces bons.
14 En décembre 1990, Marks & Spencer a fait valoir auprès des Commissioners qu'elle devait déclarer la TVA sur les sommes qu'elle recevait lors de la vente des bons et non sur leur valeur nominale.
15 En janvier 1991, les Commissioners ont décidé que Marks & Spencer devait déclarer la TVA sur la valeur nominale des bons. C'est ce que Marks & Spencer a fait jusqu'à ce que la Cour de justice statue sur cette question par son arrêt Argos Distributors, du 24 octobre 1996 (C-288-94, Rec. p. I-5311). Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit que l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que, lorsqu'un fournisseur a vendu à un acheteur, avec une ristourne, un bon avec la promesse d'accepter ultérieurement ce bon à sa valeur nominale en paiement de la totalité ou d'une partie du prix d'un bien acheté par un client qui n'est pas l'acheteur du bon et qui ne connaît pas, en principe, le prix réel de vente de ce dernier par le fournisseur, la contrepartie représentée par le bon est la somme réellement perçue par le fournisseur sur la vente du bon.
16 À la suite de l'arrêt Argos Distributors, précité, il est apparu que le régime de la TVA appliqué par les Commissioners aux bons d'achat vendus par Marks & Spencer était erroné. Aussi, par lettre du 31 octobre 1996, Marks & Spencer a-t-elle présenté à ceux-ci une demande de remboursement de la TVA indûment versée par elle en raison de cette erreur pour la période allant du mois de mai 1991 au mois d'août 1996, soit 2 638 057 GBP. Cette demande a été précisée par lettres des 6 et 22 novembre 1996.
17 Par lettre du 11 décembre 1996, les Commissioners ont indiqué qu'ils étaient disposés à rembourser la partie de la TVA afférente à la vente des bons d'achat au cours de la période qui n'était pas affectée par l'introduction du délai de prescription de trois ans prenant effet le 18 juillet 1996. Le remboursement correspondant, soit la somme de 1 913 462 GBP, a été effectué au profit de Marks & Spencer le 15 janvier 1997.
18 Marks & Spencer a introduit auprès des Commissioners une réclamation contre leur décision d'appliquer le délai de prescription de trois ans à sa demande, mais ceux-ci ont rejeté cette réclamation.
19 Le 15 avril 1997, Marks & Spencer a attaqué cette décision de rejet devant le VAT and Duties Tribunal, London (Royaume-Uni), qui a rejeté ce recours le 22 avril 1998. Marks & Spencer a contesté ce jugement devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Crown Office) (Royaume-Uni), qui a rejeté sa demande par décision du 21 décembre 1998, dont Marks & Spencer a ensuite fait appel devant la Court of Appeal.
20 Par arrêt du 14 décembre 1999, cette dernière a rejeté l'appel formé par Marks & Spencer concernant le remboursement de la TVA indûment versée au titre de la vente des bons d'achat pour la période allant du mois d'août 1992 au mois d'août 1996 inclus.
21 Estimant, en revanche, que la solution du litige relatif au remboursement de la TVA acquittée indûment pour la vente des bons d'achat au cours de la période allant de mai 1991 à juillet 1992 dépendait d'une interprétation du droit communautaire, la Court of Appeal a décidé de surseoir à statuer sur cette partie du litige et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Au cas où un État membre n'a pas correctement transposé dans sa législation interne l'article 11, A, de la directive 77-388 du Conseil, est-il compatible avec le principe de l'effectivité des droits qu'un assujetti tire de l'article 11, A, ou avec le principe de protection de la confiance légitime, d'appliquer une législation qui supprime avec effet rétroactif un droit, conféré par le droit national, de demander le remboursement des sommes versées au titre de la TVA plus de trois ans avant l'introduction de la demande?"
Sur la question préjudicielle
22 À titre liminaire, il importe de constater qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi que la Court of Appeal considère que l'article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive est inconditionnel et suffisamment précis et confère ainsi à Marks & Spencer des droits qu'elle peut invoquer devant une juridiction nationale, mais uniquement en ce qui concerne la période au cours de laquelle ladite disposition n'avait pas encore été correctement transposée dans le droit interne du Royaume-Uni, c'est-à-dire la période antérieure au 1er août 1992. C'est la raison pour laquelle la juridiction de renvoi a limité sa question au cas où un État membre n'a pas correctement transposé l'article 11, A, de la sixième directive.
