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Décisions

CJCE, 18 octobre 1979, n° 5-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur général

Défendeur :

Hans Buys, Han Pesch et Yves Dullieux et Denkavit France SARL

CJCE n° 5-79

18 octobre 1979

LA COUR,

1. Par arrêt du 13 décembre 1978, parvenu à la Cour le 3 janvier 1979, la Cour d'appel de Rouen a posé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, des questions relatives à l'interprétation du règlement n° 804-68 du conseil du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO 1968, n° L 148, p. 13), du règlement n° 974-71 du conseil du 12 mai 1971, relatif a certaines mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement, temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains Etats membres (JO 1971, n° L 106, p. 1). Ainsi que des articles 5, 30 a 34 et 85 du traité CEE.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de poursuites correctionnelles engagées devant les autorités judiciaires françaises par le Ministère public contre quatre dirigeants de la société Denkavit France SARL et contre cette société elle-même, producteur d'aliments pour animaux, considérée comme civilement responsable, auxquels il est fait grief d'avoir violé l'arrêté ministériel n° 76-86 P du 22 septembre 1976, paru au bulletin officiel des services des prix le 23 septembre 1976.

3. L'arrêté ministériel précité dispose à son article 1 que,'jusqu'au 31 décembre 1976, les prix, toutes taxes comprises, de tous les produits ne peuvent être supérieurs, tant à la production qu'aux différents stades de la distribution, à ceux licitement pratiques le 15 septembre 1976 ou, à défaut, à la date antérieure la plus proche'. Il prévoit, à l'article 2, que " les dispositions de l'article 1 ne s'appliquent pas aux produits frais de l'agriculture ou de la pêche ".

4. Deux communiques, publies dans le bulletin des services des prix respectivement le 23 septembre 1976 et le 1 octobre 1976 ont précisé le champ et les modalités d'application de l'arrêté ministériel en question.

5. Le premier communique précisé, en ce qui concerne notamment l'application du " gel " des prix au stade de la production, que ne sont pas soumis aux dispositions de l'article 1 de l'arrêté n° 76-86 P, entre autres, les prix à la production

' Des produits frais provenant de l'agriculture et de la pêche (cf. article 2 de l'arrêté) et des autres produits agricoles dont le prix à la production est régi par des décisions prises dans le cadre de la politique agricole de la Communauté économique européenne.

Ne doivent être considérés comme produits agricoles et de la pêche que ceux qui n'ont pas été transformés. Si ces produits ne gardent pas leur individualité d'origine ou font l'objet d'une transformation sortant des usages normaux ou habituels de l'agriculture ou intervenant a un stade quelconque de l'industrie et du commerce, ils perdent de ce fait leur caractère initial. ..

En ce qui concerne plus particulièrement les produits laitiers, on admettra cependant par tolérance que les beurres, la crème et les fromages dont les prix à la production pouvaient être librement déterminés à la date en vigueur de l'arrêté, conservent leur caractère de produits agricoles, même après transformation ou affinage. Au contraire, des produits tels que les poudres de lait, les laits concentres, les crèmes glacées présentent un caractère industriel ainsi que les fabrications telles que les yaourts, fromages frais, fromages fondus. "

6. Le deuxième communiqué précise plus spécialement les conditions d'application du régime des prix précité au stade de la distribution, en distinguant entre les " produits frais de l'agriculture et de la pêche ", d'une part, et les " autres produits agricoles sous règlement communautaire de marché ", d'autre part, tels que définis à la liste II de son annexe, ou figurent les " céréales (à l'exception des résidus de décorticage) " et la " poudre de lait en vrac ". Pour les produits portes sur cette liste, il est précisé qu'ils " sont, en application des règlements communautaires, exclus du champ d'application de l'arrêté ministériel n° 76-86 P tant à la production qu'au stade de gros ", alors qu'aux autres stades de la distribution ils restent soumis au régime de " gel " instauré par ledit arrêté.

7. Il ressort du dossier que le 20 septembre 1976 la société incriminée a augmenté les prix de six produits d'allaitement pour animaux et qu'elle a maintenu cette augmentation aux ventes effectuées pendant les mois de septembre et octobre 1976, après l'entrée en vigueur de l'arrêté ministériel 76-86 P. Les intimés au principal ont, au Cours de la présente procédure, affirme - sans que leur affirmation ait été contestée - que la société Denkavit livre les aliments pour animaux qu'elle produit, exclusivement pour le commerce de gros, qui les revend aux fermiers. En outre, il ressort des indications fournies par l'arrêt de renvoi quant à la composition de ces produits, compte tenu aussi des précisions fournies par les intimés au principal eux-mêmes et par le Gouvernement français dans la présente procédure, que les produits en question ont une teneur élevée en produits laitiers, notamment en poudre de lait : 60 % selon l'arrêt de renvoi, 60-65 % selon les intimés au principal et 60 % selon le Gouvernement français, qui indique, toutefois, une teneur de 45 % en lait écrémé en poudre pour les seuls produits " Denkavit élevage ". Pour le reste, les produits en question contiennent d'autres produits agricoles, repris à l'annexe II du traité CEE, ainsi que des quantités infimés d'additifs divers.

8. Les intimés au principal ont fait valoir que chaque composant - les additifs exclus - desdits produits relève d'une organisation commune de marchés agricoles, notamment celle établie dans le secteur du lait et des produits laitiers par le règlement n° 804-68. Dans ces conditions, des mesures de " gel " des prix, telles que celles prévues par l'arrêté ministériel n° 78-86 P du 22 septembre 1976, ne sauraient s'appliquer à de tels produits sans enfreindre la réglementation communautaire dont ils relèvent et, en même temps, les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises et au régime de la concurrence dans le marché commun. Le Ministère public a par contre soutenu que les produits d'allaitement pour veaux m'ont jamais été considérés comme entrant dans la catégorie des produits dont les prix sont régis par des dispositions communautaires, que les régimes nationaux des prix sont licites dans la mesure ou ils ne perturbent pas la formation des prix des matières premières entrant dans la production des produits en cause, et que les produits d'allaitement pour veaux doivent être considérés comme de seconde transformation.

A) sur le champ d'application du règlement n° 804-68

9. Afin d'éclairer ces points, la Cour d'appel de Rouen a demandé à la Cour de dire tout d'abord si des produits d'allaitement pour veaux de la nature et de la composition des produits litigieux sont , " pour la fixation des prix au stade de la production ou du commerce de gros, soumis aux règles de l'organisation commune des marchés agricoles " et, plus particulièrement, s'ils entrent " soit dans la définition des produits laitiers (article 1 du règlement n° 804-68 du 27 juin 1968), soit dans celle des aliments pour bétail (article 4 du règlement n° 990-72 modifie par le règlement n° 804-76 du 7 avril 1976), soit dans toute autre catégorie de produits agricoles soumis à la législation communautaire en vertu de l'article 38 du traité de Rome ".

10. L'article 1 du règlement n° 804-68 du conseil du 27 juin 1968 (JO 1968, n° L 148, p. 13) prévoit, à la lettre b), que l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers régit des produits tels que " lait et crème de lait, conserves, concentres ou sucres " de la position 04.02 du tarif douanier commun, englobant, dans les sous-positions a II et b I , " lait et crème de lait, en poudre ". En outre, cette même disposition étend, à la lettre g), le champ d'application de ladite organisation commune des marchés aux " aliments préparés pour animaux " contenant les produits précités.

11. Ainsi qu'il a été précédemment constaté, les produits litigieux sont des " aliments préparés pour animaux " ayant une teneur élevée en poudre de lait et qui, pour le reste, contiennent d'autres produits agricoles dont la plupart relèvent du règlement n° 804-68. Il s'ensuit, dans ces conditions, que, compte tenu de leur composition et eu égard aux dispositions précitées de l'article 1, b) et g), du règlement n° 804-68, ces aliments rentrent dans le champ d'application dudit règlement et sont de ce fait assujettis à l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers.