23 La juridiction de renvoi s'est en effet fondée sur la prémisse selon laquelle le fait qu'un État membre a transposé correctement dans son droit national les dispositions d'une directive, telles que l'article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive, prive les justiciables de la possibilité d'invoquer devant les juridictions de cet État membre les droits qu'ils tirent le cas échéant de ces dispositions.
24 À cet égard, il y a lieu de rappeler tout d'abord que l'obligation des États membres, découlant d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE), de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles (voir, notamment, arrêt du 26 septembre 1996, Arcaro, C-168-95, Rec. p. I-4705, point 41). Il s'ensuit que, en appliquant le droit national, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE) (voir, notamment, arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106-89, Rec. p. I-4135, point 8, et du 16 décembre 1993, Wagner Miret, C-334-92, Rec. p. I-6911, point 20).
25 Ensuite, il convient de rappeler également que, selon une jurisprudence constante, dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant le juge national à l'encontre de l'État, soit lorsque celui-ci s'abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu'il en fait une transposition incorrecte (voir, notamment, arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8-81, Rec. p. 53, point 25; du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, 103-88, Rec. p. 1839, point 29, et du 1er juin 1999, Kortas C-319-97, Rec. p. I-3143, point 21).
26 Enfin, il résulte d'une jurisprudence constante que la transposition d'une directive doit assurer effectivement la pleine application de celle-ci (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 9 septembre 1999, Commission/Allemagne, C-217-97, Rec. p. I-5087, point 31, et du 16 novembre 2000, Commission/Grèce, C-214-98, Rec. p. I-9601, point 49).
27 Il découle de ce qui précède que l'adoption de mesures nationales transposant correctement une directive n'a pas pour conséquence d'épuiser les effets de celle-ci et qu'un État membre demeure tenu d'assurer effectivement la pleine application de la directive même après l'adoption de ces mesures. Dès lors, les particuliers sont fondés à invoquer devant le juge national, à l'encontre de l'État, les dispositions d'une directive qui apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, dans tous les cas où la pleine application de celle-ci n'est pas effectivement assurée, c'est-à-dire non seulement en cas d'absence de transposition ou de transposition incorrecte de cette directive, mais aussi dans le cas où les mesures nationales qui transposent correctement ladite directive ne sont pas appliquées de manière à atteindre le résultat qu'elle vise.
28 Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 40 de ses conclusions, il serait incompatible avec l'ordre juridique communautaire que les particuliers puissent invoquer une directive lorsqu'elle est transposée de manière incorrecte, alors qu'ils ne pourraient pas le faire lorsque l'administration nationale applique les mesures nationales de transposition de cette directive en violant les dispositions de celle-ci.
29 S'agissant des dispositions de l'article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé qu'elles confèrent aux particuliers des droits dont ils peuvent se prévaloir devant le juge national (arrêt du 6 juillet 1995, BP Soupergaz, C-62-93, Rec. p. I-1883, point 35).
30 Or, il résulte d'une jurisprudence constante que le droit d'obtenir le remboursement de taxes perçues dans un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires telles qu'elles ont été interprétées par la Cour (voir, notamment, arrêts du 2 février 1988, Barra, 309-85, Rec. p. 355, point 17; BP Soupergaz, précité, point 40; du 9 février 1999, Dilexport, C-343-96, Rec. p. I-579, point 23, et du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C-397-98 et C-410-98, Rec. p. I-1727, point 84).
31 Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent que le fait qu'un État membre a transposé correctement dans son droit national les dispositions de l'article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive ne prive pas les justiciables de la possibilité d'invoquer, devant les juridictions de cet État, les droits qu'ils tirent de ces dispositions et notamment le droit d'obtenir le remboursement des sommes perçues par un État membre en violation de celles-ci.
32 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée par l'article 234 CE, il appartient à celle-ci de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi (voir, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, Krüger, C-334-95, Rec. p. I-4517, point 22, et du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C-88-99, Rec. p. I-10465, point 18). Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question dont elle est saisie (arrêts précités Krüger, point 23, et Roquette Frères, point 18).