B) sur l'applicabilité du règlement n° 990-72

12. L'assujettissement de ces produits à l'organisation commune de marché dans le secteur du lait et des produits laitiers n'exclut pas nécessairement l'application à leur égard du règlement n° 990-72 de la Commission du 15 mai 1972 (JO 1972, n° L 115, p. 1). Ce règlement n'est en effet qu'une mesure d'application du règlement n° 986-68 du conseil du 15 juillet 1968 (JO 1968, n° L 169, p. 4). Comme ce dernier règlement " établissant les règles générales relatives à l'octroi des aides pour le lait écrémé et le lait écrémé en poudre destines à l'alimentation pour animaux " se situe, ainsi qu'il ressort également de son préambule, dans le cadre du règlement n° 804-68 et règle un mécanisme particulier de l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, il s'ensuit que le règlement n° 990-72, en tant que mesure d'application du règlement n° 986-68, s'inscrit lui aussi parmi les règles de l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers. Son application à des produits laitiers n'exclut donc pas celle du règlement n° 804-68 établissant ladite organisation commune, mais suppose au contraire que ces mêmes produits soient assujettis à ce dernier règlement.

13. Pour toutes ces raisons, il y a lieu de répondre à la première question que des produits d'allaitement pour veaux de la nature et de la composition de ceux visés dans la procédure au principal sont des produits laitiers au sens de l'article 1 du règlement n° 804-68 du conseil du 27 juin 1968 et sont de ce fait soumis à l'organisation commune des marchés instaurée par ce règlement.

C) sur l'applicabilité du règlement n° 974-71

14. La juridiction nationale demande ensuite à la Cour de dire si des aliments tels que les produits litigieux sont assujettis aux montants compensatoires prévus par le règlement n° 974-71 du conseil du 12 mai 1971 (JO 1971, n° L 106, p. 1) et, dans l'affirmative, si ce seul fait entraîne par lui-même leur soumission à l'organisation commune des marchés en vertu de l'article 1, paragraphe 1, dudit règlement.

15. L'article 1 du règlement n° 974-71 établit, dans son paragraphe 2, a) et b), que le mécanisme des montants compensatoires monétaires prévu au paragraphe 1 s'applique, entre autres,

' A) aux produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles ;

B) aux produits dont le prix est dépendant de celui des produits visés sous a) et qui relèvent de l'organisation commune des marchés. . .'

Il ressort de cette disposition que l'assujettissement des produits agricoles à l'organisation commune des marchés n'est pas une conséquence de l'application à leur égard du mécanisme des montants compensatoires monétaires institue par le règlement n° 974- 71, mais au contraire constitue, en principe, une des conditions préalables pour l'application de ce même mécanisme. Puisque des aliments pour animaux de la nature de ceux litigieux sont régis, ainsi qu'il a été précédemment constaté, par l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers établie par le règlement n° 804-68, il s'ensuit donc de la même disposition que le système des montants compensatoires monétaires institue par le règlement n° 974-71 est applicable auxdits produits.

Pour la campagne de commercialisation 1976-1977 - au cours de laquelle est intervenu l'arrêté ministériel 76-86 P du 22 septembre 1976 -, les montants compensatoires applicables a de tels produits étaient établis par le règlement n° 572-76 de la Commission du 15 mars 1976 (JO 1976, n° L 68, p. 5) - complète, en ce qui concerne la France, par le règlement n° 652-76 de la Commission du 24 mars 1976 (JO 1976, n° L 79, p. 4).

16. Compte tenu des ces éléments, il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que les produits d'allaitement en cause étaient assujettis, à l'époque de l'application des mesures nationales litigieuses de blocage des prix, au mecanisme des montants compensatoires monétaires institue par le règlement n° 974-71.

D) sur la portée du règlement n° 804-68 à l'égard des mesures nationales de contrôle des prix

17. Par sa troisième question, la juridiction nationale demande à la Cour de dire si l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers prévue par le règlement n° 804-68 du 27 juin 1968, seule ou en combinaison avec l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine prévue par le règlement n° 805-68, s'oppose à l'application, par un Etat membre, d'une réglementation nationale de blocage des prix aux produits d'allaitement pour bovins dont il s'agit. La juridiction nationale demande en outre, par sa cinquième question, si l'organisation commune des marchés ci-dessus mentionnée s'oppose, pour un Etat membre, à l'application d'une réglementation nationale de blocage des prix qui ne prévoit pas de dispositions particulières à l'égard des produits agricoles régis par des décisions prises par la communauté.

Les deux questions étant connexes quant à leur contenu, il y a lieu de les examiner conjointement.

18. La Cour a établi par une jurisprudence constante - arrêt du 23 janvier 1975 (Galli 31-74, Recueil 1975, p. 47), arrêts du 26 février 1976 (Tasca 65-75 et Sadam 88 a 90-75, Recueil 1976, p. 291 et 323), arrêt du 29 juin 1978 (Dechmann 154-77, Recueil 1978, p. 1573) et arrêt du 12 juillet 1979 (Grosoli, 223-78) - que, dans les domaines couverts par une organisation commune des marchés, à plus forte raison lorsque cette organisation est fondée sur un régime commun de prix, les Etats membres ne peuvent plus intervenir par des dispositions nationales, prises unilatéralement, dans le mécanisme de la formation des prix, tel qu'il résulte de l'organisation commune. Par cette jurisprudence, il a été précisé que les dispositions d'un règlement agricole communautaire comportant un régime de prix s'appliquant aux stades de la production et du commerce de gros laissent intact le pouvoir des Etats membres - sans préjudice d'autres dispositions du traité - de prendre les mesures appropriées en matière de formation des prix aux stades du commerce de détail et de la consommation, a condition qu'elles ne mettent pas en danger les objectifs ou le fonctionnement de l'organisation commune des marchés en question.

19. Par cette même jurisprudence, la Cour a en outre affirmé qu'il appartient, dans chaque cas d'espèce, à la juridiction nationale de décider si les mesures nationales prises en matière de prix, dont elle est appelée à connaître, produisent ou non des effets incompatibles avec les dispositions communautaires en la matière. A cet égard, il convient de prendre en considération le caractère spécifique de l'organisation des marchés dans le secteur en cause.

20. En ce qui concerne les caractéristiques de l'organisation commune dans le secteur du lait et des produits laitiers, instituée par le règlement n° 804-68, il y a lieu de relever que celle-ci comporte un régime de prix et un régime d'échanges. Le régime de prix est axe sur un " prix indicatif " pour le lait, sur un " prix de seuil " pour certains produits laitiers, y compris les préparations alimentaires de la position 23.07 b du tdc, et sur un " prix d'intervention ", notamment pour le beurre et le lait écrémé en poudre, fixes chaque année par le conseil pour la campagne laitière débutant l'année suivante. Des mesures d'intervention sont en outre prévues par ladite organisation commune pour l'éventualité ou les prix du marché descendraient à un niveau ne permettant pas d'atteindre le prix indicatif. Ces mesures comportent, entre autres, une aide au stockage prive et plus particulièrement l'octroi d'aides " au lait écrémé et au lait écrémé en poudre, produits dans la communauté et utilises dans l'alimentation des animaux ci ces produits répondent à certaines conditions " (règlement n° 804-68, article 10, alinéa 1). De telles aides sont - ainsi qu'il ressort de l'article 2 bis du règlement n° 986-68 du conseil du 15 juillet 1968, ajouté par le règlement n° 666-74 du conseil du 28 mars 1974 (JO 1974, n° L 85, p. 58) - fixées chaque année,

En tenant compte entre autres du prix d'intervention ainsi que de l'évolution des prix sur le marché des produits concurrents par rapport a celui du lait écrémé en poudre.

Le régime d'échanges, enfin, prévoit un système de prélèvements, fixes à partir prix de seuil, s'étendant aux aliments pour animaux, et l'octroi d'aides à la restitution également pour le lait et la crème de lait conserves. En outre, ainsi qu'il a été précédemment constaté, les produits laitiers, y inclus les aliments pour animaux, sont assujettis au mécanisme des montants compensatoires monétaires.

21. Il ressort des éléments constitutifs de cette organisation commune que celle-ci est axée sur un système de prix communautaires, lie étroitement les uns aux autres. Le fonctionnement correct de l'organisation commune des marchés suppose qu'aucun de ces prix ne soit altéré dans ses conditions de formation par l'intervention de mesures prises unilatéralement par un Etat membre. Il est constant qu'a compter du 16 septembre 1976, c'est-à-dire le jour suivant celui a partir duquel a pris effet le blocage des prix etabli par l'arrêté ministériel n° 76-86 p du 22 septembre 1976, le prix indicatif du lait et le prix d'intervention du lait écrémé en poudre avaient été relèves par le règlement n° 558-76 du conseil du 15 mars 1976 (JO 1976, n° L 67, p. 4). En outre, le règlement n° 560-76 du conseil du 15 mars 1976 (JO 1976, n° L 67, p. 10) avait aussi augmente, a compter du 16 septembre 1976, le prix de seuil des aliments composes.