33 Dès lors, il y a lieu de comprendre la question préjudicielle comme demandant en substance si le principe d'effectivité et le principe de protection de la confiance légitime s'opposent à une législation nationale qui réduit, avec effet rétroactif, le délai dans lequel peut être demandé le remboursement de sommes versées au titre de la TVA, lorsque celles-ci ont été perçues en violation de dispositions de la sixième directive qui ont un effet direct, telles que celles de l'article 11, A, paragraphe 1, de ladite directive.
Sur le principe d'effectivité
34 Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que, en l'absence de réglementation communautaire en matière de restitution de taxes nationales indûment perçues, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, pour autant, d'une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d'équivalence) et, d'autre part, qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité) (voir, notamment, arrêt du 17 novembre 1998, Aprile, C-228-96, Rec. p. I-7141, point 18, ainsi que arrêts précités Dilexport, point 25, et Metallgesellschaft e.a., point 85).
35 En ce qui concerne ce dernier principe, la Cour a reconnu la compatibilité avec le droit communautaire de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l'intérêt de la sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l'administration concernés (voir arrêt Aprile, précité, point 19, et la jurisprudence citée). En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire. À cet égard, un délai national de forclusion de trois ans qui court à compter de la date du paiement contesté apparaît raisonnable (voir notamment arrêts précités Aprile, point 19, et Dilexport, point 26).
36 En outre, il résulte des arrêts précités Aprile (point 28) et Dilexport (points 41 et 42) qu'une législation nationale qui réduit le délai pendant lequel peut être demandé le remboursement de sommes versées en violation du droit communautaire est compatible avec celui-ci à certaines conditions. D'une part, cette législation ne doit pas être destinée à limiter spécifiquement les conséquences d'un arrêt de la Cour dont il résulte qu'une législation nationale relative à une imposition déterminée est incompatible avec le droit communautaire. D'autre part, une telle législation doit, en ce qui concerne ses modalités d'application dans le temps, fixer un délai suffisant pour garantir l'effectivité du droit au remboursement. À cet égard, la Cour a relevé qu'une législation n'ayant pas effectivement une portée rétroactive respecte cette condition.
37 Or, force est de constater, en revanche, que ne satisfait pas à cette dernière condition une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui réduit de six à trois ans la période pendant laquelle peut être demandé le remboursement de sommes indûment versées au titre de la TVA, en prévoyant que ce nouveau délai s'applique immédiatement à toutes les demandes introduites après la date d'adoption de cette législation, ainsi qu'aux demandes introduites entre cette dernière date et une date antérieure constituant la date d'entrée en vigueur de ladite législation, de même qu'aux demandes de remboursement introduites avant cette date d'entrée en vigueur et encore pendantes à cette date.
38 En effet, si le principe d'effectivité ne s'oppose pas à ce qu'une législation nationale réduise le délai pendant lequel peut être demandé le remboursement de sommes versées en violation du droit communautaire, c'est à la condition non seulement que le nouveau délai fixé présente un caractère raisonnable, mais également que cette nouvelle législation comporte un régime transitoire permettant aux justiciables de disposer d'un délai suffisant, après l'adoption de celle-ci, pour pouvoir introduire les demandes de remboursement qu'ils étaient en droit de présenter sous l'empire de l'ancienne législation. Un tel régime transitoire est nécessaire dès lors que l'application immédiate à ces demandes d'un délai de prescription plus court que celui précédemment en vigueur aurait pour effet de priver rétroactivement de leur droit à remboursement certains justiciables ou de ne leur laisser qu'un délai trop bref pour faire valoir ce droit.
39 Il y a lieu de relever à cet égard qu'un État membre est tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire (arrêts du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C-192-95 à C-218-95, Rec. p. I-165, point 20, et Dilexport, précité, point 23) et que si la Cour a admis, par dérogation à ce principe, la compatibilité avec le droit communautaire de la fixation de délais raisonnables pendant lesquels ce remboursement peut être demandé c'est, ainsi qu'il a été rappelé au point 35 du présent arrêt, dans l'intérêt de la sécurité juridique. Or, pour remplir sa fonction d'assurer la sécurité juridique, un délai de prescription doit être fixé à l'avance (arrêt du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, point 19).