22. La circonstance relevée par le Gouvernement français que les produits d'allaitement pour veaux ne bénéficient pas, en tant que tels, d'une garantie de prix sous forme d'un prix d'intervention fixe dans le cadre de la politique agricole commune ne saurait exclure le risque d'une collision entre les mesures nationales de blocage des prix de ces produits et la réglementation communautaire régissant l'organisation commune des marchés du lait et des produits laitiers. En effet, s'il est vrai qu'il n'existe pas de prix d'intervention pour les produits d'allaitement pour veaux, il n'en reste pas moins que le prix d'intervention fixe pour la poudre de lait est, en raison de la composition de ces produits, un élément constitutif de leur prix. D'autre part, le fait, souligne par le Gouvernement français, que la réglementation nationale de blocage des prix en l'espèce visée constitue une mesure conjoncturelle temporaire n'ayant pas, en tant que telle, une influence appréciable sur le marché considéré ne saurait exclure qu'elle puisse s'avérer incompatible avec les dispositions du droit communautaire en matière agricole, un blocage de prix, même temporaire et conjoncturel, pouvant en effet mettre en danger les objectifs ou le fonctionnement de l'organisation commune des marchés dont il s'agit. Enfin,

La distinction opérée par le Gouvernement précité entre mesures nationales visant des matières premières assujetties à l'organisation commune des marchés et mesures nationales s'appliquant aux préparations obtenues a partir de ces matières n'est pas déterminante pour exclure toute collision entre la réglementation nationale en matière de prix et les règles régissant l'organisation commune des marchés, des lors que tant les matières premières que les produits composes contenant ces matières relèvent de l'organisation commune des marchés et qu'il y a, entre les unes et les autres, un rapport étroit en matière de prix.

23. Ces particularités de l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers sont parmi celles qu'il serait loisible à la juridiction nationale de prendre en considération, avec les autres éléments de cette organisation, pour décider si des mesures nationales, telles que celles litigieuses, de blocage des prix au stade de la distribution des produits soumis a une telle organisation mettent en danger les objectifs ou le fonctionnement de cette même organisation.

24. Il faut ainsi répondre aux troisième et cinquième questions que le règlement n° 804-68 du conseil du 27 juin 1968 doit être interprète comme s'opposant à une réglementation nationale, telle que celle visée par la juridiction nationale, de blocage des prix, au stade de la distribution, des produits d'allaitement pour veaux relevant de l'organisation commune des marchés instituée par ce règlement, des lors que l'application d'une telle réglementation met en danger les objectifs ou le fonctionnement de ladite organisation, en particulier de son régime de prix.

E) sur les articles 30 à 34 du traité CEE

25. Par la quatrième question il est demandé à la Cour si les règles de la libre circulation des marchandises exposées aux articles 30 a 34 du traité CEE, et plus spécialement à l'article 22 du règlement n° 804-68 pour les produits laitiers, s'opposent à l'application auxdits produits d'une réglementation nationale de blocage de prix qui exclut la répercussion, dans le prix de vente, de la hausse du prix d'achat des matières premières ou des produits finis.

26. L'article 30 du traité CEE interdit, dans le commerce entre Etats membres, toute mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, interdiction reprise, en ce qui concerne le marché du lait et des produits laitiers, par l'article 22 du règlement n° 804-68. Il suffit, à cet égard, que les mesures en question soient aptes a entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les importations entre Etats membres. Si un régime de blocage de prix, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, ne constitue pas en lui-même une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, il peut cependant sortir un tel effet lorsque les prix se situent à un niveau tel que l'écoulement des produits importés devient soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux. Tel est notamment le cas d'un régime national qui, excluant la répercussion dans les prix de vente de la hausse des produits importés, bloque les prix à un niveau tellement bas que - compte tenu de la situation générale des produits importés comparée à celle des produits nationaux - les opérateurs désirant importer les produits dont il s'agit dans l'Etat membre concerne ne pourraient le faire qu'à perte, ou, eu égard au niveau des prix bloqués des produits nationaux, sont amenés à accorder leur préférence à ces derniers produits.

27. Il appartient à la juridiction nationale de décider si ces conditions sont en l'espèce réunies.

28. Au vu de ces considérations, il convient donc de répondre à la quatrième question que les règles de la libre circulation des marchandises énoncées aux articles 30 a 34 du traité CEE s'opposent à l'application, à des produits d'allaitement pour veaux relevant de l'organisation commune des marchés instituée par le règlement n° 804-68, d'une réglementation nationale de blocage de prix qui exclut la répercussion, dans les prix de vente, de la hausse des prix d'achat des matières premières ou des produits finis importés d'un autre Etat membre, lorsque, suite au blocage, les prix se situent à un niveau tel que l'écoulement des produits importés devient soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux.

F) sur les articles 5 et 85 du traité CEE

29. La juridiction nationale demande enfin à la Cour de dire si les dispositions combinées des articles 5 et 85 du traité CEE s'opposent à l'application, par un Etat membre, d'une réglementation nationale de blocage des prix des produits soumis à la législation communautaire.

30. L'article 5, alinéa 2, du traité CEE énonce le principe selon lequel les Etats membres s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des buts du traité. Quant à l'article 85 du traité, cette disposition interdit " tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées " présentant certaines caractéristiques spécifiques au regard du régime de la concurrence voulu par le traité. Une réglementation nationale de blocage des prix des produits soumis à la législation communautaire ne s'analysant pas en un accord entre entreprises ou en une décision d'association d'entreprises ou en des pratiques concertées n'est donc pas justiciable de l'article 85 susdit. Si l'application par un Etat membre d'une telle réglementation nationale à des produits soumis à organisation commune des marchés contrevient au principe de l'article 5 du traité, du fait qu'elle met en danger les objectifs ou le fonctionnement de cette organisation commune, l'appréciation de la compatibilité d'une telle réglementation avec le droit communautaire ne relève toutefois pas des dispositions de l'article 85 du traité, mais de celles régissant ladite organisation.

31. Dans ces conditions, il suffit de répondre à la sixième question que, eu égard à son champ d'application matériel, l'article 85 du traité CEE ne vise pas une réglementation nationale de blocage des prix.

Sur les dépens

32. Les frais exposés par le Gouvernement français et la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions a elle soumises par la Cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, par arrêt du 13 décembre 1978, dit pour droit :

1. Des produits d'allaitement pour veaux de la nature et de la composition de ceux visés dans la procédure au principal sont des produits laitiers au sens de l'article 1 du règlement n° 804-68 du conseil du 27 juin 1968 et sont de ce fait soumis à l'organisation commune des marchés instaurée par ce règlement.

2. Les produits d'allaitement en cause étaient assujettis, à l'époque de l'application des mesures nationales litigieuses de blocage des prix, au mécanisme des montants compensatoires monétaires institue par le règlement n° 974-71.

3. Le règlement n° 804-68 du conseil du 27 juin 1968 doit être interprété comme s'opposant à une réglementation nationale, telle que celle visée par la juridiction nationale, de blocage des prix, au stade de la distribution, des produits d'allaitement pour veaux relevant de l'organisation commune des marchés instituée par ce règlement, des lors que l'application d'une telle réglementation met en danger les objectifs ou le fonctionnement de ladite organisation, en particulier de son régime de prix.

4. Les règles de la libre circulation des marchandises énoncées aux articles 30 à 34 du traité CEE s'opposent à l'application a des produits d'allaitement pour veaux relevant de l'organisation commune des marchés instituée par le règlement n° 804-68, d'une réglementation nationale de blocage de prix qui exclut la répercussion, dans les prix de vente, de la hausse des prix d'achat des matières premières ou des produits finis importés d'un autre Etat membre, lorsque, suite au blocage, les prix se situent à un niveau tel que l'écoulement des produits importés devient soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux.

5. Eu égard a son champ d'application matériel, l'article 85 du traité CEE ne vise pas une réglementation nationale de blocage des prix.