40 Dès lors, une législation telle que celle en cause au principal, dont l'effet rétroactif prive les justiciables de toute possibilité d'exercer un droit dont ils disposaient antérieurement, portant sur le remboursement de sommes versées par eux au titre de la TVA en violation de dispositions de la sixième directive ayant un effet direct, doit être considérée comme incompatible avec le principe d'effectivité.
41 Cette constatation n'est pas remise en cause par l'argumentation du Gouvernement du Royaume-Uni selon laquelle l'adoption de la législation en cause au principal a été motivée par l'objectif légitime de trouver un équilibre approprié entre les intérêts du justiciable et les intérêts collectifs, ainsi que de permettre à l'État de planifier ses revenus et ses dépenses sans subir la perturbation causée par d'importantes dettes non prévues.
42 En effet, si un tel objectif peut justifier, ainsi qu'il a été rappelé au point 35 du présent arrêt, la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion, il ne saurait permettre l'application de ces délais dans des conditions telles que ne serait plus assurée la sauvegarde de droits qui ont été conférés aux justiciables par l'ordre juridique communautaire.
Sur le principe de protection de la confiance légitime
43 Le Gouvernement du Royaume-Uni soutient que le principe de protection de la confiance légitime n'est pas pertinent dans un litige tel que celui au principal. Il fait valoir à cet égard que la définition des modalités procédurales selon lesquelles un assujetti peut demander le remboursement de sommes payées par erreur au titre de la TVA relève entièrement du droit national, sous la seule réserve du respect des principes communautaires d'équivalence et d'effectivité. Selon ce gouvernement, si le principe de protection de la confiance légitime était applicable dans le litige au principal, ce serait seulement en ce sens qu'un justiciable est en droit d'obtenir que sa réclamation soit examinée conformément aux modalités procédurales fixées par le droit national, ce qui aurait été le cas en l'espèce.
44 À cet égard, il convient de rappeler qu'il résulte d'une jurisprudence constante que le principe de protection de la confiance légitime fait partie de l'ordre juridique communautaire et doit être respecté par les États membres lorsqu'ils mettent en œuvre des réglementations communautaires (voir, en ce sens arrêts du 26 avril 1988, Krücken, 316-86, Rec. p. 2213, point 22; du 1er avril 1993, Lageder e.a., C-31-91 à C-44-91, Rec. p. I-1761, point 33; du 3 décembre 1998, Belgocodex, C-381-97, Rec. p. I-8153, point 26, et du 8 juin 2000, Schlossstrasse, C-396-98, Rec. p. I-4279, point 44).
45 La Cour a jugé en particulier que le principe de protection de la confiance légitime s'oppose à ce qu'une modification de la législation nationale prive un assujetti, avec effet rétroactif, d'un droit à déduction qu'il a acquis sur le fondement de la sixième directive (arrêt Schlossstrasse, précité, point 47).
46 De la même manière, il y a lieu de considérer que, dans une situation telle que celle du litige au principal, le principe de protection de la confiance légitime s'applique et il s'oppose à ce qu'une modification de la législation nationale prive un assujetti, avec effet rétroactif, du droit dont il disposait antérieurement à ladite modification d'obtenir le remboursement de taxes perçues en violation de dispositions de la sixième directive ayant un effet direct.
47 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que le principe d'effectivité et le principe de protection de la confiance légitime s'opposent à une législation nationale qui réduit, avec effet rétroactif, le délai dans lequel peut être demandé le remboursement de sommes versées au titre de la TVA, lorsque celles-ci ont été perçues en violation de dispositions de la sixième directive qui ont un effet direct, telles que celles de l'article 11, A, paragraphe 1, de ladite directive.
Sur les dépens
48 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), par ordonnance du 14 décembre 1999, dit pour droit:
Le principe d'effectivité et le principe de protection de la confiance légitime s'opposent à une législation nationale qui réduit, avec effet rétroactif, le délai dans lequel peut être demandé le remboursement de sommes versées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque celles-ci ont été perçues en violation de dispositions de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, qui ont un effet direct, telles que celles de l'article 11, A, paragraphe 1, de ladite directive.